░ you drive me crazy (zorikha)

Je souris à la petite effronterie de la jeune femme. Elle aime plaire, ça se voit. Et si ça n’est pas un frein à l’intérêt que je lui porte, je dois dire que je préfère rester méfiant. Pourquoi foutre en l’air mon mariage, ma vie de famille, pour une fille qui se contente de jouer ? Rien ne m’indique qu’elle n’est pas en train de le faire, alors je préfère rester sur mes gardes. D’autant plus que ça ne me ressemble pas de craquer ainsi. Je suis un homme tout ce qu’il y a de plus fidèle, du moins je le pensais avant de rencontrer Ortikha. Je me sens mal d’agir de la sorte, mais je ne peux pas réprimer mon envie d’en apprendre plus sur elle, c’est plus fort que moi. La petite brune me formule presque une invitation. Elle propose de venir au homecoming, mais il faut se rendre à l’évidence, c’est un événement pour les étudiants, et non pour le coach que je suis. Je pose donc mon regard sur elle en haussant les épaules : « Je ne crois pas que j’y sois convié vu mon statut de coach ! L’intérêt c’est d’enrôler des étudiants dans vos confréries, non ? » A Moscou comme à Belgrade, il avait fait les quatre cents coups à son passage en universités, mais rien de comparable avec ce qui se faisait ici. « Vous avez prévu quoi chez les Eliots ? » Il avait retenu qu’elle faisait partie de cette confrérie, elle le lui avait mentionné un peu plus tôt. Il imaginait bien quelque chose de farfelu, et il aimerait presque y aller pour voir ça, mais ce n’était ni sa place, ni raisonnable. Peut-être qu’il profiterait de ce moment pour passer du temps avec sa femme et son fils et se sortir de la tête la ravissante russe qui l’obnubilait à en perdre le nord. Elle avait bien dû remarquer qu’il ne la regardait pas comme les autres, qu’elle avait des atouts qu’elle savait faire valoir, mais il s’efforçait de garder la situation sous contrôle.

C’est comme si Ortikha essayait de me convaincre de venir au homecoming, sans que j’en sache la raison, mais l’argument qu’elle utilisait devrait avoir raison de moi. J’ai toujours donné beaucoup de mon temps aux associations et œuvres caritatives, comme mon père l’a fait avant moi et comme il continue de le faire. Je pourrais donc peut-être aller y faire un tour. Me pinçant les lèvres, j’arbore tout de même un sourire malicieux : « Pourquoi tu tiens absolument à ce que je vienne ? » Autant la mettre dans l’embarras comme moi. Elle dit faire une tombola et du body painting, et ça m’intrigue. « Quel genre de lots sont mis en jeu pour la tombola ? Et le body painting vous faites quoi exactement ? » J’avoue ne pas bien connaitre cette pratique bien qu’il me soit aisé de comprendre ce dont il s’agit, cela ne veut pas dire que je suis dans le vrai. De voir ces jeunes s’investir pour des bonnes causes, c’est plaisant, ça veut dire que la jeunesse n’est pas totalement perdue. Moi, je fais tout pour que Nikola devienne quelqu’un de bien, mais d’autres parents sont assez surprenants dans leur notion d’éducation. La question de la petite brune me trouble quelque peu, et je reste silencieux pendant quelques secondes, non sans avoir laissé échapper un petit rire nerveux. Je n’ai pas de réponse toute faite. Cherchant mes mots, je balbutie : « Eh bien, je ne sais pas vraiment. Y a quelque chose chez toi qui m’attire. Je l’explique pas. » Grimaçant légèrement, je poursuis alors : « J’ai vraiment passé une excellente soirée la dernière fois. Je devrais pas te dire ça, mais j’ai très envie de t’embrasser de nouveau. » Tout se bousculait dans ma tête, ça allait trop vite pour moi. On ne se connaissait que peu et je lui faisais déjà des grandes déclarations. Ca me dépassait. Mais l’avoir si proche de moi n’aidait en rien. Elle m’enivrait. Je ne savais pas ce qu’il en était pour elle, et j’aurais voulu pouvoir lire dans ses pensées, mais je ne devrais pas m’aventurer sur ce terrain-là avec elle. Mais s’il en était de même pour elle, alors il était trop tard.

La situation nous pose problème, à l’un comme à l’autre, c’est indéniable. Et encore, elle ne sait pas que je suis marié. Elle me prendrait forcément pour le goujat de service si je lui disais. Je ne peux m’empêcher de le penser quand même, vu ce que je fais subir à ma femme que j’aime pourtant. Ortikha mène la conversation comme elle l’entend, si elle n’a pas envie de faire de révélation, elle n’en fait pas, et on joue à un jeu dangereux, c’est à celui qui en dira le moins mais qui en fera comprendre le plus. Elle m’a l’air douée à ce jeu-là en tout cas. Elle souhaite me revoir et moi aussi, mais ce n’est pas judicieux que l’on se fréquente là-bas, n’est-ce pas ? Soucieux, je lui émets mon point de vue. « Je crois pas que ce soit une bonne idée que l’on se revoie au homecoming… Les gens se font souvent des idées… » Et les rumeurs ne joueraient pas en notre faveur. Il faudrait donc se voir à l’extérieur, mais là c’était pour moi que ça se compliquait. Je ne souhaitais pas me retrouver dans une situation inconfortable. J’ai pourtant très envie de passer du temps avec elle, après tout rien ne m’empêche de le faire tant qu’on ne dépasse pas certaines limites. Changeant de sujet, elle m’expose les lots de la tombola qui ont l’air bien plaisants pour les gens, je devrais peut-être tenter le coup afin de redonner les gains aux hôpitaux ou autres. « Et la participation est de combien ? Je participerais juste pour donner les gains à ceux qui en ont besoin. » Un tel geste ne me demande pas grand-chose alors qu’il peut satisfaire de nombreuses personnes. Cela voulait-il dire que je viendrais au homecoming ? Surement. L’activité de body painting semblait amusante, peut-être que Nikola apprécierait. Je souris alors : « Je vois bien mon fils se faire peinturlurer juste pour rire. » Il était le premier à faire des trucs fous. Mais cela signifiait qu’il viendrait avec sa femme. Elle ne voudrait pas rater ça. Et ce qui est en train de se passer met à mal mon mariage. Pourquoi lui-ai-je annoncé qu’elle m’envoutait ? Il m’est difficile de lui résister et je ne comprends pas ce qu’il se passe. Son regard, il est à se damner. Mon cœur s’emballe alors qu’elle me fait comprendre que notre baiser était la cerise sur le gâteau d’une soirée mémorable. Elle m’incitait à céder à la tentation, et sans me poser de question parce que l’envie était trop grande, j’approchai une nouvelle fois mon visage du sien, comblant la distance entre nos lèvres, subissant un feu d’artifices de sensations dans tout mon corps, prenant possession de ses lèvres pulpeuses encore et encore, comme si elles étaient miennes et que je ne pouvais plus m’en détacher. Merde, qu’est-ce que je fais ?

« Tu marques un point. » Sauf qu’on pourrait avoir des problèmes si les rumeurs allaient de bon train sur nous. J’étais bien trop soucieux, moi qui ne me prenais pas la tête d’ordinaire, j’étais étonnamment stressé, mais il fallait dire que la situation ne m’était pas familière du tout. Après un maigre sourire qui se voulait rassurant, j’acquiesçai : « Tu as raison. » Que dire d’autre ? Au fond, il ne se passait rien entre nous en public, alors je n’avais pas à m’en faire, si on avait dérapé une toute petite fois, ce n’était pas obligé de se reproduire, et puis jusqu’à aujourd’hui on ne connaissait pas l’activité professionnelle de chacun. Elle avait de la suite dans les idées la jeune femme, elle savait exactement quoi dire pour me pousser à venir. Maligne. Alors, je renchéris à mon tour avec un petit éclat de malice dans les yeux : « Eh bah tant pis, je ne viendrais pas si je ne sais pas à quoi m’en tenir ! » C’était plutôt facile comme réponse, mais je savais qu’elle y trouverait une parade. Elle semble apprécier Nikola, ça se voit, dès que je parle de lui, elle adopte une attitude encore différente de celle que j’ai pu voir jusqu’à présent. En même temps, difficile de rester insensible à mon fils, c’est une tornade de bonheur. Je l’imaginais déjà faire chavirer tous les cœurs, mais aussi demander à faire la même chose que ce qu’on lui fait. « Mais Nikola voudra forcément faire pareil à celle qui lui dessine dessus, sinon ce n’est pas du jeu ! » Et mon fils était loin d’être un artiste, bien que pour moi, il l’était puisque tous ses dessins étaient accrochés dans mon bureau. Mais même penser à Nikola ne m’empêche pas de me laisser avoir et de succomber une fois de plus à la jeune femme. C’est terrible de se sentir à la fois aussi bien et aussi mal. Etre aussi contradictoire ne me ressemble pas. Cette fille a un pouvoir sur moi qu’il n’est pas possible de posséder. Là contre ses lèvres, j’ai l’impression d’être une autre personne, d’être dans un autre monde, m’échapper d’une réalité morne pour toucher du doigt le firmament. J’étouffe comme je respire, et quand elle vient à stopper le baiser, je ne peux que la contempler, le sourire aux lèvres, juste conquis. Mais le retour sur Terre me tracasse. Je ne peux pas continuer à agir de la sorte. Je voudrais qu’elle soit mon oxygène mais elle courait à ma perte si je la laissais prendre cette place dans mon esprit comme dans mon cœur. Je ne savais pas quoi dire, je veux juste recommencer. Alors je reprends possession de ses lèvres un nouvelle fois, langoureusement, jusqu’à ce que le souffle me manque, avant de m’écarter complètement confus. « On peut pas faire ça, Ortikha ! » Je peux pas faire ça à ma famille, et c’est à contrecœur que je fiche tout en l’air.

« Tu te rends compte que tu préfères te passer de gains en plus qui pourraient être très utiles aux autres ? » Dis-je avec une voix empreinte d’amusement. Elle devait savoir que je viendrais quand même. Ce n’était pas son refus qui allait m’arrêter. D’autant plus que je le savais, Nikola serait aux anges à l’idée de choisir les numéros de tombola et passer la journée à jouer au grand air. Je souris aux explications de la belle brune en lui ajoutant ma version des faits : « T’as intérêt à pas être loin car à mon avis, Niko voudra peindre sur toi. » Après tout, elle avait sauvé la vie de mon fils la dernière fois, et il ne l’avait pas oubliée. Il était même fier de dire que c’était une jolie fille qui l’avait tiré de l’étouffement, et ça avait déplu à ma femme, mais j’avais laissé courir. Sa crise de jalousie ne servait à rien, même si à présent je pensais tout autrement. Je me sens si bien auprès d’Ortikha, que je voudrais voir le temps s’arrêter et me laisser consumer à petit feu par cette étreinte aussi brûlante qu’agréable. Mais je ne peux pas. Ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas bien, tout simplement. Ma femme m’attend à la maison et moi je lui fais des infidélités. Je n’ai pas le droit. D’autant plus que ça ne serait pas juste pour Ortikha non plus. Elle n’a rien demandé. Alors qu’elle se recule et me demande des comptes, je la regarde complètement désabusé. Je ne sais pas par où commencer, alors je soupire, mais alors que j’étais prêt à le lui expliquer, elle s’agace et je secoue la tête frénétiquement en première intention. Elle est dans le faux. « Non, Ortikha, c’est pas ça du tout. » Un nouveau soupir. Je baisse la tête conscient que mon annonce ne va pas lui plaire et qu’elle va probablement se faire la malle. « Ecoute, on ne peut pas parce que… » Je n’arrive pas à le dire, alors je lève ma main droite pour lui montrer mon annulaire droit et l’alliance qui s’y trouve. « Je suis marié. J’aurais pas dû, je suis désolé, mais… » Je détourne le regard, complètement sonné par mes propres dires, et contrarié, je finis par poursuivre : « Tu m’as charmé. Je suis jamais allé voir ailleurs en 5 ans de mariage avec elle. Je suis pas comme ça. Mais t’as tout bouleversé dans ma tête, je pense qu’à toi ! » Je secouais la tête une fois de plus comme pour me rendre à l’évidence que la situation n’était pas viable et pourtant, je continue de penser à elle et nos baisers.