« Des deux ! » s'exclama-t-il simplement, continuant à se dandiner et à faire son petit show. Il sentait le regard d'autres personnes, de l'autre côté des cabines, mais il n'en avait que faire de ce qu'ils pourraient penser. Après tout, il ne faisait absolument rien de mal, bien au contraire ! Il s'amusait en bonne compagnie et il était décent. Pour le coup, il se trouvait même stylé et ne rougirait certainement pas de l'image qu'il donnait aux autres de sa personne. Non pas qu'il avait honte de ses joggings délavés... Enfin si, un peu quand même, maintenant qu'il s'était rendu compte à quel point il s'était négligé. Avant, il était dans le déni, mais depuis qu'il s'était mis en tête de prendre soin de lui davantage et de mieux s'habiller, il était beaucoup plus conscient de l'image qu'il renvoyait et avait une grande envie de l'améliorer. Il pensa à la tête de ses enfants lorsqu'ils le verraient pour la première fois vêtu avec ses nouveaux vêtements. Cela le fit sourire grandement, amusé rien que de les imaginer se demander ce qui s'était passé.

« Yes ! Je reviens dans cinq minutes avec une autre tenue pour te charmer, beau gosse ! » dit-il, se faufilant de nouveau dans la cabine. Et c'était parti pour la revue de mode. Plus il faisait d'essais, plus Leslie se lâchait en dansant un peu plus à chaque fois, sous l'oeil amusé de son ami. Finalement, ils validèrent trois tenues différentes, dans lesquelles le quinquagénaire se trouvait à l'aise, et qu'Andy trouvait charmantes. Bref, c'était parfait ! Il n'aurait jamais cru trouver tout de suite autant de choses dans le premier magasin qu'ils visiteraient.
Ils prirent la direction de la caisse, satisfaits tous les deux de leurs trouvailles.
Là, alors que Leslie sortait sa carte pour payer, Andy quant à lui, tenta sa chance et se mit à râler. Décidément, il était expert en la matière, et son regard de tueur fonctionnait très bien car la vendeuse, complètement penaude, baissa les yeux et leur accorda une grande ristourne. C'était dans les cinquante pourcents ou un truc comme ça ! Leslie sourit simplement, la remerciant de « ce geste commercial » affichant un sourire totalement naturel, contrairement à Andy, qui semblait vraiment lui tenir rigueur pour la façon dont elle l'avait accueilli à leur arrivée dans les lieux.

Ils sortirent de la boutique, un grand sac dans la main, joyeusement. « Et bah ! Tu obtiens toujours ce que tu veux toi ! » dit-il. « Et d'ailleurs, merci ! Grâce à toi, il me reste du budget pour de nouvelles chaussures... » dit-il. Bien sûr, il n'allait pas acheter des chaussures de ville classique, il ne les supportait pas. Mais il pouvait bien trouver des baskets ou des chaussures de marche qui faisaient un peu plus habillées que celles qu'il avait aux pieds à présents. Elles étaient de bonne facture, donc n'étaient pas déchirées, mais cela se voyait qu'elles avaient vécu. En tous cas, elles complétaient bien son style actuel, avec son vieux pantalon usé.

Andy baissa les yeux, les posant pour la première fois sur les chaussures fatiguées de son ami. Il sembla aussitôt d'accord, et l'indiqua d'ailleurs de vive voix.
« Oui, ma mère me disait toujours que de mauvaises chaussures pouvaient gâcher une tenue complète. » Et c'était vrai, les chaussures étaient partie intégrante du style d'une personne. Imaginez une belle robe avec de vieilles chaussures déchirées, cela rendait bizarre !
Bref, c'était une vérité plutôt universelle dans le monde du stylisme. Sauf pour Leslie qui n'avait aucun style du tout, et enfilait ce qui lui passait sous la main. Mis à part le jean de la dernière fois, il n'achetait jamais aucun vêtement. Cette virée shopping était une première depuis des années. Les deux hommes choisirent un magasin de chaussures au hasard, puisque cette technique avait bien fonctionné avec les pantalons et hauts. Leslie jeta un œil, s'approchant d'une étagère, prêt à prendre une chaussure pour l'observer de plus près, lorsque, subitement, Andy se saisit de sa main.
Étonné, il se laissa faire lorsque l'autre homme le tira pour le mener ailleurs, disant alors que l'endroit était mal famé. Leslie n'y prêta même pas attention, ne comprenant nullement ses explications, car tout son être n'était focalisé qu'avec une chose : le contact de sa main qui serrait la sienne. Il aurait pu le prendre par le bras, ou simplement lui tapoter l'épaule et lui dire de sortir au plus vite ; il l'aurait fait. Mais non, sa main était venue trouver la sienne.

Et ils sortirent des lieux, prenant la direction d'une autre boutique comme l'aurait fait un petit couple en plein après-midi au centre commercial. Ses joues se rougirent, son cœur se mit à battre de plus en plus vite. Leslie ne se rendit même pas compte lorsqu'ils furent arrivé à bon port. Il était complètement perdu dans son esprit, s'imaginant mondes et merveilles, tenant sa main, qu'Andy avait relâchée, tout contre lui. C'était comme si son amant venait de lui offrir quelque chose de précieux, alors que ce n'était qu'un bref contact auquel l'autre homme n'avait même pas réfléchi plus d'une seconde.
« Hein ? Comment ? » demanda-t-il lorsqu'il entendit la voix d'Andy retentir de nouveau. Il sortit alors de sa transe, reprenant contenance et regardant autour de lui. Le genre ? Quel genre ? Ah oui, les chaussures.

« Oh, je pensais à des baskets, mais qui font plus habillées. Un peu plus sobre que des chaussures de sport classique. Je marche beaucoup, alors je veux quelque chose d'adapté... » finit-il par répondre. Il avança dans les rayons, avant de demander, d'une voix claire et taquine : « Tu as vu un fantôme dans l'autre boutique ? »

Oh alors une ex pénible ? Tant mieux qu'ils l'avaient évitée alors, la situation aurait sans doute été gênante. Leslie préférait éviter la négativité du monde et les conflits en général, même s'il n'avait pas toujours le choix que de les affronter.
« Pour être pénible, elle devait l'être intensément, pour que tu fuis de la sorte... » commenta-t-il simplement, le regardant de côté, d'un air taquin. Leslie n'était pas jaloux des histoires passées d'Andy. D'une histoire actuelle ? Oui, certainement le serait-il. Cependant, il n'en avait pas le droit, puisqu'ils n'étaient pas ensemble, ils ne formaient pas un couple. Leslie était juste un compagnon agréable pour Andy, rien d'autre. Ils n'étaient pas dans une relation exclusive. Cette pensée le heurta subitement de plein fouet. Et si Andy voyait d'autres personnes en ce moment ? Voulait-il le savoir ? Ou, au contraire, serait-il plus judicieux qu'il évite d'en connaître davantage à ce sujet pour conserver son cœur et ne pas trop le briser... mais en même temps....

« Tu fréquentes d'autres personnes en ce moment ? » demanda-t-il, de but en blanc, alors qu'Andy lui avait indiqué des chaussures sur l'un des étalages. Il essaya de le dire sur un ton désinvolte, comme s'il parlait de la pluie et du beau temps, mais l'idée même qu'il n'en était qu'un parmi tant d'autres, que les soirs où lui ne venait pas, Andy voyait d'autres personnes, le rendait malade. Et en même temps, il avait l'espoir fou que ce n'était pas le cas... Ils se voyaient souvent, quand aurait-il le temps d'aller chercher d'autres conquêtes à ramener dans son appartement ?

L'air désinvolte forcé, il se saisit de l'une des chaussures qu'ils avaient repérées. Il la plia, pour en tester la souplesse, qui était vraiment bonne. La couleur, grise pâle, était sympathique également. Le prix, correct pour une chaussure de cette gamme. « Excusez-moi ! » s'exclama-t-il, voyant passer un vendeur, qui hocha la tête en lui souriant. « Est-ce que vous auriez ce modèle en 43 ? » demanda-t-il simplement. Il était calme à première vue, mais son cœur battait la chamade tant il était éprouvé à l'idée qu'Andy n'était pas sien.

Alors que le vendeur était parti avec la chaussure en main, pour aller chercher la bonne taille en stock, Leslie tentait de se calmer et de faire comme si de rien était. La réponse d'Andy tardait, et Leslie retenait sa respiration, tentant de se calmer, les mains moites. Et finalement, l'attente prit fin. En même temps que le vendeur ressortait de l'arrière-boutique, Andy lui répondait qu'il ne voyait personne d'autre. Ce fut comme s'il pouvait respirer librement de nouveau, et il ne put empêcher un sourire de venir habiter ses lèvres. Andy n'était peut-être pas sien, mais il n'était à personne d'autre. C'était terrible, cette sorte de jalousie et de possessivité qui venait le titiller... Ce n'était pas dans sa nature d'agir de la sorte, de vouloir que quelqu'un lui 'appartienne'. Il devait sacrement être tombé amoureux... S'attacher si facilement, comme un idiot. Mais que voulez-vous, le cœur à parfois ses raisons que la raison ignore.
Il lança un petit regard doux à Andy, s'apprêtant à rendre l'atmosphère moins solennelle, en disant une bêtise du genre 'forcément, c'est dur de trouver quelqu'un qui puisse m’égaler' ou 'bien sûr, après m'avoir goûté, les autres plats semblent très fades' mais n'en eut pas le temps ni la véritable envie. Le vendeur revint avec une boîte contenant la paire en taille 43, et Leslie s'assit sur une banquette prévue à cet effet dans l'optique de l'essayer.

« Moi non plus. » dit-il simplement. Il savait pertinemment qu'Andy le savait, puisqu'ils avaient déjà discuté de son manque d'expérience et de sa vie sentimentale ces dernières années. Mais Leslie avait jugé bon de le dire, à ce moment-là.
Il enfila une des chaussures, mais le modèle devait tailler petit, car elle était très inconfortable.
« Est-ce que je pourrais essayer la taille au-dessus, s'il vous plaît ? » demanda-t-il au vendeur, qui était resté à côté pour s'assurer que tout allait bien pour ses clients. Celui-ci accéda bien évidemment à sa demande, et quelques minutes plus tard réapparut avec la même paire en taille supérieure. Bon, cette fois-ci, c'était mieux.

Il marcha quelques pas, et s'arrêta devant un miroir pour se regarder. Elles étaient simples et efficaces. « Qu'est-ce que tu en dis ? » demanda-t-il à Andy. « Je me demande si je devrais pas essayer les mêmes en blanc pour voir ? »

Leslie tenta de faire comme si de rien était, comme si sa question avait été de la simple curiosité, et pas une question terriblement lourde de sens pour lui. Il essayait d'agir comme s'il n'aurait pas été blessé s'il avait appris qu'Andy voyait d'autres personnes en ce moment, qu'il n'était pas le seul à réchauffer son lit. Il n'avait jamais été bon en poker face et il savait très bien qu'Andy n'était pas dupe. Au contraire, loin d'être un idiot, c'était un homme intelligent et il avait sans doute compris depuis longtemps que Leslie s'était attaché sentimentalement à lui. Il ne pouvait juste pas s'imaginer à quel point et c'était mieux ainsi. Leslie aurait sans doute le cœur brisé, à un moment ou un autre de leur relation, mais s'il lui avouait ses sentiments, il était certain que l'autre homme le rejetterait. Et non seulement il aurait le cœur brisé, mais il perdrait ce qu'ils avaient avant. Leslie se sentait bien, heureux à ses côtés, alors pourquoi tout casser pour de la sémantique, pour une envie d'être en couple officiellement, pour une envie de lui souffler des mots doux et de lui donner des baisers en toute heure et en tout lieu... Pour une envie de créer un avenir ensemble, de construire des projets. C'était surcoté tout cela. Il ferait mieux de garder le peu qu'on lui donnait, qui représentait d'ailleurs déjà beaucoup. Surtout en sachant qu'il était le seul dans ce cas pour Andy, qu'il ne collectionnait pas les amis avec plus d'affinités...

Les chaussures étaient confortables, et allaient très bien à ses pieds. Et surtout, avec cette jolie couleur grise, elles iraient avec tout. « Tu as raison... je les aime bien. » Et il commençait à fatiguer des essayages. Les couleurs claires étaient certes plus salissantes, comme le relevait Andy, mais Leslie ne comptait pas marcher dans la boue. Bon, il demanda quand même la même paire en blanc, pour l'essayer. Ce qu'il fit rapidement.

« J'aime bien aussi en clair comme ça... Et si je prenais les deux paires ? » Après tout, ce n'était pas comme s'il avait des tas de chaussures dans ses placards, au contraire. Il n'avait que deux paires : la sienne et une qu'il avait acheté pour la course à pieds. Oh, et une troisième en fait : ses chaussures de sécurité du travail.
Ces chaussures n'étaient pas données, et représentaient un budget conséquent pour son porte-feuille peu fourni, mais il avait prévu le coup pour l'occasion. Et grâce à Andy qui lui avait obtenu une belle promotion dans le magasin de vêtements, son budget s'était trouvé soulagé.

« Aller, je prends les deux ! » dit-il à l'attention du vendeur. Au moins, il aurait moyen de changer de paire de temps en temps et donc, de les abîmer bien moins vite. Le vendeur rangea les chaussures dans les boites en carton et Leslie passa à la caisse. Ils sortirent ensuite du magasin et le quadragénaire se dit que, quitte à dépenser, autant épuiser le budget. Il commençait sincèrement à fatiguer des magasins... Piétiner toute la matinée, c'était le pire ! Et pourtant, il était habitué, avec son métier !
« Ça te dit qu'on se prenne un smoothie ? » proposa-t-il à son ami, en indiquant du menton, ses deux mains étant occupées par des sacs, un bar à jus et smoothies qui se trouvait au bout de l'allée.