Elle avait fini de parler. Elle parlait toujours beaucoup, parce qu’elle ne craignait que rarement de s’exprimer – sa passion pour le théâtre l’avait ainsi forgée. Avec le temps, elle avait fini par comprendre que les gens s’emmêlaient parfois dans ses discours ou en étaient perdus, assommés. Et aux premières répliques d’Emrys, c’est ce qu’elle ressentit. Elle accepta donc tout à fait qu’il ne trouve à répondre qu’un bref « ah d’accord », ce n’était pas la première fois qu’on lui disait ce genre de choses. Mais lorsqu’il rouvrit la bouche, elle fut légèrement ahurie. « Putain je peux toujours courir » Bordel mais il voulait dire quoi par là ?! Enfin, si, elle croyait aisément deviner ce qu’il pensait. D’autant que son visage était encore plus rouge que sa chevelure d’Irlandaise et que son corps semblait reculer. Ses yeux à elle se plissèrent légèrement. Il la regardait avec de grands yeux. Elle le regardait, suspicieuse. Elle avait un peu l’impression d’être insultée en fait. Genre « okay cette fille est franchement barge et en plus à cause de ses idées à la con j’risque pas de la dévierger demain la veille ». Peut-être qu’elle extrapolait. Mais elle l’avait franchement ressenti ainsi. Et pour le bien d’Emrys, elle préféra ne rien répliquer et passer à autre chose. Il était irrité, elle le sentait, et elle-même était légèrement offusquée par sa réplique précédente. Cela contribuait peut-être au fait qu’elle soit à son tour perdue par sa réponse. Enfin, quand il eut terminé, elle parvint à comprendre l’ensemble. Et. Euh. Wait. Il parlait d’elle là à la fin ? Elle lui parlait de Charlie. Il lui répondait qu’il était habitué à ce que le CS le voit comme « une catin ». Et qu’il avait pas envie de coucher avec des mecs mais juste de sortir avec une fille. Okay. Okay. Non en fait, pas du tout. Elle ne savait absolument pas quoi lui répondre. La comédienne se releva et marcha sur la scène. Son espace, son exutoire, sa ressource. Elle revint vers lui, plus tranquille. Les idées plus claires. Son caractère exacerbé avait tendance à la faire réagir rapidement et si elle ne savait pas aussi bien se maîtriser, elle aurait certainement exprimé sa colère au garçon. Mais elle avait marché sur le théâtre et cela avait suffi pour la calmer et lui faire voir les choses sous un autre l’angle. L’angle d’Emrys. Emrys qui devait simplement en avoir franchement marre d’être vu comme un mauvais type alors qu’il était adorable et qui devait avoir un peu de mal à suivre le cerveau surchauffé de la rousse, donc ses sens se brouillaient et il ne savait plus trop quoi répondre, disant ainsi tout ce qui venait. C’était ça ? Sûrement. Dans ce cas, tout ce dont il avait besoin, c’était d’être rassuré. Charlie revint vers lui, s’assit à ses côtés et le prit dans ses bras. Un geste, c’était plus net que ses discours confus. Au bout d’un moment, elle le relâche, lui sourit doucement. « Si l’on en croit les dires, des Zacharias, c’est toi qu’on aurait dû appeler Priape alors ? » dit-elle avec un sourire moqueur. Priape. Mais pourquoi donner ce nom à son fils ? C’était joli hein. Mais… Priape, quoi. Bonjour la réputation. « Idiot. » lui dit-elle gentiment. « Un jour il va sérieusement falloir que tu arrêtes de ne pas t’estimer et de faire le beau mâle pour pallier ton manque de confiance. La schizophrénie, c’est bon pour les acteurs. Laisse-moi les personnages. Apprends à être toi-même avant, la confiance ça se gagne comme ça. Et peu importe qui on est, les autres voient toujours ce qu’ils veulent. » On a beau s'efforcer de vivre une seule vie, les autres verront mille autres vies dedans, et c'est pour ça qu'on n'arrive pas à éviter de se faire du mal. Cette phrase de Baricco avait dû insuffler à Charlie ce qu’elle disait à Emrys. Parce qu’en réfléchissant un peu, elle s’était dit que le vrai problème de toutes ces histoires il devait être là. Emrys passait son temps à se justifier et démentir les ragots sur lui mais dans le même temps, il passait son temps à se cacher – il s’était même triplé si l’on peut dire : il y avait l’Emrys de façade, Alexander l’écrivain et puis, quelque part, on ne savait où, Emrys lui. Qui réussissait terriblement bien à ne pas se montrer, trop effrayé peut-être ? C’est pour cela qu’une idée se mit à germer dans sa tête et qu’elle regarda fixement son ami avant de lui intimer : « Lève-toi, » un sourire malicieux sur les lèvres tandis qu’elle-même était déjà sur ses pieds. Ils étaient au théâtre. Le théâtre, c’était là où l’on prenait confiance en soi. Et le théâtre, c’était son lieu à elle. Mister Zacharias allait en faire les frais.