Ce que je veux, c'est t'aider || Noah

La jeune fille avait l'air agacée par l'attitude de Noah, que ce soit quand il agit comme un abruti, ou bien quand il essaye d'être sincère en lui posant des questions auxquels il n'arrive pas à répondre. Cela peut paraitre être peu de choses pour beaucoup de personne, mais pour lui c'était important. Il avait la concentration d'un autiste par moment : c'est à dire que lorsqu'il butait sur idée qu'il ne comprenait pas, il était impossible pour lui de lâcher l'affaire avant d'avoir compris.

Alors, lorsqu'Annukka lui dit : "Je le fais parce que j'en ai envie. Il n'y a pas d'autre raison que ça", il haussa les épaules, insatisfait car incapable de comprendre. Il n'avait jamais eu envie, d'instinct, d'aider les autres. C'était un sentiment et un engagement inconnu pour lui, alors ça lui paraissait bizarre. Pour clore la discussion et passer à autre chose, comme elle avait l'air agacé, et lui pas du tout sur la même longueur d'onde, il ajouta en sortant quelques feuilles et un stylo devant lui : "Tu veux commencer par quoi ?". Il la regarde, sans sourire, l'air assez perplexe à vrai dire, un peu fermé, partagé entre l'idée de partir et l'idée de rester. En fait, il n'avait pas pris le temps de se rendre compte juste que là, que d'une manière ou d'une autre, cette situation le mettait extrêmement mal à l'aise. Pourquoi ? Il n'en savait trop rien. Peut être elle, peut être lui, va savoir.

Plus les minutes passaient, plus Noah pouvait sentir ses cheveux pousser sur sa tête tant il était mal à l’aise. Il avait essayé de jouer la carte du gars gentil, essayer d’être avenant, de poser des questions, de s’intéresser, mais ça ne marchait pas plus que lorsqu’il réagissait en connard abrutis. A croire que quelque ce soit l’attitude adoptée, le fond du problème, c’est lui, et rien que lui. La discutions passait à autre chose, et Annukka lui demanda quels étaient ses horaires et s’il avait des questions sur le fonctionnement des cours.

Noah répondit le plus naturel du monde, appréciant qu’ils entrent dans le vif du sujet : « Tiens », lui tendant son emploi du temps, « Je n’ai pas de question spécifique. En fait, j’ai pris un cours particulier parce que ma principale difficulté c’est la langue. Tu dois l’entendre un peu dans mon accent, et même si en Hollande nous apprenons bien l’anglais à l’école, j’ai des difficultés avec l’américain … que ce soit en lisant le journal ou en parlant avec les gens. Et j’aimerais apprendre l’américain courant, celui que parlent tous les gens, tu comprends ? »

Il venait enfin de répondre à une de ses questions sans doute, à savoir, pourquoi il avait pris des cours particuliers. Dans son pays natal, on apprenait très jeune l’anglais. Mais il rencontrait deux difficultés maintenant qu’il vivait réellement dans un pays anglophone : d’abord, ce qu’il avait appris ce n’était pas l’américain, mais le britannique. Ensuite, il connaissait le langage soutenu, mais pas du tout les formules courantes que les gens utilisent naturellement pour parler. Il regardait Annukka, reprenant un air légèrement distant : maintenant qu’elle avait sorti les crocs, il ne lui restait plus qu’à écouter ses conseils et espérer que la séance se termine vite.



 

L’ambiance se détendait et les deux jeunes gens entraient dans un rapport plus professionnel, moins conflictuel. Il la laissait regarder un coup d’œil à son emploi du temps, avant de l’écouter lui dire qu’il n’avait pas choisit une branche facile. Noah en était conscient, mais à la fois, il était de tradition familiale que le cadet de la famille suive ce genre d’étude là. Aussi, depuis petit, il a un précepteur particulier qui lui apprend toute l’histoire de l’Europe, des premières guerres à la formation des Etats, puis l’évolution de la diplomatie. Et il a prit l’habitude de lire le journal tout les jours, et des revues spécialisées comme Foreign Affairs, afin d’être toujours au courant de ce qu’il se passait. Alors finalement, est-ce qu’on pouvait vraiment dire qu’avec un tel entrainement, voir conditionnement fomenté par sa famille, cette branche était difficile pour lui ? Pas vraiment. Toutes les autres auraient pu l’être mais pas celle-ci : « Je n’ai pas choisis tout court à vrai dire ». Il eut un rire nerveux sur le ton de la plaisanterie avant de s’expliquer : « En fait, dans ma famille, c’est toujours comme ça. Le premier fils fait de la politique, le second étudie les relations internationales pour devenir diplomate. Il n’y a que les filles qui ont le droit de choisir ce qu’elles veulent, c’est assez paradoxal". Il toussota légèrement, ne voulant pas trop en faire, ni trop parler pour l’ennuyer, avant de lui demander : « Tu as choisi quoi toi ? ».

Enfin, la jeune fille le complimenta sur sa façon de parler, ce que Noah prit avec le sourire, finalement, il ne parlait pas si mal que ça : « J’ai l’impression parfois de parler comme on écrit, un langage un peu trop soutenu. J’aimerai bien parler … comme tout le monde. Déjà que je porte des costumes tous les jours, si en plus je parle de manière … précieuse je crois qu’on dit, alors c’est certain que je ne vais pas être apprécié ».

Cette rencontre devenait plus agréable. La jeune fille avait l’air moins ennuyée par la présence de Noah, et sembla même y porter de l’intérêt lorsqu’elle lui demanda s’il était d’accord avec les façons de faire de sa famille. Noah s’apprêtait à répondre, mais s’arrêta net, la bouche entre ouverte. Il la referma en un sourire et baissa légèrement les yeux. En fait, il n’en savait rien. Il ne s’était jamais posé la question : depuis petit il est conditionné à obéir à ses parents et à appliquer aveuglément leurs choix. Alors, il ne savait pas quoi en penser, il n’avait jamais eu l’occasion de prendre du recul et de réfléchir à sa situation : « En fait, je crois que c’est la première fois qu’on me demande si je suis heureux dans ce que je fais ». Il releva les yeux vers la jeune fille haussant les épaules dans un sourire timide : « On m’a jamais demandé ce que je voulais faire, alors je ne sais pas. Je suppose que non, je ne suis pas d’accord avec mes parents mais … je n’ai pas l’impression de pouvoir faire autrement. Et puis ce n’est pas maintenant que je vais remettre en cause presque quinze ans de travail acharné sur les conflits européens ». Il esquissa un sourire tentant d’alléger l’ambiance sur le ton de la plaisanterie et de dédramatiser la situation.

« Médecine ? C’est un chouette projet, tout à ton honneur. Je suppose qu’à l’inverse de moi, tu as choisis tes études ? », il sourit en la regardant avant d’ajouter : « Je comprends mieux pourquoi tu donne des cours particuliers et aide les gens qui t’entourent. C’est le propre du médecin après tout ». Il sourit de plus belle tandis qu’elle le rassura sur sa façon de parler : « Encore faudrait-il que je rencontre des américains. Depuis que je suis ici, j’ai l’impression de ne rencontrer que des européens ! » C’était incroyable le taux d’étranger qu’il y avait à Harvard, et puis c’était vrai : il n’avait pas encore rencontré un seul véritable américain sur le campus.

Les deux jeunes gens apprenaient à se connaitre et c’était agréable finalement comme situation. Lui qui avait refusé catégoriquement toute approche amicale au départ se retrouvait enjoué à l’idée de discuter avec cette jeune fille. Parler de ses parents n’était franchement pas évident, pour la simple et bonne raison que Noah ne s’était jamais vraiment penché sur la question. Pas par manque de temps ou d’envie, mais parce qu’il savait très bien que s’il se mettait à réfléchir dessus il deviendrait triste et n’aurait qu’une seule envie, comme toujours, c’est de s’éclater la tête contre les murs. Elle lui demanda ce qui le rendait heureux, et Noah ne dit rien pendant quelques secondes tentant de réfléchir à une réponse sincère. C’était une question très difficile, et plus il discutait avec elle, plus il se rendait compte qu’il était superficiel. Pas seulement dans le sens de l’affichage de richesse ostentatoire, mais surtout dans le sens introspectif : Noah n’avait jamais pris le temps de se pencher sur ce qu’il voulait vraiment, ce qui lui faisait du bien, et avançait tête baissé dans la vie en obéissant à ses patriarches : « Je ne sais pas … ». Dit-il pensif, réfléchissant encore à une meilleure réponse, avant d’ajouter un petit peu enjoué : « Si, je sais. Tu vois, les Dimanche très pluvieux presque maussade où le ciel est gris et la ville toute calme. Et bien, j’adore me mettre sous la couette avec mes écouteurs et écouter de la musique en regardant les goutes de pluie ruisseler sur mes baies vitrées. Je crois que ça ça me rend effectivement heureux ». Il sourit avant de poursuivre par un petit rire amusé : « Mais je doute qu’il existe un métier qui consiste à faire cela toute sa vie ».

Lorsqu’elle lui eut parlé du fait qu’elle faisait médecine, qu’il s’agissait là d’un choix qui semblait il, elle avait fait par rapport à sa mère Noah acquiesça avant d’ajouter : « J’en déduis que tu as de bons rapports avec ta mère ? Du moins, c’est appréciable de voir que des personnes voient encore leurs parents comme des héros ». Il sourit avant de poursuivre en regardant Annukka amusé : « Tu vois, je te l’avais dit ! Aucun américain sur le campus, tu en es la 38ème preuve depuis mon arrivée ». Il rit légèrement avant de se passer machinalement la main dans les cheveux et de se gratter derrière la tête.