Could it be worse? (Feldt)

Quand j’avais pensé au jour où j’allais devenir père, où j’allais enfin rencontrer cet enfant, j’avais imaginé beaucoup de choses, de gestes que j'aurais à son égard, mais certainement pas de rester camper à côté d’un aquarium… Enfin un incubateur, parce qu’en tant que futur pédiatre je me devais d’utiliser les bons termes, mais soyons honnêtes, en tant que parents, quand c’était votre gosse qui se trouvait dans la fameuse couveuse, d'un coup, ça ressemblait drôlement à une bocal à poisson, l’eau en moins. Après un dernier regard au bébé paisiblement endormi, j’avais quitté le service de néonat. Talya devait probablement dormir, se reposer, se remettre elle aussi de cette naissance difficile, alors je marchais jusqu’à la machine à café au bout du couloir. J’avais besoin d’un remontant. J’étais pas sûr que la caféine fasse l’affaire, mais les distributeurs de bières n’existaient pas encore au sein de l’hôpital. Après avoir introduit quelques pièces de monnaie et appuyé sur la touche expresso, je relevai les yeux et remarquai une silhouette familière qui s’approchait. « Feldt ? » interpellai-je en reconnaissant la jeune femme. Rien qu’à l’expression de son visage, je compris que quelque chose avait du se produire, qu’elle n’était pas juste là pour une visite de courtoisie. Je saisis mon gobelet fumant et avançai jusqu’à la demoiselle : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » demandai-je prudemment en arrivant devant elle.

Je n’avais vraiment pas passé la meilleure semaine de ma vie. Tout m’était tombée dessus d’un coup comme cela, sans crier gare, et j’avais totalement perdu mes repères. Tokyo me manquait, mes amis là-bas me manquaient et j’avais vraiment envie d’y retourner pour finir mon année à l’étranger. Cependant, je ne savais même pas si je voudrais partir. Alaska s’était enfin réveillée mercredi. J’avais eu tellement peur qu’elle ne se réveille jamais, que je perde ma soeur avant même que je n’ai vraiment pu la connaître. Je voulais apprendre à la connaître, qu’elle soit dans ma vie pour de vrais. Elle faisait partie de ma famille, nous partagions le même sang, et pour moi, c’était la seule chose qui importait. C’est pour cela que je passais mon plus grand temps à l’hôpital, à discuter avec elle, à rattraper le temps perdu. J’avais cependant besoin d’un café, et je décidais de laisser Alaska se reposer un peu, alors je me rendis à la machine à café qui se trouvait dans le hall d’entrée. J’avais presque vécu à l’hôpital cette dernière semaine, que je commençais à l’apprendre par coeur. C’était quasiment désolant. Je vis alors une silhouette familière. « Priape..hey..salut… » Dis-je alors en le voyant arriver. Je ne savais même pas à quoi je ressemblais, je devais avoir les traits tirés par la fatigue et le stress. « C’est rien…ma soeur a eu un accident, c’est tout. » Je voulais pas non plus déballer tout mes problèmes à Priape. Il avait toujours été une oreille patiente pour moi, mais je ne voulais pas non plus faire usage de sa générosité envers moi. « Et toi? Tu es de services? »

En m’approchant, je me rendis bien compte que quelque chose clochait. Elle me salua brièvement et après ma question pour savoir ce qu’il s’était passé, elle me révéla que sa sœur avait eu un accident, ajoutant un –c’est tout- qui n’avait rien convaincant. Non ce n’était pas tout, cela se voyait à sa tête. « Un accident ? De voiture ? Elle va comment ? » m’inquiétai-je bien que Feldt semblait vouloir clore le sujet rapidement. D’ailleurs, elle s’empressa de me demander ce que je faisais ici, si j’étais de service. Je secouais la tête : « Non, pas de service aujourd'hui. Je suis là car… je sors de néonat. Le bébé est arrivé plus tôt que prévu. Deux mois trop tôt... Et oui, ça y est, je suis papa. » Je m’essayais à un faible sourire, mais finalement y renonçais bien vite. J’arrivais pas à feindre la joie et l’allégresse qui devaient normalement habités tous les jeunes pères. Les alarmes et autres bips incessants de la néonat avaient eu raison de moi… « Je voulais passer des textos pour l’annoncer à tout le monde mais… j’attends de voir un peu comment ça va se passer. » Je ne voulais pas diffuser de nouvelles trop rassurantes si jamais la santé du bébé venait à se dégrader ensuite.

J’étais contente qu’Alaska soit réveillée, que je puisse lui parler et surtout que je puisse être la pour elle. Je ne voulais pas prendre le risque de la perdre sans avoir pu apprendre a la connaitre. Elle était ma famille, la seule chose qui me restait encore. J’avais promis a Alex que je ferais un effort, et c’était moi qui faisait un effort là. Je devais avouer que cela me fatiguait aussi, je n’avais pas beaucoup dormi la dernière semaine et je commençais a sentir cette semaine dans mon corps. J’allais devoir prendre une pause, sinon je finirais moi-même par tomber. Je ne voulais même pas en parler vraiment, bien que j’avais confiance en Priape. « Ouais, de voiture. Elle est réveillée, mais elle a rien eu de graves. Juste un coup à la tête en fait. » Cela avait vraiment plus de frayeurs, mais je devais dire que son coma ne m’avait pas rassuré. Priape m’expliquait alors la situation. Je ne pouvais que trop bien le comprendre. Mes jumeaux étaient également nés deux mois à l’avance, et la peur de l’inconnu pouvait facilement ronger un parent. « Je suis désolée. C’est pas facile, je sais. Je suis là si tu as besoin de soutiens, ou de parler. » Avoir des enfants prématurés n’étaient jamais bon signe car il y avait une raison pour qu’une grossesse fasse neuf mois.

Je n’avais pas pu m’empêcher de questionner Feldt, elle avait l’air exténuée alors ça ne pouvait pas être rien si ça la tracassait comme ça. Elle me répondit que la jeune femme avait eu un accident de voiture, qu’elle avait pris un coup sur la tête, d’où l’hospit en traumato surement. J’hochai la tête en l’écoutant et en lui jetant un regard soucieux. Je voulais pas l’inonder de question, je sentais bien que ce sujet la touchait, elle avait peut être juste besoin de décompresser et de changer d’air, c’était d’ailleurs surement pour cette raison qu’elle avait quitté le chevet de sa sœur pour fuir jusqu’à la machine à café. Je soufflai sur mon propre gobelet avant de le porter à mes lèvres, le vidant quelque peu. Puis j’expliquais ce que moi je faisais ici. La rouquine sembla saisir, ce n’était pas juste de la compassion alors un petit sourire esquissa mes lèvres : « Merci… » A vrai dire je savais pas de quoi j’avais besoin : m’étaler sur la peur qui me tiraillait le ventre ? Faire dérouler sur l’écran de mon téléphone les clichés de ma fille branchée de partout ? « En fait je crois que j’ai surtout besoin de sortir de là et de boire autre chose que ce café dégueulasse… » fis-je en jetant finalement ma tasse à la poubelle. « Tu me suis ? » demandai-je alors mon regard croisant le sien.

Si j’étais contente qu’Alaska soit réveillée, mon inquiétude pour son état ne disparaissait pas pour autant. Beaucoup de choses pourraient se passer encore. Elle avait pris un coup à la tête ce n’était pas rien, et cela m’inquiétait vraiment. Je savais que je devrais un peu relâcher, mais tant que je n’étais pas à cent pour cent sure que ma soeur allait bien, je pense pas que je pourrais me calmer. Je me rendais malade par la même occasion, c’était des mauvaises habitudes que je retrouvais doucement. Peut-être que j’aurai du partir après qu’Alaska se soit réveillée. Ca m’aurait permis de penser a autre chose. Pourtant, je ne faisais pas partie de ces personnes qui abandonnaient facilement leur famille. Pour moi, c’était quelque chose que je ne pouvais pas comprendre. C’est pour cela que je restais à Cambridge, que j’avais abandonné l’idée de faire mon année complète au Japon. Mais je crois que Priape avait plus de maux que moi. Ne pas savoir ce qui pourrait se passer avec son enfant était la pire des choses. Je ne pouvais que trop bien comprendre les sentiments et la peur de Priape. « Euhm ouais…mais faudrait que je t’avoue que j’ai rien mangé. Peut-être pas une bonne idée pour moi. » Avouais-je alors.

Je ne savais pas vraiment à quoi cela rimait mais rester dans cet hôpital à déprimer n’était pas un bon plan. Donc rapidement, je proposais à la demoiselle une petite sortie, pour boire autre chose que le café infâme qui sortait de cette machine. Se changer les idées, prendre l’air, se défaire de ses couloirs blancs aseptiques et leurs néons blafards. Feldt sembla septique. Elle précisa qu’elle n’avait rien mangé, que du coup, boire n’était peut être pas une bonne idée. « C’est comme tu veux… Je te force pas si tu préfères rester ici près de ta sœur je comprends… » Je n’étais pas certain que l’absence de repas soit la véritable raison qui la retienne dans ces couloirs. Il ne fallait pas qu’elle hésite à me le dire si elle craignait de s’en aller, parce que cette peur elle me bouffait aussi. Le portable toujours allumé, à portée de main, ne dormir que d’un œil, juste au cas où… On s’imaginait toujours le pire à chaque sonnerie, à chaque vibration de l’appareil sur la table de chevet. J’étais un peu au bout du rouleau, alors oui peut être que d’aller boire un coup n’était pas une bonne idée pour moi non plus… « Mais si tu viens, je te paie un kebab sur le chemin. » On aura au moins l’estomac plein, et quelque chose à vomir si des abus s’en suivaient...

Je me faisais peut-être beaucoup trop de soucis pour Alaska, et c’était vraiment plus un choc qu’autre chose. Et pourtant, je n’arrivais pas à penser autrement que de vouloir rester à ses cotes. Peut-être que je l’énervais, et que j’étais trop présente. J’en savais rien, j’avais peur que si j’étais pas la quelque chose allait se passer. Je voulais rattraper le temps perdu et être là le plus possible pour elle. Il fallait dire que depuis qu’Alaska s’était réveillée, je passais déjà moins de temps à l’hôpital. Je ratais pas mal de cours également, mais tout le monde savait que moi, je n’étais pas le problème. « Non. Je crois j’ai besoin d’air. Ca fait plus d’une semaine que je suis enfermée ici. » Je devenais folle à rester ici et peut-être que Priape avait raison. Cela pourrait être mieux de sortir un peu. « Un kebab? Sérieusement? Tu peux pas faire plus simple? » Dis-je pour le taquiner. J’avais vraiment juste besoin de manger quelque chose autres que la nourriture de l’hôpital et de la cafétéria. « Bon, attends. Je vais juste chercher mes affaires. » Dis-je alors en repartant rapidement vers la chambre de ma soeur pour aller chercher mon sac à main et ma veste avant de venir rejoindre Priape à nouveau. « Tu sais que t’es quand même une mauvaise influence sur moi! »

Je lui laissais le choix de rester ici, comprenant aussi que mon envie de changer d’air n’était peut être pas partagée par la rouquine. Mais elle me répondit qu’après une semaine à squatter ici, c’était peut être une bonne idée de sortir. Bon, le kebab n’était pas l’invitation la plus galante qu’il soit, elle me taquina d’ailleurs sur la simplicité du repas. « Je me suis dit que si je t’invitais pour un tête à tête aux chandelles dans un grand restau tu allais penser que je te faisais du rentre dedans… » me défendis-je avec un sourire amusé avant d’ajouter : « Mais si tu préfères un mac do on peut aussi… » On repassera pour le romantisme… Déjà il fallait qu’on s’échappe d’ici. Feldt fila quelques minutes pour récupérer ses affaires puis revint vers moi en faisant remarquer ma mauvaise influence. « Les dunsters sont vraiment pas des gens fréquentables, on te l’avait pas dit ? » rigolai-je en avançant vers la sortie à ses côtés. D’ailleurs, une fois à l’extérieur, je repérai assez vite l’enseigne d’un bar. « Allez viens on entre, j’suis sûr que le barman te préparera un bon petit plat si tu lui fais un beau sourire… »

La fille rebelle qui sortait tout le temps était depuis longtemps éteinte en moi, et cela bien avant mon agression. Je n’avais plus spécialement cette même envie que j’avais eu dans le passé. Bien sure, je n’étais pas non plus devenue une jeune fille ennuyeuse, j’avais tout simplement d’autre envie. Toute fois, j’avais accepté la proposition de Priape, peut-être parce que récemment, c’était le seul en qui j’arrivais a faire confiance, qui allait pas me faire chier, mais qui voulait juste passer du bon temps. Nous en avions besoin tous les deux, je crois. « Mais voyons, ça m’aurait fait plaisir un tête à tête aux chandelles. » Dis-je pour le taquiner. Il était rare que je puisse être si relaxé en la présence de quelqu’un, mais il n’y aurait jamais rien avec Priape, et pour moi, c’était ce qui m’importait. « Ouais, et après on dit que ce sont les Mathers les mauvaises influences. Faut revoir les stéréotypes là. » Nous sortions de l’hôpital. Priape devait bien connaitre les environs, moi, je venais ici pour ma soeur, pas pour le reste. « Je pense qu’avec mes cernes, et ma tête d’enterrement, il va plutôt fuir. » Je ressemblais à rien. J’avais d’ailleurs attaché mes cheveux en chignon, pour ressembler un peu à quelque chose.