You're not my Honey • Aaron

Je réclamais Caesar. J’avais besoin de Caesar pour respirer correctement et cesser d’avoir mal au cœur. J’avais besoin de Caesar pour m’endormir ce soir. Ouais j’avais besoin de lui, mais je ne l’aurai pas. Je n’étais plus rien. Gamin abandonné derrière. Gamin qui se retrouvait face à un homme trop curieux ce soir. Une nouvelle interrogation tombait et je marmonnais un « F*ck » parce que je n’étais pas là pour être étudié comme un putain de cobaye. Malheureusement pour moi, heureusement pour Aaron, j’avais été habitué à toujours répondre aux questions. Avec l’alcool coulant dans mes veines, j’étais encore plus docile. Je me levais soudainement manquant de tomber à la renverse. Je marchais de long en large devant l’homme hésitant un instant. Mon regard se posait sur la porte. Est-ce que je pouvais me barrer en courant sans qu’il ne parvienne à me rattraper ? Est-ce qu’il y avait moyen que je m’évade d’ici ? Je n’arrivais plus à savoir. Je n’arrivais pas à calculer correctement. Ma main glissait dans mes cheveux et je finissais par répondre « Ce… C’pas… C’pas un truc qui me plaît de base… » Non, ça ne l’était pas. Je n’avais pas vu ma vie comme ça. Je n’avais pas imaginé que mon futur se dessinerait de cette manière. J’accélérais mes allers-retours tirant une clope de la poche de mon pantalon. Je ne demandais même pas l’autorisation avant de l’allumer. Il voulait des réponses ? J’avais besoin de nicotine. Ne cessant jamais de marcher, ne le regardant jamais, je contais « De mes dix-neuf ans à mes vingt-deux ans, je… J’étais… J’étais en quelque sorte prisonnier dans quelque chose et je… J’étais… Pendant quatre putains d’années, j’ai été un prostitué forcé… Pendant quatre années, j’ai été obligé de coucher TOUS les soirs avec des personnes différentes… Je… C’pas un truc que j’ai choisi… C’pas quelque chose que je voulais… Mais je… Quand… Quand j’ai réussi à partir, j’me suis rendu compte que ma vie avait changé… Le manque de sexe pulsait trop fort… Je… C’pas un modèle qui me plaît… Enfin je... Si... Peut-être que maintenant ça me plaît un peu plus parce que j'suis libre et que je décide... Mais je... Ce... Ça reste quelque chose dont j’ai besoin… J’peux pas m’en passer parce que je… J’ai été façonné de cette façon… J’ai été habitué à ça et je… J’sais pas m’en détacher… Un seul partenaire ne me suffit pas… J’ai besoin de plus… Et je… J’ai besoin de domination… Une domination que certaines personnes ne savent pas forcément donner… » Un soupir glissait entre mes lèvres alors que je tirais sur ma clope. Est-ce que j’en avais dit assez pour répondre à la curiosité d’Aaron ? Est-ce que j’en avais dit trop au point de susciter de nouvelles questions ? Je n’en savais rien. L’alcool embrouillait ma tête. Et je voulais juste Caesar pour me calmer moi.

Marcher ne calmait pas, mais au moins je me focalisais sur quelque chose. Je me concentrais sur une ligne précise et je n’en dérogeais pas. C’était simple un peu comme les ordres du passé. Juste suivre sans rien dire. Enfin… Là en l’occurrence, c’était suivre en babillant trop de mots. Des mots qui m’échappaient avec une aisance déconcertante parce que j’étais au fond du gouffre. L’alcool déliait ma langue aisément. Mais, les flammes de l’Enfer me bouffant la déliaient encore plus. Je balançais les mots tentant de faire attention aux propos pour ne pas parler de l’Italie et de la Mafia. Ça c’était hors de question. Je balançais les mots et j’entendais Aaron déglutir avant de souffler sa réponse. Une réponse sans la moindre demande de détails. Une réponse qui aurait presque pu m’apaiser et me dire qu’il n’était peut-être pas aussi effrayant que ce que je pensais. Pas aussi méchant qu’il pouvait en donner l’apparence. Je ne répondais pas aux remerciements ou à l’absence de jugement. Je ne voulais pas m’étaler sur ce sujet. De toute façon, heureusement pour moi, une question tombait sur ce que je voulais et j’haussais doucement les épaules « Je… Ce… C’pas suffisant… Je… J’voulais… J’avais… J’avais b’soin de lui pour m’calmer et dormir… Je… J’pense pas que son lit suffise… Et je… J’peux pas aller dans son lit… S’il rentre dans la nuit ? Puis je… J’pas le droit… Suis indésirable… » Je reprenais les mots soufflés plus tôt avant qu’un rire nerveux et sans joie ne m’échappe. Tirant sur ma cigarette, je rajoutais « Je… J’ferai mieux d’y aller… » Ouais, c’était préférable pour tout le monde que je m’en aille loin d’ici et que j’aille errer dans les rues de Boston. J’étais trop foutu en l’air pour retourner auprès de Lukas en tout cas. Mes prunelles se posaient sur Aaron lorsqu’il grognait de douleur et je bougeais doucement la tête pour désigner sa main en soufflant « Je… J’peux t’soigner si tu veux… » S’il voulait ouais. S’il voulait que l’indésirable toxique que j’étais le touche bien sûr. Lorsque l’homme me souffla de continuer à me battre, je baissais la tête marmonnant « C’difficile d’se battre quand tous tes piliers s’effondrent… » Caesar était l’un de mes piliers et il s’était effondré. Il m’avait abandonné. Gamin solitaire qui continuait de marcher pour ne pas se laisser happer par la crise.

Malgré moi, un petit sourire venait se glisser sur mon visage parce qu'Aaron soufflait des mots que Lukas aurait pu me lancer. Ne jamais penser qu'on me lâchait. Je me noyais pensant toujours le contraire de ce qu'on pouvait me dire. Mais, je devais me battre. Tirant sur ma cigarette, je murmurais « Suis fatigué de me battre... » Fatigué de tenter d'avoir le dessus sur la voix dans ma tête. Fatigué d'essayer de jouer le fort. Fatigué d'essayer d'avancer alors qu'on m'abandonnait de plus en plus. C'était comme si les morceaux de mon cœur s'éparpillaient un à un bien trop loin de moi. J'étais fatigué ouais. Il y avait sans doute des personnes pires que moi et je ne voulais pas me plaindre. Cependant, j'étais réellement fatigué de toute cette existence. Fatigué et désireux de m'envoler dans la nuit. J'étais pourtant bien incapable de le faire parce que l'homme était blessé et ça ne me plaisait pas. Alors je proposais de m'en occuper. Aaron finissait par me tendre sa main me soufflant des mots et m'arrachant un léger sourire amusé. J'essayais de faire des efforts et de prendre le dessus sur le nuage douloureux qui gonflait en moi. Il s'installait sur le canapé alors que je terminais ma clope. Des directives à moitié lancées avant que j'hoche la tête. Oui, je connaissais et je me dirigeais dans la salle de bain moins tanguant, mais toujours aussi détruit. Je n'osais même pas jeter un coup d'œil à mon reflet préférant l'ignorer et embarquer de quoi soigner l'homme. Désinfectant, bandages, pince si jamais des morceaux de verres s'étaient faufilés dans la peau. Je revenais dans le salon m'asseyant sur le sol à côté du canapé. J'attrapais la main d'Aaron me concentrant sur la blessure. Observer pour ne rien louper. Alors que je commençais à nettoyer la plaie, je demandais « C'quoi tes monstres à toi ? » Faire la conversation pour ne pas me perdre dans ma tête, malgré les soins. Faire la conversation pour l'aider à supporter l'éventuelle douleur.

Installé au sol, je nettoyais la main d’Aaron laissant la question glisser entre mes lèvres. Je ne savais pas la retenir. Je n’avais même pas envie de la retenir de toute manière. Après tout, l’homme avait été bien trop curieux à mon égard. Il avait soufflé ces interrogations et ma langue s’était déliée. Les substances avalées et la situation actuelle m’avaient poussé à un peu trop parler. Et, là, soudainement, je me sentais peut-être un peu trop en position de faiblesse. Que se passerait-il si le barman avait envie d’utiliser mes confessions contre moi ? Je n’y croyais pas bien sûr. Puis, de toute manière, il n’aurait pas pu en faire grand-chose… Juste mettre Boston au courant de mon passé caché. Néanmoins, je voulais avoir de quoi rétorquer. Alors, je le questionnais sans m’attendre à ce qu’il me réponde. Étant donné le comportement de l’homme, je ne m’attendais pas à ce qu’il accepte de se confier à moi. Je ne m’attendais pas à ce qu’il souffle quoi que ce soit. Pourtant, les mots tombaient entre nous. Les confessions glissaient entre les lèvres d’Aaron et j’écoutais sagement. Je restais silencieux hochant la tête et encaissant les informations. Des informations qui me poussaient à me dire qu’au final Aaron et moi nous ressemblions pas mal. Des informations qui me poussaient à croire que, dans d’autres circonstances, nous aurions sans doute pu être de bons amis. « Je… J’suis d’solé pour tout ce que tu as vécu… Pour tous ces monstres… Je… Ma… Ma mère est morte aussi… Un meurtre… Sous mes yeux… » Un rire sans joie m’échappait alors que l’information tombait. Le genre d’information que je ne soufflais pas en général. Le genre d’information que je soufflais à Aaron parce que j’avais l’impression de pouvoir parler… Ou peut-être que c’était juste l’alcool qui me poussait à croire ça. Terminant de désinfecter la plaie, je soufflais « Tellement plus facile de ouais… Surtout quand… Surtout quand la maladie t’y pousse… » Ouais, c’était tellement facile pour moi de me complaire dans la noirceur. Cette voix dans ma tête et ce trouble dans ma vie m’y poussaient si facilement. Ça semblait toujours être le meilleur chemin à emprunter. Attrapant les bandages, je les dépliais en interrogeant « Et… Si on a l’impression d’juste détruire les gens qu’on aime… Tu… T’crois qu’il faut quand même continuer à se battre et à s’accrocher à ces personnes ? » J’avais l’impression de détruire Caesar et l’homme semblait être du même avis non ? Je me battais en partie pour Caesar. Il me l’avait demandé. Mais, si je devenais cet indésirable si toxique, est-ce que je devais continuer à me battre ? Est-ce que je devais toujours chercher à m’accrocher à celui qui m’aidait tant ?

J’haussais doucement les épaules aux propos d’Aaron parce que, même si je ne devais pas être désolé, je ne pouvais guère m’empêcher de l’être. Je me doutais que répéter que j’étais désolé ne servirait à rien alors je préférais me contenter de ce geste et me concentrer sur la suite. Me concentrer sur cette interrogation à laquelle je répondais « Ouais… On a l’air d’avoir pas mal de choses en commun… Et je… Non… Enfin… Ils ont commencé à apparaître bien sûr… Mais ça… Ça n’a fait que s’accentuer au fil du temps… Assister au meurtre de ma mère et vivre… Vivre avec son meurtrier qui me frappait tous les jours n’était qu’un début… » Le début d’une descente aux enfers qui avaient su me façonner un peu trop différemment. Le début d’une tentative d’échappatoire au sein d’une nouvelle vie qui, au final, m’avait tellement plus charcuté. Je soupirais avant de mordre nerveusement ma lèvre parce que, zut, ma langue se déliait beaucoup trop face à cet inconnu. Les mots qu’il soufflait résonnaient en moi. Ces mots qui me poussaient à baisser les yeux cessant de m’occuper de sa main un instant. Ces mots qu’il semblait connaître. J’acquiesçais et je me confiais encore. Toujours. Comme si ce Aaron avait un pouvoir magique pour délier ma langue. « Je… J’suis… J’suis borderline… Et je… Ouais… Y a… Y a ELLE… Cette p’tain de voix dans ma tête qui se tait jamais… Qui m’pousse à faire des conneries… À attenter à mes jours… Et je… Ça s’arrête jamais… ELLE me donne l’impression d’étouffer… Tout l’temps… » Ouais, j’avais l’impression de crever tant elle cognait dans ma tête. Me concentrant sur les bandages, je l’interrogeais et j’écoutais attentivement la réponse comme un gamin sérieux en classe. J’enroulais le bandage autour de sa main blessée avant de répondre « Alors je… Faut… Je dois… J’dois renoncer à Caesar hein ? Il… Je… Il veut la fin de cette partie et je… J’dois juste… Juste l’accepter et le… Le laisser m’effacer… Accepter de disparaître… » Le mot cognait dans ma tête. Il venait alimenter cette voix qui avait envie de me pousser plus loin ce soir. Mes prunelles se perdaient d’ailleurs un bref instant sur la fenêtre. Ne serait-ce pas plus simple de tout finir dès ce soir ? De cesser de souffrir ? Ma langue passait sur mes lèvres et je me concentrais sur les soins pour ne pas dérailler. Mes yeux sombres se perdaient un instant sur le chien qui s’installait sur les genoux d’Aaron. Et je terminais le bandage soufflant « Et voilà… L’infirmier Neal a terminé son travail… T’es parfaitement soigné, je m’y connais… » Parce que ouais, même si je n’avais pas étudié la médecine, j’avais appris à soigner ce genre de blessure et d’autres encore. Ces blessures qui avaient souvent marqué ma peau. Restant assis au sol, je jouais nerveusement avec le reste de la bande en demandant « Tu… T’as des anti-douleurs dans le coin ? Ou encore plus d’alcool pour embrumer ton esprit… Tu risques plus rien hein, mais je… Tu risques de douiller pendant quelques jours alors je… Ce serait mieux si tu avais de quoi soulager ta douleur… » C’était toujours mieux de pouvoir tout mettre sur pause pour tenter de vivre. Mettre sur pause la douleur pour continuer à avancer. Me relevant soudainement, je lançais alors « Je… Il… Faudrait mieux que je m’en aille je pense… » M’en aller loin de l’appartement de Caesar que je devais oublier. M’en aller loin d’une compagnie qui empêchait cette voix de grossir. M’en aller et… Disparaître.