Cold heart ─ Pandaven

Elle réalisait enfin dans quelle position elle se trouvait, et si Raven ne se disait pas qu'il était rassuré de la voir aussi résignée, il était juste un poil plus confiant. Si elle continuait ainsi, elle retrouverait finalement une vie relativement normale, avec sa routine, et peut-être même qu'il l'apprécierait suffisamment pour limiter les crasses. La balle était dans le camp de Pandora, plus qu'elle n'était dans le camp de Raven, quand bien même ce dernier pensait détenir tous les pouvoirs. « Exactement. » Il avait répondu avec ce seul mot empreint d'une certitude non feinte. C'était tout. Pas de bruit. Pas de vague. Pas de grabuge. Juste une soumission totale à lui, et tout irait bien pour elle ; il faisait parti de ces loups mentionnés plutôt, et elle devait le savoir, mais la cage dans laquelle elle se trouvait la protégeait des autres, autant qu'elle le protégeait de lui. Elle était son repas, ca captive, sa petite chose précieuse. Et alors qu'il buvait une nouvelle gorgée de sa boisson, elle le questionnait à nouveau, mais il se sentit aucune défiance dans ses mots. C'était plus... de la curiosité. Il songea à ne pas lui répondre et l'ignorer, purement et simplement, mais après tout, pourquoi pas ? Pour qu'elle comprenne qu'il existait bien plus que les limites de son comportement. « Autant de temps que j'en aurai envie. » Il haussa les épaules. « Peut-être que demain je changerai d'avis. Je finirai peut-être par me lasser et tu disparaîtras, d'une façon ou d'une autre. Ça dépend. » Ces mots balancés avec une indifférence effroyable. « Mais peut-être que je découvrirai tes petits secrets aussi. Peut-être... que je pourrai changer un peu les barreaux ou la taille de ta cage. Peut-être que je vais jouer aussi, ou peut-être qu'un jour, je l'ouvrirai pour te laisser partir. La vie est pleine d'incertitudes, tu ne trouves pas ? » Une discussion des plus normales.

Pandora sentit chaque mot de Raven s’insinuer en elle comme un poison lent. Autant de temps qu’il en aurait envie. L’idée qu’il puisse se lasser d’elle, qu’il puisse simplement décider de la faire disparaître sans la moindre hésitation, la fit frissonner. C’était cette indifférence, cette façon de parler de sa vie comme si elle n’avait aucune valeur intrinsèque, qui la glaçait jusqu’à l’os. Elle serra un peu plus fort le gobelet entre ses mains, ses doigts tremblants légèrement. Il jouait avec elle, oui, mais c’était un jeu dont les règles changeaient au gré de ses humeurs. Rien n’était stable, rien n’était sûr. Elle vivait dans cette incertitude permanente, un équilibre précaire où un mot de travers, un geste mal interprété, pouvait la condamner. Mais ce qui la déconcertait le plus, c’était cette possibilité qu’il la laisse partir un jour. Ce vague espoir qu’il avait glissé dans ses mots. Un espoir cruel. Raven n’était pas le genre à offrir des portes de sortie sans les verrouiller d’une manière ou d’une autre. Et pourtant, cette idée flottait dans l’air, comme une promesse qu’il n’avait pas besoin de tenir. Pandora le regarda, essayant de lire quelque chose dans ses yeux, dans ses gestes. Mais, comme à chaque fois, il demeurait insaisissable, une énigme qu’elle ne pouvait résoudre. Il détenait toutes les cartes. Elle n’était qu’un pion dans un jeu dont elle ne comprenait pas encore toutes les règles. Et cela la terrifiait autant que cela la fascinait. — Des incertitudes… répéta-t-elle doucement, presque pour elle-même, comme si ces mots avaient une résonance particulière. Oui, sa vie n’était plus qu’une série d’incertitudes. Elle ne savait jamais à quoi s’attendre, ce qui l’attendait le lendemain, ou même dans la prochaine heure. Raven aimait maintenir cette tension, cette ambiguïté. C’était ce qui lui donnait le pouvoir. Le pouvoir de décider du moment où tout s’effondrerait. Elle porta le gobelet à ses lèvres, mais cette fois, le goût sucré du pumpkin spice latte lui sembla amer. Un goût de trahison. Parce que, au fond d’elle, une part de Pandora savait qu’elle n’aurait jamais de véritable échappatoire. Pas tant que Raven serait là, pas tant qu’il déciderait de la garder dans sa cage. Même si cette cage changeait de forme, même si elle devenait plus grande, plus confortable, elle serait toujours piégée à l’intérieur. — Je suppose que je devrai m’habituer à l’incertitude, murmura-t-elle finalement, son regard se perdant un instant dans la foule lointaine, observant les gens qui passaient, insouciants, libres. Des étrangers vivant une vie qu’elle n’aurait plus jamais. — Parce qu’au fond, c’est ça ma nouvelle réalité, n’est-ce pas ? Elle se tourna vers lui, cherchant à capter son regard. Elle n’allait pas le défier, pas aujourd’hui. Elle savait où cela mènerait. Mais elle voulait comprendre, même si cela signifiait accepter temporairement son sort. — Je suis curieuse, Raven... dit-elle, sa voix calme, presque douce. — Qu’est-ce que tu attends vraiment de moi ? C’était une question honnête, sans sarcasme, sans défi. Elle voulait vraiment savoir. Parce qu’elle savait qu’il n’était pas là par hasard, qu’il ne la gardait pas en vie simplement par caprice. Il devait y avoir quelque chose, une raison plus profonde, plus enfouie. Une réponse qu’il n’avait peut-être pas encore formulée lui-même. Elle savait que poser cette question était risqué, qu’elle s’aventurait sur un terrain glissant. Mais elle avait besoin de comprendre. Parce que, si elle ne comprenait pas, elle finirait par sombrer complètement dans la peur, dans cette incertitude qui la rongeait jour après jour. Elle attendit, le cœur battant, espérant une réponse, un indice, quelque chose qui lui permettrait de mieux saisir la situation dans laquelle elle se trouvait.

De penser ainsi, Pandora n'avait pas tort. Aux yeux de Raven, sa vie n'avait de valeur que celle que les autres lui prêtaient, mais à titre personnel, elle n'en avait pas. Aucune n'en avait, sauf celle de son frère. Mais pour le reste, Raven ne songeait pas à l'espoir qu'il laissait entrevoir. C'était évident qu'il n'y en avait pas, et même s'il venait un jour à la libérer, elle se ferait sûrement dévorer par un autre. C'était comme ça, ici. Le loi du plus fort. Une véritable jungle. Raven ne voyait pas la vie autrement que comme une cimetière où les corps tombaient un à un. Certains de vieillesse, d'autres tous seuls, et quelques uns, poussés contre leur gré. Une vision particulièrement sombre de la vie. Il laissait la brune à ses pensées en reprenant sa boisson à son tour, mais reposait les yeux sur elle, encore, quand elle le questionnait à nouveau. Décidément, très curieuse aujourd'hui. Était-il d'humeur clémente pour autant ? Son sourcil s'arqua très légèrement, la moitié de son visage caché par son gobelet. Puis, après un instant de réflexion, il se releva et se plaça devant elle. Se penchant dans sa direction, le gobelet sur une marche, ses mains vinrent directement se placer de chaque côté de la jeune femme alors qu'il rapprochait son visage pour la regarder droit dans les yeux. « Dévotion. » Étrange. Il sourit, le murmure sur ses lèvres. Puis ses mains quittèrent les marches, et il se redressa pour la regarder depuis sa hauteur, un fin sourire amusé sur le visage. Était-ce ce qu'il voulait vraiment, ou jouait-il ? Il jouait sûrement, mais y avait-il un peu de vérité dans ses propos ? Était-il aussi morbide que ça, ou voulait-il juste l'affaiblir encore plus ?

Pandora sentit un vertige la prendre alors que les mots de Raven se gravaient dans son esprit, chacun d'eux laissant une marque indélébile. Dévotion. Obsession. Désir. Il la poussait dans un abîme où la peur et l'excitation se mêlaient dangereusement, où la menace de la mort devenait presque aussi envoûtante que la promesse d'une proximité tordue. Elle aurait dû se sentir dégoûtée, terrifiée uniquement. Pourtant, un frisson parcourut sa peau. Ce qu'il décrivait… cette idée qu'il puisse la posséder totalement, mentalement, physiquement, était terrifiante. Mais c'était aussi autre chose, quelque chose qu’elle n’avait pas envie de nommer. Parce qu’admettre cette part d’elle, cette part minuscule qui pouvait être attirée par l’idée même de cette domination absolue, revenait à lui donner une part de victoire. Et elle ne voulait pas ça. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se demander. Et si ? S'il la possédait au-delà de la peur, s'il cherchait plus qu'à la soumettre ? Il parlait d’obsession, de tremblements à son égard. Mais lui, que ressentait-il vraiment ? Est-ce qu'il pourrait un jour être lui-même consumé par cette obsession qu’il voulait tant voir en elle ? Est-ce que ce jeu macabre, cette danse entre la vie et la mort, pourrait un jour se teinter de désir ? Pandora baissa les yeux, fixant ses mains tremblantes. Serait-il capable de la désirer ? De vouloir son corps autant qu'il voulait contrôler son esprit ? Est-ce que ses yeux, perdus et apeurés, pouvaient éveiller autre chose chez lui que la satisfaction d’un pouvoir absolu ? Elle imagina un instant ses mains, celles qu’il avait déjà posées sur elle, se poser différemment. Non plus pour menacer, mais pour caresser, pour éveiller des sensations qu'elle n’aurait jamais cru possibles dans une telle situation. Elle sentit son cœur s'emballer, non plus seulement de peur, mais aussi d’une autre sensation qu’elle se refusait à explorer pleinement. Une possibilité tordue, celle où Raven, avec toute sa violence et sa domination, pourrait aussi être celui qui lui offrirait quelque chose de plus. Quelque chose qui frôlait l’interdit, le plaisir et la douleur entremêlés. Le souffle court, elle osa lever les yeux vers lui, son regard mêlant une peur authentique et une incompréhension face à ses propres pensées. Se pouvait-il que Raven la désire un jour ? Qu’il ne veuille pas seulement la briser, mais qu'il la désire pour tout ce qu'elle était : une créature terrorisée, perdue dans ce jeu, mais aussi quelqu’un qui pourrait lui offrir autre chose… une forme de soumission mêlée de plaisir. Elle se sentit vaciller sous cette dualité. La mort qu'il lui promettait était presque palpable, mais cette idée, infime et pourtant dévastatrice, qu'il puisse aussi la vouloir d'une manière plus charnelle, la consumait. Pouvait-il être attiré par le son de ses gémissements, par ses frissons de peur qui se transformeraient en quelque chose d’autre ? Raven voulait qu'elle tremble en pensant à lui, qu'elle soit hantée par sa présence, qu'il la possède dans chaque recoin de son esprit. Mais si ce jeu devenait plus que ça ? Si elle, malgré elle, se laissait entraîner dans cette spirale de désir tordu ? Pandora déglutit, tentant de reprendre ses esprits, mais la sensation persistait, effrayante et envoûtante à la fois. — Et toi… murmura-t-elle, sans même savoir si elle voulait vraiment la réponse. — Est-ce que tu y penses parfois ? À… ce que ça pourrait être, si ce n'était pas seulement de la peur ? Sa question flottait entre eux, dangereuse, lourde de sous-entendus qu’elle n’était peut-être pas prête à affronter. Mais maintenant qu'elle l'avait posée, il n'y avait plus de retour en arrière.

Pendant qu'elle songeait à tout ça, il l'observait. Ces quelques secondes où il pouvait discerner des pensées conflictuelles sans les entendre, mais en se doutant ce qu'elles pouvaient être. Pourquoi l'avait-il poussée sur ce chemin là ? Pourquoi lui avait-il dit ces choses, spécifiquement ? Est-ce qu'il les pensait, ou est-ce qu'il la testait ? Il n'oubliait juste pas, comme elle avait essayé de lui faire du charme. Elle voulait savoir elle lui plaisait, si elle avait un quelconque effet sur lui. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, mais il y avait une chose dont lui était sûr maintenant : c'était qu'elle, il lui faisait de l'effet. Quel qu'il soit, elle n'était pas indifférente, et s'il ne pouvait être certain de l'origine ─ la peur ou le désir, qui était arrivé en premier ? ─ il savait en revanche que plus il appuyait dessus, plus ça s'accentuerait. Qu'elle en rêve, qu'elle y pense ; qu'elle se dégoûte d'elle-même pour ces deux extrêmes incohérents, et lui il resterait là, à la regarder se battre contre elle-même. Alors aux questions qu'elle lui adressait, il ne répondit pas. Il se contenta de la regarder longuement, avec insistance, sans détourner les yeux, la laissant interpréter ce regard de la façon qui l'intéresserait. Elle pourrait y trouver du mépris, du désir, de l'indifférence, de l'incohérence ou de la moquerie, qu'il ne nierait aucune des réponses. Il la laissait choisir la réponse qui lui plaisait, car celle qu'elle choisirait serait celle qu'elle préférerait ou qu'elle craindrait le plus. Était-elle plus terrifiée qu'attirée, maintenant ? Qu'elle y réfléchisse.
Et après ce long silence, quand Raven se remis en mouvement, les rires des gamins près du centre commercial semblaient revenir. L'agitation, le brouhaha de la vie indifférente aux problèmes de Pandora. Raven grimpait les marches à côté d'elle et retournait dans la ruelle sans rien dire, s'éloignant juste pour cette fois-ci ne pas revenir. Il s'en allait, la laissant avec ses doutes, ses questions, et l'obsession sur des réponses que Raven gardait pour lui-même.

Pandora resta figée, son esprit tourmenté par le silence de Raven. Pas de réponse. Pas de mots. Juste ce regard. Ce regard intense, pesant, qui disait tout et rien à la fois. Elle s’était aventurée trop loin en posant cette question, et maintenant elle était laissée avec ses propres incertitudes, ses propres démons. Le silence de Raven était bien pire qu’une réponse claire. Il la forçait à interpréter ce qu’il ne disait pas, à lire dans ses yeux ce qu’elle redoutait le plus. Était-ce du désir ? Du mépris ? De l’indifférence ? Ou un mélange des trois ? Elle n’en savait rien, mais il lui laissait la tâche de décider, de choisir ce qu’elle voulait y voir. Et c’était insupportable. Elle le regarda s’éloigner, le bruit des rires d’enfants résonnant en arrière-plan, comme un contraste cruel à l’agitation qui se déroulait dans sa tête. Il la laissait là, seule avec ses pensées, avec cette tempête intérieure qu’il avait déclenchée. Il savait exactement ce qu’il faisait. En s’en allant sans un mot, il plantait en elle une graine de doute, une graine qui grandirait avec le temps, qui l’obséderait, la hanterait. Elle serra ses bras autour d’elle, sentant le froid s’insinuer dans ses os malgré la chaleur du jour. Pourquoi avait-elle posé cette question ? Pourquoi avait-elle ouvert la porte à des pensées si sombres, si confuses ? Elle aurait dû rester sur ses gardes, ne jamais laisser ses émotions s’exposer ainsi. Mais maintenant qu’elle avait laissé échapper ces mots, elle ne pouvait plus les reprendre, et ils flottaient autour d’elle, l’étouffant. Le silence de Raven n’était pas seulement un refus de répondre. C’était une invitation à la réflexion, à l’obsession. Il voulait qu’elle se torture, qu’elle s’interroge sans fin sur ce qu’il pensait vraiment, sur ce qu’il voulait réellement d’elle. Et ça marchait. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qui se passait dans son esprit. Est-ce qu’il la désirait ? Est-ce qu’il jouait avec elle juste pour la voir sombrer un peu plus dans la confusion ? Ou était-il simplement indifférent, la considérant comme une simple distraction dans sa vie chaotique ? Les pensées tourbillonnaient dans sa tête, chacune plus intrusive que la précédente. Elle sentait le poids de la peur et du désir se battre en elle, deux forces opposées qui la tiraient dans des directions contraires. Et c’était ça qui la rendait folle. Cette dualité entre l’attirance et la terreur. Parce qu’au fond, malgré tout ce qu’il représentait, une part d’elle se demandait ce que ce serait de s’abandonner à cette domination totale. De cesser de résister et de voir où cela la mènerait. Mais cette pensée la dégoûtait autant qu’elle la fascinait. Comment pouvait-elle même envisager une telle chose ? Comment pouvait-elle laisser cette possibilité s’insinuer en elle alors que sa vie entière était en jeu ? Elle secoua la tête, essayant de chasser ces pensées, mais elles restaient là, plantées comme des échardes dans son esprit. Raven avait semé le doute. Il avait planté la graine de l’obsession. Et maintenant, elle devait vivre avec ça. Avec ce silence, avec cette absence de réponse qui la pousserait à s’interroger encore et encore. Elle leva les yeux vers la ruelle où il avait disparu, son cœur battant toujours à un rythme effréné. Il reviendrait, elle le savait. Il ne la laisserait jamais tranquille. Mais cette fois, elle devait trouver un moyen de reprendre le contrôle, de ne pas se laisser consumer par ces pensées tordues qu’il avait éveillées en elle.

Elle ne pouvait pas le laisser gagner.

Pas encore.