We Might As Well Be Strangers feat LEONOR

12h45. Lavender avait terminé ses cours de bonne heure le matin même et elle sortait de sa pause déjeuner. La bibliothèque universitaire, ouverte entre 12h et 14h, l'attendait à bras ouverts pour une après-midi de révision. Même si la cadence des cours avait quelque peu ralentie dernièrement, notamment à cause de l'absence de certains de ses camarades atteints du virus de la grippe et, retenus à l'hôpital; un partiel de biologie devait avoir lieu en début de semaine prochaine et elle comptait bien mettre toutes les chances de son côté pour rattraper le retard qu'elle avait accumulé pendant son mois d'absence. Elle n'avait toujours pas été convoquée pour en justifier les raisons auprès du comité de l'établissement et se prenait parfois à penser, que la sphère professorale avait été au courant de sa situation personnelle ou bien que quelqu'un l'avait tout simplement protégée pendant qu'elle passait le mois à Forks, dans la maison de son enfance. La jeune femme arpenta les couloirs de la faculté pendant quelques minutes et déboucha sur les grandes portes de la bibliothèque. Lavender poussa un des deux battants et se retrouva dans un bain de lumière, le jour filtrant à travers les hautes verreries de la salle. Elle traversa deux ou trois allées, peu bondées à cette heure-ci et profita du calme des lieux pour se rendre au bureau d'accueil. Elle devait refaire sa carte étudiante, qui n'était valable que pour une année scolaire...elle s'était promis de le faire en fin d'année dernière mais son départ précipité l'avait empêchée de mener à bien sa mission. Une jeune femme attendait déjà d'un air impatient que le "guichet" ouvre.

Lavender avait perdu la notion du temps, attendait-elle depuis quelques secondes, quelques minutes ? Il lui semblait que les allées s'étaient remplies d'étudiants en cavale, les bras chargés de livres ou le téléphone portable à la main "Tu es sure que le livre de Ryan D. sur la théorie des météorites pourrait servir pour le devoir de lundi ?". Les discussions se croisaient, Lavender entendit le bruit sourd des livres que l'on pose sur une table avec un manque de délicatesse flagrant. Des livres qui avaient plus de 100 ans pour certains...La bibliothécaire n'avait pas l'air pressée d'ouvrir le guichet aux deux étudiantes qui faisaient la queue devant son bureau, soit elle ne les avais pas remarquées, soit elle avait simplement décidé de décaler l'horaire d'ouverture parce qu'elle était dans un mauvais jour. Lavender la vit jeter un regard vers les étudiants qui se ruaient dans les allées avant de la fixer d'un air indécis. Elle se pinça les lèvres et remonta ses lunettes rondes avant de s'adresser à l'étudiante qui avait devancé Lavender dans la file "Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?". Tout comme elle, la jeune femme était venue mettre à jour sa carte étudiante et le processus risquait d'être long. Il lui semblait que les questions étaient en plus en plus nombreuses chaque année, à croire qu'il fallait montrer patte blanche afin d'avoir accès aux archives de la faculté.

Le regard de la bibliothécaire était sans équivoque, il était pile 13h et les deux étudiantes l'avaient probablement dérangée à la fin de sa pause déjeuner. Lavender n'avait pas besoin de jeter un coup d'oeil derrière elle, aucune ombre ne s'étirait à côté de la sienne et la queue se limitait donc à deux personnes...qui attendaient déjà depuis plusieurs minutes sous l'oeil interdit de la gardienne des lieux. L'étudiante brune qui était en début de file déposa sa carte d'étudiante sur le bureau en acajou et précisa qu'elle avait besoin de renouveler sa carte, Lavender sourit en son for intérieur. Même si la rentrée commençait déjà à dater, les étudiants se réveillaient toujours au dernier moment concernant toute la paperasse administrative...et la future biologiste n'était pas en reste ! D'un geste contrôlé, la bibliothécaire introduisit la carte de l'étudiante dans une machine high-tech, qui après avoir émis plusieurs bips, recracha la carte à jour prête à servir de nouveau. Lavender s'avança et s'ensuivit le même ballet de cliquetis électroniques pour valider sa propre carte qu'elle récupéra en quelques secondes, légèrement chaude dans la paume de sa main droite. Elle esquissa un sourire à la bibliothécaire pour la remercier, et s'attela à se dénicher un coin plutôt calme pour poser ses affaires. Il lui restait un devoir de biologie appliquée à réviser pour la semaine suivante et elle se devait de connaitre toutes les références mentionnées dans son cours sur le bout des doigts. Après son absence, elle le voyait un peu comme l'opération de la dernière chance. Elle repéra justement une table de disponible , légèrement à l'écart, coincée entre deux rayonnages de livres. Lavender avança à travers la nuée d'étudiants et posa les trois livres qu'elle avait emprunté la veille sur la surface lisse et brillante. En relevant les yeux, elle remarqua que l'étudiante qui la précédait, un peu plus tôt, dans la file d'attente de l'accueil était déjà installée au bureau.
- Je peux me mettre ici ? proposa Lavender, tout sourire.

Les bras chargés d'ouvrages en tout genre - biologie cellulaire, microbiologie, génétique et biochimie - Lavender s'apprêtait à poser ses affaires sur la table qui lui faisait face, mais elle s'était abstenue, dans l'attente d'une réponse de l’étudiante qui occupait déjà les lieux. Celle-ci leva les yeux dans sa direction et lui adressa un vague sourire. Sa réponse paraissait forcée et Lavender sentait que sa présence n'était pas pleinement désirée, c'était la dernière table de libre dans cette zone de bibliothèque fort fréquentée à cette heure-ci. "Merci" lui répondit tout de même la jeune femme avec courtoisie, "c'est infernal pour trouver une place l'après-midi". Lavender déposa son sac à ses pieds et prit place sur une des chaises qui entouraient la table en bois foncé."Je suis Lavender" répondit l'étudiante en souriant. Lavender se pencha pour récupérer sa trousse bourrée de stylos de toutes les couleurs, ainsi que son bloc-note. Passant sa main sur la couverture d'un exemplaire rare du "Microscopie technique" de J.P. Pere, Lavender atteignit la page 6 après seulement quelques minutes de lecture. Les théories évoquées dans l'ouvrage étaient toutes plus passionnantes les une que les autres. C'est finalement l'infiniment petit que nous étudions pour comprendre notre propre fonctionnement. Lavender arrêtait parfois sa lecture pour ajouter des annotations sur son cahier. Cette lecture ne faisait pas partie de la liste obligatoire pour cette année, mais l'enseignant avait clairement indiqué que des connaissances annexes étaient toujours un plus pour la compréhension des cours.

La jeune femme devait parfois s'y reprendre à deux fois pour comprendre les théories évoquées dans l'ouvrage qu'elle dévorait, métaphoriquement parlant. Loin de rencontrer des problèmes de compréhension, elle devait coupler avec le bruit ambiant : les chaises que l'on déplace, les éclats de rires aux tables voisines...Lavender tentait de faire abstraction tout en prenant des notes sur son bloc, cela pourrait lui servir pour son prochain devoir. La jeune femme opina du chef, un air amusé :
- J'aurais du mal à cacher ma filière, dit-elle en regardant les livres de biologie étalés sur la table. Médecin légiste ? Finalement, ça se recoupe un peu avec la biologie. Lavender avait toujours admiré cette profession. Petite alors que d'autres se voyaient en star de la chanson ou romancière, Lavender s'était imaginé docteur. A l'époque, elle ne soignait que les peluches qui traînaient dans sa chambre et qui perdaient parfois un oeil ou un peu de rembourrage. Elle avait l'impression de jouer à l'ambulance lorsqu'elle débarquait dans le salon avec un air affolé laissant le "malade" dans les mains de sa mère. A croire que dès son plus âge, elle avait ressenti le besoin de se rendre utile. ça doit être passionnant comme cours ! dit-elle pour clôturer le chapitre sur la médecine. Par contre, anthropologue et médecin légiste, c'est un brin différent quand même...tu es en quelle année exactement ?