be a flame in a frozen world (jael)

La viennoiserie rétrécit sous l’attaque de ta dentition. Les calories, tu ne les comptes plus. Il y aura sûrement plusieurs séances de sport, des séances où tu éviteras de te vautrer à nouveau sur le tapis de course. Ce qui compte, c’est le récit de Jael. T’es captivée par son histoire qui n’a rien de commun. Il y a des questions qui s’entrechoquent et qui dépassent la barrière de tes lèvres. Tu les prononces sans pouvoir t’imaginer qu’il pourrait te percevoir comme une indiscrète, pourtant, c’est ce que tu es. Non pas que tu te nourris du malheur des autres, mais tu apprécies être une oreille attentive. En réalité, tu préfères largement écouter que te livrer. Il n’y a rien à voir chez la Archambault, rien de bien intéressant. Et pourtant, alors qu’il te dévoile ses pensées, il te renvoie la balle et là, tu sais plus où tu habites. Y a des syllabes qui tombent de ta bouche. Rien de compréhensible. Ta situation ? Où veut-il en venir au juste ? Tu préférais vraiment quand il s’agissait de lui. Il t’a avoué quelque chose de très intime, c’est donc qu’il attend la pareille. « Je … Comme tu l’as deviné je suis maman. Je le suis devenu sans le savoir. Enfin, c’est pas comme Marie qui a fait le petit Jésus. J’étais active sur le plan sexuel, mais c’était un accident » Les coudes sur la table, tu enfouis ton visage entre tes mains et ne ressors ta frimousse que quelques longues plus tard. « Tu dois certainement me trouver irresponsable et tu as raison. J’ai pas calculé les risques. » Le regard se tourne vers la fenêtre et l’extérieur. « Mais aujourd’hui, je me vois pas sans Raphaël … C’est mon moteur. Sinon mon père est homo, il nous a fait une surprise après le divorce, personne ne s’y attendait » Tu pouffes aussitôt de rire en retrouvant le regard du ténébreux. « Je voulais te remercier de m’avoir aidé quand je me suis cassé la figure, t’as pas l’allure du type qui aide son prochain, je me suis trompée sur toi, tu me pardonnes ?  »

Ton attention était portée sur Margault, au point que tu oubliais presque de manger ta viennoiserie. C’est en voyant la taille de la sienne que tu t’en rappelas et que tu commenças à la manger cette viennoiserie. Tu as beaucoup parlé de toi, alors que tu es du genre à ne rien dire d’ordinaire. Tu gardes tout pour toi et tu balances tout à un psy parfois quand tu te décides à y aller. La jolie française semblait être plus du genre à apprécier les potins, son visage changea quand tu lui posas des questions pour développer un peu tes connaissances sur elle. T’étais également curieuse car elle était maman d’un garçon, alors qu’elle était tout de même jeune. Tu approuvas de la tête quand elle t’expliqua par des dérivés qu’elle avait eu une relation d’un soir qui a fini en bébé. « Je vois… tu l’as su rapidement ou trop tard ? » demandas-tu sans réellement savoir si ça se faisait de poser cette question. Après tout, la demoiselle pouvait très bien ne pas vouloir avorter. « tu n’es pas la première ni la dernière à être tombé enceinte par accident » dis-tu en haussant les épaules. Tu n’étais personne pour juger, t’avais d’autre soucis et problématique pour oser le faire. « tu es une bonne maman, ça se voit » dis-tu en prenant ta tasse pour boire une gorgée alors que tu finissais ta viennoiserie que tu as mangé plutôt rapidement finalement. Tu secouas la tête quand elle te remercia d’être venu la sauver lors de sa chute. « ouais, je parais assez froid et distant, un peu je m’en foutiste. Je n’ai pas toujours été comme ça » mais tu n’as jamais laissé personne dans la merde. « c’est ma résolution de l’année 2023, redevenir le moi d’avant » dis-tu en approuvant de la tête.

L’échange te plaît, l’homme devant toi également. Il est plaisant à regarder, il doit avoir du succès partout où il passe, c’est presque sûr. Tu t’interdis pourtant de faire partie de la galerie qui chercherait à le séduire. Tu as un petit garçon dans les pattes, ça ne pourrait pas coller avec un beau gosse pareil. Il cherche probablement une ligne droite, pas une ligne toute sinueuse comme la tienne. Et puis même, peut-être qu’il n’a pas envie d’avoir quelqu’un, peut-être qu’il préfère voguer vers l’infini, s’arrêtant d’île en île pour butiner. La discussion qui se retourne vers toi, tu racontes tes péripéties et ressens un profond soulagement. Ça fait du bien de raconter son histoire, ça permet de prendre de la distance et d’se dire que sa vie n’est pas si pourrie que ça. « Je l’ai su très tard, c’était impossible de .. d’avorter » Jael te réconforte ensuite à sa manière. Il te rappelle l’essentiel, tu n’es pas seule dans cette situation. Des tas de femmes ont vu leur vie changer, tout ça parce qu’elles étaient fécondes. Il est con ce monde, les hommes s’en sortent plutôt bien au final. Ils n’ont pas le corps qui se déforme, ni les douleurs d’un accouchement qui pourrait vous emporter. Le compliment accepté, tu le remercies par la suite pour son sauvetage et puis tu apprends que sa personnalité semble avoir changé. « Mais .. qu’est-ce qui a pu te faire basculer vers un gars plus froid ? Il y a bien un événement qui t’a bouleversé … » Le croissant atomisé, il n’en reste plus que des miettes dans ton assiette de porcelaine. Tu bois alors un peu de ton café et enroules tes mains autour de la tasse. C’est encore tiède, de quoi réchauffer tes phalanges gelées. « Je me destine à être psy, je crois que tu peux tout me dire, je ne te jugerais pas, surtout avec mon passif, je ne me permettrais pas, mais je comprendrais aussi que tu veuilles voir vers l’avenir et non vers le passé. »

Tu souris en observant Margault qui était plus curieuse qu’on ne pourrait le croire. Nan, en fait c’était flagrant quand même, cela se voyait aux premiers coups d’œil. Tu comprenais aussi sa situation, elle n’a pas pu arrêter sa grossesse et dans tous les cas, ça aurait été un choix délicat. « je comprends, c’était une situation assez délicate » dis-tu en penchant la tête doucement. Tu continuais de manger tranquillement ta pâtisserie et tu dois avouer que t’as pas mal kiffé sur le coup. Honnêtement, tu trouvais qu’elle avait vraiment du courage et qu’elle faisait du bon boulot. Ça se voyait qu’elle était un peu maman poule et totalement extraverti contrairement à toi. « disons que la découverte de mon adoption n’a pas aidé… et avant ça, ma … fiancé est décédée d’une leucémie en début d’année 2023. » dis-tu en soupirant doucement. C’était toujours douloureux mais ça restait plus acceptable par rapport au début. Tu finis rapidement ta viennoiserie tout comme elle. « j’ai déjà été voir une psy pour m’aider, j’y vais encore par moment pour me décharger » dis-tu en approuvant de la tête. Tu ne voulais pas spécialement en discuter encore mais… elle s’est ouvert à toi, alors tu pouvais également le faire de mon côté.

Aucune pression. Tout doit se faire naturellement. Il y a toujours l’option : je ne préfère pas en parler. Mais tu as envie de savoir. Tu as envie de le connaître. Il est plus doux qu’il ne le laisse voir. Lorsque tu t’es cassé la gueule, il s’est aussitôt arrêté et a pris soin de toi. Il est intéressant Jael. Il a un potentiel de ouf, mais tu vois bien qu’un événement lui a arraché cette humanité qui coulait de tous ses pores. Et toi, t’as envie d’savoir quoi. Tant qu’il ne mettra pas les mots, tu t’inventeras toute une histoire. La confiance instaurée, Jael exprime enfin les raisons de son attitude. T’es ébahie. Émue. Il a découvert son adoption, mais avant tout ça, il a perdu celle qui s’apprêtait à devenir sienne. Tu ne peux pas t’imaginer l’épreuve que c’est. Tu ne peux pas imaginer ce qu’il doit ressentir. T’as jamais traversé une horreur pareille. Ta main pâle se déporte sur la sienne. Un peu de chaleur humaine ne fera pas d’mal. « Je vois … Tu fais bien de te faire aider, ce n’est pas une honte. Sache que tu as une deuxième paires d’oreilles si besoin » Tu souris et bois un peu de ta boisson pour faire passer le copieux goûter. « Tu as peut-être autre chose à faire ? Je ne voudrais pas abuser de ton temps » Tu te sens tellement ridicule maintenant que la vérité est tombée. Jael est un homme blessé, tu sais pas comment agir avec une créature qui saigne. Tu ne sais pas si tu dois aussi lui avouer qu’il te plaît. Ce serait trop d’un coup et probablement pas réciproque. « Tu peux me raccompagner à mon arrêt de bus ? » que tu proposes en cherchant des billets pour payer l’addition totale.

T’as fini par lui dire, sans penser qu’elle pourrait peut-être te prendre en pitié. Tu ne l’espérais pas, t’avais pas besoin de ça. Après tout, tu avais décidé que cette année tu allais vivre, bien que l’anniversaire de sa mort approche à grand pas. Tu lui avais promis que tu vivrais pour elle en plus de pour toi. La main de Margault vient se poser sur la tienne et tu lui offris un sourire. « c’est gentil, maintenant il faut que j’avance. Cela va faire un an maintenant, cela fait moins mal qu’au début » mais tu étais persuadé qu’elle était trop jeune pour partir. Elle n’avait même pas passé les vingt-cinq ans. Tu arquas un sourcil quand elle te demanda si tu n’avais pas autre chose à faire. Tu avais l’impression que tu avais mis un froid à cette conversation en disant ton passé. « je n’ai rien de prévu mais je peux te raccompagner à l’arrêt de bus sans problème » dis-tu en haussant les épaules. Tu finis ta boisson maintenant devenue tiède. « laisse je paye, c’est moi qui aie mis un froid à la conversation » dis-tu en sortant un billet de ta poche que tu déposas sur la table. Tu te levas pour remettre ton manteau et ton écharpe.

T’es touchée. En plein coeur. Tu étais loin de t’imaginer qu’il puisse avoir traversé une épreuve aussi terrible que ça. Tu n’oses pas imaginer la plaie béante qui doit continuer de saigner en lui. C’est affreux. Injuste. Tu ne sais plus quoi faire. Un geste de tendresse accompagne sa confession, mais comme une idiote, tu prends subitement la fuite. C’était pas ce que tu voulais. T’aurais bien aimé poursuivre et lui faire oublier l’espace de quelques minutes cette tristesse qui devait le hanter. Mais t’es maladroite. « Ça te suivra pour toujours, mais la douleur s’atténuera sûrement, en tout cas je l’espère » Et puis tu choisis de tout arrêter. Tu freines l’élan de gentillesse. Tu te sens pas capable de pouvoir soutenir la discussion. Tu ne sais pas comment rebondir après un tel aveu. Ce n’est pas d’la gêne, ni du malaise, c’est une impossibilité à réagir. Tu n’as jamais affronté une telle situation. Un mec te plaît enfin; mais malheureusement, ce dernier a été amputé d’sa moitié. C’est la poisse. Cherchant l’argent, Jael intervient et bien entendu, ça ne te plaît pas qu’il puisse le prendre ainsi. Les sourcils se froncent. Tu ne voulais pas qu’il le prenne de cette manière, surtout pas. « Jael, je suis désolée, je suis idiote, c’était maladroit » Tu te lèves toi aussi, enfilant ton manteau pour te parer du froid. Le billet est glissé sur la table. « J’aimerais encore traîner avec toi, ça ne me dérange pas, au contraire. Ça me plaît beaucoup d’être à tes côtés » Serait-ce une révélation sur tes ressentis ? Peut-être bien. Affectée par sa réaction, tu contournes la table et ouvres tes bras. Tu t’avances encore un peu vers lui et puis tu l’enlaces, posant ta tête sur son torse. « Je n’ai que ça en stock » que tu marmonnes avec ta bouche à demi écrasée contre lui. L’accolade dure une poignée de secondes avant que tu ne te détaches de lui, le rouge aux joues. « J’espère que tu pourras être heureux un jour, sans l’oublier pour autant .. On sort se promener ? »

Tu avais finalement donné ton ressenti, tout ce que tu avais sur le cœur. Tu n’as pas été dans les détails, mais tu allais directement au but. Tu n’expliquas pas tout, tu étais tombé amoureux d’une malade en fin de vie. C’était déjà tracé. Tu approuvas de la tête à ses mots, la mort de Kim ne te faisait plus autant mal aujourd’hui. Tu vivais avec, et tu vivais pour elle. Elle voulait que tu sois heureux, et ça allait être le cas. Ton manteau maintenant sur ton dos, tu étais un peu déçu de la réaction de la demoiselle. Elle avait mis fin à votre sorti bien trop vite à ton goût, tu pensais honnêtement que c’était à cause de ta révélation. « ce n’est rien, ce n’est pas la première fois qu’on réagit comme ça. J’évite de le dire du coup » dis-tu en secouant la tête doucement. Tu gardais toujours ça pour toi, car le regard des autres change et te prennent par pitié. Tu reposas tes yeux vers elle quand elle te dit que ça lui plaisait d’être à tes côtés. Tu fus surpris quand elle te fit un câlin, tu as mis du temps mais tu as déposé tes bras autour de son corps. Ça faisait longtemps que tu n’avais pas reçu ce type de tendresse. « je vivrais avec, j’ai encore ma vie devant moi » dis-tu à la suite de ses mots. Tu lui fis signe de te suivre alors que tu sortais de ce café – une bonne adresse que tu garderas pour plus tard. « ton arrêt de bus est de quel côté ? » après tout, elle voulait rentrer non ?  

Tu maudis ta réaction. T’aurais pu agir autrement. T’aurais pu être compatissante depuis le début et rebondir sur tout autre chose. C’est trop tard. Vous êtes debout. La table ne fait plus obstacle. Tu sens ton palpitant qui fait des bonds. L’élan est incontrôlable. Tu fonces droit vers lui et l’enveloppe de ta faible carrure. Les mains se rejoignent dans son dos. Pression légère, tu essaies de lui transmettre un peu de tendresse. Poitrine contre poitrine, l’étudiant participe à l’étreinte jusqu’à ce que tu provoques la séparation de vos corps. C’est pas un câlin qui guérira ses blessures, mais t’es certaine qu’un peu de chaleur ne lui fera pas d’mal. Le couloir du café traversé, tu te retrouves à l’extérieur, le froid giflant ta pauvre peau sèche. Le carillon sonne au dessus de vos têtes. Recracher par le commerce, vous êtes côte à côte sur le pauvre trottoir. « À gauche » que tu lui indiques en emboitant le pas vers la direction donnée. Les pas se succèdent, sans se dépêcher. Au contraire, tu optes pour un rythme très lent, voulant faire reculer le moment où vous vous quitterez. Pourtant, l’abri de bus apparaît très rapidement. Les semelles freinent un peu la cadence. Ton regard n’arrête pas d’osciller entre lui et la route. « J’espère que l’on pourra se revoir, tu es de bonne compagnie. Pas comme un escort hein, enfin tu comprends ce que je veux dire, je t’apprécie bien » Les épaules se soulèvent et le visage se secoue de gauche à droite. Le pathétique dans toute sa splendeur. « Je te ferai peut-être rencontré mon fils, sauf si t’es allergique aux gosses »

Sa réaction t’a surpris sur le moment, cela t’a aussi blessé. Tu aurais aimé pouvoir continuer ce moment à deux mais tu as lancé un froid dans votre conversation. Tu ne savais pas trop comment agir alors t’as simplement pris les devants pour payer et tu comptais la raccompagner à son arrêt de bus comme prévu. Elle t’avait enlacé pour se faire pardonner, tu as répondu à celui-ci bien que tu sois encore « surpris » par ce revirement de situation. Vous êtes finalement sorti tous les deux, bien couvert à cause du froid. Elle te précisa la direction à prendre pour son arrêt de bus et tu la suivis. Tes mains dans les poches, tu étais resté silencieux jusque-là. Ton attention tournée vers elle à l’entente de ses mots. Tu eus un léger sourire sur tes lèvres quand elle parla de son fils. Pourtant, tu avais encore des choses sur le cœur et tu savais qu’il fallait mieux le dire maintenant que partir ainsi. « pour être honnête, ta réaction m’a vraiment touché. Je ne cherche pas à ce qu’on ait pitié de moi. J’ai perdu quelqu’un comme certains ont perdu leurs parents. C’est la vie, il faut avancer » et tu n’as pas besoin que te mette l’étiquette de veuf sur le front. Après tout, t’as pas été marié avec Kim, vous vous êtes fiancé par amour et ça … même si vous saviez qu’elle allait finir par partir. « ça me ferait plaisir de le rencontrer. » dis-tu pour rebondir à sa rencontre avec son fils. « je crois qu’on est arrivé à ton arrêt, ton bus arrive dans combien de temps ? » demandas-tu en observant le panneau avec les différents horaires de bus.