Cold heart ─ Pandaven

Travailler dans le crime avait changé Raven, définitivement, mais il n'y avait pas que ça. Sa situation financière, mais aussi familiale, participèrent lourdement à l'altération de sa personnalité. Le masque jovial qu'il affichait était bien autrefois sa véritable nature, avant que la vie ne s'acharne sur lui pour le faire tomber. Genoux écorchés, il avait cédé, pour sa survie, à des parts d'ombre qui le terrifiaient avant, mais le protégeaient maintenant. Pandora, elle, vivait dans un monde différent, mais tous les deux semblaient avoir une prison les entourant d'une certaine façon. Si au début, elle s'était laissée faire, par moment, elle le défiait, et Raven n'était pas friand de cette audace. Une chance qu'il n'était ni colérique, ni impulsif, sans quoi il aurait pu céder à des émotions bien néfastes en l'écoutant. Raven la laissait encore venir à lui, comprenait sa métaphore, mais aussi la menace qu'elle voulait lui faire entendre. Raven sentit le coin de ses lèvres s'étirer en un demi-sourire. Presque désolé de l'entendre parler ainsi, il relâchait la corde et expirait lentement, sa main se posant lentement sur la joue de Pandora. « Tu es si malheureuse, dans cette cage ? Tu sais pourtant qu'elle te protège, non ? » Son pouce caressa sa peau et il offrait une moue désolée. « Il y a des loups, dehors. Des rapaces. Des hyènes, et plein d'autres charognes qui n'attendent qu'une chose, c'est qu'on libère le petit oiseau. Ta cage n'est pas une prison, mon oisillon. Elle garde aussi le danger à l'extérieur. » Sa main glissa de sa joue pour filer sous sa mâchoire, lui soulevant ainsi légèrement le visage, à proximité du sien. « Ne fais pas l'erreur de croire que l'extérieur de ta cage, c'est la liberté ─ à moins que tu appelles la mort de cette façon. » Il pensait ses mots, tous, sincèrement. Si l'identité de Pandora s'ébruitait, Raven n'était finalement que le cadet de ses soucis. Autant qu'il la martyrisait, il la protégeait ironiquement d'un destin funeste. Et il trouverait déplorable qu'on l'appelle pour elle.

Pandora sentit le froid de ses paroles s’infiltrer sous sa peau, glissant comme des serpents venimeux. La main de Raven sur sa joue, douce et presque tendre en apparence, la fit frissonner malgré elle. Cette proximité, ce contact… Tout en lui était une contradiction. Il voulait la contrôler, la manipuler, la garder sous son emprise, mais dans un coin de son esprit, elle commençait à percevoir autre chose : une sorte de perversion du protecteur. Raven la gardait captive, oui, mais il croyait sincèrement que c’était pour la protéger d’un monde encore plus dangereux que lui. Ses mots résonnaient avec une intensité troublante. Il parlait de loups, de charognes, de morts. Mais ce qu’il ne comprenait pas, c’est que Pandora avait grandi avec des prédateurs. Ses parents, leurs associés, les hommes et les femmes de pouvoir qui évoluaient autour d’eux… Ils étaient eux-mêmes des loups déguisés en agneaux. Des hyènes dans des costumes de luxe. Elle avait appris à les voir pour ce qu’ils étaient, même jeune. La seule différence, c’est que Raven ne portait pas de masque aussi parfait. Il assumait sa noirceur, et c’était peut-être pour cela qu’il se sentait en quelque sorte responsable de la préserver des autres. Pandora leva les yeux vers lui, croisant son regard intense. Il pensait vraiment qu’il lui offrait une protection ? Que la cage dans laquelle il l’enfermait était un rempart contre le pire du monde extérieur ? Elle laissa un instant le silence s’installer entre eux, son visage levé sous sa main, le souffle léger, mais maîtrisé. — Tu penses vraiment que cette cage me protège ? Elle le fixa, plongeant son regard dans le sien, cherchant à y lire quelque chose d’autre que cette prétendue sincérité. — Tu penses que je suis à l’abri tant que je reste dans ta prison ? Elle se détacha légèrement, ses doigts effleurant son poignet avant de se retirer de son emprise avec une lenteur calculée. Elle fit un pas en arrière, marquant une distance subtile mais symbolique. — Tu dis que dehors, c’est la mort qui m’attend ? Elle laissa échapper un léger rire, presque amer — Peut-être. Mais quel différence cela fait-il avec le sort que tu me réserves. Après tout pourquoi tu me gardes dans cette cage ? Je te plais ? Pandora recula encore d’un pas, plus décidée cette fois, ses yeux toujours fixés sur lui, cherchant à voir comment il allait réagir. Elle savait qu’elle le poussait à bout, qu’elle jouait avec un feu qui pouvait la consumer, mais elle était fatiguée de cette emprise. Il l’avait peut-être enfermée, mais elle n’était pas brisée.

Elle ne se défilait pas. Pourquoi subitement passait-elle de la peur à la défiance ? Non seulement Raven ne comprenait pas, mais il n'aimait définitivement pas ça. Elle voulait comprendre aussi, et ça, il n'en était pas surpris, mais derrière ce beau masque et tout ce jeu, il y avait de la complexité et des conséquences, réelles. Pour lui ; pour elle. Elle s'était éloignée et Raven, glissant ses mains dans ses poches, ne la quittait pas du regard. Un regard long, insistant, avec si peu de clignements d'yeux que c'en était presque dérangeant. La dernière question de la jeune femme ne le fit même pas tiquer. « Ne prend pas tes rêves pour des réalités. » lança-t-il froidement. « Tu surestimes ton importance. Tu as juste été au mauvais endroit, au mauvais moment, et peut-être que tu fais celle qui a oublié ce que tu as vu, mais je n'oublie pas. » Il se rapprocha encore, mais sans la toucher, et cette fois-ci, il n'y avait aucun sourire sur le visage, mais aucune colère non plus. Le visage se voulait neutre, sans exprimer la moindre irritation. « Je vais mettre la situation au clair une dernière fois, alors écoute bien. » La voix baissée, pour qu'elle seule entende. « Si je juge que tu es une menace pour moi, tu disparais. Je n'ai pas d'attachement, ni d'affection envers toi. La seule raison pour laquelle tu te tiens sur tes deux jambes, plutôt qu'en morceaux au fond de l'océan, c'est parce que j'ai conscience du fait que tu es une innocente. Mais tu n'en seras plus une dès l'instant où tu feras le choix de me défier. Je pourrais aussi bien attendre que tu ailles aux toilettes, que tu rentres chez toi, partes en cours, ou que tu dormes, tout simplement. » Puis les derniers, soufflés. « Je te donne une chance de vivre là où personne d'autre de mon univers ne l'aurait fait. Ne la fout pas en l'air. » Une menace, comme une demande. La tuer ne l'intéressait pas. Il n'y gagnait rien, si ce n'était la sécurité, et il savait qu'il arracherait une enfant à ses parents, une amie à d'autre, peut-être une amante. Il prenait ce risque volontaire, mais sans affection ; aimer quelqu'un n'était pas un luxe qu'il pouvait s'offrir dans son cadre de vie, avec ce qu'il faisait. Trop de risques, et surtout, il n'en éprouvait juste pas l'émotion, ni le désir. Il laissait cette chose aux autres, aux naïfs et romantiques, à ceux dont la plus grand peur était de ne pas trouver le grand amour, aux accrocs du sexe. C'était pas lui. Les mains dans le sang, les pieds dans la mort, il n'y avait pas de place, et ne voulait pas en faire. Alors il ne la lâchait pas du regard, absolument certain de sa position et de ce qu'il était capable de faire ; car entre sa vie et la sienne, il n'hésiterait pas. Ce serait elle qui perdrait. « Mais si tu veux mourir, tu n'as qu'à demander, et je ne perds plus mon temps. On peut y mettre un terme ce soir. » fit-il pour ponctuer. Sérieux.

Pandora sentit la peur s’infiltrer dans ses veines, glaciale et implacable, tandis que les mots de Raven résonnaient dans l’espace étroit qui les séparait. Chaque mot était un coup de poignard, et la réalité de la situation lui revenait brutalement en plein visage. Elle avait cru, pendant un bref instant, pouvoir le défier, penser qu'elle pouvait trouver un moyen de renverser la situation, mais elle s'était trompée. Son cœur battait si fort qu’elle avait l’impression que Raven pouvait l’entendre, comme un tambourin incessant dans cette pièce trop calme. La froideur de sa voix, l’absence totale d’émotion sur son visage… Il ne plaisantait pas. Il ne cherchait pas à la manipuler avec des jeux de mots ou des sous-entendus cette fois-ci. C’était une menace, pure et simple, et elle savait qu’il la mettrait à exécution sans la moindre hésitation. Ses jambes étaient soudainement lourdes, et une vague de panique monta en elle, étouffante. Elle avait cru qu’elle était plus forte. Elle avait cru qu'elle pourrait lui tenir tête, ne serait-ce qu’un peu, mais maintenant, face à cette réalité brutale, elle se sentait idiote. Ses bravades, ses tentatives de reprendre un semblant de contrôle... tout semblait si dérisoire, si futile. Pandora baissa les yeux un instant, essayant de rassembler ses pensées, mais le poids de la situation écrasait chacune d’entre elles avant qu’elles ne puissent prendre forme. Elle n’était pas forte. Elle n’était qu’une jeune femme coincée dans un jeu dont les règles lui échappaient totalement. Un jeu dangereux où la moindre erreur pouvait lui coûter la vie. Elle sentit les larmes monter, mais elle les refoula, refusant de lui montrer à quel point il l'avait atteinte. Mais la peur... la peur était impossible à masquer. Elle savait que Raven la voyait, qu’il sentait son hésitation, qu'il percevait la terreur qui l’envahissait, et il s'en nourrissait probablement. Elle aurait voulu fuir, disparaître dans l'instant, mais il était là, immobile, insistant, comme une ombre qui ne la quitterait jamais. Elle était coincée. Ses doigts se resserrèrent autour de son sac, un geste presque inconscient, comme si elle cherchait une ancre, quelque chose pour ne pas sombrer dans l'abîme qui s'ouvrait sous ses pieds. Elle releva doucement les yeux vers lui, son regard vacillant entre la peur et une sorte de résignation silencieuse. Il avait gagné, encore une fois. Mais cette fois, elle sentait la défaite plus amère que jamais. — Je... Elle hésita, sa voix tremblante, presque inaudible. — Je ne veux pas mourir. Elle serra les dents pour retenir un sanglot, forçant sa voix à ne pas se briser. — Je ne voulais pas te défier. Elle aurait voulu dire autre chose, mais les mots restaient coincés dans sa gorge, trop lourds à prononcer. Tout ce qu'elle ressentait, c’était cette vague de panique, cette sensation de naufrage, comme si elle était en train de se noyer, et que Raven, au lieu de la sauver, appuyait sur sa tête pour l'enfoncer plus profondément dans les ténèbres. Pandora recula légèrement, instinctivement, comme pour s'éloigner de lui, de son regard froid, de sa présence oppressante. Elle ne voulait pas mourir. Elle voulait vivre, même si cela signifiait rester dans sa cage. Mais plus que tout, elle voulait cesser de ressentir cette peur constante, cet étau invisible qui l'étranglait à chaque instant. — J’ai compris, murmura-t-elle finalement, presque dans un souffle. — Je ne défierai plus tes règles. Elle se haïssait un peu pour ces mots, pour cette soumission qu’elle s'était jurée de ne plus jamais afficher. Mais à cet instant, elle n’avait pas le choix. Elle avait cru être plus forte, mais la vérité, c'est qu'elle n’était pas prête à affronter les conséquences de son audace.

Raven savait quelle image il pouvait renvoyer. Il savait que son rire, ses grands sourires, sa faible carrure et son sens de l'humour ridicule pouvaient faire oublier qu'il était réellement une menace, à sa façon. Il fallait le rappeler à Pandora, faire écho à leur première rencontre. Est-ce que pour autant, Raven aimait le faire ?
Pas nécessairement. Voir la peur dans ses yeux, sentir la terreur parcourir son corps, se traduire par des gestes subtils, ça ne le réjouissait pas pour autant. Il ferait ce qu'il doit faire pour survivre, et il ne doutait pas un seul instant qu'elle ferait de même. Peut-être était-ce pour ça qu'il ne voulait absolument pas qu'elle se débatte, qu'elle accepte son sort et ne le défie pas. Il n'avait pas envie de lui faire activement du mal, ne s'en délectait pas non plus, mais il était prioritaire sur elle, dans sa vie. Colt était la priorité. Pas elle, Pandora. Alors Raven soupira doucement, soulagé que le message soit passé. Est-ce qu'il se devait de la traumatiser pour autant ? Risquer qu'elle explose sous la pression et le force à agir ? Curieux, il jeta un coup d'oeil autour d'eux, vérifiant la distance qui les séparait des autres clients ; puis son regard se reposa sur la brune aux yeux bleus, et il tendit une nouvelle fois la main pour attraper la sienne. « J'apprécie. » Il appréciait son obéissance, même si elle était exigée. La prise de sa main, cette fois-ci, se fit un peu plus doux, moins forcé. Pas besoin d'entrer dans un nouveau rapport de force avec ce qu'ils venaient de se dire, alors il reprit la marche, la guidant encore au travers des rayons, tournant partiellement le dos avec leurs mains dans son dos. « Et donc, tu cherchais quelque chose en particulier ici ? Ou c'était ailleurs que tu devais te rendre ? » Un retour à ce qu'il voulait être normal, une discussion anodine, comme deux amis ou amants se retrouvant pour un après-midi shopping. Il ne forçait pas ses doigts sur les siens, car il ne doutait pas un seul instant de sa résignation. Elle ne retirerait pas sa main, pas après ce qu'ils venaient de se dire. Raven saurait se montrer doux, gentil, bienveillant, tant qu'elle restait là où il lui disait de se tenir ─ mais lui-même savait que ce jeu ne saurait durer une éternité. Qu'à un moment où à un autre, quelque chose finirait par se passer. Mais quoi ? Peut-être qu'un jour, il lui rendrait sa liberté. Peut-être qu'il mourrait avant, et qu'elle serait libérée de sa présence sans jamais savoir ce qu'il est advenu de lui. Peut-être qu'il se débarrasserait d'elle. Peut-être que rien ne changerait. Il ne savait pas.

Pandora sentit la main de Raven se refermer sur la sienne, mais cette fois-ci, le geste était différent. Moins oppressant, presque… doux ? Pourtant, ce contact, même allégé de la menace habituelle, restait un rappel constant de son contrôle sur elle. Il ne la serrait plus avec force, mais la symbolique demeurait. Il pouvait choisir de relâcher sa prise ou de la resserrer à tout moment. Elle ne se faisait pas d'illusions. Cette apparence de normalité, cette conversation légère et presque banale qu'il tentait de reprendre, n'était qu'une façade. Le soulagement qu’elle avait brièvement ressenti en voyant son ton s’adoucir fut immédiatement suivi d’un sentiment de malaise plus profond. Il jouait avec elle, encore une fois. Une nouvelle version du jeu, où il se montrait civilisé, presque aimable, après avoir établi son pouvoir. Elle n’avait pas retiré sa main, bien sûr. Elle savait qu’il n’y avait pas de place pour l’erreur. Pas après ce qu’ils venaient de se dire, pas après les menaces implicites qui flottaient encore entre eux. — Non, je… je ne cherchais rien en particulier, murmura-t-elle, sa voix redevenue calme, comme si le moment de tension avait été effacé. — J'avais besoin d'air, je suis venue ici sans raison. Elle se maudissait intérieurement de la façon dont sa voix avait tremblé, aussi légère soit cette hésitation. Elle avait l'impression de marcher sur un fil, un équilibre précaire entre l'obéissance et la volonté de préserver ce qui restait de sa dignité. Tout avait changé en un instant. L'illusion qu'elle pouvait reprendre un quelconque contrôle sur sa vie s’était dissipée, comme une fumée dispersée par le vent froid de la réalité. Il lui avait montré une autre facette de lui, celle qu’elle connaissait déjà mais qu’elle avait essayé d’oublier : celle qui n’hésiterait pas à la faire disparaître si elle devenait une menace. Ce n’était plus un simple jeu de domination psychologique. C’était la survie. Ils marchaient ensemble dans les allées, leurs mains jointes, comme deux amis qui faisaient les magasins. La scène devait paraître normale à quiconque les observait de loin. Mais Pandora se sentait piégée dans cette fausse normalité. Ce contraste entre le calme apparent et la tension sous-jacente était suffocant. Elle savait que ce faux semblant de douceur ne durerait pas. Qu'attendait-il d’elle, vraiment ? Était-ce juste une question de soumission, de contrôle absolu ? Ou cherchait-il à voir jusqu’où elle tiendrait avant de se briser complètement ? Elle suivait ses pas, son regard fixant distraitement les objets sur les étagères, mais son esprit était ailleurs, cherchant une échappatoire, une issue à cette situation qu’elle ne maîtrisait plus. Comment pouvait-elle s’en sortir ? Chaque possibilité qu’elle envisageait se heurtait à la menace constante de Raven. Fuir ? Impossible. Le défier à nouveau ? Trop dangereux. Il l’avait enfermée dans une nouvelle forme de cage, une prison mentale où elle devait faire semblant d’accepter son sort pour éviter d’attirer encore plus de foudre. Elle jeta un regard furtif vers lui, essayant de comprendre ce qui se passait dans son esprit. Il semblait si calme, presque détaché maintenant. Comme s'il avait mis de côté ce qui venait de se passer, comme si cela n’avait été qu’une formalité. Un avertissement. Et pourtant, elle savait qu’il n’oublierait jamais. — Je devais peut-être aller ailleurs, reprit-elle, cherchant à maintenir la conversation sur des rails aussi neutres que possible. — Mais ça peut attendre. Tout pouvait attendre. Parce qu'elle ne savait pas comment avancer, ni où tout cela la mènerait. Pandora se sentait de nouveau prise au piège dans cette spirale infernale, où chaque pas était calculé, où chaque mot pouvait sceller son destin. Mais elle n’avait pas d’autre choix que de continuer à jouer ce jeu, espérant qu’un jour, d’une manière ou d’une autre, elle pourrait enfin retrouver sa liberté.

Besoin d'air ? Et il se doutait que ce n'était pas par rapport à lui. Avait-elle des problèmes dans ses études ? Raven fit une moue en acquiesçant, façon de reconnaître qu'il l'avait bien entendue, mais ne s'éternisait pas sur les détails. Quoiqu'il se passe dans sa vie, ça ne le regardait pas ─ ou peut-être que si, justement. Il avançait dans les allées, distraitement, ne faisant plus trop attention au temps qui filait, observant juste les objets sans vraiment s'arrêter dessus, et la brune semblait faire de même. Raven finit par être sorti de ses pensées lorsqu'elle reprit la parole, sous-entendant qu'elle baissait complètement les armes et ses priorités pour le satisfaire, lui. Il s'arrêta pour l'observer, un peu surpris par cette absence de volonté ou de combattivité, mais ne s'en plaignait pas. Il eut un instant d'immobilité, à la regarder, puis se remis à marcher, tenant sa main plus fermement cette fois-ci. « Suis-moi. » Comme s'il lui laissait le choix de toute façon. Filant à travers les rayons pour sortir, Raven la tirait hors du magasin pour traverser le centre commercial, marchant vers la sortie. Une fois dehors, il se dirigea vers des marches un peu en retrait, au début d'un passage qui menait vers une ruelle non fréquentée. Il s'arrêta devant et fit passer Pandora devant lui, l'invitant à s'asseoir. « Reste là. » Le ton n'invitait pas à la fuite. Tournant les talons, il la laissa en plan et s'engagea dans la ruelle derrière elle après avoir grimpé les quelques marches. Il disparut pendant quelques minutes, et aucune âme ne passa dans la proximité. Le brouhaha de la foule vers le centre commercial était un peu distant, même si de là où elle était, Pandora pouvait les voir. Puis, après bien cinq minutes, les bruits de pas de Raven se firent à nouveau entendre, et il pris place sur la marche à côté de Pandora, avec un soupir d'aise. « Tiens. » Il lui tendait une boisson. « Je sais pas c'que tu aimes, donc j'ai pris un pumpkin spice latte. » Lui-même avait sa propre boisson en main, et sans rien ajouter de plus, il en bu une gorgée, le regard parcourant la foule au loin.

Pandora s’était laissée guider, presque sans réfléchir, sa main fermement maintenue par celle de Raven, un rappel constant de son contrôle. Elle ne résistait plus. Elle avait appris que cela ne menait nulle part, que toute tentative de se débattre ne faisait que renforcer son emprise sur elle. Alors elle le suivait, à travers les rayons, hors du magasin, puis jusqu’à ces marches isolées, dans un coin tranquille, loin de la foule. Lorsqu'il l’avait invitée à s’asseoir, son ton ne laissait aucun doute. Elle s’exécuta, s’installant sur la marche, les yeux fixés sur le sol alors qu'il s’éloignait. L'attente, cette fois, fut plus terrifiante que sa présence. Seule dans cet espace calme, avec juste le bruit de la foule lointaine pour lui rappeler qu'elle n'était pas totalement coupée du monde, elle sentit la peur la ronger à nouveau. Elle passa une main tremblante dans ses cheveux, essayant de reprendre son souffle, de calmer les battements frénétiques de son cœur. Qu’allait-il faire ? Pourquoi l’avait-il laissée ici ? Les minutes s’étirèrent en une éternité, et son esprit commença à envisager les pires scénarios. Elle jeta un coup d'œil rapide autour d’elle, ses pensées tournant en boucle. Est-ce qu'elle devait fuir ? Courir vers la foule, disparaître dans la masse de gens, espérer qu'il ne la retrouve pas ? Mais non. Elle savait que c’était impossible. Il la retrouverait. Il la retrouverait toujours. Alors, elle attendit, assise sur ces marches froides, les yeux fixés sur l’horizon, se sentant de nouveau piégée. Lorsque les bruits de pas de Raven se firent à nouveau entendre, elle redressa légèrement la tête, tentant de masquer sa nervosité. Il s’assit à côté d’elle, un soupir d’aise s’échappant de ses lèvres, comme si toute cette situation était normale, presque banale. Pandora jeta un coup d'œil à la boisson qu'il lui tendait, surprise par ce geste inattendu. Un pumpkin spice latte. Elle le fixa un instant, comme si elle ne comprenait pas pourquoi il faisait cela. Pourquoi, après tout ce qu’il venait de lui dire, après les menaces à peine voilées, il lui offrait une boisson comme si rien n’était. Il ne connaissait même pas ses goûts, et pourtant, il avait pris la peine de lui acheter quelque chose. Pandora prit le gobelet dans ses mains tremblantes, essayant de comprendre ce qu’il cherchait à accomplir. Était-ce un test ? Une manière de jouer encore avec elle, de lui montrer qu’il pouvait être cruel puis doux, qu’il pouvait la manipuler à chaque instant, sans qu’elle sache à quoi s’attendre ? Elle porta le gobelet à ses lèvres, prenant une gorgée lente, savourant la chaleur réconfortante qui contrastait avec le froid qui l’habitait. Le goût épicé et sucré glissa sur sa langue, et pendant un bref instant, elle oublia la tension qui pesait sur elle. Juste un instant. — Merci, murmura-t-elle finalement, sa voix à peine audible. Elle n’avait rien d’autre à dire. Que pouvait-elle dire ? La gratitude était réelle, mais l’amertume sous-jacente était impossible à ignorer. Ce geste, aussi gentil soit-il en apparence, ne changeait rien à la dynamique entre eux. Cela ne faisait que renforcer l’idée qu’elle était à sa merci. Elle tourna légèrement la tête vers lui, le regardant alors qu’il buvait calmement sa propre boisson, les yeux rivés sur la foule au loin. Pourquoi faisait-il cela ? Pourquoi cette alternance entre menace et douceur ? Elle savait que c’était une stratégie de contrôle, qu’il cherchait à brouiller ses repères, à l’empêcher de comprendre ses intentions. Et ça marchait. Elle se sentait perdue, incapable de lire en lui, de savoir ce qu'il attendait d'elle. — Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-elle doucement, sans vraiment attendre de réponse. Elle savait que la réponse n’arriverait probablement jamais, qu'il continuerait à jouer avec elle, à alterner entre ombre et lumière, jusqu’à ce qu’elle ne sache plus sur quel pied danser. Mais au fond d’elle, Pandora n’avait pas le choix. Elle devait continuer à jouer son rôle, à prétendre que tout allait bien, à accepter cette fausse normalité qu'il essayait d’instaurer. Parce que c’était ça, ou disparaître. Et elle ne voulait pas disparaître. Pas encore.

Même si Raven ne se trouvait pas stupide, plutôt l'inverse en réalité, il n'était pas devin, ni capable de lire dans les pensées des gens. Il ne se doutait pas, assis comme il l'était à regarder la foule au loin, de toutes les questions qui s'agitaient dans l'esprit de la brune à ses côtés. Il profitait simplement de son americano, en silence, songeant à bien d'autres choses. Le merci à peine audible ne le fit pas réagir non plus, car il s'agissait là d'une simple politesse dont il se fichait pas mal. Elle aurait pu ne rien dire qu'il n'en aurait pas été dérangé. Une deuxième fois, le gobelet fut mené à ses lèvres, et il entendit sa question d'une oreille un peu distraite. Abaissant la boisson, il tourna la tête vers elle, le bout de sa langue passant sur sa lèvre supérieure, et son regard se posa sur le sien. Sans froideur, sans menace, sans rien. Un simple regard, alors qu'il jaugeait son attitude et l'aura qu'elle dégageait. « Pourquoi pas ? » lâchait-il. « Je n'ai pas de raison de te maltraiter tant que tu es docile. » Et sans détacher son regard d'elle, il portait à nouveau la boisson à ses lèvres. Tant que Pandora lui était docile, obéissante et loyale, il n'avait pas de raison de se retourner contre elle, ou de la maltraiter. Pas besoin de l'intimider, pas besoin de lui faire peur ─ un peu quand même, des fois, pour qu'elle ne prenne pas trop ses aises. Il ne la détestait pas, mais il ne lui dirait pas, pour éviter de la laisser croire qu'ils pouvaient trop se rapprocher. Puis Raven tendit les bras, coudes posés sur les genoux, tenant sa boisson dans ses deux mains, reprenant la parole. « Je te l'ai dit. Je te protège. » Autant qu'il la menaçait. Mais elle ne pouvait plus vivre sa vie sans lui. C'était fini, et il fallait qu'elle l'accepte ; qu'elle soit son alliée, plutôt que son ennemie. Sa captive, docile et volontaire. Sa colombe, son bel oiseau, dont il prendrait soin, tant qu'elle demeurait dans sa cage.

Pandora écouta les mots de Raven, chaque phrase s'enfonçant un peu plus dans son esprit, comme une litanie qu'elle devait apprendre à accepter. Docile. C’était le mot qui résonnait le plus fort dans sa tête. C’est tout ce qu’il attendait d’elle, tout ce qu’il voulait qu’elle soit. Tant qu’elle restait docile, tant qu’elle acceptait la cage qu’il avait construite autour d’elle, il ne lui ferait pas de mal. Mais la réalité de cette "protection" qu’il prétendait lui offrir était plus suffocante que jamais. Il ne la protégeait pas, pas vraiment. Il la gardait sous contrôle. Et le pire, c’est qu’il croyait sincèrement que c’était pour son bien. Que tant qu’elle restait sage, tant qu’elle obéissait, tout irait bien. Pandora baissa les yeux vers son gobelet, le tenant entre ses mains comme un ancrage, comme si la chaleur de la boisson pouvait la garder connectée à quelque chose de réel, de tangible. Mais en réalité, tout ce qui l'entourait semblait faux, comme une pièce de théâtre dont elle ne maîtrisait plus le scénario. — Te protéger... murmura-t-elle, répétant ses mots d'une voix faible, presque pour elle-même. Qu'est-ce que ça signifiait vraiment ? Être protégée de quoi ? Des dangers extérieurs, des loups dont il avait parlé ? Ou était-ce simplement une manière de justifier sa propre emprise sur elle. Elle inspira profondément, sentant le poids de ses mots peser sur ses épaules. Docile et obéissante. Était-ce tout ce qu’elle devait devenir pour survivre ? Elle avait déjà essayé de défier cette emprise, de se battre pour sa liberté, mais chaque tentative ne faisait que resserrer les chaînes autour d’elle. — C’est ça, alors ? dit-elle, sa voix plus stable cette fois, mais toujours marquée par une certaine résignation. — Tant que je fais ce que tu veux, je suis en sécurité. C’est tout ce qui compte pour toi, n’est-ce pas ? Que je ne fasse pas de vagues. Que je reste dans ma cage. Elle releva les yeux vers lui, croisant son regard sans la moindre trace de défi cette fois. Elle n’était pas en position de se rebeller. Elle l’avait appris à ses dépens. Et pourtant, une part d’elle refusait encore de se résigner complètement. Une part infime, presque inaudible, qui continuait de chercher une échappatoire, même si elle savait que chaque tentative serait vaine pour l’instant. — Et toi ? demanda-t-elle doucement, ses yeux cherchant à comprendre ce qu’il pensait vraiment. — Est-ce que c’est ça que tu veux ? Me garder là, sous contrôle, indéfiniment ? Elle savait que c'était une question dangereuse. Qu’elle flirtait à nouveau avec les limites. Mais elle devait comprendre, d’une manière ou d’une autre. Parce qu’au fond d’elle, elle ne pouvait accepter cette idée d’une vie entièrement dédiée à être "docile" et "obéissante". Elle porta une nouvelle gorgée à ses lèvres, la boisson chaude lui brûlant légèrement la langue, mais elle n’y prêta pas attention. Raven pouvait bien penser qu’il la protégeait, mais pour elle, tout cela ressemblait davantage à une forme de captivité déguisée. Une captivité qu’elle devait maintenant apprendre à gérer, à contourner, à survivre. Parce que, même si elle le savait, même si elle avait compris qu’elle ne pouvait pas fuir, quelque part, elle refusait de croire que cela serait sa réalité pour toujours.