+ Emma ☼ Memories are fresh

La vie était parfois étrange. Aidan pensait qu'il ne respirerait pas l'air de Cambridge de sitôt. Lorsque quelques mois plus tôt il avait eu l'opportunité de partir pour son art, il avait aussitôt tourné les talons. Laissant là souvenirs et nostalgies étudiantes. Ces quelques mois avaient radicalement changé son existence mais sa façon de penser également. Toutefois, à renouer avec les racines, le vent l'avait porté vers un endroit familier. Celui où sa ville d'enfance rejoignait ses années universitaires par un même fleuve. Le ciel était cotonneux comme en demi-teinte entre le sommeil et l'éveil, les branches nues dansaient lentement dans la petite brise mordante de janvier. Un bonnet solidement ancré sur sa tête et une écharpe recouvrant ses lèvres, Norrington déambulait presque comme un mirage du passé dans sa propre histoire. En parlant de mirage, il lui sembla bien en voir un nouveau lorsque des boucles brunes entrèrent dans son champ de vision. Il crut d'abord à une facétie de son imagination mais les pupilles incandescentes qui éclairaient le visage pâle étaient parfaitement reconnaissables. « Emma ! » lui lança-t-il avec un petit signe de main. C'est comme si, il n'était presque pas étonné de la voir là. Pourtant, elle avait elle-même quitté Harvard quelques semaines avant son propre départ. C'était comme si Cambridge possédait un aimant qui vous renvoyait toujours à lui. La jeune femme se rapprocha naturellement de lui et Aidan dégagea son écharpe du bas de son visage afin de laisser apparaître un grand sourire. « Je suis trop content de te revoir ! » affirma-t-il avant de la prendre dans ses bras. Aussi bizarre que pouvait être la situation, c'était bel et bien vrai, alors un peu de spontanéité ne faisait pas de mal.

Cela m'arrivait encore de me balader le long du grand cours d'eau. C'était calme et paisible, bien que l'eau soit affreusement polluée. J'avais décidé d'aller courir un peu pour m'aérer l'esprit. Depuis ma rupture avec Jamie, je vivais dans l'ombre. J'étais vraiment pas bien, je ne me reconnaissais plus. D'accord, j'avais quitté le pays pour des raisons personnelles, mais j'étais revenue avec le coeur lourd. C'était rare quand je touchais le fond, mais quand je le touchais, je creusais toujours. C'était à faire peur. Heureusement, j'avais retrouvé Jake. Ah Jake, c'était la raison du pourquoi je souriais aujourd'hui. C'était vraiment pas compliqué entre nous, on avait juste une relation libre et je pense que je commençais à l'apprécier de plus en plus. Grâce à lui, j'oubliais ma peine petit à petit. C'était comme si la vie me souriait à nouveau. J'arrêtais de courir une fois arrivée à mon point de repère. Je reprenais mon souffle et je fermais mon pull à capuche car il commençait à faire froid. Mes joues étaient devenues roses et de la fine buée sortait de mes lèvres. Soudain, quelqu'un m'appela. Je fronçais les sourcils en regardant un jeune homme me faire signe de la main. « Oh merde j'y crois pas! » un sourire énorme se dessina sur mon visage et je me mis à courir pour me jeter dans les bras d'Aidan. Ah mon Aidan. C'était pas n'importe qui. Il était à moi et à personne d'autre, je pouvais pas partager. J'étais tellement contente de le voir. Je reculais un instant et je le détaillais de haut en bas. Il n'avait pas bougé d'un poil. « Moi aussi, je pensais jamais te revoir... Tu peux pas t'imaginer comme ça me fait plaisir de te recroiser. J'arrive pas trop à le réaliser, mon cadeau de Noël aurait-il du retard? » riais-je en remettant ma queue de cheval en place. Oui, Aidan pouvait être mon cadeau de Noël, je le prends!

Il sentit ses fossettes creuser la peau de ses joues tellement son sourire était grand. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas ressenti une si grande joie. La surprise nourrissait le bonheur en quelque sorte et la réaction d'Emma était encore plus délectable. Peu de personnes étaient au courant de son retour car Norrington était homme de surprises et en observer les effets le ravissait au plus haut point. La Demoiselle se jeta dans ses bras et les mains masculines la soulevèrent quelques secondes de terre pour la porter contre lui, rien que pour lui. Il sentit l'odeur familière de sa peau et de ses cheveux et ses paupières se scellèrent comme pour s'imprégner des retrouvailles. Il posa la jeune femme de nouveau sur le sol et se recula comme pour mieux l'observer, comme si la normalité reprenait ses droits après une pareille effusion. « Il ne manque que le ruban, j'espère que tu ne m'en voudras pas ! » lui lança-t-il avec un clin d’œil complice. Emma était de celles avec qui il ne faisait pas semblant. Une privilégiée en somme. Il attrapa sa main volage, pour glisser ses doigts entre les siens et balancer un peu leurs mains comme le ferait les gamins. « Tu cours toi maintenant ? » Parce que la Emma qu'il connaissait était plus du genre à fumer des joints dans des soirées dépravées. En fait, il se fichait un peu de ses choix mais il retrouvait tout naturellement le plaisir de la titiller.

Si j'avais su que je croiserais un Aidan à chaque fois que j'allais courir, je serais venue plus souvent. Cela me faisait un bien fou. Peu importe ce qu'il avait fait pendant son absence, on avait tous nos petits secrets. J'étais pas la meuf qui allait l'ignorer ou ne pas lui pardonner. Faut aller de l'avant. Je l'avais déjà perdu une fois, il était venu à Harvard et on avait pu se retrouver. On avait craqué à s'envoyer en l'air mais j'en gardais toujours des bons souvenirs. Après j'ai été en couple avec Jamie et j'ai pratiquement laissé filer Aidan de ma vie. J'avais des regrets oui, mais cela faisait partie du passé maintenant. Le revoir me faisait vraiment bizarre, ma tête était un peu dans les nuages. « Sois pas bête. Je ne t'en veux pas, on a tous besoin de s'éclipser un jour ou l'autre. » je ne savais pas s'il était au courant que j'étais partie pendant quatre mois. Aidan attrapa mes mains pour jouer avec. C'était bien le seul mec sur terre qui pouvait recevoir un peu de tendresse de ma part. J'étais pas comme ça d'habitude. « Ouaip, je me mets au sport pour me changer les idées. J'essaye de limiter ma consommation de drogue. » répondis-je amusée, alors que je disais pas du tout la vérité. Je fumais encore plus. Je regardais mon ami en souriant. « Il faut qu'on se fasse un petit truc pour nos retrouvailles! Bon je suis pas dans la plus parfaite des tenues mais j'ai bien envie de boire, de m'amuser comme avant. » comme avant genre no limits. J'espérais qu'il était toujours dans ce domaine de fumer et tout le tralala, sinon j'allais devoir trouver autre chose.

Elle ne lui en voulait pas et cela le rassurait, parce que pour lui si une personne pouvait bien comprendre ça, c'était elle. Il eut un petit sourire en posant ses yeux sur le visage de la Mather. « Et toi, tu étais passée où ? » Parce que lorsqu'il avait quitté Cambridge, Emma n'était déjà plus là. Cela lui avait fait bizarre, mais en même temps, ils s'étaient un peu éloignés depuis son histoire avec Jamie et depuis son histoire à lui avec Jackie. Parce que leur relation n'était finalement pas très compatible à côté d'histoires sentimentales, même si la leur n'en était plus une vraiment à proprement parler. Le lien était à leur image finalement, bizarre, indescriptible, à la fois proche et lointain mais quoi qu'il en soit puissant. Il ne crut pas vraiment à son vœu de baisser sa consommation de stupéfiants, c'était pas le genre de la maison dirons-nous. Il répondit à son sourire en adoptant la même mimique. « Je te propose de passer chez moi, on pourra boire un truc, fumer aussi et puis tu pourras te laver si tu veux. » Il haussa les sourcils en admirant sa tenue de sport, la situation le prêtait presque à rire. « Et faut que je te montre l'endroit que je me suis trouvé, tu vas être jalouse. C'est fini pour moi les chambres de confrérie. » Parce que Aidan avait changé de statut, mais surtout sa récente réussite dans le milieu de l'Art lui avait permis d'entasser un sacré paquet de pognon et de se trouver un super appartement dans l'esprit loft. Un endroit qu'il avait tout de suite adopté et qui lui permettrait de donner libre cours à sa création. « ça te va ? » demanda-t-il en attendant sa réponse. Il voulait pas non plus qu'elle se fasse des films ou quoi, bien entendu, il proposait ça en tout bien tout honneur, tout à la joie de retrouver sa complice d'antan.

Aha, le sujet fâcheux arrivait. J'aurais préféré qu'il ne pose pas la question mais bon, c'était Aidan, je pouvais pas lui cacher éternellement mes petits secrets. J'haussais les épaules en accompagnant mes paroles, comme pour montrer que ce n'était pas super grave. Je souris lorsqu'Aidan me proposa d'aller chez lui. Evidemment que j'allais accepter, j'espérais justement qu'il allait m'inviter chez lui. C'était plus calme qu'ici et personne ne pouvait nous faire chier. Ces moments-là, c'était Emma et Aidan contre le reste du monde. « Et bien, dans ce cas, faisons ça! J'ai hâte de voir où tu habites. Tu insinues que je pue? » je venais de faire du sport donc la douche sera avec plaisir, je disais ça pour le taquiner. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me dise qu'il ne vivait plus dans les confréries. C'était quand même l'ancien président Lowell. C'est vrai que les maisons étaient fermées pour le moment, mais ce n'était que temporaire. Je me mettais à marcher à ses côtés en foutant mes mains dans les poches de mon pull. « Ah bon? Tu n'es plus chez les lowells? Ohh viens chez les mathers, je suis sure que t'amuserais comme un fou!» c'était pas la première fois que je l'incitais à venir dans la maison que j'avais présidée l'année dernière. Aidan avait le profil parfait, sérieux, j'ai jamais compris pourquoi il avait préféré les lowells. Bon d'accord, c'est un dieu en art, il était excellant. Mais il aimait tout autant faire la fête, d'après mes souvenirs.

Emma restait Emma. Et la Mather aimait garder sa part de mystère si bien qu'il ne fût même pas surpris qu'elle ne donne pas d'explications sur sa disparition, du moins à part son petit haussement d'épaules. Elle aimait pas se justifier, s'excuser ou même expliquer et c'est ce qu'il aimait chez elle, puisqu'en plus elle se comportait pareillement avec vous en retour. Il l'incita d'un geste du bras à la suivre tandis qu'ils amorçaient le chemin vers chez lui, vu qu'elle avait accepté de le suivre. Il eut un petit rire quand elle évoqua son odeur. « J'osais pas te le dire, mais tu pues ! » Il la regarde en coin, la malice transparaît de ses prunelles. « Et c'est diablement attirant » ajoute-t-il avec provocation. Une douche calmera bien des ardeurs selon lui. Mais en vrai, il veut surtout qu'elle soit confortable. Naturellement, elle l'interroge sur son départ des Lowell. Rejoindre la Mather, ça aurait pu être une idée, et peut-être même une option si il avait été encore étudiant, il avait toujours beaucoup aimé l'ambiance des Verts et y avait pris d'ailleurs des cuites mémorables, mais pas que. « Non en vrai j'suis plus étudiant. » annonça-t-il d'abord avant de diriger son regard vers Emma. « Je vis de ma peinture et je vais donner un cours au deuxième semestre. » Il mordille sa lèvre comme si il venait de commettre un affront. « Ils sont dingues à Harvard non ? Je sais pas ce que prend le Doyen mais ça doit être de la bonne. » Parce que Aidan Norrington professeur, ça va faire en grincer plus d'un.

Bon, et bien, j'allais passer un moment sympa avec Aidan, et franchement j'en avais bien besoin. Il n'avait pas changé, à part ses cheveux peut être, il essayait un nouveau style. Mais j'veux dire par là, qu'il était toujours aussi attirant. Ce peintre mystérieux et à la fois bad boy, j'en gardais des bons souvenirs. Je lui fis une tape dans les côtes lorsqu'il affirmait que je puais. Je riais avec lui, ça faisait tellement longtemps. « Ma sueur te fait toujours autant d'effet. » répondis-je amusée. C'était crade ou c'était drôle ce que je venais de dire? Car bon, on a quand même couché ensemble pas mal de fois. Mes yeux doublèrent de volume lorsque j'apprenais qu'il n'était plus étudiant. Sérieusement? Mais qu'est-ce qu'il foutait ici? Je le regardais en soupirant d'un air idiot, comme s'il venait de me dire une blague pourrie. « Toi prof? J'ai du mal à te croire. » mais c'était peut être vrai. Je savais pas ce qu'il avait pris comme drogue pour le moment le Doyen, mais il foutait vraiment que de la merde, surtout avec ces agressions et la fermeture des maisons. Quoi qu'il en soit, je suis certaine qu'Aidan ferait un bon professeur. Je pensais juste qu'il voulait se lancer dans une carrière solo à perfectionner son art pour plus tard. Arrivés devant chez lui, je jouais ma petite curieuse. « Et sinon... comment elle s'appelle ta copine? Ne me dis pas que tu es tout seul, je peux pas te croire. » lançai-je avec un sourire ravageur. C'était bien mon premier copain avec qui je m'entendais si bien, même séparés.

La vie était surprises et la dose d'inconnu qu'offrait chaque jour était ce que Aidan préférait dévorer. Il avait simplement projeté de faire un petit tour dans cet endroit cher à son enfance et voilà qu'il y avait rencontré un amour qui ne datait guère de beaucoup plus tard. Le temps avait fait son œuvre et bien à contrecoeur ils avaient grandi, ou tout du moins avait-il essayé pour sa part, mais à retrouver la jeune Mather lui laissait cette étrange et douce sensation qu'il demeurait toujours ce qu'il avait été autrefois. « Toujours. » lui rétorqua-t-il d'un regard en biais et d'un sourire en coin. La réaction qu'il attendait face à l'annonce de son professorat se déroula bien comme pensée. La vérité c'était que Norrington avait eu bien trop d'orgueil pour refuser une offre de la sorte, même si professeur était un peu le dernier métier qu'il avait envisagé. « T'inquiète, c'est juste pour le semestre, après je retourne définitivement qu'à mes pinceaux. » lui lança-t-il nonchalant. « On y est. » Ils étaient effectivement devant la porte du loft dans lequel il habitait désormais et tandis qu'il cherchait les clés dans sa poche, la jeune femme lui posa une question qui lui arracha un sourire. Il ouvrit la serrure et d'un geste l'invita à entrer. Une fois à l'intérieur, Emma pouvait contempler un peu de son bordel étalé un peu partout, et des toiles, des toiles, des pinceaux, ci et là des pots de couleur, des étoffes abandonnées, quelques fleurs et des journaux. Une tanière d'artiste quoi. « Ma copine elle a beaucoup de prénoms en ce moment si tu veux savoir. » lui répondit-il enfin avec un grand sourire. Avec Emma, il pouvait être honnête, et c'était une façon de lui dire qu'il ne vivait rien de sérieux en ce moment. Surtout pas.