vitamin sea (ji-hun)

vitamin sea
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T’as pas su rester dans ton lit. Le moindre bruit était un prétexte pour s’lever, en réalité, c’était d’faire un énième cauchemar qui t’poussas à déguerpir de tes draps. Le corps décharné poussé sous la douche, tu es sortie dans ton peignoir brodé de tes initiales par toi-même et tu as pioché un top et un short en jean pour démarrer cette journée. Les cours sont terminés. Le campus se videra de ses étudiants d’ici quelques jours, lorsque le summer camp débutera. Et pour la seconde fois, tu feras partie de l’aventure, rester seule ici, ce serait s’aliéner davantage. Ouais, pas question de tourner en rond ici. Surtout pas. Aujourd’hui, la fibre artistique bien réveillée, tu t’éclipsas du côté de l’océan avec tout ton matos. Sac à dos, chevalet et toile, tu débarquas sur le littoral en milieu de matinée. Installée contre le muret séparant la chaussée du sable, tu déballas ton attirail et tâchas le blanc immaculé d’un bleu profond. Les pinceaux s’échangeant, le portrait maritime pris forme de minute en minute. Inspirée du cubisme, l’abstraction était au centre de ton oeuvre. Formes géométriques s’accolaient et représentaient ce panorama si magnifique. Et puis il y eu un ajout. Une silhouette traversa ton champ de vision et s’arrêta en plein milieu du tableau. Tout était encore possible. Levant ton pinceau, tu ajoutas le personnage inconnu et bouclas la toile en deux heures et demie. Les mains sales, tu te levas de ton poste d’observation et passas près de la personne pris pour modèle. « Hey, bonjour, je … pouvez-vous surveiller mes affaires pendant que je me rince les mains ? » que tu lui demandas en pointant ton camp de fortune. « Allez donc voir, j’ai une surprise pour vous »

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Radieuse avait été prévue la journée, et pour cette raison même Ji-hun avait invité une de ses camarades de classe à s’éloigner des bouquins et à prendre la direction des bords de plage. La blonde et lui s’étaient engagés dans la grande allée, une glace à la main, et avaient engagé la conversation sur les dernières semaines qui leur restaient. Ils avaient fait mention des départs qui s'annonçaient aussi – puisque la plupart des étudiants de leur section étaient en échange universitaire pour parfaire leur niveau d’anglais. Sa partenaire de balade aussi allait retrouver les siens à la fin du mois, confiant qu’elle était partagée entre plusieurs émotions. La promenade avait duré une bonne heure avant qu’en milieu de matinée elle ne soit appelée à quitter le futur doctorant pour rejoindre le travail saisonnier auquel elle avait postulé en arrivant sur Boston.

Le nord-coréen se retrouva alors seul, mais pas en terrain inconnu. Il avait déjà visité à plusieurs reprises les plages qui entouraient sa ville d’accueil, et c’était l’un de ses endroits favoris. Plutôt que de rebrousser chemin, il décida de retirer ses espadrilles et d’avancer dans le sable tiède. À grandes enjambées, il se laissa porter vers les vagues qui secouaient gentiment les grains pour mieux repartir dans l’Atlantique. Il ne s’en approcha pas plus que ça, parce qu’il voulait garder une vision panoramique du paysage océanique. Le soleil frappant son visage, il leva son avant-bras pour se protéger les yeux, quand l’autre resta le long de son corps, à son bout les fameuses chaussures en toile. L’eau était encore fraîche à cette heure-ci, il n’y avait pas un nageur à l’horizon. Seuls quelques gros oiseaux avaient trouvé bon de pousser la chansonnette.

Il ne sut combien de temps il resta planté là, immobile. Ce fut l’interpellation d’une jeune femme qui le tira de sa contemplation. Bonjour, reprit-il à sa suite avant de remarquer ses mains tachées de couleurs, euh… oui, je peux. Il avait affirmé, puisque la mission ne lui semblait guère compliquée. Il se tourna vers l’emplacement qu’elle avait fait sien afin de garder un œil dessus, mais elle l’invita à s’en approcher davantage. Curieux, il marcha vers le pupitre et le sac à dos quand elle prit la direction opposée. Il contourna le chevalet et observa les coups de pinceaux qui avaient été donnés, en silence. Ce ne fut que lorsque l’artiste revint auprès de son outillage qu’il entrouvrit la bouche. C’est le paysage, tourna-t-il son index à bonne distance de la peinture avant de pointer la mer, juste là. Et… Ici, reprit-il en montrant la silhouette, c’est moi ?

Aucun doute là-dessus, la surprise, c’était ça. Le prendre en photo, je peux, demanda-t-il la permission de garder un souvenir de son œuvre. C'est original, ne put-il décrire autrement cette façon de représenter et transformer la réalité.

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L’oeuvre était enfin terminée. Les coups d’pinceaux avaient été francs. Tout sortait des tripes. Tu t’étais vraiment employée à rendre ce paysage beaucoup plus exotique qu’il ne l’était. Les couleurs étaient vives. Le rouge et le bleu entraient en collision. On ressentait vraiment ta nervosité et ton esprit perturbé. L’inconnu rajouté paraissait piégé dans un monde effrayant. C’était ça ton univers. Un pur malaise que tu avais envie de partager, parce que c’était bien pour ça l’art, c’était pour exorciser ses démons. Enfin, c’était ta définition, chacun pouvait avoir la sienne. Le travail terminé, tu avais agi avec spontanéité, ce qui était rare pour une angoissée comme toi. Les pieds s’enfonçant dans l’sable, tu étais partie interpellé l’jeune homme afin qu’il jette un oeil sur ta toile, mais qu’il surveille surtout tout ton attirail. Qu’il trouve ça perché ou non, tu avais foncé vers l’océan pour décrasser tes mains de la peinture. Les tâches s’effaçant avec un peu d’énergie, tu froissas ton tee-shirt entre tes doigts et revins vers le grand ténébreux qui lorgnait ton oeuvre. Gênée, tu t’incrustas devant ton chevalet et tu scrutas le paysage apocalyptique. « C’est ça, c’est la fin des temps » que tu répondis en t’écartant sur la droite afin qu’il puisse photographier cette laideur. Ah oui, tout ce que tu pondais était déprécié, impossible d’être satisfaite de ton travail, ça en devenait maladif. « Je pourrais te l’offrir tu sais, c’était pour le plaisir. Si ça te plait et que ça va bien dans ton intérieur, prends-le » que tu proposas en rangeant tes cheveux derrière tes oreilles. Le vent soufflait si fort ici, ce qui n’était pas le cas en ville. Les sandales recouvertes de sable, tu grimaças et te repassas la façon que le jeune homme avait de s’exprimer. Ce n’était pas limpide. L’accent n’était pas non plus très américain. « Tu es ici depuis combien de temps ? Je doute que tu y sois né, tu parles comme maître Yoda » Star Wars, tu n’avais pu l’découvrir qu’en sortant de ton sous-sol, t’avais alors quasiment la majorité lorsque tu t’intéressas à cette oeuvre de science-fiction. Le poing lancé en direction de l’inconnu, tu attendais qu’il le cogne pour sceller les présentations « Darcy et toi ? »

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vitamin sea
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La fin des temps , avait-il répété à sa suite en observant les couleurs se fondre les unes dans les autres, comme si elles se combattaient entre elles sans jamais que l’une ne prenne vraiment le dessus sur l’autre. Je n’espère pas, avait-il ri avant de sortir son portable de sa poche, chaussures en toile lâchées dans le sable pour tenir un cliché à peu près potable. En art, je ne suis fort qu’en latte , se confia-t-il rapidement sur les prouesses qu’il pouvait réaliser avec une tasse, du café et un peu de crème battue, comprendre ce qu’elle représente pour toi, c’est compliqué, mais elle me parle. Elle racontait une partie de lui, de cet homme plongé dans une société qu’il ne comprenait qu’à moitié. Effrayante et attachante à la fois, cela dépendait de la situation. Il y avait ce monde dans lequel il avait vécu, et celui dans lequel il aimerait vivre. Vraiment, fut-il surpris lorsqu’elle lui proposa de la lui remettre, beaucoup de temps, pourtant, tu as passé.

Il contempla la photographie qu’il avait prise de l’œuvre ; était-elle vraiment sûre de vouloir s’en débarrasser ? Maître Yoda, s’exclama-t-il en levant les sourcils, yeux encore captivés par la peinture qui avait pris place sur son écran. Il tourna la tête vers sa voisine et demanda : c’est un peintre, lui aussi ? Peut-être était-ce son professeur, et si c’était le cas, il aimerait bien pouvoir rencontrer une personne qui possède le même accent que lui. De Corée, je viens, fit-il, et pas la peine d’aller plus loin, il en avait pris l’habitude, maintenant. Préserver encore un peu son secret, bien que la Doyenne semblait avoir eu la langue bien pendue auprès de quelques étudiants. Le poing dans sa direction, il l’examina de ses agates bridées avant de joindre ses doigts, les plier à leurs jointures et les poser contre les phalanges de sa vis-à-vis : Jay, enchanté. Et maintenant que les présentations avaient été formulées, il était temps de rediscuter de ce tableau.

Je le prends, lança-t-il, même s’il ne savait pas encore où il pourrait le placer, sa chambre étant loin d’être spacieuse. Peut-être une façon de faire sa propre thérapie, trouver l’équilibre qui le rendrait plus américain sans jamais oublier qui il était, être Pyongyang et Boston à la fois, dans le bien qu’il pourrait puiser de ses deux vies. Je peux te remercier, lui demanda-t-il, car il lui était impensable de prendre sans donner en contrepartie. Je l’achète ou… de quelque chose tu aimerais , proposa-t-il ; de l’espèce il en avait, mais ils pouvaient tout aussi bien partir à la recherche d’un objet qu’elle rêverait de posséder. C’est la plage, dit-il en lui présentant de son bras immense l'étendue face à eux, beaucoup de boutiques autour il y a ! De quoi trouver le cadeau idéal.

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w/ @Ji-hun Hwang
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Les enfers avaient été peints. Le paysage était pourtant agréable, mais t’avais réussi à le rendre terrifiant. Tout pouvait être synonyme de chaos, surtout chez toi. Tu n’avais franchement plus confiance en l’espèce humaine, mais tu ne tournais pas non plus vers la solitude la plus extrême. Hypocrite envers ton passé, tu racontais une toute autre histoire aux gens que tu rencontrais. Ce Jay venu de Corée n’y échapperait pas s’il cherchait à creuser sur ton compte. « Non, c’est une créature d’une oeuvre de science-fiction, c’est étonnant que tu ne connaisses pas » Lui aussi aurait-il été enfermé dans une cave durant des années ? Était-ce un alien qui se serait infiltré parmi le commun des mortels ? Les soupçons grandirent jusqu’à ce qu’il choisisse de prendre la toile que tu avais peinte. C’était cadeau. Tu avais suffisamment de peintures dans ta chambre, il fallait bien que tu déstockes un peu, même si c’était gratuit. Certes, tu ne ferais pas fortune en tant qu’artiste, mais le don de soi te rendait riche. De toute façon, tu ne te percevais pas encore comme artiste accompli. Tu pris tout d’même un pinceau, trempant la pointe dans l’noir pour signer la toile en bas à droite. « Comme ça tu pourras la vendre plus chère lorsque je serais décédée » Tu éclatas ensuite de rire, toi, grande cynique. Puis, tu arquas un sourcil sous la proposition du jeune homme. Il souhaitait t’offrir une babiole en échange, c’était adorable de sa part, mais tu ne demandais rien en contrepartie. « Ça pourrait être fun, je rassemble mes affaires et on y va » Les tubes de peinture rangés dans une trousse, tu enroulas tes pinceaux dans un vieux chiffon pour les déposer dans l’fond de ton sac. Il n’y avait plus que la toile qui prenait d’la place, même si le format n’était pas non plus géant. Le sac sur les épaules, tu attrapas la toile par un bord sec et la tendis au brun « Elle va nous ralentir, t’habites loin d’ici ? Moi j’suis sur le campus d’Harvard, ça fait un bout d’chemin … On pourrait toujours faire un détour par chez toi et se rapprocher d’un centre commercial par la suite, t’en dis quoi Jay de Corée ? »

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w/ @Darcy Abernathy
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Il le prenait, ce tableau, ne pouvait se résoudre à le laisser quand il faisait écho à son présent. La jeune artiste ne semblait pas avoir changé d’avis, au point de signer au bas de la toile. Quand tu seras décédée, pourquoi , avait-il été surpris de sa remarque ; ton un brin dépressif qu’il ne comprenait pas. Il avait toujours appris à sourire, même dans la difficulté. Je vais le garder, s’était-il exclamé fièrement, parce qu’il n’avait pas l’intention de le vendre ; un cadeau ne pouvait être racheté par un autre. En revanche, il était inconvenant qu’il reçoive quelque chose de sa part sans qu’il ne lui offre quelque chose en retour. Il aurait pu y réfléchir un peu plus longtemps, mais quelles étaient les chances qu’ils se croisent à nouveau ? Boston comptait des centaines de milliers d’habitants en son sein, c’était impossible !

Proposition validée, Darcy rangea ses affaires sous le regard patient du nord-coréen. Tubes glissés dans une trousse, pinceaux recouverts d’un tissus, le tout fut rangé dans son sac. Il prit la toile de l’une de ses mains, retrouva ses chaussures de l’autre. Chez moi, répéta-t-il, surpris de l’élan qu’elle avait pris pour suggérer qu’il se rende jusqu’au logement dans lequel il habitait. D’ici, un peu plus près qu’Harvard, oui, affirma-t-il ; c’était juste pour déposer la peinture, de toute façon. La 11, de ligne de bus, qu’il faut prendre, c’est celle-là, l’informa-t-il avant de pointer la direction dans laquelle ils devaient se diriger : par là. Il la suivit jusqu’aux marches, pieds nus dans le sable, avant d’enfiler à nouveau ses espadrilles sur le bitume de la grande allée. Une carte tu as, lui demanda-t-il, alors qu’ils se dirigeaient vers l’arrêt, sinon, des pièces j’ai, dans ma poche arrière.

Il s’approcha des horaires affichés sous l’abri. Ça passe souvent ici, attendre longtemps, on ne devrait pas, fit-il avant de tourner la tête vers la peintre, il n’est pas trop lourd, ton sac ? Parce qu’il pouvait le porter sur son épaule, si tel était le cas. En vingt-sept minutes, on devrait arriver mais…, laissa-t-il en suspens avant de pincer ses lèvres. Une chambre je loue chez des particuliers , avertit-il, faire entrer quelqu’un, s’ils sont là, je n’ai pas le droit alors… Avait-elle compris qu’il ne pourrait l’inviter à entrer à l’intérieur ?

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Quelques lettres sont ajoutées en bas de la toile. Et bien entendu, tu fais preuve de pessimisme en rêvant ta mort. Jay ne saisit pas la signification d’une telle blague, probablement parce qu’il ne connaissait que le bonheur ou qu’il était totalement inculte sur le monde artistique. « Quand un artiste réputé meurt, ses oeuvres gagnent en valeur » que tu précisas en parlant avec tes mains, tic que tu ne pouvais réprimer. Le jeune homme te certifia qu’il le garderait, mais ça t’importait peu. Il pouvait très bien le jeter aux ordures, ça ne te toucherait pas. Il en fallait bien plus pour que tu sois abattue, surtout après tout ce que tu avais vécu. Insensible, tu n’étais plus qu’un robot enchaîné à tes souvenirs. Les mauvais coups, tu les encaissais et rajoutais cela à ta longue liste de déception. Mais il n’en était pas le cas, Jay paraissait bien sincère. Sa proposition t’avait plu, mais encombré d’une toile pareille, le shopping n’allait pas être bien apprécié. C’est pour cela que tu proposas un plan modifié et que tu appris indirectement à Jay que tu vivais sur le campus. En échange, tu pus constater qu’il habitait moins loin que toi, ce serait donc plus pratique de faire une escale chez lui. Perturbé par ta proposition, tu avais souri en te déplaçant jusqu’au trottoir, hors du sable. « J’ai une carte avec le meilleur forfait » Ses chaussures retrouvées, vous bougèrent jusqu’à l’arrêt où il scruta les horaires. Jay semblait être un homme dans le contrôle. Il calculait tout, une vraie machine. « Tout va bien, j’ai l’habitude d’être chargée, on dirait pas, mais je suis solide » Pivotant vers la route, tu regardais les voitures filées, tes doigts triturant tes lèvres. Un goût de sel parvint à tes papilles. Et puis Jay précisa qu’il louait chez des habitants et qu’une présence autre que la sienne n’était pas la bienvenue. C’était donc pour ça qu’il paraissait inquiet. « Hey, pas de panique, j’attendrais dehors, je veux pas te causer des ennuis » Attrapant les bretelles de ton sac, tu le remontas sur tes épaules et aperçus l’autocar qui se frayait un chemin dans la circulation. T’avançant au bord du trottoir, tu frottas le goudron de ta chaussure et attendis que la porte s’ouvre pour te faufiler à l’intérieur. La carte passée sur le détecteur, tu ne trouvas pas de place assise et t’agrippas alors à une barre métallique pour éviter de chuter. Jay ne tarda pas à te retrouver et le bus démarra, te faisant légèrement basculer vers l’arrière. « T’es étudiant ou tu travailles ? À moins que tu fasses les deux, c’est aussi possible » Les passagers étaient tous occupés, écouteurs fixés dans les oreilles. « Moi je bosse aussi dans un casino, je suis croupière, je gagne pas des millions, mais ça aide à financer la vie étudiante » Parce que toi aussi tu étais inquiète, c’est pas parce que t’avais touché le jackpot à la loterie que tu te la coulais douce, loin de là.

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w/ @Darcy Abernathy
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Le couple chez qui il vivait était sympathique. Tous deux avaient su gérer au mieux les différences culturelles pour cohabiter avec leur nouveau locataire. Ils avaient une routine bien particulière, mais n’étaient pas réfractaires à insérer Ji-hun à l’équation. Il y avait de ces soirs où, devant la télévision, ils passaient un très bon moment. Mais voilà, il y avait également des règles à respecter, et ne faire entrer personne dans l’appartement lorsqu’ils étaient présents en faisait partie. Pour ne pas partager son intimité avec un(e) inconnu(e) d’abord, ils ne voulaient pas être témoins de scènes qui leur sembleraient incorrectes ensuite ; une éducation traditionnelle et religieuse expliquait ça. Alors, lorsque la peintre avait mentionné le fait de passer chez lui pour déposer la toile, il avait dû lui expliquer qu’il serait inenvisageable pour lui de la laisser entrer. Et elle comprit.

Le bus arriva, le nord-coréen monta à la suite de la brune, tout en faisait attention à ne pas cogner le tableau. La peinture n’était pas encore totalement sèche, il devait également faire attention aux sièges disposés de part et d’autre de l’allée. Il s’arrêta également à l’une des barres traversantes et monta ses doigts en hauteur pour maintenir son équilibre. Lorsque Darcy faillit partir à la renverse, il se tint prêt à la rattraper, mais cette dernière semblait avoir le réflexe facile. Ma première année de doctorat je vais débuter , lui répondit-il, et je bosse. Serveur dans une brasserie je suis. Un maître en latte art, les clients se bousculaient pour avoir accès à l’un de ses cafés crème. De l’argent il y a, pourtant, dans les casinos, remarqua-t-il ; de quoi être bien payé, selon lui. Dans l’art, tu étudies , pensa-t-il bien déduire, vu l’œuvre née de ses pinceaux.

Ça fait quoi, krupiar , demanda-t-il, parce qu’il ne connaissait pas le métier qu’elle exerçait là-bas ; ce mot n’était pas inscrit dans une des fiches de son vocabulaire. Il en avait pourtant avalé durant des nuits, mais ça ne semblait pas suffire. Tu joues, parfois, continua-t-il à l’interroger. Puisqu’elle y passait du temps, peut-être en profitait-elle pour tenter sa chance aux jeux ? Pouvoir gagner le double de son salaire était tentant, surtout si c’était réalisé en un seul coup.

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vitamin sea
w/ @Ji-hun Hwang
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Ton sac à dos prend d’la place. Tu cognes les autres passagers, t’excusant sur ton passage alors que Jay fait en sorte de protéger la toile encore toute fraîche. Le bus reprend ensuite sa course. L’aspiration t’fait perdre l’équilibre, mais tu te raccroches fermement à la barre et retrouves ta stabilité. La curiosité ne peut être réprimée. Les questions affluent et ne tardent pas à franchir la barrière de tes lippes. Si tu ne confieras rien de ton réel passé, tu voudrais égoïstement en apprendre plus sur Jay. Alors tu l’interroges, sur des éléments basiques qui ne gâteront pas votre rencontre. « Un doctorat, c’est que tu dois avoir une sacrée cervelle » Tu souris, enregistrant l’autre information divulguée. Le brun revient ensuite sur ta petite personne, tout ce que tu évites en temps normal. Ta langue pourrait effectivement fourchée et t’as pas envie de ça, pas envie de laisser entrevoir les casseroles que tu traînes malgré toi. « C’est vrai que je suis au contact de l’argent en permanence, mais c’est pas moi qui tente de le gagner. » Face de déception et l’autocar fait son premier arrêt. Certaines personnes se lèvent pour sortir. Tu te colles alors un peu plus à la paroi d’acier, ne supportant pas que des inconnus puissent entrer dans ton espace vital. « Et oui je suis en arts plastiques et histoire de l’art » L’arrière de ton crâne se calant contre la vitre, tu maintiens ton regard azur sur l’étudiant. Il te pose ensuite une question qui t’fais doucement sourire. Le mot est déformé, mais tu sais de quoi il veut parler. C’est vrai que le nom de cette profession est barbare. « En fait je suis un peu la maître du jeu, j’explique les règles et je distribue les cartes » Tu ne pouvais pas faire mieux pour résumer ce qui te prenait tes soirées et qui t’faisait coucher plus que tard. De toute façon, pour être abonnée aux insomnies, valait mieux être utile et ne pas laisser l’inconscient s’emballer. « Moi jouer ? Non, j’préfère pas, je voudrais pas devenir accro et dilapider tout mon pognon, c’est trop risqué » que tu avouas alors que le trajet ne cessait d’être interrompu par des arrêts. Qu’est-ce que tu devais montrer à cet inconnu, la vraie ou la fausse toi ? Maintenant que tu savais qu’il traînait sur le campus, il était presque impossible de livrer l’authentique Darcy. « Et toi pourquoi t’as pas voulu intégrer une maison ? Pourquoi avoir préféré louer chez des particuliers ? On dirait que ça te prive pour un tas d’trucs .. Tu peux même pas inviter tes petites copines, ça doit être frustrant » que tu le taquinas gentiment en te cramponnant à son bras pour éviter de disparaître vers l’avant. « Excuse moi, j’ai l’impression d’être sur un bateau » Gênée de t’être servie de lui, tu reculas et rougis instantanément. « C’est quoi ton objectif en sortant d’Harvard ? T’en as un ou peut-être même plusieurs ? »

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vitamin sea
w/ @Darcy Abernathy
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La remarque de Darcy sur le contenu de sa cervelle le fit éclater d'un rire franc. Il regarda aussitôt les passagers présents dans le bus pour s’assurer qu’il ne s’était pas fait remarquer, puis cacha son sourire rieur dans le biceps de son bras levé. Une façon de dire, c’est sûrement , releva-t-il, surpris de la familiarité de sa phrase. Familiarité qui ne lui déplut pas tant que ça, finalement. Il préférait de loin les femmes franches et spontanées, et sa vis-à-vis semblait en faire partie. Il s’intéressa davantage à elle, quand il aurait pu faire le chemin sans lui adresser la parole – trait de personnalité qui avait eu son charme, mine de rien. Il remarqua son corps se recroqueviller contre la barre pendant la descente d’autres usagers, il définit ce comportement comme une manière de faire de la place comme une autre – la politesse était très présente dans son pays.

Le tableau, ça explique, conclut-il lorsqu’elle avoua étudier l’art plastique et son histoire. Mais il y eut ce mot, sorti d’aucune de ses fiches de révision, qui le rendit curieux. « Krupiar », que faisait-elle dans un casino ? Oh,… des astuces pour faire perdre, il y en a vraiment, demanda-t-il après s’être exclamé. Il paraissait que les jeux étaient truqués, mais de façon à rendre légale l’intervention des fameux « maîtres du jeu » dont elle venait de parler. Point de jugement ici, il voulait juste savoir. La jeune femme adoptait le même mouvement à chaque arrêt, et Ji-hun ne fit aucune remarque, mais commença à trouver ça suspect. En petit comité, je préfère vivre, confia-t-il, avant de rire à nouveau lorsqu’elle fit mention de plausibles copines. Que j’en ai, qui te dit ça huh, l’interrogea-t-il, terriblement amusé par la manière dont elle paraissait sûre d'elle quand le sujet restait privé.

Un coup de frein brusque faillit faire manger le sol à la brune. Si bien qu’elle eut besoin de se tenir au bras de son comparse pour éviter de s’écrouler de tout son long dans l’allée. Est-ce que… ça va, toi, lui renvoya-t-il aussitôt ; s’était-elle cognée ou tordue le pied ? Elle n’avait pas l’air de souffrir en tout cas. Intégrer un laboratoire pharmaceutique, commença-t-il, chercheur en chef, je vise. Au culot, il était plus intéressant pour lui de faire un post-doctorat après l’obtention de son titre de doctorant. Une étudiante en art plastique, après elle peut faire quoi, demanda-t-il, parce qu’il ne connaissait pas vraiment ce domaine d’activité ; et elle, que visait-elle ? Peintre dans une boutique de céramique ou voulait-elle devenir une artiste de renommée mondiale ? Dans la tête du nord-coréen, tout était réalisable si on y mettait son cœur et son âme.

À tout hasard, un taxi, tu préférerais qu’on prenne, osa-t-il lui proposer en ne la sentant ni à l’aise avec la proximité des autres, ni avec la possibilité de se servir du corps de son camarade de voyage comme pare-chutes ; lui n'avait aucun problème avec ça. Il ne devait rester qu’une dizaine de minutes pour arriver jusqu’à Cambridge, puis une autre dizaine pour retrouver Acorn st. via une autre ligne. Moins de temps ça mettrait, utilisa-t-il ce prétexte pour éviter de la mettre mal à l’aise. Ça m’ira, à moi, hocha-t-il la tête. Un tour en voiture privée n’allait pas lui coûter un bras, de toute façon.

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