(+ Lavender) i'm stuck with you.

On pourra bien dire ce qu'on voudra à propos des Eliots, mais au fond de ton coeur, tu sais que tu vaux bien plus que toutes ces rumeurs au sujet de la maison bleue. Plusieurs croient que tu ne t'intéresse qu'à l'argent, qu'à l'esthétisme d'une personne, qu'à son pouvoir ou son influence dans la société... Mais après tout ça, il y a tellement de choses que les gens ignorent à ton sujet. Par exemple, tu es une personne qui a à coeur ses études et qui s'y consacre corps et âme, même si tu n'as pas l'air de ça. Tu es aussi très attirée par la littérature étrangère, les artistes de chez toi ou les nouveaux écrivains. Tu aimes lire pour le plaisir, pour te cultiver, pour enrichir ton imaginaire... Ça t'offre une nouvelle dimension, un échappatoire. Alors derrière tous ces airs que tu pouvais bien te donner, au fond de toi se cache une jeune femme cultivée et admiratrice de la langue anglaise. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, tu te rendais au Lorem Ipsum Books; tu avais entendue parler d'une séance de dédicace d'un auteur de la région et tu ne voulais absolument pas manquer l'occasion. Qui plus est, tu avais dévoré tous ses oeuvres depuis la publication. Tu ne pouvais donc pas ne pas y être. Tu avais donc roulé jusqu'au centre-ville et garé ta voiture devant la librairie. Une fois à l'intérieur, on t'indiqua que les dédicaces se ferait à l'étage. Tu entras donc rapidement dans l’ascenseur au même moment qu'une autre femme. Tu lui fis un petit sourire sympathique - quoi qu'un peu faux - et appuya sur le bouton pour refermer les portes...

L'horloge murale indiquait qu'il était plus de 17h, Lavender referma son livre de biologie appliquée et se leva précipitamment de sa chaise. Après un bref tour de sa garde-robe, qui n'était finalement pas si fournie que cela, la jeune femme opta pour un haut noir flottant, mais conserva tout de même son pantalon coupé couleur jean. Lavender s'empara du blouson qui trônait sur le seul porte-manteau de la chambre et s'aventura dans les couloirs de la Quincy House après avoir chaussé une paire de tennis noires. Jetant un coup d'oeil à sa montre, elle pouvait maintenant souffler. La soirée de dédicace organisée ce soir au Lorem Ipsum Books ne démarrait pas avant une quarantaine de minutes, elle avait largement le temps de rater un bus...même deux ! Une fois les portes de la faculté franchies, Lavender se fraya un chemin vers le premier arrêt de bus, situé à deux pas de l'université. Elle poinçonna son ticket en montant dans le géant de fer et dût bien s’accommoder de la proximité qui demeurait entre les autres voyageurs et elle-même. Elle se prenait parfois à imaginer la vie de ceux qu’elles croisaient dans les transports en commun, certains infidèles, d'autres prêts à se tuer à la tâche, toujours en mouvement avec leur attaché-caisse sous le bras. Il y avait aussi ceux qui continuaient leur journée de travail dans le train, l'avion ou le bus. Depuis l'arrivée du téléphone portable, il était devenu difficile de se couper du monde et de mettre un frein entre vie professionnelle et personnelle. Après une dizaine de minutes de trajet, le bus s'ébranla et s'arrêta net. Lavender descendait à cette station. Après un nouveau changement et une petite centaine de foulées, Lavender arriva aux portes de la librairie. Sans même avoir besoin de poser la question, un conseiller de vente lui indiqua l’ascenseur du doigt, la séance de dédicace devait avoir lieu à l'étage, dans un lieu à l'écart de la foule de clients habituels. Lavender appuya sur l'interrupteur luminescent de l’ascenseur qui émit un bip sonore et empêcha l'appareil de poursuivre son ascension sans elle. La jeune femme s'engouffra entre les deux portes couleur inox et se retrouva nez à nez avec une grande brune, qui devait sensiblement avoir le même âge qu'elle. Avec un air légèrement pincé, celle-ci appuya sur le bouton "1" qui devait les emmener à l'étage correspondant. Comme l’ascenseur semblait avoir du mal à démarrer, les portes s'étaient refermées mais rien ne s'était passé d'autre..."Vous venez faire dédicacer quels livres ? Je les ai tous trouvé formidable. Il semblerait même que le prochain soit actuellement en cours d'écriture !"

Alors que tu croyais que l'ascenseur allait t'amener au premier étage, là où tu pourrais faire dédicacer l'un de tes livres préférés de cet auteur, les portes se rouvrirent et une jeune femme pénétra dans la petite cabine. Tu la dévisagea un instant lorsqu'elle alla se placer près de toi. Grande. Mince. Brune. Elle avait quelques uns de tes airs, mais tu étais cent fois mieux. Lorsque sa voix brisa le silence, tu dus te retenir pour ne pas montrer ton inconfort face à cette discussion. Tu n'aimes pas spécialement qu'on te fasse la conversation comme ça, et encore moins dans un lieu où tu ne peux pas te sauver. Qui plus est, cette machine ne semblait pas bouger. Illogique. Totalement illogique. « Vous venez faire dédicacer quels livres ? Je les ai tous trouvé formidable. Il semblerait même que le prochain soit actuellement en cours d'écriture ! » Tu soupiras bruyamment, histoire de lui faire voir ton désintérêt total avant de finalement répondre. « J'ai apporté son plus récent. C'est sans doute celui que j'ai préféré le plus, malgré que j'ai lu toute la saga. » Tu ré-appuya sur le bouton, histoire de voir si la machine voudrait monter. Eh non. Aucun mouvement. « C'est normal, tu crois ? » demandas-tu finalement, un peu inquiète. Après tout, tu ne voulais pas manquer la dédicace... Tu avais fait tout ce bout de chemin que pour ça.

Le numéro de l'étage clignotait par intermittence mais l’ascenseur refusait pour le moment de s'élever dans les airs. Un panonceau noir placardé à l'intérieur de la cabine indiquait que le poids maximal autorisé était de 500kg, et à elles deux, elles en étaient bien loin. Le regard de l'inconnue se faisait fuyant, tantôt fixé sur les numéros d'étages, tantôt sur Lavender. Elle poussa un soupir, indiquant certainement son impatience, et daigna enfin se tourner Lavender. Celle-ci comprit en l'entendant que sa réponse était une pure formule de politesse et hocha donc de la tête pour ne plus embarrasser la jeune femme. A priori, elles n'appartenaient pas au même monde, Lavender était même quasi-certaine qu'il s'agissait d'un habituée de mondanités en tout genre : galas, remises de prix et autres évènements pour lesquels Lavender devait se plier en quatre si elle voulait avoir une chance d'y assister. L'ascenceur ne remuait toujours pas d'un pouce et la grande brune appuya de nouveau sur le bouton "1" comme pour s'échapper rapidement de cette situation inconfortable. "Non, ça ne l'est pas" confirma Lavender en regardant le clignotement du numéro "1" se faire de plus en plus irrégulier.  "Il y a quelque chose qui cloche", poursuivit-elle en fixant le plafonnier d'où émanait une lumière de plus en plus faible. Un grésillement sourd résonna dans la cabine avant qu'une lumière bleue ne prenne possession des lieux. Elles avaient désormais un problème, un gros problème. La cabine venait de tomber en panne, Lavender s'en serait douter mais sans avoir à son actif des centaines de films policiers où ce type de problème était fréquent. Surtout ne pas paniquer.

Tu pris une grande inspiration. Cette situation te mettait de plus en plus inconfortable. De un parce que tu es prise près de quelqu'un que tu ne connais pas, ce qui te rend légèrement mal à l'aise. Tu dois revêtir ton masque, ton voile. Avoir l'air de quelqu'un que tu n'es pas rien que pour ne pas faire ternir ton image de femme intouchable... Pourtant, c'était pas du tout amusant à faire, là. Et de deux parce que tu étais un peu claustrophobe sur les bords. Une cabine d'ascenseur, c'est petit. C'est... fragile, même. C'est suspendu dans les airs avec des câbles et des poulies. Suffis qu'un câble lâche pour que vous faisiez une chute. Bon, vous n'étiez pas bien haut, mais tu préférais éviter ce genre de situation. Tu demandas alors à la jeune femme si c'était normal... Que cette boîte de métal ne bouge pas d'un poil... « Non, ça ne l'est pas. » Tu soupiras légèrement. Vraiment, ce n'était pas ta journée. « Il y a quelque chose qui cloche » poursuivit-elle. Ouais, bon... Il ne fallait pas un BAC en mécanique pour comprendre que si un ascenseur refuse de bouger, c'est qu'il y a forcément un problème... Seulement, les lumières s'éteignit et une lueur bleue remplis la cabine. Là, c'était officiel : vous étiez dans une situation anormale. Tu déposas ton sac par terre et accota ton dos au mur et te fis glisser jusqu'au sol. Maintenant assise, tu regardais de bas la jeune femme toujours à tes côtés. Où voulais-tu qu'elle aille, de toute façon ? « Alors, on fait quoi ? » grognas-tu, visiblement contrarier. Vous alliez manquer la séance de dédicaces. Merde !

Lavender respira un grand coup afin de remettre ses idées en place. Que faisait l'acteur principal dans ce cas précis ? Lavender étudia la cabine trop faiblement éclairée pour distinguer quoique ce soit. Pourtant il devait bien y avoir un interphone ou une alarme de secours. Il régnait un silence étrange et pesant dans cette cage de fer...Lavender se retourna vers la jeune femme qui était à ses côtés quelques secondes plus tôt et la retrouva affalée sur le sol, le dos collé à la cloison du fond. Son visage paraissait livide dans la pénombre. « Alors, on fait quoi ? » lui lança t-elle sans même la regarder. Décidément, ses manières étaient un peu particulières, c'était comme si elle tenait Lavender responsable de ce qu'il leur arrivait.  « On peut commencer par regarder s'il y a un bouton d'alarme ou un interphone quelque part, tu peux regarder la cloison du fond et celle de droite ? Je me charge des autres » Lavender se rendait bien compte qu'elle était légèrement directive, mais la jeune femme qui lui faisait face n'avait certainement pas l'habitude de se salir les mains. Il fallait bien commencer un jour. Lavender songea au conseiller de vente qu'elle avait croisé dans la salle du rez-de-chaussée, quelqu'un s'inquièterait certainement en voyant que l’ascenseur n'ouvrait plus ses portes ! Y avait-il une caméra dans l'habitacle ? Si tel était le cas, cela pouvait indiquer que l’ascenseur était surveillé par un système électronique...les images devaient être contrôlées à distance, par des ordinateurs ! Seulement Lavender se retrouva bredouille. L’ascenseur n'était pas surveillé.

Respire Olyvia, respire ! Ce n'est quand même pas si vous étiez dans un ascenseur au 122ième étage... Vous n'étiez qu'au rez-de-chaussée. Plus bas il devait sans doute y avoir un sous-sol et... Si vous deviez tomber, ça ne devrait sans doute pas être « si grave que ça ». Seulement, rien qu'à penser à une éventuelle chute, les battements de ton coeur s'accélérèrent. Eh merde, eh merde ! Tu maudissais le ciel de t'avoir donné envie de te rendre à cette séance ! Après avoir demandée ce qu'il fallait faire, la jeune femme sembla reprendre les choses en main. Tu l'écouta attentivement. Après tout, tu n'avais rien de mieux à faire... Même si tu n'aimais pas qu'on te gouverne, elle semblait légèrement plus en contrôle que toi. « On peut commencer par regarder s'il y a un bouton d'alarme ou un interphone quelque part, tu peux regarder la cloison du fond et celle de droite ? Je me charge des autres » Tu te levas alors, observa le mur du fond et celui du côté droit. Rien. Tu regardas ensuite le panneau avec tous les boutons et... Rien non plus. Sauf peut-être... Ce bouton sans indication, au centre de la ligne du bas. Tu appuyas, espérant qu'un déclic miraculeux se produise... Rien. Tu soupiras, frustrée. « A-t-on du signal sur nos portables ? » dis-tu alors en osant regarder la jeune femme droit dans les yeux pour la première fois. L'idée d'être coincée là ne te plaisait pas, mais au moins tu n'étais plus toute seule... Du coup, il était peut-être temps que tu laisses tomber les laisser-paraître et que tu montre un peu plus de gentillesse à l'égard de la femme. « Je m'appelle Olyvia, au fait... » dis-tu alors, contre toute attente. Si vous étiez pour mourir, aussi bien qu'elle sache ton prénom.

L'éclairage bleuté donnait une allure spectrale à l'habitacle en fer et il était difficile de voir à plus d'une trentaine de centimètres. Lavender plongea la main dans son sac et brandit son téléphone portable devant elle pour faire office de lampe improvisée. Sur les conseils de Lavender, la grande brune s'était relevée et inspectait minutieusement les deux pans de l’ascenseur. Le dos tourné, Lavender s'attelait à regarder chaque centimètre carré des deux battants qu'elle s'était proposé de vérifier. Mis à part le cadran digital annonçant l'étage et les différents boutons permettant de grimper ou de descendre les niveaux, la jeune femme dût rapidement se résoudre à abandonner, il n'y avait aucun bouton d'appel, ni d'alarme de son côté. Elle se retourna pour interroger l'inconnue du regard, celle-ci lui affichait un air las et légèrement inquiet.
- J'ai une barre de réseau ! indiqua Lavender avec une pointe de satisfaction dans la voix. Elle avait toujours la possibilité de contacter quelqu'un de l'extérieur ! Instinctivement, elle sélectionna le numéro pré-enregistré de Julia. L'appel n'aboutit malheureusement pas, sa seule et unique barre de réseau venait de disparaitre de son écran. Malgré son calme apparent, Lavender se retint de ne pas laisser échapper un juron. Et moi Lavender... précisa l'étudiante.
Soudain un bruit de grésillement empli l’ascenseur et, malgré les nombreuses coupures, Lavender crût reconnaitre une voix d'homme "......a........al.......a.....allo.....il y quelqu'un ?" .
- Tu as appuyé sur un bouton ? demanda Lavender en tentant de distinguer la source de la voix...je crois qu'on a réussi à joindre un centre d'appel !

En tout cas, c'était vraiment la malchance du siècle, ça. Il y avait combien de chance que ça vous arrive à vous, aujourd'hui ? Ça n'aurait pas pu être les clients d'avant ? Les clients d'après ? Peut-être que la vie avait une leçon à t'apprendre et que la meilleure façon de le faire était en te faisant prisonnière d'une cabine d'ascenseur avec une inconnue ? Peut-être les Dieux voulaient te faire pratiquer ta patience ? Ou ta capacité à socialiser avec les étrangers... Argh. Dans tous les cas, ça t'emmerdait réellement puisque ça te faisait manquer la séance de dédicaces. Après avoir fait le tour de la cabine avec tes yeux une bonne quinzaine de fois, tu finis par te faire à l'idée. Vous étiez coincées. Tu eus enfin un flash. Et si on avait du réseau ? Tu demandas donc à Lavender qu'elle regarde sur son téléphone, tu fis de même sur le tien. Rien. « J'ai une barre de réseau ! » s'écria alors la jeune femme. Elle tenta donc puis... rien. Eh merde ! Au même moment, la cabine se mit à gricher et une voix se fit enfin entendre. « ......a........al.......a.....allo.....il y quelqu'un ? ». « Tu as appuyé sur un bouton ? ». Tu hochas la tête. « je crois qu'on a réussi à joindre un centre d'appel ! » Effectivement, ça en avait tout l'air. « Oh mon Dieu ! » t'écrias-tu à ton tour. « On est là ! On est coincés ! » dis-tu, en parlant plus fort comme si tu souhaitais que les micros cachés de la cabine capte tes mots et les transmettent au plus vite à ce « centre d'appel » ou quoi.

Lavender distinguait à présent une lueur d'espoir dans les yeux d'Olyvia. Elles avaient enfin réussi à rentrer en contact avec l'extérieur, sans savoir comment, ni pourquoi. Elles savaient juste que c'était leur seule chance de sortir de cette impasse. Olyvia s'époumonait presque dans la cabine « On est là ! On est coincés ! ». Lavender soupçonnait une sorte de claustrophobie et se força à conserver une voix égale pour ne pas faire paniquer davantage la jeune femme. La voix s'était tue depuis quelques instants et Lavender tenta le tout pour le tout : "Nous sommes deux personnes coincées dans le seul ascenseur du Lorem Ipsum Books en centre-ville. Je vous redonne l'adresse, c'est au 1299 Cambridge Street, Cambridge MA 02139. Nous sommes bloquées quelque part entre le rez-de-chaussée et le premier étage, et la cabine est quasiment plongée dans l'obscurité". Un bruit de feuille de papier que l'on froisse, un cliquetis de souris d'ordinateur puis de nouveau un grésillement. "Depuis combien de temps ?" demanda une voix nasillarde qui semblait sortir d'un ancien poste de radio. Lavender jeta un oeil soucieux à Olyvia qui ne pipait mot.  "Je dirais au moins 15 minutes". lança Lavender. Sans avoir le temps d'obtenir une réponse, le seul néon qui clignotait se mit à donner des signes de faiblesse et le contact téléphonique fut rompu. Un lourd silence emplit la cage de fer.