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GRAHAM BRETT SINGLETON
« Pourquoi tu as fait ça ? Graham, réponds moi, pourquoi ? » Ma main reste appuyée contre cette vitre solide qui me sépare de ma mère, je peux lire l’incompréhension dans son regard, la colère, la peur. La déception est omniprésente et c’est ce qui me brise le cœur. Je ne mérite pas cela, elle non plus d’ailleurs, pourquoi ne peut-elle pas comprendre ? Je suis un monstre, je le sais, j’ai tué mon père de sang-froid mais il a fait de ma vie un enfer, c’était lui ou moi ce soir-là et j’ai décidé de vivre… Oui, je n’ai pas eu le temps de réfléchir à ce que je faisais, lorsqu’il s’est avancé en tenant fermement le couteau de cuisine d’une main j’ai compris qu’il n’y aurait plus d’échappatoire. L’alcool l’a rongé, non, ça l’a ravagé, il a perdu la tête et perdre son travail l’a enfoncé dans une sphère infernale. Combien de coups de poing ont pris ma mère, ma sœur ? Combien de coups ais-je moi-même pris dans les dents ? Les médecins ne se sont pas manifestés à mon procès juste pour dire d’y assister, ce sont eux qui m’ont recueilli pendant des mois après chaque mauvais coup. Je n’ai jamais rien dit de ce qui m’amenait ici, il n’y a qu’à cette infirmière que j’ai confessé dans un moment de faiblesse une abominable vérité. Il m’a brûlé avec un tisonnier, il m’a frappé, m’a pété des côtes… Il a détruit ma vie et cette nuit-là je me suis libéré sans même le comprendre. Tout s’est passé tellement subitement, nous étions dans ma chambre, je tentais de retenir son poignet, la pointe du couteau flirtait dangereusement avec ma cage thoracique et menaçait de s’y enfoncer d’une seconde à l’autre. Je n’ai pas réfléchi, je l’ai repoussé d’un coup de pied et il a traversé la porte-vitrée menant à mon balcon. J’ai repensé à l’état dans lequel il se met après chaque nuit, le lendemain lorsque l’alcool redescend et qu’il se rend compte de ce qu’il a fait. Il m’a supplié de le pardonner à chaque fois et je l’ai bêtement fait, j’ai cru qu’il ferait en sorte de se soigner mais ça n’a tout simplement jamais été le cas. L’alcool n’était qu’une excuse et il ne s’est jamais débarrassé de ses vieux démons. Je me suis relevé cette nuit-là, le tee-shirt déchiré par la pointe du couteau lorsqu’elle s’est abattue sur mon corps la première fois, j’ai le bras qui me démange, il me fait souffrir et c’est en tournant la tête pour comprendre pourquoi que j’aperçois le sang s’écouler abondamment. Dans l’adrénaline du moment je n’ai même pas remarqué qu’il m’avait poignardé lorsque je suis entré dans ma chambre pour lui échapper, je n’ai pensé qu’à appeler ma mère pour lui dire de ne surtout pas rentrer, de rester chez son amie avec ma petite-sœur. Je n’ai pas eu le temps d’atteindre le téléphone, il m’a poignardé et je me suis étalé par terre, suppliant pour ma vie. N’ai-je pas été pitoyable ? J’aurais pu le confronter, le retenir, je pèse vingt kilos de plus que lui, je suis entièrement fait de muscles mais je me suis rattaché à l’image de mon père dix ans en arrière, lorsque tout allait encore bien. C’est dingue ce que les gens peuvent changer en quelques années. « Réponds-moi ! » Elle me regarde sévèrement à présent, je sais qu’elle attend des réponses mais sera-t-elle réellement satisfaite de ce que je lui confierais ? Lorsque mon père s’est relevé sur le balcon, plus en colère contre jamais je l’ai plaqué et le couteau s’est retourné contre lui à cause d’une putain d’impulsion. Je l’ai poignardé dans le flanc et il a traversé le balcon, la chute a été rapide et mortelle. « Il allait finir par nous tuer, tu le sais, combien de fois il a manqué de te laisser sur le carreau ? » Je ne suis pas un mec sensible mais les larmes recouvrent pourtant mes paupières et descendent comme un grand-huit, elles glissent le long de mon visage. « Tu n’étais pas là ce soir-là, il m’a poignardé, j’aurais dû le laisser faire sans rien dire ? » Elle ne daigne même pas répondre à ma question, elle sait très bien que j’ai raison, je n’ai fait que me défendre et pourtant… Et pourtant elle soutiendra toujours l’homme qu’elle a aimé passionnément pendant trente ans parce que sans lui elle n’aurait rien été, parce qu’il a été l’homme de sa vie. « Tu as dû le mettre en colère, comme toujours et tu l’as tué… Tu n’es qu’un monstre ! » Je n’en reviens pas, vient-elle réellement de prononcer ces mots ? J’en reste sur le cul, ma propre mère vient de me mettre un coup de couteau dans le dos. Comment peut-elle dire que je suis un monstre ? L’incompréhension me domine à présent, déboussolé je ne sais plus quoi faire, quoi dire. « Ne dis pas ça maman, pitié ! » Je ne lis plus de la tristesse, elle m’a pourtant soutenu jusqu’à maintenant mais je ne ressens plus l’amour maternel, plus que de la distance, comme si nous étions deux parfaits inconnus. « Je ne te rendrais plus visite, prends soin de toi. » Elle se relève et quitte la pièce sans même se retourner, elle ne me regarde pas et j’ai l’impression que l’on m’arrache le cœur, qu’on me déchire la cage thoracique lentement pour que je ressente chaque petite douleur, chaque impulsion qui me fera finalement perdre la vie. « Maman, pitié maman reviens ! » Ma gorge se serre et j’hurle, comment peut-elle me faire ça ? Je cogne contre la vitre si bien qu’elle se fissure, pas si résistante que ça, surtout contre l’hystérie. Je suis hystérique et les gardiens de prison sont obligés d’intervenir pour m’arrêter, l’un d’eux m’administre un calment, il n’y aura plus que ça pour m’arrêter et atténuer ma peine.
Trois ans, trois ans se sont écoulés depuis la dernière visite de ma mère et je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles. Ma sœur m’a énormément écrit, en secret, et c’est grâce à elle que j’ai enduré. La prison ce n’est pas vraiment le cliché que l’on retrouve à la télévision, ça n’a pas été facile, je me suis retrouvé en bas de la chaine alimentaire, j’ai vécu bien des expériences traumatisantes et mon corps sera pour le restant de mes jours présent pour me le rappeler. Je ne compte plus les cicatrices physiques ou psychologiques, la violence et le viol, je suis passé par toutes les étapes possibles et imaginables ; et c’est finalement à la veille de ma sortie que je parviens à trouver ma place. Leandra a toujours été présente pour moi, elle m’a soutenu du début à la fin et sans elle je n’aurais jamais pu réchapper à ma peine, quinze ans ferme, elle s’est battue et est parvenue à prouver qu’il s’agissait de légitime défense, voilà comment, après trois ans de prison, je retrouve aujourd’hui ma liberté. Mais que faire d’une vie qui a été mise en parenthèse pendant trois longues années ? Que faire lorsque tout ce que vous avez vécu a été envoyé en fumée, je ne suis plus le même que lorsque j’ai mis les pieds dans cette prison, je ne serais plus jamais le même !
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