JAROD + Plus jamais l'un sans l'autre

Je ne savais pas vraiment comment me comporter en la présence de Leanne. Elle était si enjouée de me découvrir et de me faire entrer dans sa vie que je me sentais presque coupable de rester un peu à l’écart, pas peur de m’attacher et de tout perdre une nouvelle fois. Mais désormais je n’étais plus seul et c’est ce que tentais de me communiquer la brune. Un sourire aux lèvres, je songeais à la première fois que je lui avais adressé la parole. En fin de compte, j’avais connu cette jeune femme bien avant qu’elle apprenne que l’on était jumeau. Enfin connaître… c’est un bien grand mot, disons que nous avions déjà échangé des mots à la cafétéria ou elle avait déjà pansé quelques plaies superficielles. Alors, lorsque je l’avais vu s’approcher pour me dire qu’elle avait une grosse nouvelle à m’annoncer, j’ignorais à quoi m’attendre. J’avais dû m’asseoir sur le coup, j’avais ri, nerveusement, puis je l’avais regardé tout en restant silencieux, un long moment. Aujourd’hui c’était pareil, je posais mon regard clair sur elle et je restais silencieux, écoutant d’une oreille les débilités de la télé, scrutant la pièce comme si de rien n’était. « J’imagine que les journées doivent être un peu longues. » J’ignorais comment j’aurais pu faire sans la caserne, ce métier c’était toute ma vie. J’étais un étudiant fauché à Harvard qui passait le plus clair de son temps à bosser en tant que pompier plutôt que d’aller en cours, quelle vie. Etonné par ce qu’elle venait de suggérer, j’arquais un sourcil tout en portant mon verre à mes lèvres, au final ce n’était pas une idée si stupide que ça. « Je peux m’asseoir ? » J’attendais qu’elle me réponde par l’affirmative puis je me posais sur le canapé, posant alors mon verre sur la table basse. Je la regardais s’asseoir près de moi avec un léger sourire. « Okay, une seule condition, tu commences. » Je n’étais pas si doué que ça pour me confier sur mes choix de vie, il fallait qu’elle m’aide à me détendre en me parlant d’elle en premier.

Je n’étais vraiment pas rassuré, tel un gamin apeuré arrivant dans une nouvelle famille. Ouais ça s’était passé comme ça à chaque fois, en compagnie de l’assistante sociale, je débarquais dans une nouvelle famille soi-disant aimante, m’ayant préparé des gâteaux, me présentant ma nouvelle chambre. Mais lorsque la porte d’entrée se refermait derrière l’assistante, le monde merveilleux des bisounours se cassait la gueule. Au fond, du haut de mes 26 ans, j’avais peut-être encore cette impression d’être ce gamin aux grands yeux bleus. A vrai dire, le fait que Leanne me propose gentiment de faire connaissance, l’air de rien, me rassurait quelque peu, et puis après tout, qu’est-ce que j’avais à perdre ? Je soufflais tout en m’asseyant, détends-toi, tout va bien se passer Jarod. « Eh bien je ne sais pas moi, n’importe quoi, par exemple, ce que tu aimes, ce qui te fait rire, ce genre de chose… » Lorsque j’étais coincé de la sorte, il fallait que je ris de bon cœur pour me sentir en sécurité, c’était con mais j’avais toujours fonctionné de la sorte, autant dire que lorsque j’étais gosse, je ne riais pas souvent. Je passais une main dans mes cheveux tout en scrutant son doux visage. Est-ce que l’on se ressemblait ? Je ne savais pas trop, c’était dur à déterminer après tout.

J’écoutais attentivement Leanne, en voyant son comportement, je comprenais qu’elle venait de se faire avoir par son propre jeu ce qui me faisait doucement rire intérieurement. Je n’étais pas du genre à me confier, encore moins me dévoiler, en même temps ma vie n’était pas vraiment trépidante ou ne serait-ce qu’un peu gai donc… « Tu as l’air parfaite avec les enfants. » Je le pensais sérieusement. Elle avait en elle une douceur immense comblée à une certaine autorité et je respectais ça. Je posais un instant mon regard sur son ventre avant de remonter vers ses yeux, trouvant que fixer ainsi son ventre allait pouvoir être mal pris. Je me raclais alors la gorge et réfléchissais un moment, à mon tour, allez Jarod, trouve de quoi blablater. « Eh bien j’aime aussi les voyages, enfin j’ignore si je peux dire ça étant donné que je n’ai jamais vraiment voyagé alors… J’aime aussi les animaux, j’ai recueilli un chat il y a quelque temps, on vit en célibataire dans mon petit appartement pourri. Je fais beaucoup de sport, notamment de combat. J’aime aussi la mécanique mais on va dire que je suis trop fauché pour m’acheter une voiture ou une moto. Je joue de la guitare à mes heures perdues. Qu’est-ce que je pourrais dire d’autre… Ah j’aime lire, pas mal de comics, ce genre de chose, ce qui doit faire de moi un vrai ado... » Je me mettais à rire nerveusement alors qu’une de mes mains se passait automatiquement dans mes cheveux, signe de gêne, ouais ce n’était pas quelque chose que j’avançais d’habitude, malheureusement ce genre de bouquin restait destiné aux ados boutonneux ou aux vrais geeks, or j’étais censé n’être aucun des deux.

« Oh non je t’assure, je t’ai déjà vu avec des enfants et j’ai toujours pensé que tu étais merveilleuse avec eux. » Je souriais tout en ayant l’air d’avoir le plus sincère possible en même temps je l’étais. Combien de fois j’avais pu la croiser dans les couloirs de l’hôpital, je la voyais de loin, prendre soin de certains patients quel que soit leur âge. Leanne faisait preuve d’une grande douceur et d’une grande empathie, j’appréciais énormément ces qualités. Je serrais soudainement les mâchoires alors qu’elle m’informait pour sa sœur décédée. Automatiquement je baissais la tête, je ne connaissais que trop le sentiment de perte. « Oh je suis désolé. » Mais visiblement elle ne se laissait pas abattre vu qu’elle enchaînait sur autre chose, je relevais alors la tête et tentais de feindre un sourire. « Au Spring Break ouais je… j’en sais trop rien. Je ne suis encore jamais parti dans ce genre de truc, et je n’ai jamais vraiment pris de vacances, et puis ça doit être couteux enfin… Je vais y réfléchir en tout cas. » La seule fois que j’étais parti, c’était en compagnie de la Quincy House pour un voyage humanitaire en Afrique et on va dire que mon voyage ne s’était pas très bien déroulé. J’aurais dû parler en voyage, faire le tour du monde, et tout ça en compagnie de Joanne, mais mes plans ne s’étaient pas déroulés comme prévu. D’un autre côté, aller au Spring Break allait être l’occasion de rencontrer toute la famille, c’était peut-être ça qui me terrifiait au fond. « Hum… non, t’as raison, je t’accorde un point. » Je faisais alors une légère moue avant de lâcher un léger rire, de bon cœur.

« Pas vraiment, je suis juste du genre à aimer m’assurer que les gens que j’ai pris en charge vont mieux, dont les enfants. » J’attrapais mon verre pour le finir puis le reposer sur la table. Les gens que j’avais pu secourir ou juste transporté suite à un malaise ou autres, faisaient partie de mon quotidien et il m’arrivait souvent, sur mon temps libre, de me rendre à l’hôpital pour avoir de leurs nouvelles, j’étais comme ça, un point c’est tout. « Ah… d’accord, je… » Et je me taisais car j’ignorais quoi dire. J’étais encore plus perdu tout à coup, je ressentais une certaine douleur alors qu’au fond, même si c’était triste, je ne les avais jamais vus au cours de ma courte vie. Hésitant, je posais mes mains sur mes genoux, me mordant la lèvre inférieure. « Est-ce que tu… tu aurais des photos ? » J’ignorais pourquoi mais je ressentais ce besoin de mettre un visage sur le nom de mes sœurs, un besoin étrange mais nécessaire, visiblement. La conversation se redirigeait alors vers le Spring Break, le programme qu’elle m’en faisait me donnait presque l’eau à la bouche mais un rictus s’affichait sur mon visage alors qu’elle parlait de me prêter de l’argent. Je venais déjà de refuser l’aide de Sanaa pour m’acheter une voiture, je n’allais certainement pas accepter celle de Leanne, ce n’était pas dans ma nature. « C’est gentil. » Je me contentais alors de lui répondre tout en ayant un léger sourire alors que mes mains devenaient moites, comment lui dire que son frère était un raté avec une vie de merde et ce depuis ses premiers jours ? La bouche pâteuse, j’hésitais, par quoi commencer, fallait-il que j’enjolive les choses ? Ce n’était pas non plus dans mes habitudes… « Eh bien… on m’a trouvé dans une poubelle alors que je n’étais encore qu’un bébé, c’est… une prostituée, complètement saoule, qui m’a amené à l’agence d’adoption la plus proche. Après ça j’ai eu un parcours un peu chaotique on va dire. » Je tentais de feindre un sourire, en même temps c’était plutôt drôle comme situation, non ?