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Il y a toute cette colère qui ne me quitte pas. Impossible. J’essaye. J’essaye de me contenir, de me retenir. J’essaye de gérer les choses, de me dire que tout va bien se passer et que la mort fait malheureusement partie du cercle de la vie. J’essaye vraiment de me convaincre que je ne dois pas regretter tout ce que j’ai fait ou pas fait ces dix dernières années. Quitter le Brésil, ne plus donner de nouvelles directement à ma mère pour éviter que l’on me retrouve, que l’on me renvoie chez moi. C’était le plus facile et c’était probablement aussi ma façon de la faire payer pour avoir laissé mon père - son mari - nous détruire comme il l’a fait. L’égoïsme de mon comportement me frappe en plein visage et je dois avouer que tout cela me tracasse plus que ce que je ne l’aurais imaginé. Abattue, je ne m’attendais pas à l’être mais les choses sont claires, quand c’est votre mère qui commence à manger les plantes par la racine, c’est votre monde qui est bousculé. C’est mon berceau, mon humanité qui est mise à mal et je ne veux même pas imaginer comme je serai lorsque les mots des médecins seront ceux de l’annonce d’un décès, d’un départ. Je ne veux même pas me l’imaginer parce que je crois que je ne m’en remettrai pas. Je ne veux pas la voir partir, nous avons tellement de choses à vivre, à discuter, à profiter. On aurait dû avoir la vie devant nous. On avait la vie devant nous mais j’ai tout gâché et les remords qui me rongent sont difficiles à accepter. C’est peut-être pour cela que je démarre au quart de tour avec toi. Est-ce que je me rends compte que faire payer autrui pour mes choix n’est pas l’idée du siècle ? Ouai, clairement. Et si notre bagarre est bonne enfant, ce n’est pas le cas avec ma mère que je n’ai toujours pas osé appeler. Lâche, voilà ce que je suis. Lâche et épuisée, d’où cette fuite vers ma chambre. Fuir pour pouvoir s’écrouler et ne pas avoir à se relever. Mais tu me surprends lorsque tu reviens vers moi, entrant dans ma chambre après que je t’ai autorisé à le faire. Je ne suis pas capable de soutenir ton regard, bien trop fatiguée et anéantie de tout cela alors je laisse rapidement retomber mon visage sur mes genoux, retrouvant ma position recroquevillée. C’pas toi. Qui me met hors de moi, dans cet état de rage incontrôlable. Je crois juste que t’as retiré le bouchon qui m’empêchait d’éclater. Je suis un peu comme ces vins en tonneau dans les plus grandes caves du monde. Et quand t’enlèves le bouchon, ça coule, ça coule, ça coule. Le contact est perturbant mais je ne bouge pas. Je crois que j’ai besoin de ça, de cette chaleur, de ta chaleur. Quand tes lèvres se posent sur ma joue, je tourne le visage et me retiens. J’ai tellement envie de te pousser et te dire de ne pas en profiter mais ce serait pour essayer de reprendre le dessus. J’en suis pas capable Charles. J’espère que tu le vois, dans mon regard, que je ne suis capable de rien aujourd’hui. Et quand la question tombe, je soupire doucement, laissant l’air quitter mes poumons. Nouvelle bouffée d’oxygène, nouveau courage ? J’ouvre la bouche et je sens mes lèvres trembler à nouveau. Alors je les pince et soupire à nouveau. Ma mère… Que je lance, regardant mes genoux. A un cancer et c’est très avancé. Je ne te donne pas trop d’informations parce que je ne sais même pas par où commencer. J’ai jamais parlé de ma famille, il y a trop de choses à déballer, trop de trucs à gérer et je ne sais même pas par où commencer. Je ne suis qu’une gamine aux genoux écorchés à ce moment précis. Il lui reste pas longtemps à vivre et ça fait douze ans que je l’ai pas vu. Comme ça tu vois l’ampleur des dégâts. Allez, démerdes toi avec ça, moi j’ai les larmes qui remontent aussi vite qu’elles ont été ravalées.
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