(+ Julia) busy I am !

Ce duo en préparation avec Thaïs avait tellement emballé Eventine qu’il n’avait pas attendu que l’heure soit propice à un cours et s’était levé en fanfare à cinq heures du matin pour se pointer au théâtre à l’intérieur de l’université, son écrin de violon en main, les yeux pétillants d’excitation. Les partitions qu’il voulait revisiter étaient nombreuses et en un mot comme en cent, il avait du pain sur la planche… mais cela ne manquait pas de logique, pas s’il souhaitait à tout prix faire un concert des plus originaux en compagnie de la jolie irlandaise. Somme toute, il s’entraîna bien deux heures durant, sans prendre de pause ou relâcher ses efforts : il voulait que tout soit absolument parfait et cela le serait, du moins avait-il eut cela à l’esprit jusqu’à ce que des bruits de pas ne se fassent entendre à l’entrée du théâtre et ne le fasse brusquement cesser de jouer. « J’ai réservé le théâtre pour la journée » commença-t-il d’un ton des plus sérieux, sans excès de politesse car à ses yeux le temps lui manquait et il n’avait aucune raison d’être aimable alors que sa réservation des lieux était quelque chose d’élémentaire pour lui. « Je suis navré mais je vais devoir vous demander de partir à moins que vous ne soyez venir m’avertir de quelque chose, auquel cas je vous demande de faire vite, j’ai beaucoup de travail qui m’attend. » Il ne voyait pas le visage de la personne et sur le moment, il n’en n’avait eu cure. Sûrement changerait-il d’avis plus tard…

Cette voix ne lui semblait pas inconnue, à priori. Eventine ne put décemment s’empêcher de froncer légèrement les sourcils : certes, il était constamment reconnu dans les couloirs de Harvard ou même les rues de Cambridge mais de là à ce que l’on s’exprime face à lui dans un français parfait, il y avait une frontière relativement imposante. « Quelque chose me dit que vous n’étiez pas contre le fait de retarder un peu vos révisions, Mademoiselle Delcroix » fit-il d’une voix un tantinet plus chaleureuse, alors qu’il venait d’apercevoir de façon plus nette le visage de la jolie française, qu’il connaissait bien évidemment et pour cause : il avait flirté avec elle fut un temps. Ce n’est pas le genre de chose que l’on oublie, et encore moins lorsque l’on est un prince : tout évènement qui échappe au protocole est gardé jalousement dans son esprit, comme s’il allait être impossible de les reproduire… et le fait est. Eventine avait eu relativement peu d’occasions fabuleuses tant il était sans arrêt surveillé. Une surveillance extrêmement lourde à gérer et qui lui tapait sur le système les trois quart du temps. « Je n’avais pas eu vent que tu étais à Harvard » reprit-il toujours dans la langue de Molière, sa langue natale qu’il maîtrisait à la perfection, en s’octroyant le droit néanmoins de repasser au tutoiement vu qu’il ne s’agissait pas là d’une simple inconnue. « Vu que je te connais il va sans dire que tu ne me déranges pas. Pardonne ma rustrerie mais je pense que tu connais la chanson, je ne suis jamais seul et encore moins tranquille alors les rares fois où je peux réserver le théâtre à l’aube pour m’y entraîner, je ne me prive pas… j’ai presque une idée du paradis » avoua-t-il avec malice, offrant même à Julia l’opportunité d’entrevoir son sourire toujours aussi mystérieux, même fugacement. « Que deviens-tu alors ? Tu es étudiante ici vu que tu t’en allais à tes révisions… »

Eventine esquissa un petit sourire amusé mais prit le compliment qu’elle lui faisait avec distance : il s’avérait plus secret qu’auparavant, en vue de se protéger, mais rien ne l’empêcha de sauter de la scène après avoir reposé son violon au sein de son écrin pour mieux faire un baisemain à l’attention de Julia. « Sottises, l’étoile qui illumine cette salle se trouve devant mes yeux » fit-il d’un air charmant avant de se redresser, croisant par la suite ses bras contre son torse sans la quitter une seconde du regard. Il ne la dévisageait en aucune manière mais ne souhaitait pas perdre une miette de son discours, nettement plus facile à entendre maintenant qu’il s’était rapproché. La fin lui arracha d’ailleurs un sourire plus franc, qui laissa entrevoir sa dentition parfaite et blanche, pour mieux l’inciter à reprendre un air visiblement amusé : « En effet mes moments seuls se font de plus en plus rares mais ce rythme ne date hélas pas d’hier alors à la longue, disons que l’on s’y fait. Ceci dit, pour te répondre, je suis ici depuis quatre ans pour ma part, et je fais des études de musique et de langues étrangères. » Eventine n’alla pas jusqu’à lui préciser qu’il s’agissait d’un pacte entre lui et son oncle Albert afin de ne surtout pas être contraint de devoir étudier la politique ou ce genre de choseries… il considérait que cela ne la regardait pas. « Pour avoir compagne encore faudrait-il que j’ai du temps par conséquent navré de te détromper mais si, je fais bien partie du club des célibataires. Ceci dit… le droit, ce n’est pas trop ennuyeux ? »

Eventine émit un bref sourire, bref mais bien présent. « Disons que j’ai passé un pacte avec mon oncle pour être ici. Le tout est que j’ai un diplôme… alors il m’a laissé choisir en quoi mais passer par la case diplôme n’était pas négociable à vrai dire. Je préfère faire style d’avoir quelque chose à apprendre en musique plutôt que de devoir m’ennuyer sur des études genre politique ou affaires étrangères. Je ne suis pas comme toi, finir avocat, ça n’a jamais été dans mes plans » avoua-t-il en toute simplicité et ce bien qu’il respectait ô combien la profession d’avocat, après tout, on peut en avoir tous besoin à un moment donné. Ceci étant, il préférait avoir un sentiment de liberté même infime en continuant de vivre de son violon et de cet instrument uniquement plutôt que de feindre d’être quelqu’un qui n’était pas… mais cette discussion lui parut bientôt des plus obsolètes alors que Julia lui posait une question à laquelle il ne s’attendait pas. Au début, il fut tenté de rire, comme si cela ne pouvait qu’être un plaisanterie, mais se retint de cette goujaterie en laissant simplement entrevoir sa surprise dans le fond de son regard sombre, rien d’autre. « J’avoue que tu me prends de cours, surtout ! » avoua-t-il sans peine car dieu sait combien Eventine mettait du temps à faire intimement confiance à quelqu’un. Cela ne voulait pas dire qu’il ne trouvait pas Julia désirable mais la conversation ne l’avait pas préparé à se prendre pareille question dans les dents. « Tu vas m’en vouloir si je te dis que je ne sais pas quoi répondre ? Ce n’est pas tant que c’est fini ou pas fini mais que je viens juste de te revoir après des années… c’est un peu soudain comme question, non ? » Julia devrait pourtant le savoir : il n’était pas homme à coucher à droite et à gauche sans raison ni attachement quelconque. Et pour le coup, il s’en passa nerveusement la main contre la nuque de nervosité tant elle le prenait de cours.

« Tout comme ton choix d’études te correspond tout à fait, je dois dire. J’ai le souvenir d’une demoiselle qui aimait déjà aider son prochain au-delà des mots lorsque nous étions adolescents. Je ne suis pas très étonné que tu aies pris cette voie au bout du compte même si, j’imagine que les esprits chagrins diront que tu ne fais que suivre aveuglément les traces de ton père. J’espère que tu laisses parler ces mauvaises langues » reprit-il d’un ton à la fois sérieux et extrêmement doux, Eventine connaissant pertinemment la nature de Julia et n’ayant guère besoin qu’elle lui rappelle qu’elle savait rester modeste malgré ses origines nettement moins modestes. Il en avait pleinement conscience à vrai dire, et cela avait même toujours été le cas. « Me blesser ? » reprit-il subitement, surprit à nouveau. Le beau brun éclata subitement de rire, cette fois-ci amusé par la façon de voir les choses de Julia. Il lui fallait la détromper illico presto dans ce cas. « Tu ne m’as pas blessée, ôte-toi donc ce genre d’idées de la tête ! Surpris oui bien sûr, je ne vais pas prétendre le contraire mais ce n’est pas comme si nous ne nous connaissons pas depuis suffisamment longtemps pour que cela ne me gêne pas. A mes yeux tu es toujours restée une amie chère à mon cœur et crois bien que je n’ai pas l’intention que cela change » avoua-t-il non sans lui offrir un sourire des plus charmeurs et encourageants à la fois.