Priape ☼ Les souvenirs reviennent...

Chemise, polo ou T shirt ? J’étais torse nu devant mon lit, les trois choix qui se présentaient à moi étalés sur mon matelas. Et d’ailleurs pourquoi je me posais tant de questions ? Ce n’était pas comme si j’avais –rencard- avec Megara. Elle avait accepté cette soirée grecque, histoire de se retrouver et de parler du bon vieux temps, d’autant plus que j’avais répondu que j’avais bel et bien quelqu’un dans ma vie lorsqu’elle m’avait posé la question. Ce dîner n’était donc en rien un rendez vous galant. J’attrapais finalement le polo, parfait compromis. Je jetai un œil à l’horloge j’avais un petit quart d’heure devant moi. Le temps de descendre tranquillou en ville et je serais à l’heure. Une fois installé à la table que je nous avais réservé, le serveur vint une première fois pour prendre ma commande. Je lui répondis donc que j’attendais quelqu’un. Il revint vingts minutes plus tard. « J’attends toujours quelqu’un. » Et rebelotte dix minutes plus tard. Je finis par commander un ouzo puis deux que je sirotais en l’attendant. Je sentais dans les yeux du serveur un mélange de moquerie et de pitié. « Non mais elle va arriver. » me sentis-je obligé d’ajouter. Il commençait à me gonfler ce serveur avec ses regards sous entendant que je venais de me faire poser un lapin. Et puis au pire, c’était qu’un repas entre vieux amis, pourquoi je me sentais blessé de ne pas la voir venir ? Et c’est finalement au bout d’une heure, quand j’hésitais entre commander un troisième apéro ou m’en aller qu’elle débarqua toute confuse et pleine d’excuses. « Oh, t’en fais pas c’est pas grave… Je commençais à m’inquiéter qu'il te soit arrivé quelque chose. » Ou simplement que tu m’aies oublié. Ca faisait juste dix ans qu’on ne se fréquentait plus alors ce dîner aurait pu tout aussi bien lui sortir de l’esprit. « Assieds toi, t’as juste deux apéro de retard… » fis-je avant de faire signe au serveur de nous re-servir un apéro chacun, un sourire victorieux aux lèvres l’air de dire –je t’avais dit qu’elle allait venir connard !-

La tension était palpable à notre table surement à cause de la longue heure d’attente où j’avais eu le temps de me faire tout un tas de films sur ce que pensait véritablement mon ancienne amie de moi. « Oh mais si il nous faut un apéro, faut fêter nos retrouvailles. » fis-je avec plus d’entrain, essayant de mettre de côté mon égo un peu blessé par son retard. « Et te sens pas obligée de régler la note, je gagne ma vie maintenant. » Bon okay, on était loin d’avoir un salaire de rêve en tant qu’interne mais grâce à mon été que j’allais passé à bosser, j’allais pouvoir mettre un peu d’argent de côté. Alors soyons fous et recommandons un apéro. Quand le serveur arriva pour prendre nos commandes, je protestais en écoutant la réponse de la jeune femme. « Ha bah non, tu vas pas trinquer à l’eau Meg ! Mettez nous deux ouzos. » Et croisant le regard de la demoiselle, j’ajoutais histoire qu’elle ne refuse pas : « On a dit soirée grecque alors joue le jeu. » Elle soulignait ensuite que l’endroit était beau, je souris et fis sur un ton nostalgique : « Pas aussi beau que chez nous, mais ça va faire l’affaire pour ce soir… » La Grèce me manquait parfois et en ce moment, avec tout le remue ménage de ma vie, c’était particulièrement vrai.

Megara s’installait en face de moi en se plaignant de la journée horrible qu’elle venait de passer. « J’espère que t’inclues pas notre dîner ensemble dans ce qui a contribué à rendre ta journée horrible… » fis-je avec un petit sourire désolé. On aurait surement mieux fait de reporter ce repas finalement. Megara semblait ne pas avoir la tête à nos retrouvailles, quand j’évoquais la Grèce elle me fit savoir qu’elle n’avait pas l’intention d’y retourner cette année, question de manque de temps. « Moi non plus je n’y retournerais pas, j’ai le temps mais pas le budget. » précisai-je avec un petit sourire, pas gêné d’aborder mon manque de moyens. Megara savait d’où je venais, de quel milieu, combien ma famille avait toujours du se battre pour se faire sa place et gagner sa croute, alors pas besoin de faire semblant avec elle. Et puis elle devait bien se douter que je n’avais pas renoncé au summer camp et aux vacances uniquement par sérieux. C’était aussi que j’avais besoin d’argent. La jeune femme essaya de relancer la conversation ensuite. Elle se forçait et elle était gênée, cela se sentait. « Tu pouvais aussi parler de la météo ça marche bien ça… » plaisantai-je avec un petit rire. Autant briser la glace tout de suite : « T’es pas obligée de prendre des pincettes comme ça avec moi Meg. J’suis plus le gamin fragile que j’étais y’a dix ans. Si tu veux parler de Thalya ou de Talya, sans le h, je suis capable d’encaisser. » assurai-je sur un ton calme, un sourire serein aux lèvres. « Mais si tu veux vraiment savoir, ça a été, ma journée s’est relativement bien passée et la tienne ?»

Megara me rassura : elle était contente de se rendre à ce dîner, malgré son retard. Elle me rappela alors nos souvenirs, quand plus jeunes nous passions du temps ensemble et que je lui remontais le moral en la faisant rire. « C’est tout moi ça un vrai clown… » A défaut de la séduire à l’époque, j’avais au moins réussi à la divertir. C’était agréable de savoir que malgré toutes ces années sans se voir, la jeune femme était toujours ravie de me retrouver pour un repas ensemble. On parla de notre pays qui nous manquait, mon interlocutrice n’avait pas le temps de s’y rendre, je lui répondis que je n’en avais pas le budget. Et à sa proposition de d’y aller ensemble, pour revoir mes parents, j’eus un petit sourire amer. « Désolé mais j’ai pas vraiment envie de retourner les voir… » La jeune femme avait raté une grande partie des derniers bouleversements de ma vie, je ne lui en voulais pas de ne pas être au courant. J’expliquais donc : « Y’a deux ans, j’ai découvert que c’était mon père qui avait imposé à Emrys de quitter notre foyer. Et ma mère n’a rien fait pour l’en empêcher. Et il y a un an, on a perdu Artémis. Tu sais, il était soldat. Il est décédé des suites d’une blessure au combat. Nos parents n’ont pas daigné nous l’annoncer eux même, ils ont chargé Emrys de cette lourde tâche… Bref j’veux plus rien avoir à faire avec eux. » Maintenant c’était Emrys, ma famille, mon roc, mes racines… Mes parents avaient perdu cette place dans ma vie. « Et toi, comment ça va avec ta famille ? » J’espérais sincèrement que l’entente chez les Lazaridis était meilleure que chez les Zacharias. Et puis j’avais finalement autorisé Meg à ne plus prendre des pincettes avec moi comme elle le faisait. Elle me répondit qu’elle avait peur de me blesser à nouveau… Je secouais la tête : « T’en fais pas pour moi, je t’assure… » J’avais une carapace bien épaisse après toutes les embuches que le destin avait mis sur mon chemin. Elle avoua ensuite qu’elle avait changé aussi. En dix ans, c’était surement normal. « Alors j’ai hâte d’apprendre à connaître la Megara que tu es devenue. »  

J’hochais la tête alors que Megara reprenait avec étonnement ce que je venais de lui révéler sur mes parents.  Cela sembla toucher la jeune femme qui ôta alors la visite à mes parents de ses futurs projets. « J’suis désolé de t’apprendre ça comme ça… » Je sentais qu’elle était déçue de l’attitude de mes parents. Parfois, j’avais le sentiment que les gens n’étaient bons qu’à cela : nous décevoir sans cesse… Et puis j’étais désolé aussi de lui avoir aussi brusquement le décès d’Arté. « Je pensais que tu le savais pour mon frère… » Ce n’était surement pas le Zacharias dont elle était le plus proche, elle l’était très certainement plus d’Emrys et de ma cousine Némésis. Mais je sentais que l’annonce de son décès la bouleversait malgré tout. Je l’avais questionné sur sa famille, espérant qu’elle aurait de son côté des nouvelles bien moins tragiques. J’étais donc soulagé et content de l’entendre me dépeindre le joyeux bazar qui régnait toujours chez les Lazaridis. « Tu leur passeras le bonjour pour moi. » Les années avaient passé sans que l’on garde contact, mais je ne lui en voulais pas. On avait changé, chacun de notre côté, et je lui fis donc part de mon envie de la redécouvrir, d’apprendre à connaître cette nouvelle femme qu’elle était devenue. Elle m’invita ensuite à venir chez elle ensuite pour qu’elle me montre ses œuvres. « T’aurais du choisir une carrière artistique, ça t’aurait bien été aussi… » soulignai-je avec un petit sourire. « J’ai hâte de voir ce que tu fais en tout cas. Et ne sois pas mal à l’aise avec moi Meg… Les années ont passé, l’eau à couler sous les ponts… J’vais pas t’en vouloir pour un truc qui remonte à dix ans. » J’avais pas su la retenir près de moi, l’empêcher de suivre Héraclés. Elle l’avait préféré lui c’était comme ça. J’avais eu le temps de faire mon chemin depuis. J’avais rencontré d’autres filles, j’étais tombé amoureux, deux fois. On m’avait brisé le cœur, deux fois. J’avais eu le temps d’oublier ce premier chagrin d’amour. Le serveur déposa les deux ouzos devant nous finalement et nous demanda ce que l’on voulait manger ensuite. « Une moussaka pour moi. » fis-je avant de tourner le regard vers Meg pour connaître son choix. Et une fois le garçon reparti, je levais mon verre pour trinquer avec mon ancienne amie : « A nos retrouvailles. »