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WINTER'S COMIN'
(R)evolution of dog« Oh, comme il est mignon ! »
Phrase pouvant signifier selon les circonstances :
« Qu’il est joli ! »
Ou : « qu’il est bien apprivoisé ! »
Oui oui, même dans le cas d’un enfant. Sera considéré comme apprivoisé l’enfant qui n’est pas sauvage : il est à la fois sage, affectueux, apte à la vie en appartement, propre, enclin à manger ce qu’on lui donnera, doué, etc. Il n’est pas sur la défensive.
Ici, nous allons parler de ces qualités chez les animaux : jolis et apprivoisés. Avant toute chose je vous invite à considérer avec attention la galerie suivante.
« Oh, comme il est mignon ce {insérez ici nom de la bête} ! »
Ne soyez pas embarrassés : c’est une réaction normale. La science a étudié le phénomène, et vous y autorise. Qu’est-il arrivé à ces animaux en passant du stade sauvage au stade mignon ? Taille réduite, yeux exposés, robe tachetée, queue enroulée, fourrure moelleuse, oreilles repliées. Darwin disait : je ne connais pas une espèce de mammifère domestique qui n’ait, dans une de ses variétés de par le monde, les oreilles repliées. Réfléchissez-y : ce n’est pas naturel, au sens : ce n’est pas une bonne idée quand on vit en pleine nature.
Sélection par l’élevage ? Certes, mais le point de départ reste problématique. Qui, de la poule ou de l’œuf… c’est très amusant d’élever des chiens pour en faire des chiens plus mignons, mais s’ils ne sont pas un peu mignons au départ il ne va pas être facile de débuter l’élevage. Vous voyez vraiment les chasseurs de l’aube des temps aller traquer des loups dans leurs terriers pour élever leurs petits au biberon, sans savoir encore ce que ça donnerait ? Faut être dingue. La bête a toutes les chances de mourir, et une fois sur deux vous aurez un adulte chez qui l’instinct du loup – de la fuite, de la morsure… – ressurgit et prend le dessus. Les premiers chiens qu’on a élevés étaient déjà en quelque sorte des chiens ; on appelle ce stade le proto-chien. Et celui-là, d’où il sortait ?
Souvenons-nous de nos origines. Petits, malingres et mal armés, nous survivions à l’époque comme les petits singes d’aujourd’hui aux portes des grandes villes : en mangeant les restes des plus grands prédateurs de notre écosystème. Et c’était pas nous. Difficile à imaginer, hein ? C’est l’âge d’or du tigre à dents de sabre et de toute sa clique. Paraît que cette période nous a rendus intelligents, a étendu notre régime alimentaire, nous a appris à fonctionner en société, et à créer des outils. On est devenus apprivoisés pour survivre. Retenez bien cette formule : on a réduit notre distance de fuite. L’amour est peut-être né à cette époque. En tout cas, les relations fusionnelles, certainement.
Arrivés au stade sapiens sapiens, voilà que nous prenons le dessus sur la chaîne alimentaire locale, où que nous soyons. C’est nous qui occupons le terrain, squattons les cavernes, entassons les carcasses de nos proies, et laissons derrière nous une appétissante odeur d’ordures. Nous avons gardé avec nous la distance de fuite réduite héritée de nos ancêtres, les survivants de l’âge des tigres. Nous sommes curieux et attentionnés, nous regardons et observons au lieu de préserver notre bulle de sécurité à tout prix. Nous ne sommes plus des animaux sauvages ; en revanche, nous sommes des philosophes en herbe, nous nous interrogeons déjà sur le mouvement des étoiles. Tout naîtra de ce creuset, la science, la religion, l’étude de la psychologie, la criminalistique, les lois. L’efficacité à survivre est différente. Survivre en étudiant le meilleur, plutôt qu’en étant le meilleur.
Et qui s’intéresse à nos ordures ? Car le cycle est sans fin. Les loups, nos anciens prédateurs, devenaient de braves charognards errant au fond de nos cours. Et le phénomène se répétait : les plus empathiques avaient le dessus dans cet écosystème. Les loups idéaux, forts, intelligents, féroces, tous sens en alerte, étaient les meilleurs dans les bois, dans les zones sauvages ; mais dans les zones habitées, ceux qui survivaient le mieux en transmettaient leurs gênes étaient les loups empathiques, qui lisaient nos réactions, savaient quand ne pas nous déranger et quand nous amadouer ; les loups à distance de fuite réduite, qui ne craignaient pas de nous approcher de tout près et mangeaient nos restes quasiment dans la main, avant le retour des plus sauvages qui avaient fui en nous voyant sortir les poubelles. Un phénomène évident dans les grandes décharges infestées de chiens sauvages, aujourd’hui encore.
Ces chiens-là, quoi qu’on en dise, sont déjà des chiens. Les proto-chiens sont déjà aptes à être domestiqués. Vous savez, les singes dont je vous parlais tout à l’heure ? Ils sont comme nous autrefois : petits, pas très forts, en danger la nuit… Ils cohabitent avec des proto-chiens sur les tas d’ordures. Ils enlèvent les petits, les élèvent au milieu des leurs, et créent un lien avec eux. Une fois adultes, les chiens montent la garde autour de leur colonie, les avertissent en cas de danger, et les défendent si le danger approche d’un peu trop près. Ces chiens sont implantables dans une cellule familiale d’une autre espèce alors qu’ils sont déjà assez grands pour se nourrir par eux-mêmes. Psychologiquement, ce ne sont plus des loups, mais des êtres d’empathie avides de compagnie à contempler, à étudier.
« Si Job avait planté des fleurs sur son fumier, il aurait eu les fleurs les plus belles du monde ! »
Maintenant, venons-en au développement physique du chien. C’est une chose qu’on peut étudier grâce à la génétique : le schéma suivant ne vous dira pas grand-chose en lui-même, mais il signifie que le chien en tant que modèle génétique est apparu en Asie.
Les couleurs représentent les variations du génome à travers les âges ; là où il y a le plus de couleurs présentes, c’est que le potentiel de variation est le plus grand, donc la source de toutes les variations. Ce sont apparemment les sociétés primitives du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est, premiers grands pôles humains (et premiers magnifiques tas d’ordures sédentaires) ; puis arrivent les chiens spécialisés des colonisateurs des régions froides : zone himalayenne, Sibérie orientale, passage de Béring, Nord des Etats-Unis. Eh oui, chez moi, l’Alaska ^^ On dit que nos malamutes sont les plus anciens chiens de traîneaux de l’Histoire.
Restons en Sibérie, voulez-vous ? Et faisons un bond jusqu’aux belles années du stalinisme. On y produisait des manteaux de fourrure, et il est plus facile à cet effet d’élever des renards que de les capturer dans la nature. Mais les animaux étaient trop stressés pour se reproduire ; l’idée du généticien Belyaev, suivant la méthode utilisée avec les lapins, était de les sélectionner sur la base d’une suppression de l’hostilité à l’être humain, de sorte à faciliter les choses pour les uns comme pour les autres. L’expérience a commencé en 1959, et se poursuit toujours. Elle a pris un tout autre tournant.
Il ne s’agit plus de conquérir le marché de la fourrure, mais d’observer à l’œil nu le phénomène de domestication, et ce qu’il implique. Notre généticien s’est donc procuré un petit cheptel de renards sauvages, réduits à la captivité certes, mais aucunement apprivoisés. Et il a croisé ensemble uniquement les individus qui présentaient un comportement agréable. Curiosité, empathie envers l’attitude humaine, distance de fuite réduite par rapport à la moyenne de l’espèce. Ça vous rappelle quelque chose ? En fait, il a recréé « en laboratoire » l’évolution qui fut naturellement celle des proto-chiens au contact des premières communautés humaines.
Dans un premier temps, les renards étaient seulement soumis, plutôt que dociles. Ils se laissaient manipuler, même s’ils ne semblaient pas y éprouver un quelconque plaisir ou rechercher le contact humain. Et des spécimens tachetés sont apparus, aussi.
Dans un deuxième temps, ils se sont montrés de plus en plus amicaux, regardaient les chercheurs dans les yeux, les accueillaient par de petits jappements et se collaient à la grille au lieu de se terrer dans le fond de leur cage. Ah, et ils présentaient une queue enroulée.
Enfin, on a abouti aux spécimens actuels : de vrais toutous qui suivent les gens, veulent être portés dans leurs bras, répondent à leur nom, et jouent avec les enfants sans manifester la moindre agressivité. Et ils ont développé ce caractère amusant : des oreilles tombantes.
Marrant, non ? Quand on compare à la galerie en début d’article…
C’est ici qu’intervient la théorie qui fait mal au crâne. ^^ Le comportement animal a une origine physiologique : il est déterminé au moins en partie par des stimuli neurochimiques ou de nature hormonale (qui sont eux mêmes gouvernés par les gènes codants les hormones et neurotransmetteurs en question). Or on sait que ces mêmes stimuli influent sur le développement physique des individus. En supprimant de leur sélection les individus porteurs d’un comportement agressif, des caractéristiques hormonales qui justifient ce comportement, et des gènes qui induisent cet état hormonal, la présence humaine provoque donc une évolution qui est parallèlement comportementale, morphologique et génétique.
C’est du sérieux ^^ En analysant des prélèvements sanguins faits sur les renards, on a prouvé que leur dosage hormonal était différent de celui de leurs congénères sauvages.
- Moins de corticoïdes, et elles apparaissent plus tard : la période de socialisation, celle pendant laquelle le jeune individu peut être intégré à une « famille » d’une espèce différente, est plus longue.
- Plus de sérotonine, un neurotransmetteur ; c’est décisif pour l’empathie. Savez-vous que lorsque vous regardez un visage humain, vous visez automatiquement le côté gauche (par rapport à vous), plus révélateur de sa pensée ? Le chien fait pareil. Quand il regarde un visage humain. Pas quand il regarde un objet, ou même un autre chien.
L’évolution du chien lui a donné l’intelligence du cœur.
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