░ feeling misunderstood (zorikha)

Je pouvais sentir chez Ortikha comme une jalousie mal placée. Elle n’aimait pas que je parle de ma femme et même si je ne l’avais pas fait directement, elle avait pris ça comme un affront. Je ne pouvais pourtant pas l’éradiquer pour lui faire plaisir. Ma femme faisait partie de ma vie, elle était la mère de mon fils et jusqu’à preuve du contraire, elle élevait son fils comme elle l’entendait. Elle n’aimait pas que Nikola ne soit pas présentable. Lorsqu’il passait à la douche, il faisait face à un inspecteur de la propreté. Si le détergeant était autorisé sur les enfants, Nikola y aurait eu certainement le droit. Et je ne voulais pas qu’elle frotte la peau de mon fils comme on fait la vaisselle. Elle était trop maniaque. « C’est pas la question, c’est que je veux m’assurer que ça parte bien pour pas qu’elle astique comme un plat plein de graisse ! » Tout simplement. Je n’essaie pas de paraitre plus véhément, ce n’est pas la peine de faire une scène, mais j’ai compris le message. C’est tellement frustrant ce qui se passe entre nous. L’interdit nous maintient à distance, le devoir de père également, mais pour combien de temps ? On ne peut pas le nier, il se passe quelque chose de fort. Je sais que comme moi elle n’a pas oublié nos baisers, et si les choses n’étaient pas si compliquées, j’aurais déjà recommencé. Mais je suis coach, elle est élève, je crois savoir que ce genre de relation est interdite. Nikola ne prête pas trop attention à ce qui se passe au dessus de sa tête, et c’est tant mieux. Il observe en silence les autres filles qui peignent des gens, et s’il baragouine le russe, je sais d’avance qu’il n’a pas compris un traitre mot de ce que j’ai pu dire et qu’il ne me posera pas la question car certaines choses doivent rester entre adultes. Elle accepte notre proposition, charmée par Nikola, et tandis qu’elle nous informe qu’elle part poser ses outils, mon fils me montre comme certains ont de sacrées peintures sur le visage. Il espère qu’on pourra lui faire une tête de squelette pour Halloween comme le monsieur plus loin. Je lui souris et lui répond qu’on lui trouvera même mieux alors qu’Ortikha nous informe qu’elle n’est pas convaincue que l’on trouve à manger ici, alors intrigué, je lui réponds : « Et la cafétéria ou le snack, pas ouverts ? » Le campus est ouvert mais impossible de se restaurer ? De toute façon, elle semble avoir une solution de rechange, nous invitant au fast-food. Je sais que Nikola adore, mais nous l’avons habitué à ne pas y manger très souvent. Une fois par an, c’est le bout du monde. Me mordillant la lèvre, je finis par capituler : « Va pour le fast-food, on va faire une petite entorse au règlement, hein Niko ? » Je rapproche mon fils de moi, qui lui est aux anges. Il va finir par adorer Ortikha et elle ne pourra plus s’en dépêtrer.

« Façon de parler. Elle fait attention à ce qu’il soit propre, c’est tout. » Je haussais les épaules. Je ne voyais pas pourquoi elle en faisait tout un plat. Il n’y avait pas meilleure mère pour mon fils. Ils avaient une relation fusionnelle, et je n’avais rien à lui reprocher, malgré mes agissements. Le problème venait de moi, en rien d’elle. Si je n’avais pas rencontré Ortikha et ressenti ces sentiments inexplicables, j’aurais probablement été le plus heureux des hommes. C’est immonde faire du mal à quelqu’un qui n’aspire qu’à une chose, vous rendre heureux. Je n’étais tellement pas concentré sur ce que je faisais, complètement ailleurs, que c’était Ortikha qui me rappelait à l’ordre pour me dire qu’on ne pouvait pas déambuler aisément au milieu de la foule sans que le reste du monde ne se pose des questions. Tout ça parce que j’étais embauché sur son lieu d’études. Ca n’avait pas de sens, je n’étais pas bien plus vieux qu’elle, mais les règles sont ainsi faites. « Tu marques un point. » Je n’avais pas envie d’épiloguer là-dessus, ni même de lui trouver un contre-argument. De toute façon, ça ne change rien à la situation complexe que nous vivons. Elle n’est pas dans une position agréable, mais c’est moi qui aie la place la plus défavorable. Elle me pose une question surprenante. Oui, mon fils n’a le droit qu’à une fois par an à McDonald’s ou autres fast-food. Il en va de sa santé, et je tiens à l’exprimer. « Dans la mesure du possible oui, on essaie de s’y tenir. Il nous remerciera dans dix ans, quand il sera en meilleure santé que ses camarades. » Nous ne sommes pas des tortionnaires, mais on essaie de faire ce qu’il a de plus juste pour lui. Pendant le trajet, on ne dit rien, on se contente de se rendre sur les lieux. Alors qu’on y arrive, Ortikha nous conseille d’aller prendre une table pendant qu’elle s’absente, et j’arque un sourcil et je lui demande : « Tu veux pas qu’on commande d’abord ? » Mais elle est déjà partie, et j’indique à Nikola le menu pour qu’il choisisse ce qu’il souhaite dans son menu enfant avant d’aller s’installer à une table. Puis mon téléphone vibre dans ma poche, et je souris au message d’Ortikha. Elle a trouvé la réponse à l’énigme. Perspicace la jeune femme. ‘Je vois que tu as trouvé la réponse à l’énigme.’ Lui répondis-je alors avant qu’elle revienne. Je n’ai rien à ajouter d’autre, elle en fait ce qu’elle veut. « Tu veux manger quoi ? Nikola a déjà choisi ! » Moi je ne prendrais pas grand-chose, je n’ai pas spécialement faim.

Je peux comprendre qu’Ortikha ne soit pas d’accord avec moi sur ma façon d’élever mon fils, mais chacun sa façon de faire. Mon fils est très bien élevé et ne manque de rien. On sait parfois lever le pied, mais il vaut mieux être strict au départ et faire des concessions après, que l’inverse. Nikola sait pourquoi il ne mange que très rarement au McDonald’s. C’est parce qu’on l’a habitué à de la bonne nourriture. « Non. Mais je préfère emmener mon fils dans un bon resto. » Je coupe court à la discussion le concernant, c’est un débat stérile. De toute façon, elle s’en est allée. Quand elle revient, elle semble dépitée, voire amère. A croire que le body painting ne lui fait plus autant plaisir que cela. J’hausse les épaules, je suis habitué à ce que les filles prennent des salades pour faire attention à leur ligne. Comme elle le disait, ce ne sont pas des frites qui vont la tuer. Mais elle semble contrariée et j’évite de la regarder en posant mon regard sur Nikola qui attend patiemment de manger, et qui ne demande même pas. Alors que j’allais ouvrir la bouche pour l’inciter à commander, elle me propose de laisser Nikola dans la salle de jeux le temps que l’on commande, et si je veux bien le faire, il faut qu’elle s’attende à ce que j’ai mon fils dans mon champ de vision, bien que j’ai totalement confiance en Nikola. J’ai compris qu’elle voulait que l’on parle seul à seul, elle ne veut pas que les oreilles de Nikola puissent emmagasiner des informations qu’il pourrait ébruiter à sa mère. « Niko, tu veux aller jouer dans la piscines à boules là-bas, en attendant ? Je t’appelle dès que c’est prêt ! » Mon fils ne se fait pas prier et court jusqu’au royaume des enfants. Reportant mon regard sur Ortikha, je lui lance : « Vas-y je t’écoute. » Je suis prêt à subir ses remontrances, ses questions, tout ce qu’elle souhaite. Mon geste a été un pas en avant vers elle, malgré ma situation, malgré mon refus passé, parce que je ne peux me défaire d’elle.

Elle ne tarde pas à me faire comprendre qu’elle est perdue et que mon attitude la déroute. Mais elle n’est pas seule dans ce cas. Je ne sais pas vraiment comment agir avec elle. Si je m’écoutais, j’aurais ramené mon fils à la maison, je l’aurais fait garder par quelqu’un pour passer une journée parfaite avec Ortikha. Mais je ne pouvais pas me le permettre. Je secoue la tête, je ne sais pas ce qu’il se passe. « J’en sais rien ! » Lui dis-je d’abord, m’ébouriffant les cheveux, surpassé par une conversation qui n’aura jamais de véritable réponse, parce que ce qui se passe entre nous n’a pas d’explication. J’aurais préféré qu’elle et moi ne ressentions pas la même chose, car ça aurait été bien plus simple, mais nous nous attirions mutuellement, et il n’y a rien que l’on puisse faire contre ça. Pas même l’éloignement, puisque je ne la sortait pas de mon esprit. « J’ai pas envie que tu t’éloignes. » A chaque fois, je laissais du temps entre chacune de mes pensées ouvertes, craignant de dire quelque chose de travers. Je jetais un coup d’œil à Nikola qui avait l’air de s’être, comme à son habitude, fait des petits compagnons et qui jouait avec joie dans la piscine à balles. « A moins que ce soit ce que tu souhaites. » Suggérai-je en reportant mon attention sur la jeune brune. « Je sais pas ce qu’il se passe entre nous Ortikha, mais j’ai l’impression de vivre autre chose que ce que j’ai vécu jusqu’à présent. Tu me rends fou ! » C’était insupportable d’être à la place du gros con sans scrupule qui se fiche bien de faire du mal à sa famille, ou du moins qui était torturé entre prendre du plaisir avec une fille qui le perturbait ou être heureux avec sa famille. Le choix ne devrait même pas se poser. Et pourtant, je m’y confrontais bel et bien…

Je voudrais que les choses soient plus simples. Que l’un de nous relativise, qu’il convainque l’autre de la mauvaise idée de se lancer dans une telle relation, mais aucun de nous y parvient. Je le sais parce qu’elle ne serait pas là à me demander des comptes sinon. Je sens qu’elle cherche à me repousser pour éviter de blesser les autres autour de nous, mais comme moi, la lutte est plus compliquée que prévu. Je voudrais me lever, l’attraper par la taille, l’embrasser jusqu’à ce que nos souffles s’amenuisent. Je voudrais qu’il n’y ait personne autour de nous, que nous puissions vivre et nous abandonner à nos ressentis. Mais la raison nous rattrape toujours. Elle ne veut pourtant pas qu’on s’éloigne. « Qu’est-ce que tu veux, Ortikha ? » Lui demandai-je alors naturellement, comme la question la plus évidente qui soit. C’est à elle que revient la décision, même si c’est moi qui aie les mains et poings liés. Elle se contredit, ce qui montre bien qu’elle ne sait pus où elle en est. Elle ne veut pas que je m’éloigne, mais elle ne veut pas qu’on continue à jouer comme on le fait. « Je sais pas Ortikha, je… oui je suis marié t’as raison, c’était pas une bonne idée, mais…je suis paumé moi aussi. » Je devrais retrouver ma femme, lui dire comme elle est magnifique, comme elle me rend heureux, mais bizarrement, quand je me projette cette image dans la tête, ce n’est pas elle que je vois, mais Ortikha. Elle me demande d’arrêter de la regarder ainsi, mais ça m’est impossible. Elle a de l’importance, je ne regarde pas toutes les filles comme ça. Mais elle semble savoir un peu plus ce qu’elle veut, elle considère que je vais blesser ma famille, que Nikola risque d’en pâtir, et elle a raison. Pour autant, même si elle s’éloigne, je sais que je continuerais de penser à elle. « J’ai une famille exceptionnelle, oui. Mais je ne contrôle pas mes sentiments. Je sais pas quoi faire. Tu m’obsèdes. » Impossible de me la sortir de la tête, cette femme est enivrante, incroyablement passionnante. Je veux lui montrer que ce n’est pas une blague, alors je lui dit en la regardant dans les yeux : « Ma femme ne me fait pas ressentir les mêmes choses quand je l’embrasse. Toi, c’est indescriptible. » Toi, tu bouleverses tous mes acquis, tu mets mes sens en émoi, toi tu me fais revivre. A force de lui dire tout ça, je vais finir par craquer, c’est certain.