Ce que je veux, c'est t'aider || Noah

Noah était nouveau à Harvard. Pire encore, il était nouveau aux États-Unis. Et bien que l'apprentissage des langues étrangères soient largement favorisé dans son pays natal, il n'en restait pas moins que, quelques fois, il avait du mal à saisir toutes les subtilités de l'anglais, et éprouvait une certaine difficulté à comprendre les livres qu'il lisait dans leur intégralité.
Par prévention, et pour ne pas être complètement largué lors de son année, il décida de demander un soutient scolaire avec un professeur particulier. Il n'était pas du genre à admettre ses faiblesses et ses lacunes, loin de là, mais ici, personne ne le connaissait, alors autant sauter le pas.

Il reçu un sms dans l'après-midi, et supposait sans grand risque qu'il s'agissait de son futur tuteur. Il lui communiquait le lieu et l'heure du rendez-vous auquel Noah s'empressait de se rendre. Il ne connaissait rien de ce professeur particulier, pas même son nom, et cela lui était égal - tout ce qu'il espérait était qu'il ne s'agisse pas d'une espèce d'alter mondialiste revanchard qui s'en prendrait à son rang.

L'heure venue, il s'approche de la salle en question, pousse la porte, et entre. Il fut agréablement surpris. La fille qui l'attendait était plutôt jolie, et dégageait une candeur apaisante. Il referme la porte derrière lui, et s'avance vers elle en lui tendant la main : "Enchanté, je suis Noah".  

Noah était quelqu'un d'émotionnellement tourmenté. Il se sentait très à l'aise face à des personnes rentre-dedans, limite méchantes, mais étaient très mal à l'aise face à des personnes aimables et sympathiques. Et Annukka lui inspirait, au moins physiquement, toute la gentillesse du monde.

Il regardait cette jeune fille qui venait de se présenter, et suivit ses instructions, prenant place au deuxième bureau. Il posa ses quelques affaires devant lui, et l'observa une fraction de secondes. Elle semblait un peu stressé, mais pas gênée le moins du monde, ce qui mettait Noah encore plus mal à l'aise. Comment ne pouvait-elle pas être perturbée par la simple assurance du jeune garçon ?

"Oui, je suis nouveau. Mais à la fois, je suppose que peu d'anciens élèves demandent des cours particuliers", dit-il d'un ton un brin moqueur, comme pour tenter de la déstabiliser.
Plus il se sentait mal à l'aise, plus Noah éprouvait le besoin irrépressible de déstabiliser la personne d'en face : rien de pire que la gentillesse gratuite, qu'il avait énormément de mal à comprendre, pour le perturber. Pour lui, personne n'était gentil par nature, et tout le monde agissait toujours par intérêt.

Sans grand tact, et de manière très abrupte, il ajouta : "Et toi, je suppose que tu fais partie de ces gens dont la vie est si monotone qu'ils se sentent obligés par fausse bonté d'âme de venir en aide à leur prochain ?"

Il ne souriait pas, et tentait de garder un air très froid, voire glacial, et distant : "Évitons de faire comme ci on était ami, ou bien comme si tu en avais quelque chose à faire de ce que je pourrais te raconter, et commençons le cours".

Instinctivement, il testait les limites de la jeune fille. Voir, jusqu'où elle pouvait supporter le caractère arrogant de Noah, voir à quel moment elle le remettrait à sa place.  

Alors qu'ils échangeaient de brefs convenances, Noah fut frappé par l'enthousiasme d'Annukka. Il n'était pas dans son habitude de voir des personnes teintées d'autant de fraicheur. En général, ceux qu'ils croisaient étaient ternes, fades, limites morbides tant ils semblaient ennuyeux.

Annukka commençait à hausser le ton, "je te propose mon aide et c'est tout ce que tu trouve à dire". Exactement le genre de tournure de phrase que Noah ne supportait pas - il avait vraiment la sensation d'être rabaissé, comme s'il quémandait cette aide, et qu'on acceptait de la lui donner par charité ou pitié.

Il se retient, mordant sa lèvre inférieur, pour ne pas se laisser gagner par l'arrogance et répondre méchamment. Il savait pertinemment qu'il n'était pas en position de supériorité, et qu'il ne valait mieux pas qu'il fasse le malin. C'est lui qui avait besoin de l'aide d'Annukka, et il avait plutôt intérêt à se tenir s'il ne voulait pas se retrouver seul et complètement livré à lui-même.

Il fixait le mur face à lui pour ne pas avoir à croiser son regard. Elle lui pose un ultimatum : soit il accepte son aide, soit elle s'en va. Les jambes de Noah le démangeaient, il avait destin la pulsion de pousser l'affront à son paroxysme, et de partir en grand prince, du genre "je n'en ai rien à faire".
Mais plutôt que de laisser la sauce monter, il se réinstalla confortablement dans sa chaise, joint ses deux mains devant lui, reprit son sourire en coin, et regarda Annukka dans les yeux : "Enfin. Je me demandais quand est-ce que tu allais arrêter de jouer les Mères Thérésa".

Il sourit en la regardant, agréablement surpris par le fait qu'elle eut commencé à lui tenir tête et le remettre à sa place.  

Alors qu'ils échangeaient de brefs convenances, Noah fut frappé par l'enthousiasme d'Annukka. Il n'était pas dans son habitude de voir des personnes teintées d'autant de fraicheur. En général, ceux qu'ils croisaient étaient ternes, fades, limites morbides tant ils semblaient ennuyeux.

Annukka pris tout a coup un air sérieux et sévère. Noah avait sans doute usé sa patience. Elle perdait de sa superbe en fronçant les sourcils et gardant le visage bien plus fermé qu’il ne le fut il y a encore quelques minutes. D’une manière très sèche, elle lui demanda s’il était disposé à commencer le cours. A dire vrai, Noah était surpris. Il ne savait plus s’il devait se réjouir de ce changement d’attitude et d’atmosphère, ou bien le déplorer.  Le fait est que, d’une certaine manière, il avait gagné une partie de sa bataille : elle n’allait plus le choyer, être mielleuse avec lui, il se sentait donc moins en demande d’aide, et plus soulagé dans son égo.

Les bras appuyés sur la table, le menton un peu relevé, d’un ton calme et sincère, il demanda à la jeune fille : « Pourquoi tu fais ça ? Je veux dire … Pourquoi tu aide les autres ? Qu’est ce que t’y gagne concrètement ? ». Il continuait de penser qu’aucun acte n’était parfaitement gratuit, et que dans chaque geste gentil se cachait toujours un fond d’intérêt. En fait, Noah ne connaissait pas, ni ne comprenait pas la gentillesse, il était incapable de comprendre qu’on pouvait agir autrement que par pur intérêt. Il s’appuya contre le dossier de sa chaise avant d’ajouter : « A ta place, face à un connard comme moi, qui te parle comme je te parle, ou te traite comme je te traite, je serais partie, je n’aurais même pas cherché à comprendre ». Il tourne les yeux vers elle, et la regarde : « Mais toi, t’es là. Tu insiste. Et même après vingt minutes de mauvais accueil, tu persiste en m’invitant à commencer le cours. Admets que c’est étrange quand même. Ce n’est pas humainement possible de juste vouloir aider les gens, même malgré ce qu’ils sont ». Pour détendre l’atmosphère, il lança sur le ton de la plaisanterie avec un léger sourire : « Ou alors, c’est que tu es effectivement Mère Térésa ».
 

Noah commençait à baisser le ton, baisser les armes, enlever sa carapace d’arrogance et son air impérieux pour agir … juste normalement avec une inconnue, et pas comme le sombre crétin qu’il avait l’habitude d’être. Mais, à sa grande surprise, Annukka restait encore sur ses gardes, limite plus dur qu’il ne l’avait lui-même était, et lui parlait plutôt sèchement. Il eut un petit rictus et baissa les yeux lorsqu’elle lui dit « Tu veux que je te dise quoi? Que je fais ça parce que je veux avoir une mention bénévolat sur mon diplôme? C'est ce que tu préfère entendre? »

Il releva les yeux vers elle, et dans un sourire sincère, en haussant les épaules il lui répondit : « Je veux que tu me dises la vérité. » Il se redressa, pour bien se mettre dans sa chaise, et se rapprocha légèrement d’elle, comme s’ils entreprenaient une conversation sérieuse : « Jamais dans mon entourage, qui que ce soit n’a agit sans un intérêt personnel. Regarde, même dans ce que j’étudie : les États interviennent militairement pour des soi-disant impératifs humanitaires, et quand on y regarde de plus prés on se rend compte qu’ils n’interviennent pas partout de la même manière. Ils interviennent, au risque de tout détruire, là où il y a quelque chose à gagner. Ils n’ont rien fait pour le Rwanda en 93, alors qu’il y avait un génocide monstrueux, parce que le Rwanda n’a rien. Et ils sont au Mali depuis quelques années, alors que la situation est moins alarmante, parce qu’il y a de l’uranium et de l’or. » Il reprit son souffle, en la regardant, sans s’être rendu compte que c’était la première fois qu’il parlait autant depuis leur rencontre, et ajouta : « Alors, tu vois, je me fous pas de ta gueule, je veux juste comprendre. Parce que pour moi c’est quelque chose d’inimaginable d’agir sans arrière pensée personnelle, alors forcément je me méfie de toi. Et, je veux comprendre pourquoi tu aide les gens, comment c’est possible d’agir par … pur altruisme. Après tout, c’est ton rôle de tuteur de m’expliquer quelque chose que je ne comprends pas …. Non ? ». Il esquissa un petit sourire entendu pour souligner sa phrase.

En l’observant, avec insistance, il se rendait bien compte qu’elle se fermait de plus en plus. Noah avait réussit à la braquer et lui faire perdre patience semble-t-il. Mais, la façon qu’elle avait d’être à la fois mignonne, gentille, et intransigeante, attisait sa curiosité, il avait envie de rattraper le coup, pour … discuter, peu importe. En fait, sans s’en rendre compte, Annukka venait de stimuler son intérêt. Il était rare que Noah s’intéresse à quelqu’un, mais là, c’était le cas.

Lorsqu’elle lui eut demandé pourquoi il avait demandé de l’aide si c’était pour réagir comme ça, Noah savait pertinemment qu’elle avait raison. Il baissa de nouveau les yeux dans un petit rire nerveux, sans pour autant admettre ses tords, fierté oblige, et répondit : « Peut-être que je suis assez intelligent pour admettre le fait que j’ai besoin d’aide, mais trop stupide pour reconnaitre le fait que j’ai besoin de toi pour avoir cette aide ». Noah était convaincu du fait que plus on faisait ressentir à quelqu’un qu’on avait besoin de lui, plus il nous écrasait. Alors, naturellement, il agissait en connard par simple peur. Ce n’était que de la peur.