How you leave me breathless feat ELYNN

Son appartement n'était qu'à quelques pâtés de maisons ; dans le pire des cas, il se ferait violence pour faire le tout à pied. Il se souvenait bien avoir laissé la plaquette des horaires du bus sur la petite table, devant la TV. Depuis le temps qu'elle traînait là, il aurait dû se douter qu'elle lui serait plus utile dans la poche de son manteau. Thomas ne prenait que rarement le bus, il préférait généralement se déplacer à pied et croisait toujours du monde qu'il connaissait sur le chemin. L'avantage d'habiter à Harvard Square était que le quartier était non seulement vivant mais proche de toutes les commodités. Par la porte ouverte, Thomas observait Elynn qui était visiblement sur le départ. Mme Nelly lui sourit d'un air contrit, les bus qui circulaient respectaient désormais les horaires de nuit, si bien que la prochain n'arriverait pas avant une bonne heure. Une vendredi soir en plus, c'était bien sa veine. Il se préparait mentalement à affronter la nuit en quittant la maison de sa cliente. Il leva les yeux vers Elynn et masqua à peine son sourire :
- Si tu vas du côté d'Harvard Square, je t'avoue que ce serait une bonne nouvelle. Il ajouta, non sans une idée derrière la tête, mais si tu as un rendez-vous, je voudrais pas te mettre en retard. Je peux rentrer à pied.

La maison de Mme Nelly était un peu excentrée de la ville, au Nord-ouest. Dans une résidence très calme construite dans les années soixante mais très bien entretenue, elle avait les avantages de la ville ainsi que ceux de la campagne, ou presque. Aucun bruit n'existait après sept heures du soir, en dehors que quelques rares voitures qui roulaient au pas, et la journée, pleins d'enfants se baladaient dans les rues à vélo ou à trottinettes. Le quartier où vivait Elynn était très différent, mais elle appréciait beaucoup la ville de Cambridge.« Aucun problème, j'ai fais tout ce que j'avais à faire aujourd'hui pour pouvoir travailler mes cours ce soir, donc je ne suis pas pressée ! » Elle réfléchit et se dit qu'elle pourrait d'ailleurs faire d'une pierre deux coups, avant d'ajouter « Surtout qu'il y a un traiteur de poisson dans ton quartier, qui fait du saumon à tomber ! Je vais en profiter pour me faire un petit plaisir » Elynn rit, parce qu'elle avait soudainement très faim, qu'elle avait hâte de rentrer chez elle se faire cuire un pavé de saumon, comme en Norvège, et aussi parce que Thomas n'en avait probablement absolument rien à faire de ce qu'elle allait manger ce soir là. ELynn n'était pas vraiment du genre réfléchie, à penser longtemps avant de dire les choses. Souvent critiquée pour son manque de tact, elle ne se posait même pas la question de ce qui se disait ou pas.
Les deux étudiants montèrent donc dans la voiture.

C'était sans doute l'un des rares soirs de la semaine où Thomas n'avait rien prévu. Il rentrerait se mettre au chaud et finirait sur le canapé, à la recherche d'un programme un peu moins inintéressant que les autres à la TV. De la lumière filtrait sur le perron et dessinait un carré de lumière sur les chaussures de l'étudiant. Thomas s'empressa de fermer derrière lui, laissant Mme Nelly assise dans sa cuisine. Il retrouva Elynn près de sa voiture :
- Le traiteur sur la 5ème ? Thomas avait déjà eu l'occasion d'aller y faire quelques emplettes d'appoint, une fois ou deux. Il ne pouvait qu'aller dans son sens. A cette heure-ci, son estomac n'aurait rien eu contre un beau pavé de saumon. Il jetterait un coup d'oeil dans le frigo en arrivant, ça lui avait donné envie de poisson. C'est vrai qu'il fait des pavés comme personne. Thomas ouvrit la portière du côté passager et attacha sa ceinture, pas vraiment habitué à se faire conduire. Les bouchons de l'heure de débauche avaient laissé place à des rues vides, mais des restaurants animés en bordure de route. Thomas posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'il avait débarqué dans le salon de Mme Nelly :
- ça fait longtemps que tu connais Mme Nelly ? Il aurait mille fois préféré lui poser des questions sur elle, sa vie à Cambridge mais se cantonnait à faire la conversation, pour ne pas le gêner.

Les deux jeunes gens prirent donc la route en direction de la ville, laissant le calme de ce quartier fort agréable. Elynn, qui avait en général tendance à conduire la tête dans la Lune, (pour ne pas dire dangereusement), faisait très attention à la route, aux panneaux de signalisation, aux feux de croisement et surtout aux autres voitures. Elle ne dit donc rien durant les premières secondes, pour ne pas créer d'accident. Lorsque Thomas lui posa la question, elle s'efforça de réfléchir à la question sans tuer personne « Un peu plus de six mois il me semble. J'ai commencé à travailler pour elle assez rapidement après être arrivée en fait.. Au début j'allais chez un monsieur, mais il est mort quelques semaines après, et depuis je vais chez Nelly. » Toujours en souriant, la jeune femme tourna la tête vers son interlocuteur, puis regarda de nouveau la route. Elynn avait encore un peu de terre sous les ongles, et se fit la remarque qu'elle irait prendre sa douche pendant que le saumon cuirait à petit feu. De toute façon, vu la taille de son appartement, elle pouvait surveiller ce qu'il se passait dans la cuisine en prenant une douche sans problème !

Elynn semblait l'écouter d'une oreille distraite, les yeux fixés sur la chaussée. Thomas s'imaginait de nouveau au volant de la vieille Ford ; il avait eu le privilège de voyager à son bord, le temps de faire le trajet jusqu'au quartier de sa cliente. Il ne reconduirait pas une merveille pareille de sitôt. Un peu plus tôt, assis dans le salon de Mme Nelly, Thomas s'était demandé pour quelle raison Mme Nelly semblait accorder un intérêt presque sans borne à cette Ford Mustang. Certainement pour des raisons personnelles, il y avait de ces objets qui nous rappelaient une époque, un lieu ou une personne. Les lumières du soir dansaient sur la vitre, côté passager. Il tournait la tête pour apercevoir une Elynn concentrée :
- Je suis désolé...On voit que vous vous entendez bien avec Mme Nelly. Même ma mère ne me laisserait pas toucher à sa théière ! Il essayait de la faire sourire. La route tournait soudain sur la gauche, signe qu'ils se rapprochaient du quartier de résidence de Thomas.
- J'habite l'appartement du milieu, précisa l'étudiant, en désignant son bâtiment d'un signe de la main.

La voiture roulait à une allure modérée, et, toujours concentrée, Elynn essayait quand même de tenir la conversation, histoire de cacher au maximum au jeune homme, qui ne la connaissait pas encore vraiment, qu'elle était incapable de faire deux choses en même temps. Lorsqu'il lui montra un batiment en disant qu'il s'agissait de celui dans lequel il vivait, Elynn fut à la fois soulagée et déçue. Le trajet s'était déroulé beaucoup plus rapidement qu'elle n'aurait pensé « J'aime beaucoup cette rue, elle est très agréable » Dit-elle en se garant plus ou moins agilement. Lorsque la voiture fut arrêtée complètement, elle ajouta en souriant« Te voilà arrivé en vie à ton domicile, je suis assez fière de moi sur ce coup là ! » Elynn ricana une seconde avant de continuer « En tout cas j'ai été ravie de faire ta connaissance » Et c'était vrai, en plus d'être physiquement très agréable à regarder, il avait l'air adorable et intéressant. Pour autant, elle se doutait qu'il s'agissait d'une rencontre éphémère, une personne qu'elle ne reverrait probablement jamais, comme elle ne l'avait jamais croisé auparavant.

Il lui semblait que le trajet n'avait duré que quelques minutes. Il fallait dire que Thomas était habitué à le faire en bus ou à pied, ce qui rallongeait d'autant le temps de trajet. Le quartier était tranquille et étonnement calme pour un vendredi soir. Elynn se gara à quelques mètres de l'entrée de l'appartement du jeune homme ; il en venait à regretter d'être déjà arrivé chez lui.
- Parce qu'il y en a qui ne sont jamais revenus vivants, plaisanta l'étudiant, le sourire aux lèvres. Il y avait quelque chose de réconfortant, de quasi-familier dans la voix posée d'Elynn. Merci de m'avoir raccompagné. Si tu as besoin de quoique ce soit, n'hésite pas. Elle avait débarqué à Harvard quelques mois plus tôt, c'était la moindre des choses. Il espérait la recroiser à la fac. Il posa la main sur l'ouverture la portière et descendit sur la chaussée humide, les mains dans les poches de son manteau. L'air s'était nettement rafraichi. Avant de refermer la portière derrière lui, il baissa la tête pour apercevoir le visage d'Elynn.
- J'ai été ravi aussi. Il attendit que la voiture redémarre et la regarda s'éloigner rapidement dans l'air du soir avant de prendre le chemin de son appartement, désert.