(numann) ๑ rester dans la cage ou finalement saisir la clé

T’as la tête dans le cul, assis sur ce banc dans le parc. Il est tard, il fait froid, les nuages cachent les étoiles et la pluie menace de tomber à tout moment. Et pourtant, t’es là. Paumé. Incapable de mettre des mots sur c’que tu ressens, sur c’que t’as envie de ressentir et.. merde. Après le nouvel an avec Jill, t’avais trouvé une meuf. Putain, elle était belle, open et elle avait une paire de seins à en faire bander plus d’un. Pourtant, t’avais trouvé ça fade, incapable de prendre ton pied. A chaque coup de reins, c’est le visage de Jill qui t’étais apparu et.. putain, l’idée que ce soit pas elle avec toi t’avais coupé net, pauvre con. Ouais, foutez vous d’ma gueule, vous pouvez. Alors tu t’étais pris une cuite, le genre qui vous fait tout oublier et agir comme un con. T’avais fumé aussi. Et t’étais complètement explosé. Puis t’avais atterrit là, sur ce banc, semblant faire le point sur ta vie. J’suis au parc. Rejoins moi. C’est le message que t’avais envoyé à Michelle. Ouais, Michelle, la Cabot lesbienne. S’il te plait. Il parait que ça passait mieux. J’ai plus de clopes, prends des clopes. S’il te plait. Trois textos. Putain, elle allait croire que t’étais désespéré. C’est en parti l’cas ouais. Pourquoi elle ? Parce que. Ta capuche sur la tête, tes mains dans tes poches, t’as les yeux rivés sur tes pompes et t’attends, t’as rien d’autres à faire de toute façon.

@Michelle Ford

Calée devant GoT, j'me refais la saison 4, la meilleure, en attendant patiemment la suite des aventures de la reine des dragons. Après une cuite mémorable pour le Réveillon puis des soirées enchaînées à droite à gauche, faut que je me detox un peu. Mon portable vibre. Grrrr. J'attrape, balaie l'écran de mon pouce. Oh, mais c'est mister sapins ! "J’suis au parc. Rejoins moi." What ? Il fait un froid de canard, je suis sous un plaid, je l'ai vu deux fois dans ma vie. Alors certes il me fait rire mais de là à aller me geler les miches... Il vibre encore. "S’il te plait." Non, non, non. Je tente de me reconcentrer sur Oberyn Martell mais... "J’ai plus de clopes, prends des clopes. S’il te plait." Merde, trois textos. Deux fois s'il te plait. Ouuuh ça lui ressemble pas. Puis ça sonne désespéré ! Je me ronge les ongles puis clape finalement l'écran de mon Mac. Si je viens pas est-ce qu'il saute d'un pont ? Dans le doute je me sors de sous mon plaid, enfile un jean, un pull, ma nouvelle doudoune et je saute dans ma voiture. Mince, les clopes ! Vous croyez que si j'ai pas les clopes il se tire une balle dans le crâne ? Dans le doute je remonte en vitesse à la chambre, redescends, allume le contact et je suis partie pour le parc. Je débarque moins de vingt minutes plus tard, espérant qu'il ait pas déjà commis l'irréparable. "Oh he, Yann, t'es là ?!" Je me mets à beugler dans le parc, dans la nuit. J'avance, tombe sur un banc près des balançoires. Il est là. "Tu m'as fait une frayeur, j'te jure ! J'avais peur de pas te trouver vivant, c'est quoi ces messages ?" Je m'avance jusqu'à pouvoir bien distinguer sa tête dans le noir. La vache, il a l'air bien arraché ! Quand je pense que j'ai l'air de ça une soirée sur deux, les pupilles dilatées, la bouche entrouverte, les cheveux en pagaille.

Tu t’fais chier. T’es seul comme mec, en fait. T’as pas d’amis, rien. Pas d’attaches, c’est c’que t’as toujours voulu pourtant. A quel moment toute ta vie a foiré, hein Yann ? Quand ton père est mort ? Putain, tu lui en veux tellement d’être mort. C’est ridicule hein, c’est pas comme ci c’était de sa faute et pourtant… après tout l’bordel avec ta mère, t’avais eu envie d’le rejoindre. Mais tu l’as jamais fait. Alors t’étais parti. Et ça fait quatre ans que tu pars, que tu ères sans but, sans rien. Yann, le loup solitaire qui finira par s’faire détruire, bouffer ou exploser. Oh he, Yann, t'es là ?!" T’as la mâchoire serré, froid, tu réponds pas à son appel dans la nuit. Elle finira par tomber sur toi. Tu m'as fait une frayeur, j'te jure ! J'avais peur de pas te trouver vivant, c'est quoi ces messages ? Tu secoues la tête, sourire sur l’coin des lèvres avant d’te mettre à rire. C’est si étonnant que ça que j’puisse avoir envie de compagnie, Michelle ? réponds-tu en haussant les épaules. T’avais de quoi être surprise Mich’, c’est pas spécialement ton genre, c’est vrai. C’est bon, pète un coup, j’suis pas mort meuf. dis-tu en lui donnant une tape sur l’épaule pour la « réveillée ».

Il rit, le con. Si c'était pour se taper une grosse barre, je serais restée à mater le fight Oberyn vs la Montagne coco. "C’est si étonnant que ça que j’puisse avoir envie de compagnie, Michelle ?" Je sais pas je hausse les épaules. "C’est bon, pète un coup, j’suis pas mort meuf." -"J'te jure que tes sms sonnaient désespérés, puis je suis désolée mais t'as pas toujours l'air totalement équilibré alors excuse moi d'avoir eu peur pour toi." "Equilibré" ouais clairement pas. M'enfin je suis qui pour dire ça moi, pas franchement le reine de l'équilibre dernièrement. Je fouille les poches de ma doudoune, en sort mon paquet de clopes et mon briquet. J'en prends une pour moi, la grille avant de lui tendre le paquet. Je lui en dois bien une ou deux. Même si vu son état, c'est peut-être pas la meilleure idée. Mais j'suis pas une bonne baby-sitter pour gueule défoncée, s'il vous faut ça, appelez Cali. "M'enfin je comprends, je suis une fille incroyable, je peux pas m'étonner d'être souvent sollicitée." Je souffle avec un petit sourire en coin. J'inhale, souffle la fumée par les narines, regardez ça, je suis carrément devenue une pro, bientôt je fais des petits cercles de fumée avec les lèvres. Et puis je m'assieds sur le banc, à côté de lui. "Tu voulais parler de quelque chose ?" Sûrement oui. J'arrête de faire de l'humour aproximatif, je suis là pour écouter au besoin. Parce que je sais ce qu'il peut arriver quand on est pas là pour écouter les personnes qu'ont besoin de parler. Pas un happy ending.

J'te jure que tes sms sonnaient désespérés, puis je suis désolée mais t'as pas toujours l'air totalement équilibré alors excuse moi d'avoir eu peur pour toi. C’est que t’es pas trop texto en temps normal, ça doit être ça. Les problèmes d’interprétation, tout ça. Pourtant tu pouvais pas être plus concis dans tes textos quoi, c’est pas comme ci y’avait un double sens possible à « J’suis au parc, rejoins moi. » Ou alors c’est le s’il te plait qui t’fait réfléchir autant, Michelle ? Tu prends notes, tu diras plus «s’il te plait ». Peur pour moi ? J’suis touché, vraiment. T’hoches la tête, petit sourire sur le coin des lèvres. A la différence que là, t’es pas ironique. Non, vraiment. Combien d’personnes se souciaient de toi, hein ? Même Jill elle s’en foutrait si demain t’étais amené à quitter la ville comme tu sais si bien le faire. Et peut-être que tu l’ferais, finalement. Partir. Lâcher ton dernier loyer à Willa et quitter Boston. M'enfin je comprends, je suis une fille incroyable, je peux pas m'étonner d'être souvent sollicitée. Tu lèves les yeux au ciel et pointe du doigts ses chaussures aux talons dorés. Tu vas finir serré là-dedans, fait gaffe Michelle. pouffes-tu en attrapant une clope qu’elle te tend de son paquet et de l’allumer avec le briquer qui trainait dans ta poche. T’avais envie d’autre chose que de clopes, mais t’étais à sec. T’avais plus d’marchandise et pas un rond pour t’acheter quelques grammes. Tu voulais parler de quelque chose ? Tu hausses les épaules, laissant la fumer s’échapper d’entre tes lèvres. Non, pas spécialement. que tu réponds en la détaillant de haut en bas puis de bas en haut. J’avais juste envie de pas être seul. Manquerait plus que tu lui lâches toutes tes pensées qui s’bousculent, et puis quoi encore ?

"Peur pour moi ? J’suis touché, vraiment." Je souffle, souris en roulant les yeux. Bah ouais j'me soucie de lui, je devrais peut-être pas mais je sais pas, il me fait rire et je le sens son coeur de bisounours tapi sous ses airs de caïd. Je tapote le bout de ma clope, un petit sourire aux lèvres. "Tu vas finir serrée là-dedans, fais gaffe Michelle." -"J'sais pas si t'allais me remercier, alors permets moi au moins de me rappeler ma propre gentillesse à ta place." Petite pique mais qui se veut pas méchante, un reproche que je balaie vite. Je m'assieds près de lui alors qu'il allume sa cigarette, on se noie, dans le noir dans un nuage de fumée. Je regarde le bout de ma clope, le bout de mes pompes. "Non, pas spécialement. J’avais juste envie de pas être seul." Ok. Je dépanne, parfait. Je respecte le silence monastique deux minutes, même pas. Il avait pas envie de parler, moi oui. Méga envie. "Tu restes finalement ? à Boston ? Si tu pars tu retrouveras peut-être personne pour venir te tenir compagnie dans le froid à deux heures du mat." Détail à prendre en compte mine de rien.

J'sais pas si t'allais me remercier, alors permets moi au moins de me rappeler ma propre gentillesse à ta place. Te remercier d’être venue ? C’est quoi cette idée d’merde que tu tiens là Michelle ? souffles-tu en riant. Ou alors t’étais pas d’la bonne école, t’en sais rien. Personne t’as jamais remercié pour être venu où que ce soit. En fait, personne t’appellais non plus, c’était surement ça aussi. C’est le problème en général quand on n’a pas d’amis, d’accroche, tout ça.. Tu restes finalement ? à Boston ? Si tu pars tu retrouveras peut-être personne pour venir te tenir compagnie dans le froid à deux heures du mat. Tu tournes la tête vers la Cabot, jouant avec ta clope entre les doigts. J’ai rien décidé. T’avais eu une touche pour un job de barman. Dieu sait que tu détestais ça hein, écouter les minettes se plaindre à longueur de journée mais t’étais en position de refuser. Et puis partir.. même pas les couilles de l’faire pour l’instant. J’crois que j’voudrais voir le monstre de ma coloc pour pouvoir me foutre de sa gueule parce que son bébé est moche avant de partir. réponds-tu en pouffant de rire. T’as soif, pourquoi t’as pas acheté une bouteille sur la route, merde. Et puis y’avait Jill. Faut dire que t’avais été plus que l’roi des cons avec elle la dernière fois que tu l’avais vu, ouais. Puis tu dis plus rien, y’a juste le silence entre vous deux. Et l’image de Jill dans ta tête. Cette petite gamine innocente qui t’reste dans la tête malgré tout c’que tu tentes de faire pour la nexter. J’ai merdé avec une fille. Que tu lâches, couilles sur table. T’attends quoi, au juste là ?

J'le regarde qui joue avec sa clope au bout de ses doigts. Oh, qu'il fasse gaffe à pas brûler ma doudoune ! "J’ai rien décidé." Je hoche la tête, genre je comprends. En fait j'arrive même pas à me l'imaginer, sa vie de hippie nomade. Moi je suis enracinée ici, tout me retient, si je voulais partir, je pourrais même pas. "J’crois que j’voudrais voir le monstre de ma coloc pour pouvoir me foutre de sa gueule parce que son bébé est moche avant de partir." Rooooh c'est moche de se moquer des bébés. N'empêche je pouffe de rire en secouant la tête avant de laisser s'échapper un petit nuage de fumée. Un silence. Je dis rien. Le mot "bébé" je crois que ça me donne toujours un peu le vertige. Puis je sens que dans la tête de Yann, ça turbine. Y a un truc, j'l'entends presque penser. "J’ai merdé avec une fille." Ouh putain. Je retourne ma tête, je me dévisse le cou, fais valdinguer mes boucles. Merdé avec une fille ? Me dis pas que... "Qui est-ce que t'as mise en cloque ?" Deux grands yeux écarquillés. Parce que c'est ce que ça veut dire non ? Merdé avec une fille ? Je tire une latte, pour me rafraîchir le cerveau. "Ou attends..." Putain, une autre connexion qui se fait dans ma tête, cent cinquante fois plus dramatique. "T'as pas chopé un truc ?" Je sais pas moi, les textos désespérés, peut-être qu'il a le sida.

Tu refais vite fait la connexion dans ta tête : t’es dans cet état à cause d’une fille. Depuis quand Yann Henderson se met dans un état pareil pour une gonzesse ? Sans t’venter, hein, tu peux toutes les avoir dans tes draps, alors pourquoi tu te prenais la tête pour celle-là ? Qui est-ce que t'as mise en cloque ? Tu pouffes de rire. Personne. T’utilisais toujours des capotes, pas envie de chopper n’importe quelle mst avec les filles avec qui tu couchais. Ou attends… t’as pas chopé un truc ? Tu verrais ta tête, Mich’ ! J’te jure, ça vaut le détour. Mais qu’est-ce que tu racontes ? Non ! que tu lâches en grognant un peu, portant ta clope à tes lèvres. C’est une fille, j’l’aime bien. Nuage de fumée qui sort d’entre tes lèvres, ta jambe qui s’agite sur ce banc pourri. Et j’l’ai envoyé chier comme une salope, alors qu’elle est tout l’contraire. T’fous pas de moi Michelle, j’sais même pas si j’me souviendrais de ce que j’te raconte tellement j’suis défoncé. Faut faire quoi après ? Des fleurs, des chocolats, c’est de la merde tout ça. C’était pour les mecs amoureux, ça. T’étais pas amoureux toi, putain même pas en rêve tu tombes amoureux. Non, t’avais juste besoin d’elle à côté d’toi, c’est tout.

Pas de nana enceinte, pas de MST. Viouuuf. J'suis rassurée moi. "C’est une fille, j’l’aime bien." Je hausse un sourcil, je m'étrangle, laisse échapper un petit rire. Putain c'est ça le "j'ai merdé" ? Moi qui me faisait un sang d'encre. Il s'est entiché d'une fille, dédramatisons, rien de grave, faut pas se prendre la tê... Fin, remarque, je peux pas trop faire de commentaire là dessus en fait. Parce que je crois que j'aime bien une fille et je considère ça comme l'apocalypse. Peut-être qu'on est dans le même bateau. Je me ressaisis, stoïque, je veux pas prendre le truc à la rigolade, sorry Yann. "Et j’l’ai envoyé chier comme une salope, alors qu’elle est tout l’contraire." Je secoue la tête en inhalant de nouveau. Jamais blesser l'ego de la nana que t'aime bien, règle en or massif. "Faut faire quoi après ? Des fleurs, des chocolats, c’est de la merde tout ça." Si seulement je savais. Je sais pas moi. Toute ma vie j'ai appris le how to draguer un gars. Je suis au point 0 moi aussi. "Des excuses, commence par des excuses." Je finis par souffler. Je crois que c'est universel. "Mais des chocolats ça fait toujours plaisir, au lait c'est le plus fédérateur." Petit sourire en coin, je veux le dérider. "Je savais que t'étais un romantique." J'le regarde, petit coup de coude complice, l'oeil taquin, tire une dernière fois sur ma clope avant de la jeter, l'écraser du talon de ma botte avant de repêcher le mégot. Conscience vegan oblige.