dix-sept avril 2013
Une douleur qui se répand dans tout le corps. Dragan s'abandonne à cette sensation de brulure, le choc l'y aide. Un bruit qui s'intensifie avant d'être coupé net. L'étrangeté d'un silence de plomb tout à coup apporte une sorte de sérénité au garçon, qui se figure que tout va mieux se passer désormais. Peut-être que c'est la fin. Bien qu'une petite voix bien logée dans sa tête lui demande de garder les yeux ouverts, il ne résiste pas plus longtemps, fermant les yeux. Il s'attend à y trouver du noir, mais poussé par son instinct de garçons ayant visionnés trop de comédies sentimentales, il s'efforce de devenir le propre héros d'une vie qui touche à sa fin.
Il paraît que quand on s'en va, on voit tout ce qu'on aime et toute sa vie aussi. A défaut de se sentir capable de garder les yeux ouverts, il concentra son énergie a sélectionner des brides de passé. Ca devient difficile cependant. Ses sens sont émoussés, ses souvenirs vont de paire. Alors qu'il s'apprête à abandonner, la douleur resurgissante lui rendant cet exercice trop douloureux, le miracle opère, tandis qu'il a l'impression que les dernières brumes de vie se dispersent dans l'atmosphère.
Tu veux tenir ta petite soeur, mon chéri ? La petite frimousse pouponne de Lilly, ses petites boucles brunes, déjà présentes, le visage de sa mère, rougeaud et fatigué et lui, âgé de huit ans, maladroit, incapable de dévier son regard du bébé. Cela ne dure pas longtemps et une nouvelle bride s'accroche à la première.
Lâche moi, Dragan ! Tais toi, tu ne peux pas descendre de toute façon qu'il réplique à cette gamine, perchée sur son épaule. Il la soulève sans mal. Elle est fluette, puérile, mais mignonne dans son genre. Elle est jolie et puis il l'aime bien. Dragan aime bien Ivy. Dès lors que le visage de poupée de la jeune femme apparaît, cette image ne le lâche plus.
Ivy, dans ses jolies robes de princesses, son air renfrogné quand elle est malheureuse ou fatiguée, son sourire aussi, celui qu'elle n'a pas tardé à lui réserver, celui qui l'aveugle, celui qui illumine la pièce. Sa façon de prononcer son prénom. Bordel, ce que ça sonne bien dans sa bouche. Son parfum, le goût de ses baisers, le sentiment d'amplitude qui l'empare lorsque leurs lèvres se frôlent. La tristesse résignée dans ses yeux et ce baiser d'adieux. L'ultime baiser. Puis le vide et le départ pour un nouveau chapitre.trois juin 2013
Des voix, dans un premier temps inaudible, plus doucement, plus juste, plus compréhensibles. Des contours qui se dessinent. Au bout de quelques secondes, il prend conscience qu'il a ouvert les yeux. Quand est-ce qu'il les a fermé. Saisit de vertige, il s'apprête à les refermer, mais l'agitation ambiante le trouble. On lui parle. Oui, c'est à lui qu'ils s'adressent. Pourquoi est-ce qu'ils sont si bavards ? Pourquoi on ne peut pas le laisser dormir ? D'ou lui vient cette fatigue si assommante ? Ce lit n'est pas franchement confortable. Pourquoi est-il sur un lit d'ailleurs ? Et puis qui est-ce garçon qui se pose tellement de questions. Effrayé, Dragan essaie de se redresser mais une main bienveillante le force à se calmer. La femme fait preuve de douceur et il ne devrait pas avoir de mal à s'imposer dans cette guère tendre, pourtant, il ne parvient pas à répondre en se relevant malgré tout. Il se sent si faible, comme fait de coton. Ce n'est pas sa préoccupation première cependant.
Ou je suis ? Qui êtes vous ? Et moi, je... Sa voix tressaille. La confusion et la peur s'y ressent vivement. Il se sent tétanisé, comme un animal prit au piège. C'est ça : il se sent pris au piège. Seulement quelques personnes à son chevet et pourtant, il se sent si étouffé. Il lui faut de l'air.
Calmez-vous, Dragan, tout va bien maintenant. Tout va bien. Dragan ? Quel prénom bizarre. Il secoue la tête, chagriné. Non, ça ne va pas. Il a l'air d'aller bien, franchement ? Vous êtes à l'hôpital, mais tout va bien.
N'ayez pas peur, vous devez vous reposer. Il n'a pas peur. Non, il est terrorisé. Il ne croit rien de ses mots visant pourtant à le consoler, à le rassurer. Il est incapable de se poser, de réfléchir, de se calmer. C'est précisément ce qu'on lui demande pourtant. Il n'y arrive pas. L'agitation l'effraie et le vide déconcertant dans sa tête l'exaspère, lui donne des sueurs froides. Dragan c'est quoi ? Son prénom ? Il se mord la lèvre, trop fort. Un goût cuivré de sang se répand dans sa bouche. Une main essaie de la lui faire ouvrir. Il se braque. Son regard est fuyant et ce qu'il ne voit ne le rassure guère. Le goût du sang lui donne la nausée, les regards qu'on porte sur lui lui confirme que quelque chose ne tourne pas rond. Ce vide n'est pas normal. Il devrait savoir, il ne devrait pas être ainsi. Regarder devient bien vite insupportable, alors il ferme les yeux. Fort. Très fort. Le noir apaisant et les souvenirs rassurants ne viennent cependant pas, cette fois-là.
neuf juillet 2013
Dragan quitta l'hôpital avec un goût amer plein la bouche. Il était sortit du coma depuis à peu près d'un moi et si les contours se faisaient plus précis qu'à son réveil, il se sentait toujours aussi largué. Il savait qu'on l'avait ramené aux Etats-Unis après retrouver son corps meurtri, pour lui administrer des soins. Il savait qu'il était resté plongé dans le coma durant deux mois. C'était à peu près tout pour ce qui était des certitudes. On lui avait expliqué qu'il se trouvait à Boston et qu'il était normal que ses souvenirs soient aussi confus. De l'avis des gens gardant un oeil sur lui depuis son réveil à l'hôpital, il n'était pas anormal qu'il se réveille la nuit, en sueur, incapable de se remémorer son prénom. Ca le faisait tout de même flipper. Par dessus le marché, il était seul. On lui avait rendu quelques affaires qui ne lui avaient rien inspirés d'autres qu'une sorte de curiosité bizarre, mais le fait de ne pas reconnaître son propre petit bazar l'avait rendu au final plus morose qu'autre chose. Il avait retrouver quelques photos dans un porte-feuille bien aimé et on avait essayé avec lui de déchiffrer les visages, les expressions, les informations. Tout le monde cherchait à donner un peu de sens à son existence si confuse qu'elle lui semblait être tout simplement imaginaire. Cette gamine, une adolescente aux traits d'enfant, lui ressemblait pas mal avec ses boucles dorées par le soleil et ses yeux rieurs. Soit, pas autant que la femme l'étreignant sur les photos. Oui, clairement, il était lié à cette grande femme souriante, tant il en retrouvait le portrait craché lorsqu'il se regardait le miroir. Sa famille sans doute. Sauf que ce n'était pas logique : peut-être qu'ils n'étaient plus là, car s'il faisait parti de cette famille, pourquoi n'avait-il toujours pas rencontré ces gens ? Ils devaient compter pour lui pour qu'il conserve ses clichés, mais est-ce que lui comptait ? Parmi les photos, il y en avait une un peu plus grande bien que plus écornée, comme si elle avait été trop longtemps pliée et dépliée. C'était dur de le reconnaître, ce garçon arborant un air très épanoui alors qu'il serrait une fille dans ses bras d'un air protecteur. Pourtant, c'était lui, nul doute là-dessus. Lorsqu'il avait découvert cette photo, il n'avait eu brusquement qu'un seul mot à la bouche, un prénom plus précisément.
Ivy. D'ou ça sortait ? Il n'en savait foutrement rien, mais c'était là et ça ne le lâchait pas. Ce fut une sorte de déclic : lorsqu'il eu comprit qu'il avait conservé ce prénom avec lui jusque-là, il se mit à envisager d'avoir put garder d'autres souvenirs, trop enfouis jusque-là. Malgré tout, c'était ce prénom qui revenait sans relâche. Une véritable obsession. Ca sonnait bien. Plus que n'importe quoi. Comme pour se sortir ce prénom de la tête et ce visage sur cette photo, il essaya de se concentrer sur autre chose. Sur un bout de sa vie ? Sur sa famille ? Non. Ce fut une sorte de révélation, alors qu'il changeait de chaînes à l'hôpital alors qu'il s'y trouvait pour quelques jours, pour des examens de routine depuis son réveil. Une émission historique. Ca lui avait plut, assez pour qu'il fasse la tronche comme un écolier lorsqu'on le coupa en plein dans celle-ci pour aller se faire examiner. Même si ça n'avait pas le moindre sens, il arrivait à en retenir plus de l'histoire que des propres bouts de sa propre vie. Il pense que ce n'est pas nouveau, il a même l'impression que ça lui reviens. Certaines connaissances se sont réveillées, plus ou moins techniques, mais lui facilitant la reprise intensive qu'il s'est imposé ensuite. Ca lui permettait de se changer les idées. Les connaissances qu'il a conservé en dépit de ses deux mois passés dans le coma s'avèrent être plus claires que tout ce qu'il est capable de dire sur lui-même, ou sur le reste. C'était triste dans le fond, mais la vie de son pays, des peuples des époques passées, trouvait plus de sens à ses yeux que la sienne, toujours aussi désespérément brouillonne.
quinze août 2013
Tu devrais avaler quelque chose, tu vas finir par tourner de l'oeil et c'est pas le moment Dragan. Il secoua la tête. Ses jambes ne le portaient plus que difficilement tant il se sentait stressé. Il évitait le regard de son amie. Il avait rencontre Claire à Boston, elle aussi avait sa petite histoire avec les hôpitaux. Elle était plus jeune que lui, pétillante, un peu directive, genre maîtresse d'école casse-pied, mais elle était cool et là. Elle aimait bien l'histoire même si elle levait les yeux au ciel d'un air consterné lorsqu'il en parlait trop. Elle le laissait parler de sa si fameuse Ivy. Cette fille qu'il ne connaissait pas mais qui l'obsédait encore plus que l'histoire. Elle n'avait pas trouvé stupide qu'il la recherche, uniquement guidé par son propre lieu de naissance et le prénom de la demoiselle, ainsi que sa connaissance du temps que lui même avait passé à Cambridge quelques mois avant d'être amené à l'hôpital, dans le coma. Elle n'avait pas trouvé bête qu'il veuille rentrer à Harvard et qu'il s'acharne à apprendre le moindre petit et infime détail de l'histoire du monde avec une passion qu'elle avait trouvé aussi désarçonnante qu'émouvante et admirable. En fait, lorsqu'il avait réussi à obtenir de pouvoir venir passer des tests dans l'espoir de faire sa rentrée en septembre, elle l'avait même encouragé. Et elle était là, avec lui, à s'efforcer de le rassurer sur le fait qu'il ne pouvait que réussir vu qu'il était devenu en si peu de temps une véritable encyclopédie, tandis qu'il lui rétorquait qu'elle exagérait tout. Elle l'aimait bien. Il ne voyait rien. Ivy. Ivy. Rien que ce mot, dans la bouche du garçon. Peu importe, cette Ivy n'était pas là, elle oui. Présente pour lui. Claire fit un peu de bruit en ouvrant un sachet de biscuit. Troublé dans sa récitation silencieuse des dates de la seconde guerre mondiale, Dragan baissa les yeux vers elle, sourcils froncés. Elle le fit sursauter en brandissant vivement le gâteau devant lui.
Si tu manges pas ça de suite, je te jure que je vais te le fourrer dans la bouche moi-même. Il grimaça mais céda malgré tout, portant le gâteau à ses lèvres d'un air blasé. Il l'avala par petites bouchées, sans parvenir à mettre de côté son anxiété.
Ivy. Il avait le sentiment d'en être plus proche maintenant. C'était peut-être un peu bête : soit, Claire ne trouvait pas ça stupide, mais franchement, il avait l'impression que c'était bien la seule. Maintenant, il n'était plus capable de reculer. Il ne pouvait plus marcher de toute façon, il risquait de tomber, ses jambes lui semblant aussi instables que si elles étaient essentiellement faites de coton. Et puis il devait réussir, c'était trop important pour échouer.
depuis la rentrée 2013
Son travail a payer : Dragan a fait sa rentrée à Harvard, non sans en tirer une bonne dose de satisfaction personnelle. Réussir les tests, c'était signe que monsieur n'était pas totalement bon à rien. Bien sûr, il s'était sans doute trop mit la pression. L'histoire ne semblait pas l'avoir quitté, à l'inverse de tout le reste et lorsqu'il s'était retrouvé devant des gens qu'il était sensé impressionné de par ses connaissances, il était parvenu sans difficulté, bien qu'il y ai eu de la gêne au début, à s'exprimer aisément. Des connaissances passées, qu'il ne se souvenait pas avoir travaillées, mais bon, elles étaient là et puis le reste, plus récent, sans être pour autant tellement plus frais dans sa tête. Peut-être que c'était un petit coup de pouce après son gros coup de malchance : ses connaissances, stockées dans une partie de sa mémoire et restées là, avec lui, en dépit de sa confusion sur à peu près tout le reste. Installé sur le campus, un peu renfermé sur lui-même, bien que manquant pas de charisme et n'ayant jamais été timide pour un sous par le passé, Dragan est un élève studieux, bien que son mal de tête se réveille souvent. Il ne lâche rien : il maitrise son sujet. Naturellement, le prénom d'Ivy reste là, bien ancré dans sa tête et s'il ne l'a pas encore retrouvée, il ne l'en oublie pas pour autant. Il est là pour elle. Malgré tout, il commence à penser qu'il est peut-être là aussi pour lui : après tout, n'est-il pas sensé recommencer sa vie, désormais ?