JUDILLIE > replongeons en enfance.

Aaron avait dormi toute l’après-midi. Les effets de la chimio se faisaient seulement sentir chez le bambin. Il avait le droit à deux semaines de pause dans son traitement après avoir du passer deux semaines sous chimio. C’était difficile, parce qu’il était souvent fatigué et parce qu’il ne mangeait pas beaucoup. Je savais ce que ça faisait, moi aussi j’étais passé par là, et plus d’une fois. Et puis, il fallait aussi qu’il s’habitue à la chaleur de la République Dominicaine qui était vachement étouffante et complètement en contraste avec l’hiver rude dont nous sortions à Cambridge. Billie m’avait proposé qu’on aille faire du trampoline. Il était donc 20h30 quand j’attendais ma meilleure amie en bas de l’hôtel avec Aaron dans mes bras qui était plutôt réveillé. Normal après la sieste qu’il avait fait.

Il y a quelques jours, j'avais dit à Jude que j'étais en possession des clés d'un gymnase qui se trouvait pas loin de l'hôtel. Sauter dans tous les sens, ça allait nous faire du bien, surtout qu'il emmenait Aaron et que j'étais pressée de le voir. J'savais pas trop où on en était Jude et moi, j'savais pas s'il était furieux, s'il avait réussi à passer au-dessus de mon overdose, mais ce soir j'avais juste envie qu'on oublie tout ça et que j'puisse profiter de mon meilleur ami sans stresser. Vêtue d'un short en jean et d'un débardeur, je quittai la chambre après avoir laissé un mot à Alex, lui indiquant où je me trouvais. Je ne tardai pas à arriver au pied de l'hôtel, retrouvant le brun et son bébé. J'ébouriffai la tignasse de Jude - ouais, je savais qu'il adooorait ça- puis je tendais les bras pour attraper Aaron et le prendre contre moi. « Salut toi ! » dis-je en lui faisant des petits bisous sur les joues. « T'es prêt à y aller ? » demandai-je au Mather avec un sourire.

Elle m’avait fait flipper. J’avais toujours peur de perdre les gens que j’aimais, mais avec Billie, ce sentiment était horrible. Parce que je l’avais déjà perdu une fois. Je comprenais pourquoi Roxanna était en colère contre elle. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser au Summer Camp de l’année précédente, quand Roxanna m’avait annoncé la mort de Billie. On avait mis beaucoup de temps à nous en remettre. C’est pour ça que je ne l’avais pas engueulé aussi. Parce qu’elle savait déjà qu’elle avait fait la conne, et je pense qu’on lui avait assez dit. Cependant, je comptais bien être plus vigilant et avoir un œil sur elle en permanence. Je souris en voyant la jeune femme descendre de sa chambre, mais mon sourire disparut direct quand elle ébouriffa mes cheveux – parce que NON, je n’adorais pas ça – avant de prendre Aaron dans ses bras. « Salut toi ! » Je souris en la voyant bombarder Aaron de bisous alors qu’il riait de bon cœur à chacun des baisers de la jeune femme. « T'es prêt à y aller ? » J’hochais la tête, « Plus que prêt ! » J’ouvrais la porte d’entrée de l’hôtel pour la laisser passer et je venais marcher près d’elle. « Comment tu as eu les clefs ? », demandais-je en faisant référence aux clefs du gymnase où nous allions.

C'était grâce à Jude que je m'étais sortie de la drogue cet été, quand j'avais replongé pour la première fois. Il m'avait emmenée en désintox alors que j'étais inconsciente et j'avais accepté après de nombreuses réticences, à suivre le programme à la lettre. Et maintenant qu'il était au courant que j'avais à nouveau replongé, j'avais toujours peur de me réveiller un matin dans un lit qui n'était pas le mien, encore enfermée contre ma volonté. Mais c'était le Spring Break et je n'allais pas l'éviter toute ma vie, alors je lui avais proposé ce truc pour nous amuser. Je m'écartai de lui après lui avoir ébouriffé les cheveux, parce qu'il y avait souvent représailles. « Plus que prêt ! » Son fils était désormais dans mes bras et nous commencions à marcher dans la bonne direction. « Comment tu as eu les clefs ? » Je pouffai de rire en jouant avec la petite main d'Aaron, me remémorant le moment laborieux que j'avais vécu pour les avoir. « J'ai dû dérouiller mon espagnol un petit peu. J'me suis montrée très gentille envers le proprio. » J'avais surtout blablaté n'importe quoi, parce que j'avais des points forts dans plusieurs langues, mais pas en espagnol. « Et j'ai fait une promesse de don. » terminai-je en embrassant le crâne de son fils.

J’y avais pensé, à l’envoyer en désintox une nouvelle fois. Mais je me disais que ça n’était plus à moi de prendre ce genre de décision maintenant qu’elle avait Alex. Et puis, je savais qu’il allait garder un œil sur elle. Par contre, je n’allais pas hésiter à reparler de désintox si je voyais qu’elle n’allait pas mieux. Arrêter la drogue, c’pas facile, surtout quand on est un grand consommateur. Et je sais de quoi je parle. En attendant, nous n’étions pas là pour parler de tout ça alors il était hors de question de parler de son overdose pour le moment. « J'ai dû dérouiller mon espagnol un petit peu. J'me suis montrée très gentille envers le proprio. » Je ris un peu, « Ton Espagnol ? Dis moi que tu t’es améliorée alors, parce que je me rappelle qu’à Cancun, ça n’était pas tellement ça.. » Je souris en coin, content de la voir aussi à l’aise avec mon fils. « Et j'ai fait une promesse de don. » Je ris à nouveau : bah voilà la vraie raison. Je la trouvais plus crédible que l’histoire de l’espagnol bidouillé. « Il faut que tu te débarrasses de tes vieilles habitudes d’Eliot ma parole ! », lançais-je en la regardant avec un immense sourire, content de pouvoir la taquiner.

J'avais bien rigolé pour obtenir ces clés, tentant laborieusement de me faire comprendre malgré mon handicap visible en espagnol. Je parlais trois langues couramment, mais je n'avais jamais réussi à faire rentrer celle-ci dans mon crâne. Alors chaque fois que j'allais dans un endroit où c'était la langue principale, ça devenait moche très vite. « Ton Espagnol ? Dis moi que tu t’es améliorée alors, parce que je me rappelle qu’à Cancun, ça n’était pas tellement ça..  » Je ris avec lui, ajustant Aaron contre ma hanche. « Pas tellement ça ? Il n'existe personne de moins doué que moi en espagnol. » On s'était pris de bons fous rires à Cancun à cause de ça. « Il faut que tu te débarrasses de tes vieilles habitudes d’Eliot ma parole ! » Je fronçai le nez, sortant les clés de ma poche en les lui tendant. « Baise les pieds à mes vieilles habitudes Eliot, grâce à elles on va faire du trampoline ce soir ! » J'avais de l'argent et je ne comptais pas m'en sentir mal à l'aise de sitôt, même si je faisais désormais partie d'une confrérie plus modeste.

Ca m’avait tout de suite fait rire que Billie évoque ses talents dans la langue Espagnol. C’est vrai, je me rappelai à Cancun lorsque nous avions voulu trouver un bar à tacos méga tard dans la nuit. Finalement, on ne l’avait pas trouvé, et on s’était retrouvé à un McDo. Sauf que… même au McDo on s’était fait remarqué vu notre niveau de langue. Si je parlais parfaitement le Français, on peut dire que l’Espagnol, c’était une autre histoire. Oh oouiiiiii. « Pas tellement ça ? Il n'existe personne de moins doué que moi en espagnol. » Je ris un peu et je levais la main, « Oula, tu oublies que je ne suis pas mieux. Disons qu’on est au même niveau déplorable, okay ? » Je lui souris et nous parlions du fait qu’elle avait promis au gars de l’argent. Pourquoi ça ne m’étonnait pas ? « Baise les pieds à mes vieilles habitudes Eliot, grâce à elles on va faire du trampoline ce soir ! » Je levais les yeux au ciel en secouant la tête, « J’suis sûre que si tu lui avais fait du charme, tu aurais pua voir les clefs sans avoir à ouvrir ton porte feuille.. »  Je passais ma main sur la joue de mon fils qui était toujours bien contre Billie, « Sinon, comment tu vas ? » C’était LA question qui tue, mais que je me devais de lui poser.

Ah, Cancun. Ce fameux Springbreak où on avait fait honte à notre pays en sortant n'importe quoi pour nous exprimer. « Oula, tu oublies que je ne suis pas mieux. Disons qu’on est au même niveau déplorable, okay ? » Je rigolai en haussant les épaules, la mine perplexe. « Ah je sais pas hein, je me souviens que tu savais dire "frites" et soyons honnêtes, c'est le plus important. Tu nous as sauvés ! » Grâce à lui, j'avais pu bouffer de la junk food américaine. Thank God. Il s'en prenait alors à mes habitudes coriaces de Eliot. Rrr, mais il n'allait pas me lâcher un jour avec ça ? « J’suis sûre que si tu lui avais fait du charme, tu aurais pu avoir les clefs sans avoir à ouvrir ton porte feuille.. » Je levai les yeux au ciel en riant. « Tu préfères que j'utilise mes seins plutôt que mon fric ? » dis-je avant de me couvrir la bouche, me rendant compte qu'il y avait des oreilles innocentes juste sous mon visage. Oops. « Sinon, comment tu vas ? » Je me raclai la gorge, mal à l'aise parce que je voulais éviter cette question. Mais comme j'étais forte pour me voiler la face, j'allais me servir de mes talents pour lui répondre. « Bien. Le soleil, ça m'permet d'oublier un peu ce qu'il s'est passé. » Ou de faire semblant d'oublier, en tout cas. « Et toi, ça va ? » demandai-je, parce que je n'étais pas la seule à vivre des moments difficiles. Après tout, son bébé venait d'attaquer la chimio.

« Ah je sais pas hein, je me souviens que tu savais dire "frites" et soyons honnêtes, c'est le plus important. Tu nous as sauvés ! » Je ris un peu. J’étais le saveur, ouais ouais. Mais bon, ça n’est pas parce que j’ai su dire « frites » en espagnol deux ans plus tôt que j’étais bon dans cette langue. Oh nooon. Puis, on parlait de ses habitudes d’Eliot. Je haïssais les Eliots, alors forcément, ça me faisait bizarre qu’elle ait encore ce genre d’habitudes. « Tu préfères que j'utilise mes seins plutôt que mon fric ? » J’haussais les épaules avec un petit sourire, « J’ai pas dit d’aller jusque là voyons ! », lançais-je en riant de nouveau, regardant Aaron qui fixait Billie avec un immense sourire. J’en venais donc à une question un peu plus fâcheuse : comment allait-elle ? Elle avait fait une overdose quand même. « Bien. Le soleil, ça m'permet d'oublier un peu ce qu'il s'est passé. » J’hochais la tête : le Spring Break, ça fait toujours beaucoup de bien. « Et toi, ça va ? » J’haussais les épaules en glissant mes mains dans mes poches, « Ça va, ça va. Aaron est parfois un peu faible mais c’est parce qu’il vient de finir une chimio assez lourde.. » Je regardais ma meilleure amie, ajoutant, « Dis.. j’peux te poser une question sans que tu prennes la mouche.. ? »

Tout ce que j'avais à dire, c'était que j'avais été tellement contente de pouvoir bouffer des frites ce soir-là grâce à lui, que pour moi c'était équivalent à du bilinguisme. Peu importe qu'il ne connaisse que ce mot. « J’ai pas dit d’aller jusque là voyons ! » Aaron me faisait des grands sourires, que je m'empressai de lui rendre en lui montrant toutes mes dents pour faire jalouser le bambin un peu. Jude me demandait comment j'allais et je restais carrément vague en continuant de jouer avec son fils pour ne pas perdre la face. Alors bien sûr, je lui retournais la question. « Ça va, ça va. Aaron est parfois un peu faible mais c’est parce qu’il vient de finir une chimio assez lourde.. » Je m'apprêtais à lui poser tout un tas de questions qui me trottaient dans la tête ; est-ce qu'il la supportait malgré tout ? Est-ce que ça n'avait pas encore trop d'effets secondaires sur lui ? Quand est-ce qu'on saurait si ça fonctionnait un minimum ? Mais il me coupa la chique en enchaînant sur une autre question. « Dis.. j’peux te poser une question sans que tu prennes la mouche.. ? » Bon, s'il me demandait ça c'était qu'il savait que j'allais forcément la prendre, nan ? Ça s'annonçait sympa comme discussion. Je fixai le sol, tout en continuant de marcher. « Dis toujours, mais j'peux rien te promettre. » J'allais quand même essayer de rester calme parce que je n'voulais pas gâcher notre soirée mais bon, on ne savait jamais avec moi.