How you leave me breathless feat ELYNN

Il avait bien fait de ne rien prévoir ce vendredi soir. L'horloge de la cuisine indiquait qu'il était 18h, c'était même étonnant que le soleil soit toujours aussi haut dans le ciel à cette période de l'année. Elynn parlait peu, mais Mme Nelly se chargeait rapidement de répondre à sa place. A priori, la jeune femme n'était pas une américaine pure souche, comme lui, c'était donc ça ce petit accent qu'il avait crû déceler dans sa voix en arrivant. Même s'il se gardait bien de le montrer, l'accent de la jeune femme le faisait complètement craquer. Ses yeux clairs ne le laissait pas indifférent non plus, il s'empressa donc de reporter son attention sur Mme Nelly.
- Parler de son histoire n'est jamais parler de vieilleries, répondit l'étudiant avec un grand sourire. C'était ce qu'il appréciait le plus dans ses études, l'étude du mécanisme de mémoire d'un individu. Des décennies de souvenirs emmagasinés dans un coin de son esprit, capables de surgir des années plus tard. La bourde, il ne s'était d'ailleurs pas présenté en se pointant chez sa cliente !
- Excusez-moi, j'ai complètement oublié de me présenter tout à l'heure. Il se sentait légèrement idiot. Thomas, j'étudie à la faculté d'Harvard en semaine, et je répare des Ford le week-end, termina-il, tout sourire.

HS:

Le bel inconnu, qui ne l'était plus tant à présent, s'appelait donc Thomas et étudiait à Harvard, comme Elynn. Ce prénom ne lui était pas étranger non plus car c'était un prénom assez commun en Europe. Elle admira, plus ou moins discrètement son sourire et son regard, très doux et pleins de bienveillance l'un et l'autre. C'était un homme très agréable à regarder, et elle se demanda si il l'était tout autant à écouter « Qu'étudies-tu à Harvard ? » Harvard était une très grande université, en tout cas les étudiants y étaient très nombreux, si bien qu'elle ne fut pas étonnée d'apprendre qu'il y était sans jamais l'avoir croisé. Mme Nelly n'ajouta rien, sirotant tranquillement son thé, probablement attendrie par la remarque de Thomas à propos des vieilles histoires. Elynn savait qu'il était le genre de personne polie et bien élevée que cette femme appréciait particulièrement. Cette femme de caractère qui avait élevée cinq enfants et douze petits enfants à la perfection aimait le respect et la franchise.

HS:

Le regard de Mme Nelly se perdait dans la tasse de thé fumante qu'elle tenait dans les mains. Thomas aurait dû mal à lui donner un âge, mais les marques apparentes sur ses mains indiquait qu'elle avait déjà vécu un certain nombre d'années. Il appréciait sa façon de lui parler, ça lui rappelait parfois certains mots de sa propre mère. ça lui changeait de certains clients qui lui prenaient les clés dans les mains et réglaient leur dû sans un mot de remerciement. Et s'il n'était pas passé chez Mme Nelly ce soir ? Aurait-il croisé Elynn ? Thomas plongea ses lèvres dans le café bien chaud et plongea son regard dans les yeux malicieux de la demoiselle. Il se demanda, l'espace d'un instant, si elle avait remarqué qu'il ne s'attardait que quelques minutes sur elle. A vrai dire, elle le troublait.
- Les neurosciences. Je connais d'autant plus la valeur des souvenirs, dit-il avec un sourire pour Mme Nelly. Dans le cadre d'ateliers pratiques, il avait l'occasion de travailler sur des cas concrets et savait plus que quiconque que les souvenirs nous construisaient.
- Tu connais la faculté ? demanda t-il avec curiosité.

HS:

Les sciences étaient réellement un domaine mystérieux pour Elynn, qui connaissait à peine ses tables de multiplications et qui avait seulement de vagues souvenirs de cours d'anatomie au collège.. Mais elle trouvait ça très brillant, d'autant plus qu'en général les études étaient longues et difficiles pour avoir un métier convenable dans cette branche. Du moins, c'était ce qu'elle avait entendu dire de certains étudiants. « Oui, en effet. Et c'est pour faire quoi par la suite ? » Peut-être allait-elle passer pour une imbécile, mais ce genre de chose l'importait peu. En dehors de neuroscientifique elle ne voyait pas quel métier ressortissait de ces études. « Je connais un peu, j'y étudie l'histoire de l'art depuis janvier dernier » Mme Nelly touillait son thé avec une gousse de Vanille qu'elle venait de prendre dans un pot en verre, à côté de celui où se trouvait le sucre. Cette femme était réellement surprenante. Un jour, alors qu'elle faisait un potage pour ses petits enfants, Elynn la surprit en train d'ajouter du caramel dans l'énorme cocotte.

HS:

5 ans déjà que Thomas sillonnait les couloirs de la fac, allant d'amphi en amphi de 8h à 17h. S'il y avait bien une filière énergivore à Harvard, c'était les neurosciences. Pour les besoins de sa formation, l'étudiant avait même effectué un voyage d'études à New York, quelques mois auparavant. ça lui plaisait de se dire qu'il pourrait exercer un peu partout autour du globe, une fois son diplôme en poche. Il rêvait de partir à l'étranger, quelques temps. Il posa sa tasse chaude sur la table pour répondre à Elynn.
- Plutôt de la recherche, je ne me sens pas de tenter un cursus de neurochirurgien. Sa culture sur le sujet des terminaisons nerveuses avait beau être plutôt étendue, faire face à des situations d'urgence et des vies à sauver le laisserait certainement dans un profond état de stress. Même s'il était habitué à traiter des urgences de temps à autres - Thomas possédait un diplôme de secouriste - c'était autre chose de se retrouver dans une salle d'opération avec un patient inconscient.
- Il y a de gros besoins en matière d'étude des troubles psychiques, du rôle de la conscience dans la guérison...Le cerveau est vraiment surprenant !
Son sourire s'élargit ; Elynn suivait un cursus à Harvard. Ce qu'il traduisit par une chance de plus de la revoir, hors des quatre murs de cette maison.
- Je ne connais pas du tout comme cursus, ça a l'air très littéraire...

HS:

De la recherche, du cerveau.. Tant de sujets auxquels Elynn n'y connaissait rien ! Très curieuse, elle eu envie de lui poser des dizaines de questions à propos de tout ça, mais n'osa pas, de peur d'ennuyer Thomas. A la place, elle fit un large sourire « ça a l'air réellement passionnant.. Les maladies comme Alzheimer ou Parkinson sont encore tellement mystérieuses pour l'Homme, si difficile à soigner et pourtant si répandues... Je trouve que c'est exemplaire de prendre une telle voie ! » Jetant un coup d'oeil à la propriétaire des lieux, qui semblait ne même plus écouter la conversation tant elle paraissait concentrée dans la contemplation de son thé -Mme Nelly avait, comme Elynn, une fâcheuse tendance à se laisser aller dans ses pensée- cette dernière expliqua brièvement « En effet, je suis plutôt littéraire de toute façon.. Beaucoup de musées, de livres, d’œuvres d'art en tout genre.. C'est très vaste comme domaine. » Elle imaginait un futur plein de romans et d'aventures, quelque peu idyllique, certes, mais si elle arrivait à avoir un diplôme correct, elle pourrait voyager pendant quelque temps et écrire des romans en tout genre ! Ou alors, devenir conservatrice de musée, auquel cas il faudrait qu'elle se spécialise dans l'histoire, propriétaire d'une salle d'exposition réputée, peut-être même travailler dans l’événementiel artistique... Tant d'options pour cette jeune femme qui n'avait jamais réussi à voir plus loin que le jour suivant...

Il s'était retrouvé en neurosciences, sans même savoir pourquoi. Ce n'était pas une question de gènes, ces parents étaient tous les deux de mondes différents : l'administratif et les affaires. Il s'était forgé son parcours sans aucune pression parentale : à 16 ans, il savait surtout qu'il ne voudrait jamais finir comme son père. Accro au travail, toujours pendu au téléphone, les bras croisés et les traits tirés au-dessus de son éternel bureau en acajou. Commencer ses études à Harvard avait été une véritable bouffée d'oxygène ; il menait sa vie comme il l'entendait entre les cours, les séances de sport, les sorties entre copains et son "travail" de garagiste. Mme Nelly semblait ailleurs et écoutait les deux étudiants, sans plus intervenir.  
- ça l'est, tenta t-il de la convaincre en souriant. Dans ce domaine, il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir et à comprendre. Le contact avec la tasse de café chaude avait quelque chose de familier. Il avait beau se trouver dans un salon qu'il ne connaissait pas, qui plus est entouré de deux étrangères, Elynn avait le don de mettre son invité à l'aise. L'étudiant hocha la tête en essayant de cerner la jeune femme qui lui faisait face.
- ça a l'air plutôt pointu comme discipline. ça voulait certainement dire : se tenir au fait de la moindre exposition, vernissage, sortie de bouquins...Alors que Thomas se limitait à quelques émissions sportives et au journal télévisé à la TV, il reconnaissait aisément que la culture n'était pas son fort. Thomas sentit son téléphone vibrer dans sa poche, mais ne fit aucun geste pour le chercher dans le fond de sa poche.

L'odeur de café remplissait à présent la pièce, bien plus forte que celle du thé, bien qu'une pointe de vanille agrémentait l'arôme de l'air. C'était une senteur très familière à Elynn, qui l'avait sentit avec délectation chaque matins de son enfance. Synonyme de doux réveil et de merveilleux dimanches, ce parfum lui était presque familial. Après avoir bu une nouvelle gorgée de la boisson chaude en écoutant Thomas, elle rebondit sur ses dires « Elle peut l'être oui. Elle l'est, la plupart du temps. Mais paradoxalement, l'art peut aussi être quelque chose de très confu, imprécis, subjectif.. » Elle réfléchissait en parlant, ce qui créait presque une hésitation dans sa voix « L'art que l'on apprend à connaître en cours est bien moins abstrait que celui qu'on découvre en dehors... » Cela ne devait pas parler beaucoup au jeune homme, ce qui fit taire Elynn à ce sujet. Elle tourna alors la tête et vit que le soleil était bien plus bas à présent. En effet, la pendule de la cuisine annonçait alors presque vingt heures.« Il est plus tard que je pensais ! » La jeune femme, qui avait fini sa tasse alla la rincer dans l'évier puis ajouta à l'intention des deux autres personnes « Je suis désolée, je vais devoir partir. N'oubliez pas Votre soupe est déjà prête, elle est dans le frigidaire Nelly. » Elle sourit au jeune homme et attrapa sa veste qui se trouvait sur le dossier de la chaise.« Je reviendrai jeudi vous voir, comme prévu. »

Thomas contemplait le fond de sa tasse de café, désormais vide. La soirée était passée plus vite qu'il ne l'avait imaginé, c'était la première fois qu'une cliente l'invitait à se poser un peu, après des heures de travail sur son véhicule. Il devait en être à sa quatrième tasse de café de la journée ; en ce moment, il avait du mal à tenir pendant 4h de cours magistral sans son breuvage bien chaud. Plutôt manuel et très cartésien de nature, l'Art était un domaine qui ne parlait pas beaucoup à Thomas. Ce qui le choquait, c'était surtout de voir un tableau qu'il considérait, de son oeil de pur amateur, comme basique - blanc avec quelques tâches rouges éparses - se vendre à une somme astronomique. Pendant ce temps-là, des hôpitaux croûlaient sous les dettes et les services fermaient leurs portes les unes après les autres, faute de moyen. C'était comme dans toute discipline, il y avait aussi de véritables talents que ce soit en sculpture, peinture ou écriture. L'artiste qui arrivera à vous faire ressentir une émotion lorsque vous entamerez son roman, par exemple...
- A chacun sa façon d'appréhender l'Art je crois, tout dépend de ce qu'on en attend. Elynn semblait véritablement inspirée par sa formation, autant que Thomas pour les neurosciences. C'était ce qu'il manquait de nos jours, des étudiants convaincus.
- Je te crois volontiers, dit-il en souriant. L'étudiante détourna le regard et fixa la pendule quelques instants.
- Déjà 20h ? dit-il en suivant son regard. Il avait certainement raté le bus à cette heure-ci et allait devoir poireauter avant d'avoir le prochain. Suivant le mouvement, il se leva pendant qu'Elynn récupérait son manteau.
- Merci pour l'invitation Mme Nelly et profitez bien de votre Ford, elle est comme neuve !. Sur le point de prendre congés, il se retourna à quelques mètres de la porte d'entrée.
- Vous savez à quelle heure passe le bus le vendredi soir ?

 Alors que le jeune homme demandait les horaires de bus à Mme Nelly, Elynn attrapa son sac qui était dans l'entrée de la maison et y chercha ses clés de voiture. Bien sur, elle ne les trouva qu'après plusieurs minutes, lorsque l'intégralité de son contenu fut étendu sur le capot de la vieille voiture de la jeune femme, et que, comme dernier espoir, elle pensa à chercher dans les poches de sa veste. Elle inséra ensuite la clés dans la portière et l'ouvrit, à l'ancienne, avant de proposer à Thomas, qui venait de sortir de la maison« Je vais vers l'Est, tu veux que je te ramène ? » Elle lui sourit, souhaitant lui rendre service, et passer un peu plus de temps avec lui au passage. Elle avait envie d'apprendre à le connaître un peu mieux, il semblait être quelqu'un de bien et n'était pas désagréable à regarder par la même occasion. Pourtant, Elynn voyait déjà plus ou moins un garçon en ce moment, mais cette relation était comme toutes les autres : vaporeuse, indécise et fantaisiste. Elle appréciait les relation légères, sans trouble. Le genre de liaison qui ne durait jamais très longtemps, mais qui était emplie de beaucoup de tendresse et de douceur. Pourtant, malgré l'amitié profond et l'attachement qu'elle avait pour ces garçons, elle n'éprouvait jamais rien de plus.