Hard time in good company ft. Flora (18.11)

Ji-hun savait qu’il pouvait compter sur ses amis lorsqu’il avait quelque chose à fêter. Les compétitions de natation allaient bon-train en ce moment, et il n’en avait loupé aucune depuis le début de la saison. Ils s’étaient alors retrouvés en boîte de nuit, et avaient passé une bonne partie de la soirée à consommer. Les heures avaient défilé sur les montres. De sa plus petite aiguille, le temps s’approchait doucement du trois quand, soudain, le nord-coréen tourna la tête sur sa droite, et resta statique. À quelques clients de là, au bar, une étudiante qu’il pensait avoir reconnue commandait une boisson. Il se pencha un peu sur le plateau, de façon à la voir plus clairement ; aucun doute possible, même après quelques culs secs. Sourire aux lèvres, il se redressa, sortit son portefeuille, agrippa un billet et prévint ses acolytes : je reviens. Il s’éloigna du groupe d’hommes, son verre à la main, et posta son mètre quatre-vingt-six près de la brune. C’est pour moi, lâcha-t-il à la serveuse, en posant l’argent sur le comptoir. Il attendit quelques secondes avant de baisser ses yeux sur la jeune femme. À une pendaison de crémaillère, on s’est croisés , l’aida-t-il à remettre un évènement sur son visage, Jay. Il lui rappela, au cas où elle avait oublié.

Ji-hun se rappelait parfaitement de l’entrée de Flora dans l’appartement où s’était tenue la crémaillère. Énergique et avenante, loin de la demoiselle soupçonneuse qu’elle présenta ce soir.  Tout ça, pour moi tout seul, fût-il faussement interrogatif devant les qualificatifs qu’elle employa. Drogueur et violeur ? Impossible. Son sourire se voulut rassurant et il ajouta : de ceux-là, je ne suis pas, non.  Ça s’était vu, de toute façon : à la soirée, il avait été l’un des plus calmes, et s’était tenu tranquille tout du long. Te méfier , la questionna-t-il avant de porter son regard sur le verre qu’il tenait. Oh, de celui-ci tu parles, dit-il tout en faisant prendre de la hauteur à sa vodka, c’est le mien. La prochaine consommation, je voulais t'offrir. L'asiatique tapota de ses doigts le billet qu’il avait posé sur le comptoir en arrivant. Comme tu veux, lui laissa-t-il le temps de commander, à défaut il reprendra son billet, sans insister. Ici, tu viens souvent, passa-t-il à un autre sujet. Est-ce qu’elle se plaisait à parcourir les clubs de Boston ? Avec le doctorat, un luxe ça devient, de sortir , avoua-t-il, et pour cette raison, il avait bien envie de s’amuser. Je te dérange, peut-être , adressa-t-il un regard en direction des copines qui semblaient l’avoir à l’œil.

Profiter de la vie, répéta-t-il avant de sourire, enchanté de l’entendre dire, ce soir, qu'ici je suis, c’est bien pour cette raison. Il laissa le son grave de sa voix éclater en un petit rire discret, puis il remarqua les filles desquelles elle était accompagnée, et s’inquiéta de la déranger. Jay, répondit-il. Peut-être l’avait-on présenté sous le nom de « Ji-hun » mais « J. » était tout de même bien moins complexe à prononcer. Pharmacologie, je suis biochimiste. Les remèdes, le petit génie qui les trouve, c’est moi, raccourcit-il le processus de recherches, pour que ce soit plus simple à expliquer, et toi ? Dans l’art, j’avais cru entendre. Après la réponse de Flora, il jeta un regard en arrière, vers ses potes qu’il avait laissés en plan puis fit : tu les vois ? Les mecs posés au bar qui parlaient en enchaînant les verres. Danser, ils ne savent pas. Deux heures ça fait que , « profiter de la vie » j’attends, adressa-t-il à la brune avant de la regarder à nouveau, et toi, tu sais ? Est-ce qu’elle serait d’accord pour l’accompagner sur la piste ? Un verre, je te paye, et on y va, lui proposa-t-il ; elle n’allait pas rester au bar toute la nuit, si ? Promis qu’il était sage, comme garçon – son visage et son ton le prouvaient bien assez, pour peu qu'on ne le cherchait pas en premier.

Espagnole et italienne, un mélange radieux qui expliquait le caractère ancré à ses traits ; Ji-hun pourrait craquer facilement pour une sosie des actrices Cruz. Coréen , échangea-t-il ses origines contre les siennes. « Coréen » ça faisait bien moins rêver, alors il contourna le sujet, prenant pour cible ses compatriotes de beuverie, avec qui il était venu fêter sa victoire. Boire à la réussite c’était une bonne raison de se retrouver, mais Ji-hun avait encore de cette euphorie, de cet enthousiasme, a déchargé. Le dancefloor l’appelait, et la compagnie de Flora aussi. Deux-en-un qu’il lui proposa et qu’elle accepta. Il appela un serveur afin qu’il lui resserve le même verre et, une fois qu'elle fut munie de sa vodka, il tendit sa main libre en direction de la brune. Il se ravisa aussitôt, rieur : oui, non. Je ne sais pas. L’éclat continua, le temps qu’elle se décide ; acceptait-elle de lui céder sa palme, ou préférait-elle se ruer, indépendante et au-dessus de tous, sur la piste ? Qu’importa la façon dont ils y arrivèrent. Mains enlacées ou pas, Ji-hun battit des épaules dans la foule pour leur frayer un chemin parmi les danseurs, tout en s’imprégnant de l’ambiance et du rythme de la musique qui s’évadait des baffes. À bonne distance du bar, parmi les fêtards, il se tourna enfin vers elle et lui adressa un sourire léger ; s’il était temps d’une chose, c’était bien d'enflammer le Royale !

Trop bien, c’était ainsi que Flora avait qualifié l’origine unique de Ji-hun. Et ce dernier fut si perturbé d’entendre une telle exclamation qu’il répondit à la question suivante en usant d’humour : les États-Unis, je suis venu conquérir ! Même si ce n’était pas la réelle raison qui avait amené le nord-coréen sur Boston, ça le fit marrer de se voir, le temps d’une réponse, être le scientifique le plus reconnu du continent américain. Il rit, parce qu’il ne fallait pas qu’il fasse peur à la jolie brune qu’il venait d’accoster. Elle ne pouvait s’enfuir maintenant, il avait un autre projet pour elle, pour lui, pour eux. S’amuser relevait de l’impossible depuis le début de la soirée, la faute à ses potes qui détestaient mettre un pied sur la piste de danse. Mais, maintenant que l’italo-espagnole se disait prête à enflammer le dancefloor, il n’attendit pas pour l’y inviter. Tous deux se retrouvèrent bien vite au centre des amateurs de musique futuriste. S’il avait pris le rythme des basses, il aurait tout de même préféré se déhancher sur un petit bachata – sa marraine d’accueil lui avait appris deux-trois pas pour qu’il puisse épater les demoiselles. Mais il dut faire sans, et garder une certaine distance avec sa partenaire de soirée pour coordonner ses mouvements avec les sons qui passaient, et ne pas renverser le verre qu'il tenait d'une main; dommage ! De fumer j’ai besoin , pencha-t-il ses lèvres vers l’une des oreilles de sa vis-à-vis, tu m’accompagnes ? Il ne voulait pas la perdre de vue, comptait bien passer une partie de la nuit à ses côtés – peut-être jusqu’au lendemain matin, qui savait ?