Madness •• Riper

Dur retour à la réalité qui est pourtant une nécessité parce que laisser Lyra gérer seule le Sidh, bien qu’elle en soit depuis toujours capable je n’en ai jamais douté, me semble quand même bien égoïste surtout depuis qu’elle m’y a intronisé. J’ai partiellement repris contact avec quelques-unes des filles comme si de rien n’était pour savoir où mettre les pieds, qu’en était-il devenu de l’établissement mais visiblement rien n’a changé.  Soulagé de l’apprendre j’ai laissé de côté téléphone et tout autre moyen pouvant me déranger pour m’adonner à mon nouveau passe-temps : la combler. C’est un boulot à plein temps parce que Joey est insatiable sur ce point, toujours à m’offrir la cambrure impudique de sa croupe dans nos draps, se laissant désirer dans le poétiquement incorrecte de ses soupirs lascifs et murmures indiscrets. Jusqu’au moment où cette sonnerie particulière a retenti, tonalité depuis bien trop longtemps muette faute d’un été certainement très animé de son coté. Et si ma main s’empresse d’aller pour le coup l’empoigner afin de décrocher, l’accueil n’en est pas moins froid.  

  « Tu m’as lâchée. » Quoi ? C’est un fait, il s’est passé quelque chose depuis qu’elle est partie là-bas pour s’amuser. Il y a cette chose dans sa voix, tremblotante et mêlée à la mélancolie. « Non. » Je ne t'ai pas lâchée Hiawee, juste laissée prendre un peu ton envol et gouter à cette vie que tu idéalisais tant. Je me suis relevé, délaissant le confort du canapé pour le discret du jardin en ce début de soirée. « T’as fait quoi ? » Prêt à entendre d’elle tout et n’importe quoi.

A l’autre bout du fil son rire n’a plus rien de cristallin mais il est bien plus nerveux, mesquin. Elle a dû merder et pas qu’à moitié pour oser s’adresser à moi de cette façon aux risques de me voir raccrocher, amère des conséquences et je ne pense pas que ce soit dû à verre en trop cette fois. « Comme si tu en avais réellement quelque chose à foutre de ce que j’ai pu faire. » Foutre… un vocabulaire que je le ne lui reconnais pas. Loin d’être le frère auprès duquel elle venait trouver conseil et réconfort autrefois… Là, c’est plus grave parce que quoiqu’elle ait fait, elle ne se le pardonnera visiblement pas. Un coup d’œil balancé vers la baie vitrée pour m’assurer que mes traits contrariés n’ont pas alerté Joey et ma main vient les malaxer, déraidir ce que ses mots ont su susciter.

« J’suis pas devin. »  Et elle est majeure et vaccinée sans compter que je ne peux être derrière elle chaque jour que le bon Dieu fait. « T’appelles, je réponds. Mais je n’ai pas encore de sixième sens, » pour savoir quand oui ou non elle va se foirer, quand elle est sur le point de basculer. Faisant quelques pas dans cette herbe qu'il faudrait tailler, un jouet du chien est venu couiner sous mon pied, ajoutant un peu à ma nervosité avant de l’éjecter. « Saloperie.... »  

C’est pas faute de lui avoir dit plusieurs fois de ranger les gadgets de sa boule de poils qui coince mais Snow a toujours été beaucoup trop laxiste avec son gosse qu’il n’a su dresser. Et à l’autre bout du fil, alors que l’objet est éjecté à ma grande satisfaction, d’un soulagement profond de le voir s’écraser contre le muret du fond, Haiwee s’esclaffe. « Excuse-moi ?! » Par instinct de survie, le téléphone a été écarté de mon tympan des fois qu’il lui prendrait encore l’envie d’y déverser son agacement. Les sons se sont faits plus doux, voir même absents si tant est que je l’ai reprise, le micro collé à mon oreille pour tenter de me justifier de mes mots, toujours dans l’ignorance quant aux raisons qui l’ont poussée à m’appeler alors que depuis des mois j’ai été foutu de côté. Bravo Haiwee, ton envol t’as su le gérer en oubliant tous ceux qui t'ont toujours aidée.

« T’as jamais eu de chien… N’en prends jamais. » Ça pue, ça ronfle, et ça cause plus de problèmes que ça n’en résout. « Donc je repose la question » et dieu sait combien je déteste me répéter, ne pas être compris du premier coup alors que les mots sont clairement posés. « Il s’est passé quoi ? » Là-bas que tu regrettes au point de venir bousculer mon quotidien devenu depuis quelques temps un doux refrain.

Le mélo, je l’ai troqué contre quelque chose de plus apaisant depuis un certain temps, lancé dans une toute nouvelle expérience, dans un mode de vie que je pensais réservé à d’autres faute de mes activités. Mais d’un simple regard, œillade balancée à travers la baie vitrée pour la voir allongée sur le canapé à flâner devant des magasins de beauté, tous en français forcènement parce que la mode ne se conjugue qu’au Vitton et au Chanel, et je sais que ce n’est qu’une question de discrétion. A l’autre bout du fil , Haiwee amorce une phrase trop vite avortée. « J’ai… » Faisant un tour dans le jardin comme si je négociais avec n’importe quel nom présent dans mon triste carnet, je me suis machinalement arrêté devant ce parterre fleuri d’une éphémère beauté qui aux premiers gels ne sera plus qu’un pâle souvenir …

« T’es chez toi ? » Elle est sérieuse lorsqu’elle me demande çà ? Alors que je viens de râler après le clebs que je n’irais certainement pas sortir à plus de dix mètres de chez moi ?  C’est un fait : le sien, pas le mien, son gosse, sa possession mais surtout sa responsabilité qu’il doit supporter même lorsqu’il est enfermé dans son musée. Mais inutile de le lui souligner parce qu’elle apprécie les animaux plus que les êtres humains alors que moi, je n’apprécie strictement rien. Elle prendrait le parti de cette erreur de la nature, pour sûr. « Oui. Avec Joey. » Qu’elle soit prévenue des risques encourus. «  Mais tu peux venir. » Il me suffira "juste" de la préparer à ta venue…

A peine a-t-elle raccroché qu’il me faut déjà aviser, prendre le temps de réfléchir à comment l’annoncer à Joey. «  Hey.. Tu sais quoi… Une amie va venir. » Pour sûr, cette nouvelle va la transcender et tandis que je jette cette balle contre le mur pour me défouler, les mots sont lourdement pesés. J’imagine déjà ses traits se transformer sous l’effet de la contrariété, savoir qu’une autre femme dont elle ne connait pas les intentions va venir la toiser. Brièvement parce qu’elle ne sera pas l’hôte de la soirée, juste une ombre qui devra aussitôt s’effacer. « Ça risque d’être…sportif. » Un verre, c’est tout ce dont j’ai besoin pour le moment et me dirigeant vers le salon, le pied passant au-dessus de la séparation, c’est ce foutu clébard qui se faufile à m’en faire presque trébucher. La paume est venue s’écraser sur la vitre pour y laisser ses impressions, encore une preuve de mon passage qu’il me faut effacer, geste-réflexe qui me permet encore aujourd’hui de clamer ma liberté.  

A l’intérieur, celle qui se prélasse n’a même pas bronché au bruit provoqué, me décochant juste un œil au moment de tourner la page qu’elle vient de dévorer. « Une amie… » Laissons-lui le temps de digérer l’information, quelques mots, deux, qui suffisent à nourrir mon appréhension… Je me suis alors dirigé vers la cuisine pour prendre possession d’un verre et de la bouteille qui le remplira de son feu liquide. Et tandis que cette dernière s’acquitte de sa tache en se vidant dans un bruit qui allège mes doutes, la suite des hostilités arrivent dans un soupir surjoué. « Une amie va passer. » La mèche est amorcée, il suffit d’attendre à présent les éclaircies une fois la tempête passée.
Retour dans le jardin pour m’y attarder, la laisser assimiler l’information sans que ma présence n’alimente ses doutes et ses craintes. Il aura fallu une dizaine de minutes, peut-être moins, pour qu’un doigt se pose sur ce bouton à l’entrée et ne fasse se lever Joey. C’est un sourire vicieux qui est venu me trouver à la vision de sa silhouette soudainement sujette à l’activité, poussée par sa possessive jalousie et sa curiosité. Mais Haiwee se présente déjà dans le jardin à quelques mètres, preuve en est qu’elle a réussi là où beaucoup d’autres ont échoué face à Joey. « Elle est… » « Peu loquace. » Et crois-moi que dans ton cas ce n’est pas plus mal.