Ce que je veux, c'est t'aider || Noah

Noah se détendait de plus en plus et se laissait aller. Son visage d’ordinaire froid et impassible, commençait à prendre des couleurs et des traits plus humains, comme les petites rides aux coins de ses lèvres qui se formaient à chaque fois qu’il avait un sourire. Il était lui-même surpris par la réponse qu’il venait de donner à la jeune fille : écouter de la musique sous la couette quand la pluie tombait. Rien à voir avec ce qu’on aurait pu penser de lui de prima bord : ça ne coutait pas d’argent, c’était intime, et à la portée de tout le monde. Aurait-il une certaine attirance pour la simplicité dans le fond ? Peut-être bien. Noah sourit à ses pensées les chassant vite de son esprit tandis qu’Annukka lui dit qu’elle devrait essayer sa un jour : « Simple, c’est bizarre, on ne dit pas ça de moi généralement ». Il eut un rire nerveux comme pour se moquer de lui-même avant d’attraper une feuille et un stylo dans ton sac : « Mais, si tu dois te mettre à ce plaisir, je veux y participer ». Comprenant instantanément qu’il venait de prononcer une phrase qui pouvait porter à confusion, Noah s’empressa de hocher la tête négativement avant d’ajouter : « Ne te méprends pas, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ». Il posa la feuille devant lui et s’installa comme s’il allait écrire : « Mais je vais te noter les musiques parfaites pour ce genre de moment, tu me diras ce que tu en as pensé la prochaine fois ». Sur sa feuille il griffona cinq titres de musiques qu’il avait l’habitude d’écouter : Belle & Sébastien – I want the world to stop / Nouvelle Vague – In a manner of speacking / Koop – Koop island blues / Kings of Convenience – Cayman Islands / Nada Surf – Blonde on Blonde. Il nota en en-tête « Playlist recommandée par Noah pour un dimanche pluvieux sous la couette », et tandis le papier à Annukka : « Tiens, voilà ». Il sourit en remettant le capuchon de son stylo avant d’écouter la jeune fille parler de sa mère.

« Je comprends. Si vous n’étiez que toutes les deux, c’est normal qu’une relation fusionnelle se crée. Mais, si ce n’est pas indiscret, comme ça se fait que tu ne voyais pas ton père ? », il leva les yeux vers elle avant de se mettre à rire tout doucement en l’entendant elle-même rire à propos du taux d’étrangers à Harvard : « C’est vrai. Mais j’avoue que j’aurais bien aimé rencontré quelques américains ».

C’était agréable, pour une fois, de discuter avec quelqu’un qui ne soit pas de son monde, et sans dispute. En fait, c’est la première fois depuis qu’il était arrivé à Harvard, que Noah avait une discussion humaine, simple, et sans accroche. La fermeté de la jeune fille l’avait conforté dans cette nécessité de paraitre un peu moins stupide, d’être un peu plus avenant, s’il voulait s’intégrer et arrêter d’être vu comme le grand nigaud imbus de lui-même. Il lui tendait la feuille avec les musiques qu’il avait en tête – en grand mélomane, Noah était capable de sortir en moins de cinq minutes, cinq titres de musique pour chaque situation. C’était un peu son jardin secret à lui, peut-être une des rares choses dans laquelle son hypersensibilité exhalait. Lorsqu’elle eut remerciait il lui répondit : « Il n’y a pas de quoi ».

Il rangeait son stylo et commençait à s’intéresser à la famille d’Annukka. C’était très étrange pour lui, de famille très catholique et ayant toujours eut une cellule familiale unit, même malgré les frasques et les tromperies de son père, d’imaginer qu’un enfant ne puisse pas grandir dans les mêmes conditions, avec un père et une mère. Il regardait Annukka, un brin de curiosité dans les yeux, puis lorsqu’elle eut raconté son histoire il baissa légèrement les yeux en un rire nerveux, ayant compris de quoi il s’agissait. Noah vouait une haine incommensurable à tous les hommes qui manquaient de fidélité. Il avait surpris un jour son père tromper sa mère et depuis, c’était pour lui comme de personnifier le diable. Une maîtresse lors d’un voyage d’affaire, c’est un scénario assez stéréotypé. Mais instinctivement Noah se dit que son père devait être de la haute société alors : « Je vois … ». Dit-il avant de relever les yeux vers Annukka. Il aurait pu lui en vouloir à elle, lui en vouloir terriblement juste parce qu’elle était le fruit d’une relation trompée. En tant normal il l’aurait probablement insulté d’ailleurs, mais comme il avait commencé à la connaitre avant cette révélation, il n’en fit rien, se disant à lui-même que ce n’était pas la faut d’Annukka. « J’ai l’impression d’avoir entendu cette histoire mille et une fois déjà. Comme si aucun homme n’était capable d’être fidèle à sa famille ». Se rendant compte qu’il avait prononcé une phrase qu’aurait probablement pu la vexer, il ajouta, en changeant de ton : « Tu as rencontré la famille de ton père ? Je veux dire, tes demi-frères et sœurs ? "






 

Derrière son côté un peu malsain un peu joueur, Noah était doté de certaines qualités hérités de son éducation aristocratique catholique, et surtout de sa mère à qui il vouait un culte sans nom. Ainsi, les trois principaux traits de caractère qu’il respectait était : l’honnêteté envers le monde, la loyauté envers sa famille, et fidélité envers sa femme. C’est la raison pour laquelle la relation qu’il avait avec son père avait littéralement viré au chaos lorsqu’il l’avait surpris dans son bureau avec une jeune femme. Surtout lorsque son père, de toute son arrogance, lui avait dit qu’il n’y avait pas de mal à ça et que le fait d’être un d’Aremberg lui donnait tous les droits. Noah détestait cette manière la de penser, autant qu’il détestait tous les maris infidèles. Il avait tellement vu sa mère en souffrir seule dans son coin et ses sourires forcés en public quand à l’intérieur elle voulait mourir, que pour lui c’était un acte impardonnable. Il écoutait Annukka parlait et eut instantanément le même élan de haine à l’égard de son père, et une fraction de seconde à son égard puisqu’elle était le fruit de cette relation adultérine. Mais, il réalisa bien vite avec raison que la pauvre fille n’y était pour rien, qu’elle avait du souffrir au moins autant que sa mère et que le seul fautif dans cette histoire était son père. La phrase qu’elle lui dit, qu’elle n’approuvait pas ce qu’ils avaient fait mais que sans ça elle ne serait pas là, eut l’effet d’un électro choc sur Noah. Elle n’avait pas tord finalement, c’était même criant de vérité : « Excuse moi c’est juste que j’ai été le fils d’un père infidèle alors mes réactions vis-à-vis de ce genre de situation sont assez disproportionnées ». Il racla sa gorge avant d’ajouter en se grattant derrière la tête : « Mais tu as raison. Sans ça tu ne serais pas là et moi probablement perdu dans cette université ». Il esquissa un sourire léger, manière de plaisanter et de détendre un peu l’atmosphère. Il fut surpris de savoir que ses demis frères et sœurs étaient à Harvard, et spontanément il se dit qu’ils étaient à la Eliot avec lui et qu’il devait probablement les connaitre : « Ils sont à la Eliot House avec moi ? ». Il relâcha un petit peu son air curieux avant d’ajouter : « ça me ferait bizarre je crois d’apprendre que j’ai une demi-sœur ».






 

Les histoires d’adultères, même si elles étaient complètement condamnées et cacher dans son monde, étaient pourtant monnaie courante. Il existait encore très peu d’homme capable de garder leur braguette fermé lorsqu’une horde d’arriviste mignonne et prête à tout se jetait à leurs pieds. S’ils avaient commencé à parler de ça dès le départ, sans qu’une certaine ambiance de sympathie mutuelle n’éclos, Noah serait probablement parti en insultant Annukka. Mais comme il éprouvait une certaine tendresse à son égard, elle était gentille, serviable, et n’avait pas une once de diable en elle, alors Noah ne pouvait pas lui en vouloir. Ce qui le forçait à relativiser : ce n’était pas sa faute à elle, alors de quel droit se permettrait-il de la juger ?

« Il faut croire que ce que ma mère me répète depuis tout petit est vrai : le mariage est avant tout un contrat entre deux familles et si on est chanceux, on peut espérer avoir l’amour en bonus ». Noah haussa les épaules avant d’ajouter : « je viens d’une famille très importante tant du côté de ma mère que du côté de mon père. Au fil des années j’ai fini par me faire à l’idée qu’ils se sont mariés parce qu’ils devaient le faire. Certes, il y avait beaucoup d’amour, et il y en aura toujours, surtout de la tendresse mais … je ne sais pas. Peut-être que les couples romantiques qu’on voit à la télé c’est fait uniquement pour les gens qui ne sont pas de ce monde là ». C’était assez cruel et complètement ironique d’imaginer finalement que la plupart des mariages aristocratiques étaient arrangés et que c’était souvent les plus pauvres qui vivaient le plus dans l’amour. Noah fut cependant surpris par le discours d’Annukka, ce devait être un enfer dans son esprit d’à la fois aimer ses parents, et à la fois être conscient qu’ils avaient fait quelque chose de mal, qui avait aboutit à quelque chose de pas si mal puisqu’elle était née.

Lorsqu’elle évoqua les noms d’Oksannna et Ortikha Noah sourit instantanément, il avait vu juste. Il n’avait jamais croisé Oksanna, en revanche il avait très rapidement discuté avec Ortikha lors du homecoming Eliot, il l’avait même très légèrement dragué : « Oksanna non, mais je me souviens d’Ortikha. Elle est plutôt mignonne comme fille ».







 

Annukka demandait à Noah si comme ses parents, il devait lui aussi consentir à un mariage arrangé. Il marqua un temps de pause réfléchissant à sa réponse. Après tout, même s’il s’agissait d’un mariage arrangé, ses parents étaient unis. Même malgré les frasques de son père ou les envies d’évasions de sa mère, il n’en restait pas moins qu’en public ils faisaient tous office de famille parfaite et que leur famille était une véritable institution en soi. Et Noah adorait ce sentiment d’appartenance et de cohésion, quoiqu’il en coute. Il ne savait pas trop quoi en penser en réalité : est-ce qu’il fallait se battre pour se marier par amour, ou bien est-ce que le mariage n’était qu’un contrat comme n’importe quel contrat d’affaire et qu’il fallait attendre que l’amour vienne après, ou bien le chercher ailleurs. C’était une question assez épineuse et qui le préoccupait beaucoup bizarrement. Mais pour y répondre, encore fallait-il qu’il ait connu l’amour, le véritable amour : « Ils ont déjà pensé à quelques familles, en effet. Avant même que je sois né. Mais j’ai de la chance, je ne suis que le cadet, ils sont beaucoup plus exigeants avec mon frère ainé». Noah repensait à ses soirées rallyes, lorsque ses parents lui présentaient de bons parties dont la princesse du Lichtenstein qui était ennuyeuse à en mourir : « Mais, je ne sais pas trop. Je n’ai jamais encore ressenti l’amour, celui qui me donnerait envie de plus, alors pour le moment, je préfère les laisser faire leurs affaires, je verrais plus tard comment je réagis. J’ai juré fidélité à ma famille avant tout alors si je leur fait défaut, je devrais dire adieu à mon titre et à mon héritage. Je n’ai encore rencontré aucune fille qui me donne envie de faire ce sacrifice. Peut-être que ça existe, peut-être pas ». Il relevait les yeux vers Annukka : « En fait je ne comprends pas le but du mariage d'amour, surtout que j’ai l’impression qu’il dure moins longtemps que le contrat d'intérêt. Tu crois qu’il est humainement possible d’aimer la même personne toute sa vie et de ne se marier que par amour ? »

Annukka faisait une tête bizarre quand Noah eut évoqué Ortikha. Un peu comme un visage serré, il se dit tout de suite que leurs rapports ne devaient pas être les meilleurs du monde. Alors, sur le ton de la plaisanterie pour lui répondre, il lui dit : « Demi-sœurs du genre Javotte et Anastasie ? », faisant référence aux méchantes belles sœurs de Cendrillon, pour évaluer le degré de conflictualité de leurs rapports.