An experimental outing

Les deux dernières semaines avaient été éprouvantes et remplies d'événements, tant et si bien que Ji-hun avait eu besoin de retrouver ceux qui l'avaient accueilli ici sans l'expliquer vraiment. Il y avait d'abord eu ce message de sa colocataire de chambre qui l'avait un peu blessé, cette conférence à Miami avec laquelle il avait enchaînée, et durant laquelle il s'était lâché pour convaincre toujours plus qu'il fallait s'engager dans ce combat à ses – leurs – côtés. À peine rentré qu'il avait veillé pour dîner avec une femme qu'il avait rencontrée lors d'une soirée, et qui sera sa cavalière de bal cette année. Quelques jours après, ça avait été son ex qu'il avait croisée alors qu'il accompagnait des collègues de travail pour s'éclater ; à sa marraine il ne s'était pas confié, mais elle avait senti qu'un tas de choses s'étaient passées, alors à une maman elle s'était substituée pour le chouchouter. Cette sortie avec Nila, il l'avait attendue sincèrement, parce qu'elle lui avait semblé pétiller, et c'était tout ce qu'il avait besoin pour l'instant ; pouvait-on lui reprocher de vouloir oublier que sa vie tenait sur un fil prêt à céder, et qu'il avait juste envie de profiter, s'éloigner des responsabilités ?

Alors, malgré qu'il ne dormait pas chez lui, il avait fait en sorte de s'apprêter convenablement – lui aussi. Il boutonnait le dernier élément de sa chemise blanche explicite, tachée de quadrillage d'un bel anthracite, quand la fille de sa famille d'accueil poussa la porte entrebaîllée et s'autorisa à entrer sans demander. Le miroir ajouta le reflet féminin au sien, et il en profita pour la questionner : foncée ou claire pour la ceinture ? Il avait opté pour un pantalon à pinces aussi sombre que l'obscurité, même s'il était plutôt enjoué à l'idée de retrouver l'Indienne au musée. Liv ne répondit pas, se contenta de l'observer de haut en bas plusieurs fois avant de réclamer à savoir s'il voyait une « nana ». La paire d'agates du nord-coréen se figea, au bout de trois respirations il déclara : sans, ça le fera. Il laissa tomber l'idée et s'empara de sa veste ajustée qu'il enfilera une fois le couloir gagné. Mais, avant de quitter la salle de bains qu'il avait quelques minutes empruntée pour se coiffer et finir de s'habiller, il tapota les cheveux roux de la poupée irlandaise qui boudait ; il était habitué, savait que ça finira par passer. Il rangea dans ses poches téléphone, portefeuille et clé avant de filer.

À sa montre un coup d'oeil fut donné, jusqu'à l'arrêt il fut obligé de trottiner, heureusement pour lui il attrapa le bus à la volée. Il rejoignit le point de rendez-vous avec quelques minutes d'avance, fut stupéfait de voir l'attendre la plus jeune, habillée tout en élégance ; est-ce qu'elle ne plaisantait pas lorsqu'elle avait parlé d'être attirante pour, peut-être, devenir à ses yeux encore plus intéressante ? À quelques mètres d'elle il leva le bras pour s'annoncer, et son prénom fut articulé pour l'interpeller. Il sourit dès qu'elle l'eût remarqué, et à sa hauteur il se retrouva après avoir fait de grandes enjambées. Ça fait plaisir de te revoir, avoua-t-il, les soucis déjà mis de côté, le regard entrain de dévaler sur la silhouette apprêtée, rappelle-moi combien de temps s'est écoulé depuis la dernière fois ? Quelques semaines étaient passées depuis qu'elle l'avait dessiné, pourtant elle semblait avoir gagné quelques années ; pari validé. Entre temps ils avaient parlé, puisque sur meetsenger ils s'étaient contactés, mais à croire qu'ils étaient tous deux le genre de personnes à préférer se voir plutôt que de s'installer pour meetser sur un bout de canapé ; la meilleure façon de construire les relations, il pensait.

Je vais fumer vite fait avant d'y aller, la prévint-il en levant un pan de sa veste pour attraper son paquet dans l'une des poches cachées. Il était arrivé après qu'elle ait fini de vapoter alors il se permit de proposer : tu en veux une ? Il se rappelait que ça lui arrivait aussi de cloper, c'était la moindre des choses pour lui que de partager si elle le désirait. Il prit le nombre de cylindre adéquat, alluma le sien, prêta au besoin son briquet à Nila, et la boîte tout juste entamée il rangea. Première aspiration qui lui gonfla les poumons, vu le temps qu'ils prendront à s'arrêter devant chaque réalisation. Il y avait aussi tout un tas d'activités, alors son besoin de nicotine devra patienter. Pour cette raison, il supposa qu'il était préférable pour lui de prendre les bouffées avant de rentrer. Tu ne m'as rien dit concernant le travail que tu as rendu, tu as eu de bons commentaires, l'interrogea-t-il tout en se délectant du toxique, en retrait des gens qui s'amassaient dans la file. Puis, après un regard furtif vers la queue qui commençait à prendre de l'ampleur devant les portes du musée, il la rassura : on a déjà nos billets, rappelle-toi. Ils pourront donc passer avant ceux qui n'en avaient pas.

Ji-hun souffla en l'air, d'un nuage la fumée en avait tout l'air. Il l'observa se disperser avant de sortir son téléphone et mettre en image le plan qu'il avait téléchargé, il tendit l'appareil vers la jeune femme à ses côtés, et du doigt pointa un endroit clé pour être certains de ne rien louper. Je pense qu'on devrait commencer par la préhistoire, montra-t-il l'espace dédié aux dinosaures, il y a un super résumé et un travail sur l'archéologie à réaliser, c'est vachement sympa. Il lui présenta le rectangle où se trouvaient les bacs dans lesquels les visiteurs pouvaient s'amuser à creuser, puis se remit une énième fois à fumer avant de continuer. Ensuite deux possibilités s'offriront à nous, lui expliqua-t-il, les planètes, ou l'espace sur la faune. En tant qu'homme il aimait prendre des initiatives, mais il n'oubliait pas d'impliquer les autres, de sa personnalité c'était une marque qualitative – tant qu'on ne lui volait pas complètement son rôle ; dans quelle zone voulait-elle voyager en premier ?

Plus de trois semaines s'étaient donc écoulées, ce qui avait laissé peu de temps à Nila pour prendre quelques années, pourtant c'était ce que Ji-hun semblait remarquer. Était-ce à cause de la tenue qu'elle portait ou bien du maquillage qu'elle avait passé sur sa peau hâlée ? Qu'importait le tour qu'elle avait utilisé, elle était à croquer. Tu as grandi, lâcha-t-il sans plus d'explications. Pas en taille évidemment, en allure très certainement. Elle avait perdu certains traits de petite fille qu'il avait cru déceler, à son âge c'était normal de peu à peu se transformer ; elle avait probablement fait un effort de présentation, et le nord-coréen en était honoré. Félicitations, complimenta-t-il sa présence à l'heure indiquée, l'avance bien sûr remarquée, à croire que tu veux m'impressionner aujourd'hui. Il lâcha, dans l'espoir d'un peu la gêner pour la titiller, et retrouver cette part d'elle qui la rendait plus vulnérable qu'elle ne paraissait ; façon pour lui de ne pas craquer pour une femme qui avait explicitement demander par message si elle l'attirait. Est-ce que ça fonctionnait ? Pas même lui ne savait, mais ça rassurait, car il ne voulait pas ajouter de problèmes à ceux qu'elle et ses parents avaient.

Cigarette allumée, coincée entre ses lèvres naturellement gonflées, il s'inquiéta de savoir ce qu'il en avait été du dessin qu'elle avait présenté. Il écouta attentivement ce qu'elle lui disait, acquiesçant d'un hochement de tête à chaque fois qu'un point il soupçonnait. En même temps, ton appart' est vraiment lumineux, je suis sûr qu'il n'y a pas un moment de la journée où il ne paraît pas chaleureux, affirma-t-il. Et peut-être bien qu'elle en était la raison aussi, quant au reste, il fit : ce n'est pas facile de détailler un inconnu qui s'expose en boxer, tu as vraiment fait de ton mieux. C'était tout ce qui comptait. Probablement que la prochaine se passera mieux, puisqu'elle retrouvera le modèle avec qui elle avait l'habitude de travailler à deux. Tu as eu des nouvelles de celui que j'ai remplacé, d'ailleurs, pensa-t-il soudainement à s'inquiéter ; pourvu qu'il ne lui était rien arrivé de trop grave, in fine. La conférence, répéta-t-il, il ne se souvenait pas de lui en avoir parlé, ça a été, merci. Peut-être les posts qu'il avait publiés ? Ça restait très dur d'ainsi parler du passé et de ce qui lui était arrivé, mais avec ses histoires il ne voulait pas l'embêter. Il ajouta : avec le doctorat, je suis rodé.

Si la première prise de paroles l'avait stressé, il trouvait aujourd'hui un grand plaisir à se tenir sur scène et d'être attentivement écouté. Il y avait toujours la petite angoisse des quelques secondes qui précédaient son entrée, mais une fois face à l'assemblée, il aimait se lâcher et s'exprimer ; sûrement parce qu'on le lui avait interdit pendant plus de vingt-cinq années. Que ce soit sur son activité ou le nord de la Corée, il adorait ce sentiment de bousculer la science et renseigner les gens, et à ses yeux ça comptait énormément. Sujet clos, il jeta un œil sur le côté, découvrant que la file d'attente ne semblait pas se désengorger. Heureusement, ils avaient déjà leurs tickets, ce n'était donc qu'une formalité qui les attendait, et l'impatience n'aura pas l'opportunité de s'installer. Quelques bouffées supplémentaires accompagnèrent la présentation du plan du musée, par la préhistoire Ji-hun lui proposa de débuter, lui laissant le choix sur la prochaine destination à emprunter et il confirma : très bonne idée. Il appréciait l'univers, même si c'étaient les étoiles qu'il préférait. Pas le temps toutefois de l'informer sur l'activité sur les planètes qui leur sera proposée parce que, le mégot à peine jeté, par sa main la sienne fut empruntée ; inévitablement, pour la toute première fois, il la serra de ses doigts.

Tickets donnés à l'entrée, comme il le put, sans mettre fin à l'étreinte des palmes qu'elle avait initiée, il rangea son portefeuille pour rentrer dans l'immense salle décorée. Les plafonds étaient haut, donnaient l'impression d'être minuscules vus de là-haut. Une fourmilière de visiteurs s'activait autour d'eux, mais le nord-coréen ne pressa pas son acolyte, trouva intéressant d'observer son visage si heureux. Il avait clopé, n'était plus pressé, pouvait bien passer quelques heures à l'intérieur. C'est gigantesque, pas vrai, s'autorisa-t-il à s'avancer vers la jeune femme qui, sans s'en rendre compte, s'était un peu éloignée de lui. Je connais des animaux qui l'étaient tout autant, dit-il, pour plaisanter. Et d'un geste de la tête, il l'invita à le suivre vers la salle appropriée : tu viens ? Rien ne servait de rester au niveau de l'accueil, il y avait bien plus impressionnant et tape-à-l'œil. Contrairement à elle, il n'osa pas tendre ses phalanges pour s'assurer qu'il ne la perdra pas. Dans ses poches, ses mains il rangea, et jeta simplement des regards pour être certain qu'elle était toujours là, calquant à la perfection le rythme de ses pas, restant à bonne hauteur de son bras.

Il lui ouvrit la porte battante et la maintint d'une paume galante, elle put ainsi passer devant lui, et tous deux furent accueillis par les bruits des dinosaures mécaniques et du paradis qu'on leur avait construit. Des bestioles grandeur nature étaient planquées dans une reconstitution identique à la nature dans laquelle ils avaient habitée. Les herbivores furent les premiers à s'actionner, levant la tête à qui voudra bien leur porter de l'intérêt. Certains étaient trop géants pour ne pas se faire repérer, mais d'autres ne se firent remarquer qu'après avoir décidé de sortir de là où ils étaient cachés, offrant quelques hoquets de surprises à ceux qui n'y avaient jamais mis les pieds. Malgré qu'il avait déjà eu le droit à une visite guidée l'année passée, Ji-hun se laissa surprendre par un Parksosaurus qui, grâce à ses jambes animées, passa d'une fougère à l'autre en empruntant le chemin sur lequel Nila et lui étaient entrain de se balader. La vache, s'exclama-t-il, après avoir reculé d'un geste défensif, puis il rit : il n'y était pas la dernière fois, celui-là !

Nila et Ji-hun entrèrent dans la salle d'exposition, là où les accueillirent de grands dinosaures et la faune préhistorique en expansion. Ils firent la rencontre des herbivores tout d'abord, de ceux qui comptaient le plus de géants aux détails les plus étonnants. Le nord-coréen n'y connaissait pas grand-chose sur eux, mais il n'avait qu'à chercher les pancartes descriptives des yeux, et mémoriser les informations en faisant de son mieux. Ce n'était pas un sujet qui le fascinait, mais ça restait une partie de l'histoire qui appartenait à la Terre sur laquelle il vivait. Intéressant donc de savoir que leur grandeur leur permettait de se défendre contre les prédateurs, que les poids lourds qu'ils étaient empêchaient les affamés de les renverser. Et que, même s'ils étaient donc lents et peu agiles, ça paraissait bien futile, leur restaient donc cinquante pourcent de survie, ne dépendait plus que l'âge, l'envie de s'en sortir et la maladie. La tête d'un diplodocus apparut dans les feuillages d'un arbre, un tricératops souffla sur la poussière pour qu'on le remarque, et un stégosaure agita sa queue l'air complètement relax.

La visite s'annonçait donc sans grosse surprise, jusqu'au moment où, d'une fougère, un parksosaure s'élança dans une course furtive, coupa la balade des visiteurs qui sentirent leurs muscles se durcir. Il disparut aussitôt de l'autre côté de l'allée, sans plus jamais oser se montrer. Le mécanisme utilisé était des plus surprenants pour ainsi l'animer, Ji-hun se rappela que, la dernière fois qu'il avait visité ce musée, il ne l'avait pas remarqué. Cachée dans son dos, Nila semblait être toute retournée, il s'en inquiéta en la cherchant de son regard bridé. Elle revint toutefois sans qu'il n'eût le temps d'articuler quoi que ce soit, bégaya rapidement et parla avec empressement. Impossible pour lui de placer un mot, elle l'attira de nouveau. Main agrippée, vers le dinosaure il la laissa le mener, sans lâcher de ses billes l'étreinte qu'elle avait une fois de plus initiée. Il observa ses doigts serrés, perpendiculaire aux siens figés, et il se demanda bien ce que, dans son langage, ça pouvait signifier ; était-ce juste un geste simple d'amitié, pour se sentir en sécurité, ou lui faire comprendre qu'il lui plaisait ? Peut-être même rien de tout ça.

Le ptéranodon maintenant en face, il la laissa leur lire le descriptif comme une préface, et ne put que sourire au commentaire qui ne le laissa pas de glace. Effectivement, la vie sur Terre avait du sens, et ils en étaient à leur pleine jouissance. Pas trop jeune, ni trop vieux, il fallait vraiment en profiter avant que ne sonne l'heure de rejoindre les cieux. Et ça, ma foi, on ne savait pas quand ça arrivera – parfois plus tôt qu'on ne le croyait. Tu as vraiment une jolie voix, ne put-il s'empêcher de la complimenter. Il en avait déjà eu un bref aperçu lorsqu'elle avait chanté, mais même lorsqu'elle semblait conter une histoire, ses tympans elle savait bercer. Je crois que c'est ce que je vais adorer le plus chez toi, dit-il – l'écouter ; s'enjouer, s'exciter, même se plaindre et pleurer. Même s'il y avait d'autres atouts aux coups d'oeil qu'il pourrait répertorier, ça allait définitivement son timbre qu'il ne cesserait d'apprécier. Et c'était une qualité, parce que c'était ce qui pouvait en tout temps, chaque instant, apaiser – proche l'un de l'autre ou par la distance éloignés. Il baissa ses pierres foncées sur les palmes enlacées, ses phalanges aussitôt il dénoua et vivement les dressa.

Pas pour les retirer, mais pour, aux siennes, les sceller, et en se penchant légèrement il murmura : les adultes font comme ça ; au cas où elle ne savait pas. Ça voulait tout dire, et ne rien dire à la fois – il n'avait tout simplement pas envie d'être confondu avec son frère – adoptif ou de cœur d'ailleurs –, voilà pourquoi. Tu aurais donc une passion pour les volatiles et les piscivores, alors, reprit-il. Il rit, plaisantin à chaque occasion qu'elle lui offrait, parce qu'il avait deviné que ce n'était pas par amour que, sur la bête, elle s'était jetée, mais bien parce qu'elle avait été embarrassée. Du cri qu'elle avait poussé ou de la main qu'elle avait dérobé dans la foulée, il ne saura probablement jamais. Il regarda un instant le dinosaure s'activer à protéger les  oeufs qu'il couvait puis proposa à la demoiselle de s'en aller sur le chemin que, dans la précipitation, ils avaient quitté – sans plus aucune possibilité de se perdre puisqu'il ne comptait pas la lâcher, exactement comme elle le lui avait ordonné. Ils terminèrent ainsi, jusqu'à trouver au bout une activité qui les conduit à penser que la visite de la préhistoire était finie.

Ça te dit qu'on essaie, demanda-t-il en montrant un bac de recherches libre, il y a quelques os à déterrer, et il faut le faire sans trop les heurter. Trois empressements étaient permis seulement ; bien sûr ce n'était pas des vrais. J'ai bien envie de voir si une artiste et un scientifique ça fonctionne sur ce type de projets, insista-t-il, au point d'oser la taquiner : je te reprendrai la main une fois qu'on aura fini, si c'est ça qui te chagrine, promis ! Moment qui lui permit de se rendre compte que Nila était la deuxième femme à qui il avait caressé le revers de ses doigts, quand il en avait pourtant allongé plus d'une sur la paille ou dans les bois ; est-ce qu'elle en aimait bien la sensation ou préférerait-elle qu'ils s'en arrêtent là ? Qu'est-ce qui en était ressorti le plus d'ailleurs : la tendresse ou la protection, l'ennui ou le désarroi ? D'un naturel tactile quand il sentait l'accord consenti – principalement dans les endroits plus privés et intimes – aux rapprochements, il ne disait pas non à ça ; ça n'en était pas plus un mec facile, ne sautait que sur les occasions qui l'intéressaient, il fallait tout de même l'attiser pour qu'il se montre pulsatile.

À présent, avec ses phalanges, les siennes confondues, il ne la perdit pas de vue. Ses yeux croisèrent des billes un peu perdues, et il fondit sur elle sans retenue, en profita pour lui signaler qu'il était plus à l'aise quand les mains s'enlaçaient comme ça. Rien à comprendre, pas même à attendre, pourtant il sentit que quelque chose la tracassait, puisqu'elle se taisait. Elle ne tint pas longtemps le marron de ses pierres, au point de les en soustraire. L'incompréhension le gagna, est-ce qu'il devait s'en arrêter là ? Il releva ses prunelles sur la bête et passa quelques doigts dans les mèches qui se trouvaient au-dessus de sa tête. Il articula quelques mots dans l'espoir de désamorcer tout ça, au pire abandonnera l'idée de joindre aux siens ses doigts. Heureusement la demoiselle répondit, avec cette même énergie qui l'avait séduit. Il fut rassuré de ne pas en avoir fait finalement de trop, et leva le menton au plus haut. Il contempla un moment le volatile qui battait la mécanique de ses ailes, avant de tourner son visage pour ne plus faire attention qu'à elle. J'ai hâte d'en apprendre davantage, avoua-t-il, le sourire bordant ses lèvres, car la confession était réelle.

Ses pulpes frolèrent son revers, et il profita de leurs mains jointes pour l'attirer afin qu'ils puissent continuer à visiter la salle qui était réservée à tous ces spécimens qui avaient disparu ou évolué. Ils croisèrent de ceux qu'on citait aisément, découvrirent de ceux dont on ne parlait jamais vraiment. Ils s'arrêtèrent bien à chaque pancarte descriptive pour lire ce qu'on en savait, bien évidemment. Quelques dizaines de minutes passèrent ainsi, et le mieux à se rappeler c'était qu'il n'en avait pas fini. Le bac de sable à fouiller pointé, il savait aussi qu'il y avait d'autres espaces à explorer, et qu'ils en auraient pour l'après-midi tout entier. Proposition faite de se lancer en paléontologues inexpérimentés, il n'avait pas eu le temps de se pencher sur l'activité l'année passée, c'était le moment de s'y atteler. Mais, plaisanterie forcément lâchée, il ne pensait pas qu'elle prendrait ça au premier degré, et là voilà qui se retrouva de nouveau gênée ; il en fut sincèrement désolé, même si, d'un côté, cette innocence avait de quoi le charmer. Tu sais, je n'ai jamais pensé que tu désirais me draguer, lui assura-t-il que ce n'était rien qu'elle lui ait pris la main ; elle n'avait pas volé un baiser au brun.

Il était également conscient de la différence d'âge qui les séparait, et il avait cru comprendre qu'elle voulait se rebeller contre la tradition des mariages arrangés qui, d'ordinaire, unissaient une jeune femme à un homme bien plus âgés. Rien à craindre du doctorant qu'il était, aucune mauvaise intention ou interprétation avait germé depuis qu'ils s'étaient rencontrés, et pour le lui assurer il lui adressa un sourire affirmé. Tu prendras ma veste si vraiment ça ne va pas, lui proposa-t-il. Ainsi il n'y aura plus de quiproquos et elle se sentira plus tranquille ; fallait-il encore qu'elle ose lui demander de la lui emprunter. Le sujet semblait avoir été éclairci, ne leur restait plus qu'à s'installer auprès d'un poste de travail qui leur donnait envie. Il ne sut si elle l'avait pas exprès, ou si le destin s'en amusait, mais les os à découvrir appartenaient à un squelette de dimorphodon – une espèce qui, elle aussi, volait. Je crois que la blague que tu as faite tout à l'heure sur ton pseudo fanatisme pour les volatiles va te suivre à vie, ria-t-il alors qu'il prenait place sur un petit tabouret. Ce ne sont pas les femmes qui sont censées être plus minutieuses que les hommes, posa-t-il alors qu'il acceptait l'outil tendu.

Petit burin dans une main, marteau dans l'autre, il plaça le bout du premier à bonne distance pour espérer ne pas faire la premiere faute. Tu sais, tous les scientifiques ont une spécialité, et celle-ci s'éloigne bien plus de la mienne que tu ne sembles l'imaginer, l'informa-t-il alors qu'il commençait à frapper, moi l'Histoire, je n'y connais absolument rien. Mis à part celle de Corée et de ses dirigeants, il avait tout appris en quelques mois, enfermé dans une cellule d'emprisonnement, le temps que ses papiers il reçoit, direction les U.S.A. ; la médecine avait été son unique choix. Alors je pense qu'on y arrivera bien plus vite si tu commençais à casser le plus de matière possible de ton côté, suggéra-t-il, alors qu'il vint à bout d'un morceau d'une maigre largeur sans ne rien heurter. Il souffla doucement pour retirer l'excédent de poussières, en évitant de trop en mettre par terre, puis il releva ses pierres. Tu veux bien, l'interrogea-t-il poliment avant de porter son attention sur la fiche technique mise à disposition, je crois que le grattoir nous servira quand on pensera se rapprocher de la bestiole. Enfin, ce qu'il en reste. Il se corrigea, un éclat résonna.

Ils firent de leur mieux pour ne pas toucher les ossements, avancèrent peu à peu, toujours plus prudemment. Concentrés à n'en point douter, consciencieux et motivés à faire de leur mieux. Il n'en fut pas moins que Ji-hun aimait parler, et avec Nila il avait besoin de converser, car c'était comme ça que, des gens, il apprenait et se faisait une idée. Je suis étonné, lâcha-t-il furtivement avant de laisser sa phrase en suspens, – l'impression de se rapprocher dangereusement du premier objet à trouver lui faisant ralentir la foulée, que tu sois restée après avoir appris d'où je venais. Il lança avant de la regarder ; la Corée du nord, ce n'était pas le pays où on rêvait d'aller, et tout portait à croire qu'il fallait se méfier des gens qui y avaient habité. C'est probablement ton côté « demoiselle inconsciente » qui a parlé, se moqua-t-il, simplement pour la taquiner, parce que ...  : en fait, je voulais surtout t'en remercier. Parce qu'ils venaient à peine de se rencontrer quand il lui avait confié, malgré ça sa confiance en lui avait été confirmée au moment où elle avait accepté de le retrouver, encore plus depuis qu'elle s'était pointée devant ce musée sans, à son égard, n'avoir absolument rien changé.

Volonté de faire de ce face-à-face le meilleur moment pour la féliciter de ne pas avoir laissé la mauvaise réputation de son pays natal l'influencer, il ne pensa pas à en détailler ses pensées, parce qu'il restait un homme discret, et qu'autour d'eux des groupes se fermaient. Car si sur scène, lors des conférences, il se mettait fièrement en avant, pour se défaire complètement du conseil qu'on lui avait donné, de se taire à tout jamais quant à la péninsule sur laquelle on l'avait élevé, il mettra un peu plus de temps. Qu'est-ce que tu aurais à m'apprendre que je ne sache déjà, réfléchit-il alors qu'il lui sembla avoir remarqué un peu de couleur dépassé du bloc de sable épais, tu saurais peut-être me parler un peu de ta fratrie, proposa-t-il qu'elle les lui présente. Il avait retenu qu'ils étaient nombreux, et il y avait bien quelques anecdotes qui les avaient rendu plus ou moins heureux.

Aveu fait qu'il l'intéressait, quand bien même il ne savait pas si elle parlait de l'homme dans l'attirance et la sexualité, ou si elle mentionnait l'Homme dans le genre d'humain qu'il était ; peut-être les deux d'ailleurs ? Ça restait vraiment très flatteur. Et s'il n'avait pas eu l'habitude d'être complimenté sur son travail et sa personnalité tout au long de l'année, probablement que, sur ses joues, quelques couleurs auraient pu s'installer. Il resta sérieux devant ce qu'elle débita, et ne se moqua pas de la vitesse et l'aisance avec lesquelles elle se confia. Il prit le temps d'analyser la raison qui l'avait poussé à en parler, puis affirma : tant que tu ne tombes pas amoureuse, ça ira. Il plaisanta mais, dans le fond, la conseilla. Parce qu'en plus de l'âge qui les séparait il ne se sentait de toute façon pas de s'impliquer, la faute au fait qu'il n'avait rien à offrir de stable et d'équilibré, que son présent pourrait virer au cauchemar dans un futur pas si éloigné et qu'il préférait préserver le coeur de ceux à qui il tenait assez. Je..., commença-t-il, laissant en suspens sa phrase un bref instant, je me sens bien avec toi. Aucune malaisance à pointer lorsqu'il se trouvait à ses côtés. C'était simple et léger, tout ce qui lui fallait après les semaines pénibles qu'il venait fraîchement de traverser.

Je ne sais pas où ça pourrait nous mener, laissa-t-il planer, mais on avisera à ce moment-là, si à toi aussi ça te va comme ça. Cette première expérience à la voir le dessiner n'aurait probablement jamais dû connaître un après, pourtant ils étaient là, à s'être tenus l'un près de l'autre, simplement main dans la main pour parcourir la préhistoire aux abords de divers chemins. Des connaissances qui se rencontreront quand ils le voudront, des amis, qui, pour l'un et l'autre, n'hésiteront pas à se faire du souci, ou des affinités plus marquées qui se joueront, au fil de l'intérêt qu'ils se donneront ; rien n'était programmé, et à demain il n'avait franchement pas envie de penser. Il profita qu'il en ait fini de parler pour lui sourire, esquisse aussi chaleureuse que ce qu'il espérait pouvoir lui offrir, qu'importait ce qu'en décidera l'avenir. Il lui rappela qu'il pourra lui céder la veste qu'il portait si elle avait trop froid, histoire qu'elle n'attrape pas un rhume ou tout autre chose du même genre que ça. Les examens allaient débuter, ça serait vraiment dommage de tout foirer pour un système de climatisation qui aurait, un peu trop tôt, été poussé dans le musée. Peut-être qu'elle se rappelait à quel point il avait frissonné lorsqu'il s'était posté devant la fenêtre de son appartement pour fumer, osera-t-elle lui réquisitionner ?

Ils se postèrent devant un bac de fouilles et mirent un petit temps avant de trouver comment s'organiser, la foule commençait d'ailleurs à se pointer dans la salle qu'ils venaient de visiter. Ils se concentrèrent au mieux pour ne pas échouer, burinèrent le sable épais avec la précaution que leur demandait l'activité. Mais impossible pour Ji-hun de garder la bouche fermée, après tout la sortie devait leur permettre d'échanger et d'en apprendre plus que ce que les heures à poser le leur avait permis quand ils avaient discuté. Mais avant de la questionner, il y avait quelque chose d'important qu'il voulait exprimer. Ça pouvait paraître étrange de la remercier de l'avoir accepté pour la personne qu'il était, mais ce n'était pas si simple pour certains, comme elle se permit de remarquer. Les défis qu'elle raconta furent exactement ceux qu'il avait rencontrés à son arrivée, au point où il s'était réfugié auprès des Coréens et des membres de sa famille d'accueil qu'il considérait comme les siens. Il avait fait des efforts pour s'intégrer, mais des autres ne s'était jamais vraiment trop rapproché, à cause de la sensation de mentir à chaque fois qu'on l'interrogeait, incapable de concrètement se présenter. Homme-poisson, véritable triton, il racontait qu'il arrivait tout droit des eaux – et en somme ce n'était pas complètement faux.

Nila ne le remarqua probablement pas avant d'en avoir terminé, mais il s'était stoppé de travailler pour la regarder parler. Ses mots avaient du sens, et ça fit quelque chose à sa panse. Derrière la peau griffée et les muscles gonflés par les entraînements journaliers, une sensation étrange pointa le bout de son nez ; c'était exactement le genre de discours dont il avait besoin pour être rassuré – ce n'était pas un homme mauvais, et il espérait que la personne de l'administration pourra, elle aussi, le penser, ne décidera pas qu'il était un danger, au point de le renvoyer vers un sort qui l'apeurait. Malgré tout il aimait son pays, il manquait d'ailleurs quotidiennement à sa vie, et c'était pour ça qu'il se battait aujourd'hui, puisqu'il était persuadé qu'il sera meilleur lorsqu'avec un peu de changements ils en auront fini. « N'est-ce pas » ; enfin son regard il croisa, et il affirma : je ne rêvais pas, en l'espace de quelques semaines tu as vraiment grandi. À ses yeux, malgré la naïveté et le manque de confiance en ce qu'elle ressentait et ce qu'elle était, elle semblait avoir pris deux-trois années, et c'était étrange de l'avouer, parce qu'il cherchait avant tout à l'infantiliser pour que les barrières ne soient jamais traversées. Elle avait raison : au diable tous ces foutus préjugés, il était temps de passer outre ce qu'on pouvait bien leur conter.

Temps de changer de sujet, il demanda d'en apprendre plus sur la famille qu'elle avait. Le passé utilisé pour parler du nombre de personnes qui la composaient eut le don de le mettre sur une piste à laquelle il ne pensait pas être confronté. Attentif il se montra, et lorsqu'il fut question du grand-frère peu démonstratif qu'elle décrivait il avoua : je crois qu'on est un peu tous comme ça. Lui aussi était le plus âgé, et avait eu à répondre à une pression à laquelle il ne pouvait pas déroger : l'obligation de faire au-delà de ses capacités, donner le meilleur pour être reconnu dans la société. C'était une tâche à laquelle il s'attelait sans la comparer à une tare, parce qu'il savait que ça lui servira plus tard. Et puisqu'elle s'était confessée quant au décès d'une de ses petites-soeurs et de l'ambiance générale qui avait rythmé les relations fraternelles sans n'avoir jamais installé de véritables rancœurs, il se dit que son tour était venu de parler avec bien moins de retenue. Deux filles sont nées après moi, et un bond dans le temps conséquent nous séparait aussi, dit-il en grattant les grains à l'aide d'un second outil, je crois que le plus dur aujourd'hui, c'est de ne pas savoir quel temps employé pour en parler. Impossible de ne pas comprendre ce que ça signifiait ; le corps présent, mais l'âme et le coeur vagabondant à chercher ces enfants.

Elles s'étaient enfuies avec leur mère, avaient traverse la frontière, laissant au doctorant un sérieux goût amer. Depuis il n'avait aucune nouvelles des demoiselles, espérait encore que tout allait bien pour elles. Mais, à mesure de rencontrer des personnes qui s'étaient échappées, l'espoir forcément s'amenuisait, puisque ça ne semblait pas normal de ne pas les avoir encore retrouvées – sinon, où pouvaient-elles bien être cachées pour qu'elles ne puissent trouver de quoi le contacter ? En plus de défendre les droits et les libertés, il pensait que devenir porte-paroles et conférencier pourra lui donner un peu de visibilité. Chaque jour il vérifiait qu'aucun message du bout du monde ne lui avait été envoyé et, chaque jour, davantage son myocarde se déchirait. On continue de chercher, ajouta-t-il seulement. Pour cette raison il avait décidé de rendre la chambre qu'il occupait chez les Dorés, et louer une pièce chez l'habitant afin de mettre de l'argent de côté. Parce que les recherches à long terme coûtaient chères, et qu'il ne pouvait se résoudre à ne pas aider son père. Il désirait mettre en place plus de moyens, et ainsi recevoir un retour tant attendu au petit matin. Savoir où ils en étaient, c'était tout ce qui comptait, peu importait ce qu'on leur révélerait. Même si la douleur le meurtrirait pour toujours et à jamais.

Le bout d'os bien dégagé, il l'interpella pour qu'elle puisse s'en occuper. Je vais dégager avec le pinceau, tu pourrais tenter de l'attraper doucement avec la pince qu'il y a sur le plateau, suggéra-t-il de faire ainsi. Une façon bien à lui de l'emmener vers la minutie qui lui était demandé lorsqu'il manipulait les échantillons, c'était ce que les paléontologues et lui avaient en commun dans leurs actions. Il caressa délicatement l'objet, souffla sur les dernières poussières qui restaient et ce fut au tour de Nila de s'impliquer dans le dernier mouvement demandé ; arrivera-t-elle à se concentrer ?