L
e moment que j’étais en train de passer ne pouvait être plus étrange : après m’être réveillée dans le lit d’un parfait inconnu, appris que j’avais été été droguée à mon insu par des garçons apparemment mal intentionnés qui cherchaient à profiter de ma faiblesse, après avoir été « sauvée » par un Austin sorti de nulle part, que je n’avais jamais vu, qui semblait être aussi sombre et torturé qu’un héros sorti tout droit d’un roman des sœurs Brontë, tel un Heathcliff moderne, qui venait de lancer une bouteille d’eau sur un miroir sans aucune raison apparente, alors qu’on parlait presque tout à fait normalement quelques minutes plus tôt. Il s’était ensuite mit à fixer les morceaux de glace tombés à terre, à moins que ce ne soit la petite mare qui ornait à présent son plancher, avant de se tourner vers moi, et de se mettre à me fixer, sans vraiment me voir. Comme s’il était en transe.
J’ôtais ma main de ma bouche, mais peu rassurée par la situation, je ne pus m’empêcher de me recroqueviller sur la chaise de bureau pas vraiment confortable, rapprochant mes jambes de mon buste, comme pour me protéger. De quoi ? Je ne le savais pas vraiment. Mais je me sentais de moins en moins à l’aise dans cette pièce, et le fait d’être incapable de « m’enfuir » puisque je supposais qu’en moins de cinq minutes, mes jambes n’auraient pas trouvé leur assurance. Je me sentais comme piégée. La meilleure solution, à mes yeux, me semblait de lui faire reprendre ses esprits. Enfin d’essayer. « Austin ? » Aucune réaction de sa part. Il me regardait toujours sans me voir. A moins que … Je me contorsionnais pour regarder ce qu’il y avait derrière moi, juste son bureau sur lequel était posé ce qui semblait être son ordinateur portable et une ancienne photo, lui et un autre jeune homme brun qu’il me semblait déjà avoir vu en compagnie des sœurs Pearce. Rien qui ne semblait expliquer l’intensité de son regard. Je me remis droite, face à lui, et ne put m’empêcher de me mordre la lèvre inférieure, totalement dépassée par la situation. Je me demandais un instant s’il ne m’avait pas en réalité menti, si cette histoire d’inconnu versant une substance dans mon verre n’était pas qu’un énorme canular, qu’il aurait lui-même versé dans mon verre, avant de me faire croire qu’il était celui qui m’avait tiré d’un vraiment mauvais pas. Après tout, j’avais la réputation d’être naïve, de croire les pires énormités sans vraiment me douter de la vérité. Il aurait pu en entendre parler et décider de me jouer un tour, de se jouer de moi. Et après avoir joué les chevaliers servants, voilà qu’il jouait le rôle du psychosé, celui qui dans les films arrachait des frissons aux téléspectateurs les plus courageux, le vrai méchant, celui qu’on n’attendait pas vraiment. Et je ne savais plus si je devais jouer le jeu ou lui faire comprendre que je l’avais percé à jour, et que ses tours ne faisaient plus effet sur moi. J’allais lui demander d’arrêter, de cesser sa stupide comédie. Mieux, de me ramener chez moi. Ce que j’aurai du faire tout de suite, je l’étonnais même de n’y avoir pensé plus tôt, mon esprit devait surement être trop embrumé pour avoir les idées claires, quand il me surprit une fois de plus.
De sa calme position assise, il se leva vers moi, et marcha droit vers moi. Les pires scénarios me traversèrent l’esprit et un éclair de terreur du surement passer dans mes yeux. Je l’imaginais me forcer à retourner sur le lit, me traiter de sotte d’avoir cru à sa supercherie, et même, allez savoir pourquoi, je crus qu’il allait lever la main sur moi. Mais son geste me décontenança. Encore une fois, il faisait tout sauf ce que je pensais qu’il allait faire. Il se pencha vers moi, les yeux à moitié fermés, et écrasa ses lèvres contre les miennes. J’eux un réflexe de recul et je levais les bras, prêt à le frapper pour le faire reculer, car je n’étais pas l’une de ces filles faciles qui se laissaient faire. Je ne voulais pas être embrassée, touchée sans avoir donné mon autorisation. Mais quelque chose m’en empêcha. Quelque chose dans son expression, qui encore une fois, me paru tourmentée. Ainsi que son geste. L’une de ses mains, légère, presque douce, frôla ma joue avant de se poser sur sa nuque, s’emmêlant au passage dans quelques unes de mes mèches blondes, ce qui me garda collée à lui. Je ne savais plus quoi faire, fermer les yeux ou les garder grands ouverts, ne sachant trop ce qui avait déclenché en lui ce rapprochement subit. Quand il s’écarta de moi, je restais quelques secondes sans rien dire, encore surprise, à moitié choquée, avant de murmurer un « Pourquoi ? »