You're not my Honey • Aaron

Qu’est-ce que je croyais sérieusement ? Que Caesar allait m’ouvrir la porte et accepter de me laisser entrer ? Qu’il allait m’embrasser et me dire qu’il s’était trompé ? Qu’il allait me confier que j’étais important et qu’il n’avait pas envie que je disparaisse ? Disparaître… Le mot cognait tellement dans mon esprit depuis que Caesar l’avait soufflé. Il venait alimenter un peu plus cette voix dans ma tête qui désirait me pousser à la fin. Cette voix que je m’efforçais de taire depuis des années. Cette voix que mes proches alimentaient avec leurs mots destructeurs. Ce venin auquel je ne pouvais jamais échapper. Je baragouinais des tonnes de mots à l’attention de l’étranger sans même faire attention à tout ce qui pouvait glisser entre mes lèvres. Je me perdais dans ma tête. Et, soudainement, je sursautais lorsque l’inconnu se levait du canapé. Je venais de m’y installer à peine quelques minutes plus tôt et il s’en allait. Mes sourcils se fronçaient. Étais-je aussi indésirable et toxique que ça ? Même les inconnus avaient envie de me fuir après quelques secondes seulement ? La voix dans ma tête s’allumait pour dire que oui. J’étais toxique. J’étais indésirable. Disparaître pour de bon était la meilleure solution. Perdu dans mon esprit, je ne prêtais même pas d’attention à l’homme qui se servait un verre d’alcool. Et, fort heureusement que je n’y prêtais pas attention parce que j’aurais demandé à en avoir un aussi et ce n’était clairement pas une bonne idée face à M. Grincheux. Oh tiens oui, ça lui allait bien ça. Sourire amusé aux lèvres au surnom trouvé, je soupirais exagérément lorsque la voix de l’inconnu s’élevait pour une nouvelle question. Les yeux rivés au sol, je marmonnais « Moi j’dois répéter, mais toi t’veux pas me dire qui t’es ! » Moue boudeuse sur le visage, je lui jetais un bref coup d’oeil. Quelques secondes seulement avant de retourner la tête pour fixer de nouveau le sol et répondre sagement « Neal. M’prénom c’est Neal » parce que je n’étais qu’un gamin un peu trop docile qui obéissait aux demandes. Surtout quand les gens semblaient si en colère après moi.

Mon prénom quittait mes lèvres pour la deuxième fois de la soirée et l’étranger ne m’offrait toujours pas le sien. Ça ne me plaisait pas, mais je n’osais pas me rebeller parce qu’il était quand même assez imposant. Puis je ne le connaissais pas et je ne pouvais pas prévoir comment les choses allaient se passer si j’osais me rebeller pour obtenir une réponse. M. Grincheux revenait s’installer sur le canapé à mes côtés et je levais doucement le regard vers lui. Il avait ce regard trop dur qui me donnait froid dans le dos. Un regard qui me donnait envie de me cacher sous le canapé ou peut-être même carrément de fuir. Et soudainement une nouvelle interrogation glissait. Une interrogation qui me prenait par surprise parce que je ne m’attendais vraiment pas à ça. Sourcils froncés, j’hochais doucement la tête pour répondre n’osant pas tout de suite ouvrir la bouche. Pas alors que l’étranger serrait son verre aussi fort. Pas alors que son regard était aussi dur. Je glissais mes mains sous mes jambes pour masquer le tremblement soudain qui s’imposait à moi. Ma langue glissait sur mes lèvres et je détournais la tête pour fixer le sol de nouveau. Et là, je trouvais le courage d’ouvrir la bouche « Je… Oui j’le connais… Lukas c’est Mio Amore… Mon copain… » J’hochais vivement la tête pour confirmer les propos qui glissaient entre mes lèvres. Lukas qui s’occupait de la cuisine au Sun Rock était mon petit-ami et je le connaissais plutôt bien ouais. Sourcils froncés, je relevais la tête vers M. Grincheux et je plissais les yeux. Comment est-ce que cet étranger connaissais mon copain ? Et pourquoi nous en venions à parler de ça alors que je voulais juste voir Caesar moi ? Un soupir m’échappait parce que, non, décidément, cet homme ne me disait rien du tout. Sans le quitter du regard, j’osais demander « T’le connais comment Lukas chéri ? » comme le gosse curieux que j’étais toujours. Ce gamin qui ne voyait même pas la tempête s’approcher. Ce gosse qui n’arrivait pas à y voir clair dans la réalité.

Les mots tombaient. Soudains. Tranchants. Je mordais ma lèvre de plus en plus violemment. Mon cœur cognait beaucoup trop fort dans ma poitrine. Il me faisait tellement mal. Ma respiration s’accélérait me rapprochant lentement de la crise d’angoisse. Je venais bien d’entendre M. Grincheux désigner mon petit-ami comme son patron. Son patron bordel… Avant que je ne puisse ouvrir la bouche, le verre dans la main de l’étranger éclatait et je sursautais. Non… Pire encore, je sautais loin du canapé manquant de chuter en m’éloignant. Les questions se mettaient alors à pleuvoir. La vague déferlait sur moi. Je me noyais. Je ne savais plus respirer. Je n’osais pas ouvrir la bouche ayant foutrement trop peur de la suite des événements. L’homme me donnait son identité. Aaron. Barman au Sun Rock. Frère de Lana. Je n’avais rencontré Lana que quelques fois en passant au Sun Rock, mais lui jamais encore. Je tentais de laisser les images jouer dans mon esprit pour voir si j’avais déjà aperçu le jeune homme. Cependant, je ne pouvais pas le faire. Les pourquoi tombaient me poussant à reculer de nouveau. Gamin tremblant qui se faisait gronder et qui avait la trouille de s’en manger une. Gosse effrayé qui finissait par se prendre les pieds l’un dans l’autre et par tomber sur les fesses au sol. À terre, je venais bégayer « Je… Je… Je… » sentant ma respiration s’emballer de plus en plus. Soudainement, j’avais l’impression d’avoir totalement désaoulé. J’avais la sensation d’être complètement sobre et victime d’une angoisse violente. Ramenant mes genoux contre mon torse pour me fermer dans ma petite bulle à moi, je passais ma langue sur mes lèvres avant de mettre à répondre. Il fallait toujours répondre si on voulait éviter de se prendre des coups. Alors, je lançais « Je… Oui… Oui j’suis en couple avec Lukas et je… Je quémande les bras de Cae’… » Je n’allais pas cacher cette vérité déjà avouée. Je n’allais pas tenter de jouer l’innocent que je n’étais pas. Les yeux rivés au sol, je continuais à répondre « Je… J’suis… J’sais pas… Avec… Avec Cae’ j’sais pas… On… On était amis… Et je… Y a… Y a eu… Des… Des dérapages et je… J’sais pas ce… Ce qu’on était… Mais je… On… Plus rien… Il… Il veut j’disparaisse… » Et c’était bien pour ça que j’étais là aujourd’hui. Contre cette disparation. Avec ce besoin de lui. Les larmes me montaient aux yeux alors que je continuais « Avec… Avec Amore je… Pas… Pas vraiment un couple libre… Mais… Je… J’ai… J’ai un… Un passé… Des problèmes… Et je… Ce… Ça fait que je… Être fidèle… Monogame… Je… J’sais pas faire… Je… J’y arrive pas, mais je… Lukas est au courant… Il le sait et il… Il l’a accepté… Je… Ouais… Il l’a accepté… Et il sait… » J’hochais vivement la tête pour confirmer mes dires. Même si mon copain ne connaissait pas l’identité des personnes avec qui je pouvais passer des nuits ou plus, il savait qu’il n’était pas le seul dans ma vie. Et il avait accepté que ce soit comme ça le temps que j’y arrive. Il me fallait du temps. J’avais déjà cessé la prostitution pour Lukas. J’avais cessé de coucher tous les soirs avec une personne différente, alors il me fallait juste un peu de temps pour me passer des autres. Du temps que mon copain m’accordait. Fermant les yeux je tentais de me souvenir des autres questions, parce qu’il y en avait d’autres. Oh oui, le pourquoi. Rouvrant les yeux, je reprenais « Je… J’voulais… J’voulais voir Cae’… Je… J’voulais le voir… Et je… Ce… Ça va pas… » Ma main se portait à ma tête pour expliquer les choses. Pour dire que ça déraillait là haut. Que je déraillais là-haut. Et Caesar avait toujours su m’aider à me canaliser pour m’empêcher de me faire bouffer alors j’avais eu besoin de lui. J’avais besoin de lui. Je ne voulais pas qu’il m’abandonne. Alors, ce soir, j’étais là et pas avec mon copain. Ce soir j’étais là parce que je perdais Caesar. Je ne perdais pas Lukas.

Je savais bien que personne ne pouvait réellement comprendre toute cette histoire. C’était compliqué. J’étais compliqué ou peut-être bien que les gens avaient raison et que j’étais juste toxique en fait. Les mots glissaient entre mes lèvres pour tenter de faire comprendre les choses, mais comment Aaron aurait-il pu comprendre ? Il ne me connaissait pas. Il ne savait rien de mon histoire. Déjà que c’était difficile à appréhender pour les personnes ayant connaissance de mon passé, je me doutais bien que tout ça devait être trop dingue pour lui. Trop horrible peut-être. Oh bordel… J’étais horrible ouais et la voix dans ma tête s’acharnait doucement pour me charcuter à la perfection. L’homme s’accroupissait face à moi avec un verre d’eau et je me raidissais de peur de me prendre un quelconque coup. Un coup parce que je trompais Lukas même s’il savait. Un coup parce que je blessais Caesar même s’il l’avait choisi. Un coup parce que je n’étais qu’un déchet. Je secouais la tête face au verre d’eau. Je ne voulais pas boire. Je ne pouvais pas boire. Je ne voulais plus bouger. Aaron s’adresser de nouveau à moi pour me donner des consignes. Des consignes que je suivais docilement cette fois. Je m’efforçais de prendre cette respiration. Je m’obligeais à lever les yeux pour le regarder. Cependant, la dernière demande tomba et je buguais. Chanter ? Moi ? Avant même que je ne puisse rétorquer, il venait poser un plaid sur moi. Et croyez-moi, si je n’avais pas été dans un aussi mauvais état, j’aurai roulé au sol pour éviter le contact. Là, je ne pouvais pas. Trop coincé. Trop bouffé. Trop heurté. Il soufflais qu’il m’écoutait s’installant en tailleurs devant moi. Mais, je secouais la tête une nouvelle fois. Je ne pouvais pas faire ça. Je n’étais pas un artiste moi. Prunelles sur Aaron, je soufflais « Je… J’demande pas d’comprendre tout ça… Je… Ce… C’compliqué… Je… J’ai… J’ai vécu trop d’choses et je… Ce… C’est une des conséquences… Mais je… J’jure… Je te jure que tout le monde… Tout le monde sait… J’fais pas de sale tromperie dans le dos de qui que ce soit… Je… J’suis honnête… Lukas… Lukas sait que j’suis un incapable infidèle et je… J’sais qu’il… Il serait mieux sans moi… Et je… Cae’… Cae’ sait que j’suis avec Lukas, mais je… Il… Il savait que j’ai besoin de lui aussi… Et je… Il… Il m’a abandonné quand même… Mais je… Tu… J’te jure qu’ils savent… » Les mots glissaient entre mes lèvres incapable de s’arrêter parce que je voulais qu’Aaron sache que je n’étais pas réellement un monstre. Je n’étais pas mon père. Un sanglot m’échappait et je fermais les yeux hésitant. Mon cœur heurtait toujours trop. Ma respiration demeurait instable. Alors, je tentais de suivre les consignes une nouvelle fois. Prendre une respiration. Le regarder. Et… « J’sais… J’sais pas chanter… Mais tu… Ta main… Faut… Faut s’occuper de ta main… » Et ça je savais faire. Soigner des blessures je l’avais appris dans la Mafia pour panser les miennes seul. Je savais le faire, mais je n’étais pas certain qu’Aaron ait envie que je m’occupe de ça. Mordillant nerveusement ma lèvre, je venais marmonner « J’vais… J’dois… Faut… Faut j’m’en aille… » Loin de lui. Loin de l’Enfer. Loin de cette vie. Juste loin. Là où la voix dans ma tête voulait m’emmener. Ailleurs.

Parler de la main blessée d’Aaron me détournait de toutes ces pensées qui se chamboulaient dans ma tête. Ces pensées que je ne parvenais plus à ordonner. Ça partait dans tous les sens. Ça cognait follement en moi. Je ne m’y retrouvais plus. Bouffé par cet Enfer. Et rien ne s’arrangeait puisqu’Aaron éloignait sa main comme pour la masquer et me faire comprendre que je n’avais pas à m’en occuper. Je n’étais plus focalisé sur ça maintenant. Je me replongeais dans ma spirale et je désirais partir. M’éloigner loin de cet appartement où Caesar ne se trouvait pas. Retourner à Carson Beach prêt de l’océan et voir où ça me conduirait. Je ne voulais plus être face à l’homme qui ne pouvait pas me comprendre. Je ne voulais plus être ici face à Aaron qui semblait ressentir cette espèce de haine envers moi. Comme Elia ou Nadia pouvaient ressentir. Ça faisait trop mal. Alors je parlais de partir espérant qu’il m’aiderait juste à me remettre sur pied avant de m’ouvrir grand la porte. Après tout, il était plus aisé de se débarrasser de la toxicité que j’étais non ? La sentence tombait m’interdisant de sortir. Et le reproche s’invitait. Un reproche qui me poussait à mordre ma lèvre avant de souffler « Suis d’solé… J’voulais… Je… J’voulais pas t’réveiller… J’voulais juste Cae’ moi… » Ouais c’était tout ce que j’avais voulu cette nuit. Juste retrouver Caesar. De nouveaux mots glissaient me poussant à baisser la tête. Mon front se posait sur mes genoux alors que je me renfermais sur moi. Je savais que Lukas était une personne formidable et que je l’obligeais à vivre cette torture. Je le savais, mais qu’est-ce que je pouvais faire ? Partir loin d’ici ? Peut-être oui. Avant que l’idée ne se construise totalement dans ma tête, Aaron me question et je soupirais. La curiosité l’emportait. Bougeant la tête pour poser mon menton sur mes genoux, je fixais le sol en marmonnant « Je… Suis… Suis pas v’ment dépendant de plusieurs personnes… Et ce… Même s’il l’accepte, Lukas n’aime pas ça… C’pas son idéal… Il… Il accepte parce que je… J’sais pas trop… Et je… Crois-moi je m’en veux de lui imposer ça… » Soufflant un coup, je finissais par reprendre « J’aime Lukas vraiment… Et je… J’peux aimer d’autres personnes aussi… Pas d’la même manière, mais tout aussi fort… Et je… J’veux pas faire de mal… Mais je… Être avec plusieurs personnes m’fait du bien oui… Je… Suis pas dépendant… Mais je… Ce… Ç’me fait du bien d’pas être enfermé dans un truc… Je… Toute ma vie j’devais suivre les ordres et me taire… Et je… J’veux pas ça maintenant… J’ai besoin d’tendresse et de sexe ailleurs que dans un contexte de couple… C’pour ça que j’ai b’soin de plusieurs personnes… » Mes yeux cherchaient ceux d’Aaron le temps de quelques secondes pour être sûr qu’il pouvait comprendre ce que je soufflais. Mais, je finissais bien vite par me rendre compte que j’avais sans doute juste l’air d’un monstre et je murmurais plaintivement « J’veux Cae’ steuplait… »