Night talk ft. Clary (17.05)

Cela faisait plus d’une heure que Ji-hun était en ligne avec son interlocuteur, sur une application en ligne qui mettait en relation deux pseudonymes, qu'importait où ils se trouvaient sur le globe. Le Mexicain avait joué sur sa plateforme pendant la conversation, pendant que le nord-coréen s’était concentré sur ses derniers cours entre deux sujets. Le gamer prévint qu’il allait mettre fin à leur communication, puisqu’il se devait de couper l’ordinateur et d’aller se reposer un peu. Il était plus d’une heure du matin ici, cela se comprenait parfaitement. Ils se dirent au-revoir, sans avoir véritablement pensé pouvoir se retrouver un jour sur cette messagerie instantanée.

Après être tombé sur plusieurs autres utilisateurs, des cools et des moins cools, l’Asiatique tomba sur une nouvelle personne. Il lâcha de son regard ses notes et sourit devant la caméra de son ordinateur portable tout en observant celui/celle sur lequel/laquelle il était tombé par le plus grand des hasards. Salut, fit-il de son accent prononcé, chez toi, faire nuit, il semble aussi. Connecté(e) à cette heure-ci, qu’est-ce-que tu fais ? Il leva ses sourcils épais pour appuyer son interrogation avant de poser sa mâchoire contre sa paume, coude appuyé sur son bureau. Il était deux heures du matin. Parler fort, je ne peux pas, continua-t-il, de sa voix basse, le monde dort, ici.

Oh, réagit-il aussitôt lorsque la jeune femme aux cheveux roses avoua ne pas trouver le sommeil, certainement dû à une accumulation de mauvais rêves. Il se montra sincèrement désolé pour elle, ses lèvres se contractèrent l’une contre l’autre. Par mimétisme, il posa un regard sur la porte de sa chambre avant de reprendre la conversation, confiant qu’il ne pouvait pas parler trop fort, les autres habitants de l’appartement dormant à poing fermé. T’es pas obligée , murmura-t-il à son tour lorsqu’elle proposa de faire profil bas, se penchant légèrement vers le micro installé sur son ordinateur. Et pour lui expliquer, il tourna la tête et pointa de son index les écouteurs sans fil qu’il portait dans ses oreilles. Il revint de nouveau souffler quelques mots : parfaitement, je t’entends. Il se redressa, puis sourit, avant de reprendre sa posture sage et concentrée.

J’étudie…, dit-il de sa voix grave qu’il voulait discrète. Il jeta un œil sur le bas de l’écran, là où les heures et minutes étaient affichées et déclara : depuis trop longtemps. Ça allait faire quatre heures qu’il se torturait de mots de vocabulaire. Tête dans sa paume, il tapota les pulpes de ses doigts fins sur le dessus de ses chairs épaisses. Il dévisagea la jeune femme aux cheveux peints de rose flashy avant de demander : tu te caches, pourquoi ? Il ne la jugeait pas, trouvait même les couleurs de sa peau et sa chevelure très jolies ; vivait-elle dans les Caraïbes ? Timide, ne sois pas, je suis sympa, assura-t-il en posant son stylo contre sa lèvre inférieure. Lumière plus forte, t’as pas posa-t-il, parce qu’il ne la voyait pas très bien ; les paramètres de luminosité de son ordinateur devait être au plus bas. C’est première fois, tu te connectes, supposa-t-il.

Il ne s’était pas trouvé autant mal à l’aise lors de ses premières connexions, mais il comprenait que ça puisse être le cas pour d’autres, surtout si on tombait sur des cas particuliers. De tes cauchemars, tu veux parler, lui proposa-t-il d’évacuer ses craintes en sa compagnie.

La langue de Shakespeare, c’était le sujet de son étude si tardive, mais surtout parce que : en sciences, tout est en anglais. Ici, ou ailleurs. Il lui avait appris être en chimie et biochimie avant de remarquer qu’elle tentait de rester anonyme, jouant de ses cheveux au point d’en cacher son visage. Il n’avait pas eu besoin de plus pour deviner qu’elle n’était pas une habituée du site, et en avait fait la remarque. Lui avait pris le pli de se connecter lorsqu’il savait la nuit compromise par la dure labeur, par cet apprentissage intensif qu’il s'infligeait. Investissement à hauteur de son envie d’obtenir sa résidence permanente aux États-Unis, prouvant d’ores et déjà sa volonté d’en prendre la nationalité, même s’il se devait d’attendre encore cinq ans pour en faire la demande. Il trouvait plus sympathique d’étudier en bonne compagnie ; il ne sortait déjà pas beaucoup.

Il avait acquiescé lorsqu’elle lui avait demandé de patienter, était resté les yeux rivés sur l’écran. Il n’avait pas pu passer à côté de son ventre dénudé. Peau bronzée décorée d’un bijou qu’il n’avait jamais eu l’occasion de voir avant aujourd’hui sur qui que ce soit. Pas étonnant, quand on savait que les modifications corporelles étaient prohibées en Corée du Nord, qu’il soit question de tatouages, piercings ou toute autre fantaisie. Il avait donc pris connaissance de cette particularité, sans pour autant la mettre au centre de la table. Il enchaîna alors sur les cauchemars de la jeune femme, apprit que c’était à cause de son travail, et fut surpris. Ton travail,  répéta-t-il avant de s’approcher de l’écran pour observer les traits à présent bien visibles de l’utilisatrice, super jeune, tu parais ! Il ne pensait pas qu’elle puisse être en âge de bosser.

Ça va, répondit-il à sa question, fatigué, je ne suis pas trop. Il avait pris un rythme un peu bancal, mais ça n’avait aucune vraie incidence. Ni sur sa santé, ni sur son travail, ni sur ses études. Dormir, tu veux que j’y aille, demanda-t-il, d’un ton amusé, laissant un souffle rieur s’échapper ; voulait-elle déjà en finir avec lui ? Du sang et des cris, tu as dit, réfléchit-il, t’es meurtrière ? J’espère pas. Il rit, plissa les yeux avant de secouer la tête pour bien faire comprendre qu’il n’était pas sérieux. C’est gâchis, sinon. Mignonne, tu l’es trop, lança-t-il sans une once de gêne. T’as quel âge, du coup , continua-t-il. Son âge ou une tranche qui puisse le rassurer ; il espérait qu’elle soit au moins majeure, parce que ça le gênait d’être en contact avec des demoiselles bien trop jeunes.

Les sciences, oui. La chimie, la biologie, les deux mêlés, tout ça pour espérer travailler dans : la recherche pharmaceutique. Parce qu’il voulait être de ceux qui améliorent le quotidien des personnes atteintes d’une maladie, qu’elle soit grave ou bien bénigne. C’était son objectif d’entrer dans un laboratoire de recherches en tant que titulaire, mais pour ça, il fallait qu’il termine son doctorat et s’inscrive en post-doc’ ; le chemin était encore long. Très lisse, ton visage, pour trente ans, avait-il commenté. Par rapport aux hommes et femmes à la peau plus pâle, et de la même tranche d’âge qu’elle, elle était moins marquée par les années. Les origines, sans doute ; chez la majorité des asiatiques, c’était le cas aussi. Mais qu’importait finalement, tant qu’elle était majeure, tout allait bien du côté de Ji-hun.

Il avait secoué la tête lorsqu’elle lui avait rappelé qu’il pouvait toujours en décider autrement de cette conversation, lui aussi. Te nexter, je n’ai pas envie, avait-il avoué sans problème avant d’indirectement la complimenter. Je t’ai gênée, rit-il sans bruit, après avoir remarqué son léger bégaiement. C’était l’effet de son franc-parler, il s’en amusait beaucoup. Puis il se recula à l’annonce de son âge, posant sa colonne vertébrale contre le dossier de la chaise de bureau sur laquelle il était installé. Incroyable , s’exclama-t-il en la dévisageant à travers l’écran, mais plus jeune je suis. Il restait majeur toutefois, entre vingt-et-un ans et vingt-huit ans, comme il avait pour habitude de répondre. Ça ne te dérange pas, voulut-il s’assurer, parce que savait-on jamais. Les femmes avaient tendance à préférer dialoguer avec des hommes plus… quelque-chose.

Ambulancière , répéta-t-il, pour tenter de traduire de son dictionnaire interne, technicienne d’urgence… Il rit doucement, parce qu’il ne connaissait pas ces mots. Attends, lui demanda-t-il en se penchant de nouveau sur son bureau pour choper son téléphone posé près de son ordinateur, et il tapa sur l’écran à grande vitesse. Une voix sortit du téléphone pour annoncer : eungkeup kujo deuon. Il hocha alors la tête en laissant ses lèvres former un « o » ; impressionnant ! 9.1.1., s’assura-t-il d’être sur la bonne voie, avant de confier : appeler 9.1.1., maintenant, je vais avoir envie. Il sourit, conscient qu’il venait de lâcher là un deuxième compliment. Il regarda ensuite le bazar sur le meuble et commença à l’ordonner. Pour la société, tu agis bien, c’est cool, la félicita-t-il sur l’emploi qu’elle exerçait, tu as choisi, comment ?

Il y avait toujours une histoire derrière les métiers que l’on avait. Parfois c’était une évidence, pour d’autres, il y avait eu quelques expériences au cours de la vie qui avaient mené jusque là, et pour certains, un boulot pour lequel on n’avait pas de passion mais qu’on avait été obligé de prendre.

Ji-hun avait été rassuré de savoir que son âge n’allait pas être un frein pour la jeune femme, et puisqu’elle avait besoin d’être confortée davantage à cette idée aussi, il n’avait pas hésité un seul instant à donner sa réplique : les petites vieilles, j’aime beaucoup. Il avait plissé les yeux d’un air rieur, mais il ne plaisantait même pas. D’ailleurs, la première femme avec qui il avait flirtée sur Boston avait plus de trente ans, était divorcée et avait même un enfant. Aucune chance pour que la trentaine à peine de son interlocutrice puisse le dissuader de reprendre leur conversation. Le métier avait alors été traduit par son application, et l’étudiant s’était montré stupéfait ; le feu de l’action réclamait forcément d’avoir une bonne santé physique. Le numéro d’urgence américain avait été mis en évidence, tout autant que ce joli teint coloré qui s’était invité sur ses pommettes. Il s’en était satisfait, au point que la canine était venue caresser sa chair inférieure.

Ils reviendraient chers, à toi, les frais téléphoniques , s’était-il inquiété, gardant en tête qu’il était à Boston, et elle dans les Caraïbes ; pensait-elle qu’il se trouvait en Asie ? Et meetsa qui était exclusivement réservé aux habitants du Massachusetts, c’était navrant. Aucune idée lui était venu à l’esprit, méconnaissant encore toutes les fonctionnalités illimités du monde d’Internet et des applications. Parfaitement, je vois, affirma-t-il lorsqu’elle confia que son choix s’était porté sur une évidence. Même si Ji-hun avait été poussé par le gouvernement nord-coréen à se tourner vers la science dès son plus jeune âge, le fait de côtoyer un père botaniste et d’être éduqué par le régime à se tourner vers autrui et acter pour le bien commun avaient transformé cette obligation en révélation, pour lui aussi. De savoir que tu t’épanouis, je suis content, fit-il, parce que ça comptait de voir les autres heureux, bien plus que son propre bonheur ; l’égoïsme au point zéro.

Lorsqu’elle le remercia, il détourna son regard des papiers qu’il rangeait pour le relever sur l’écran. Il rendit ce même sourire qui était fixé sur les lèvres de la paramédic avant de secouer négativement la tête ; elle n’avait pas à le remercier. Ma nuit, tu l’occupes aussi, lui rappela-t-il avant de s’étirer sur sa chaise, mains jointes, bras tendus vers le plafond, être tout seul, c’est pas sympa. Autant pour réviser que pour décompter les heures qui séparaient du lever du jour. Et puis, entre eux, il y avait une vraie conversation, c’était plaisant. Tu es sportive, demanda-t-il, se levant rapidement pour aller ouvrir la fenêtre de sa chambre, revenant aussitôt devant le P.C. pour la retrouver. Il avait une chance sur deux pour avoir juste. Vu son ventre plat, ça ne pouvait venir que d’une bonne hygiène de vie ou d'un métabolisme rapide. La natation, je pratiquais, dit-il en écho, et tous les à-côtés que la discipline demandait, août, je reprends.

Il n’avait pas pratiqué depuis sa fuite de Corée du Nord, mais il espérait malgré tout remonter dans les statistiques au sein de l’université d’Harvard, et d’être sélectionné pour les championnats universitaires la même année. Mais il lui restait une mauvaise habitude de laquelle il ne s’était pas séparée : la cigarette. Il attrapa d’ailleurs son paquet, sortit un tube toxique et le plaqua entre ses lèvres avant d’y mettre le feu. Des gestes mécaniques pour lesquels il n’avait plus besoin de réfléchir, tant la première clope datait, bien loin derrière ; la natation avait quand même ce bon côté de décrasser les poumons. Ensemble, on s’allonge, après , lui proposa-t-il, éjectant ensuite le restant de fumée de sa bouffée. Après avoir fumé, s'être changé et brossé les dents,  histoire de parfaire le côté relaxant de la discussion. Que les images horribles ne soient définitivement qu’un mauvais souvenir pour le restant de la nuit.