░ you drive me crazy (zorikha)

Le gymnase était mon sanctuaire. J’y passais toutes mes journées, sauf le mercredi puisque c’était le jour où je m’occupais de mon petit garçon. Mon petit garçon qui se plaisait à décorer mon bureau de ses dessins et de ses photos préférées. Aussi personne ne pouvait ignorer que j’étais père. La question que je me posais dernièrement concernait cette paternité. Avec mes derniers agissements, étais-je vraiment un bon père ? Mon fils avait failli perdre la vie à cause de ma négligence et je le vivais mal. Heureusement qu’Ortikha avait été là pour intervenir à temps. De ce fait, on s’était retrouvés autour d’un diner en tête à tête le soir-même. Je n’aurais pas dû accepter. Cette fille exerçait sur moi un étrange effet, comme si je ne répondais plus de rien en sa présence. J’avais menti à ma femme en prétextant un entrainement tardif avec les garçons au basket, et j’avais passé une très bonne soirée, j’étais forcé de le reconnaitre. Pour autant, je ne sais toujours pas pourquoi j’ai embrassé la jeune femme en la ramenant chez elle. Mais depuis, impossible de me la sortir de la tête. Elle occupait toutes mes pensées, c’était insupportable. Heureusement, j’étais tranquille au travail, à éplucher des vidéos d’équipes adverses pour trouver la faille dans leurs défenses et pour enrichir nos systèmes. Une fille vint me trouver à mon bureau pour me porter des papiers que je lui avais demandés et la remerciant, elle s’éclipsa tout aussi vite, jusqu’à ce que je me rende compte qu’elle avait oublié sa veste sur la chaise. Me levant, je voulus la rattraper, mais impossible de la trouver. Aussi, je m’avançais vers les vestiaires des filles pour la lui rendre et c’est là que je surpris une conversation en russe. Il était question de tromperie, de remariage, d’enfant et ces paroles faisaient quelque peu écho à ma situation, et ça me troublait car je connaissais cette voix, et me penchant pour regarder, je m’adossais au mur, choqué. Elle était là. Elle était étudiante à Harvard, et moi membre du personnel de l’école. Il fallait que je me retrouve dans une situation compliquée. C’est là que la joueuse que je cherchais fit son apparition : « Ah Zoran tu me ramènes ma veste, merci ! Je croyais qu’elle était dans le vestiaire ! » Un peu sous le choc, je lui souris, mais je voulais repartir vite pour éviter d’avoir à se confronter à celle qui occupait mon esprit, et dont je savais à présent que sa mère était décédée, mais elle choisit de sortir pile à ce moment-là. Eh merde !

Là, face à elle, je ne peux plus m’enfuir, ni même reculer. Irrémédiablement, je pense à notre soirée, à ce baiser, et à cette foutue envie de recommencer. Non, il faut que je me reprenne, il faut que je songe à ma femme, à mon fils, pas à Ortikha. « Hey ! » dis-je faussement surpris de la trouver là. « Je… suis pas étudiant ! Je travaille ici. Je suis coach de l’équipe féminine de basket et assistant-coach de l’équipe masculine. » Ca alors, mais comment pouvait-elle croire que j’étais encore étudiant alors que j’étais père d’un petit garçon ? C’était peut-être monnaie courante ici, remarque. « Je ne savais pas que tu étais étudiante ici, le monde est petit ! » On mettait donc bien l’accent sur notre conversation inutile de la dernière soirée passée ensemble. On ne s’était rien confié, mais le feeling passait bien entre nous. Elle me rendait presque timide tant j’étais mal à l’aise. Je l’avais embrassée la dernière fois, mais je ne pouvais pas me permettre de le refaire ici devant tout le monde. Gêné au possible, j’essayai de paraitre impassible. Mais j’étais bien contrarié de la trouver ici parce que je ne savais plus quoi faire. La situation m’échappait. J’essayais donc par tous les moyens de m’éviter les questions gênantes en changeant de sujet, mais je n’avais surement pas choisi le bon : « J’ai surpris ta conversation téléphonique avec ton père, je suis désolé… » Autant dire que ce sujet-là me mettait tout autant dans l’embarras, car si elle était en colère contre son père qui avait trompé sa femme, qu’en serait-il de moi quand elle apprendrait que j’étais marié en plus d’être père ? Je me trouvais stupide de ne pas l’avoir mentionné lors de notre diner. A croire qu’inconsciemment je voulais tout faire pour la séduire.

Je suis surpris d’entendre qu’il y a pléthore de gens qui ont des enfants dans cette université. Mais n’ont-ils pas des études à réussir plutôt que de se forger une vie de famille ? J’étais mal placé pour parler, mais ma femme et moi avions une situation confortable et des parents disponibles pour subvenir aux besoins de notre fils. « Vraiment ?! Je pensais être un des rares à avoir eu un enfant assez jeune! » J’essaie de plaisanter, mais je suis pas sûr que ça fasse son petit effet. Je sais pas trop quoi penser. En fait, j’aimerais qu’on se retrouve et qu’on passe de nouveau une journée comme celle que nous avions passée, l’incident de Nikola en moins. Mais je ne devrais pas penser à cela, ni à elle. Elle me confie avoir étudié à plusieurs endroits, et c’est drôle de voir que son parcours fait écho au mien, même si moi j’ai été pas mal dépendant de la carrière de mon père qui a fait plusieurs clubs dans le monde. Elle disait vivre une situation compliquée, et j’étais assez curieux de savoir pourquoi, mais je savais qu’il ne servait à rien de lui forcer la main, alors je préférais juste savoir où elle avait étudié. « Tu veux pas en parler j’imagine ?! T’as étudié où ? Moi aussi j’ai fait plusieurs universités. » Belgrade et Moscou, pour être précis. Mais j’avais fait ma scolarité dans le monde entier, et ça c’était un plus dont j’étais fier. Ortikha semble sur la défensive, et ça me soulage d’un côté car cela veut dire que je ne suis pas obligé de me triturer l’esprit sur ce qu’elle représente pour moi. Elle est inquiète. Oui, j’ai entendu toute sa conversation et je l’ai parfaitement comprise, mais non, ce ne sont pas mes affaires. « Oui, j’ai vécu plusieurs années en Russie, comme un peu partout en Europe en fait… » Dis-je en me pinçant les lèvres. Si elle savait toute l’histoire… Moi Zoran Djordjevic, fils de la star du basket européen Aleksandar Djordjevic. « Ecoute, je… tout ce que j’ai entendu, ça ne me regarde pas, mais je… j’ai pas arrêté de penser à toi depuis la dernière fois. » Pourquoi avais-je balancé une telle chose d’un coup ? Qu’est-ce qui m’avait pris ? C’était certes la vérité mais je m’en voulais déjà.

Sa remarque m’amuse, mais je ne devrais pas la prendre sur ce ton léger. Parce que le cas de ma femme et moi était autrefois rare, et il se faisait de plus en plus fréquent parce que les jeunes ne faisaient plus attention et n’étaient plus responsables. Mais plutôt que d’adopter un air grave, je plaisantai : « Eh bah, ça promet… J’espère juste que les filles de l’équipe ne tomberont pas toutes enceintes ! » Je doutais que cela arrive, mais on n’est jamais à l’abri de rien. Comme je n’étais pas à l’abri d’ennuis en m’approchant de trop près d’Ortikha. Mais elle instaurait une certaine distance parce que j’étais considéré comme professeur, et je pouvais le comprendre qu’elle se sente mal à l’aise. Je ne savais pas mentir, j’avais préféré jouer franc-jeu, bien que je n’aimais pas être pris pour un professeur, mon cas était différent. Je n’avais aucune connaissance de plus que ces élèves, si ce n’est en sport parce que c’était mon domaine, je n’avais pas de diplôme d’enseignant. « J’aime pas cette étiquette de professeur. Je fais qu’entrainer moi, c’est différent. Mais je comprends ce que tu veux dire… » Une part de moi était soulagée, l’autre déçue, parce que je l’avais embrassée pour pas grand-chose au final. Elle semblait sceptique quant aux choix qu’elle avait fait, et bien que ça m’intrigue, je ne cherchai pas à en savoir plus, lui suggérant juste de par mon expérience, que partir fait parfois du bien. « Je crois que y a que toi qui peut décider de si c’est une bonne idée ou non. Ca fait du bien de s’éloigner des fois. » Je n’aimais pas m’être immiscé dans sa vie sans l’avoir vraiment voulu. Aussi, je tentai de la rassurer : « Oui, mais je ne dirais rien, tu as ma parole. » Je lui souris, lui donnant ma parole, sans savoir si elle aurait confiance en moi : « T’en fais pas. Ce ne sont pas mes affaires. » Après tout ce qui se passait dans sa famille ne me concernait pas. Ce qui me concernait en revanche, c’était ce que je ressentais pour elle, comme une attirance magnétique inarrêtable. Je restais captivé par la jeune femme. Pourtant, elle a raison, on aurait même pas dû se recroiser, même si je l’avais embrassée. « Je sais, et je devrais pas te dire ça…Je suis désolé. » Mais contre toute attente, elle me propose d’aller faire un tour et je ne peux qu’accepter. « Pourquoi pas, j’ai rien à faire dans l’immédiat ! » Mais comme elle doit prendre une douche, je préfère l’attendre plus loin, on ne sait jamais avec les rumeurs qui courent… D’autant plus qu’on ne fait que discuter. « Je t’attends dehors, je crois que ça vaut mieux que si j’attends à côté des vestiaires des filles si tu vois ce que je veux dire… »

Ortikha est fascinante. Je ne sais comment l’expliquer, mais ce petit bout de femme à ce petit quelque chose que les autres n’ont pas. C’est drôle, mais je la connais à peine et j’ai pourtant l’impression qu’on se connait depuis toujours, qu’elle pourrait lire en moi comme dans un livre ouvert sans même que je ne le perçoive. Je ne sais pas comment je dois prendre sa remarque. Je n’ai pas envie d’être un homme de plus sur la liste, d’autant plus que s’il se passait quoi que ce soit, je serais en porte à faux partout : je serais licencié par Harvard et dans le pétrin pour retrouver du travail, ma femme me quitterait, mon fils aurait une mauvaise image de son père et je me retrouverais comme un con tout seul. Je me faisais trop de plans sur la comète, il n’y avait eu qu’un baiser. Mais un baiser tellement envoutant, tellement appréciable, que j’aurais voulu que jamais il ne s’arrête. Elle pouvait me faire confiance, je n’étais pas de ceux qui en font des tonnes, j’étais discret et quand on me confie un truc, même par inadvertance, je n’ai pas tendance à le révéler. Chacun a son jardin secret. Finalement, alors que je pensais être le seul à penser à elle comme une nouvelle obsession, la belle russe me révéla en avoir fait de même. Pourquoi me torturait-elle l’esprit de cette manière ? Voilà qu’elle me quittait pour aller à la douche et que je marchais lentement vers la sortie pour l’attendre, regardant mon téléphone, je m’adossais contre un mur pour répondre au message plein d’amour de ma femme qui m’écrivait qu’elle avait envie d’un weekend en amoureux. Que répondre à ça, alors que j’acceptais une fois de plus de voir une fille qui m’embrumait l’esprit et m’envoutait telle une magicienne ? Je décidai de faire l’autruche en plaisantant pour lui demander pourquoi elle ne voulait plus de Nikola. Ca me laissait du temps et la connaissant, ça la ferait beaucoup rire. Relevant la tête, j’aperçois la belle Petrova s’éclipser comme si elle me posait un lapin, ne m’accordant pas un regard. Sauf que je sais que c’est parce qu’elle ne veut pas attirer l’attention. Portant mon téléphone à l’oreille, je fais mine de téléphoner à mon père en m’exprimant en serbe. Au moins, personne ne comprend ce que je raconte alors que je dis véritablement n’importe quoi. De loin, je la suis et ne la lâche pas du regard. Même sa démarche est plaisante. Une fois dans un endroit isolé, elle s’assoit sur un banc et je la rejoins, contemplant les lieux avant de lui lancer : « Tu voulais me semer ? Bien essayé ! » Je prenais place à côté d’elle, non sans être soucieux que l’on nous voit tous les deux ici.