(NULI) ils m'emmènent au bout de la nuit (qui ça ?)

"Carrément !" Bah dis donc, je veux être là le jour où tu présenteras ton charmant grizzli à ta famille. Les gars qui occupent le bar c'est pas trop son style donc. "J’ai oublié de préciser qu’il fallait pas qu’il ai l’âge de mon père !" Ecoute, je trouve ça discutable. Les hommes âgés c'était bien un fantasme récurrent chez plein de jeunes filles. Enfin, pas des hommes âgés là quoi qu'il en soit. Sur notre lancée jusqu'au bar, une armoire à glace vient nous demander nos papiers. Ça ne manque pas de me vexer, j'ai vraiment l'air d'une enfant ou bien ? Eh non Numa, l'âge pour la bouteille c'est 21 ans ici. Le genre de truc auquel je me suis jamais faite, débarquant à Harvard à mes dix-neuf ans, prête à écumer tous les bars de Boston. Je présente ma pièce d'identité, avec une moue nonchalante. Enfin, en un rien, nous voilà adossées au comptoir, à regarder intriguées les danseuses. "J’imagine que non, sinon elles auraient les jambes rouges non ? On devrait essayer, comme ça on saura." Mmh, j'ai du mal à croire que le métal qui râpe contre leur jambes dénudées soit très agréable. Et puis je préfère faire comme si je n'avais pas entendu la fin de ta phrase, m'agiter devant ces types, très peu pour moi. "Peut-être qu'elles ont les jambes maquillées ? Si on s'approche des barres on voit une coulée de fond de teint ?" Ok, je raconte n'importe quoi. Heureusement que les pintes arrivent, je prends une gorgée et ça me fait taire. "A cette nuit qui nous emmène dans de drôles d’endroits, Numa !" Oups, j'ai déjà trempé mes lèvres dans le divin breuvage. J'écarte le verre de ma bouche et puis le lève, près du sien. "Je suis sûre que les plus drôles d'endroits nous attendent encore !" Je prends deux gorgées goulûment. Les mecs grands et barbus pour Cali, donc. J'en reviens toujours pas de cette drôle de révélation. Je l'aurais bien vu avec un artiste moi. "Le gars de ta vie je crois que j'ai cerné..." je lui glisse en replongeant dans mon verre. "...maintenant here is my question : l'amour de ta vie est-il un gars ?" Crois le ou non, ma douce, mais cette question venait titiller mon esprit de plus en plus régulièrement. Pas que je veuille te draguer, oh, t'es ma pote. Mais je me sens bien avec toi, t'es peut-être l'une des rares personnes avec qui j'ose parler de ces sujets là.

le rose c'est les barbapapas et les fraise tagada, je reste sur ma position

Peut-être qu'elles ont les jambes maquillées ? Si on s'approche des barres on voit une coulée de fond de teint ? Tu fronces le nez et secoue la tête. T’imaginais clairement pas ces filles se maquiller les jambes. Et puis ça se verrait sur la barre. Et puis ça ne ferait pas rêver les gars du premier rang qui n’en perdent pas une miette. Non, définitivement non. Je pense que.. non ! C’est comme tout les sports. Ca s’apprends et j’pense que c’est fait pour. Mais j’te répète, le mieux c’est d’essayer pour voir. réponds-tu d’un air entendu avant de trinquer à cette soirée délicieuse. Je suis sûre que les plus drôles d'endroits nous attendent encore ! Oh, tu faisais confiance à Numa pour qu’elle vous entraine dans des endroits farfelus et parfois bien étrange. Vous n’aviez jamais rebroussé chemin lorsque vous franchissiez la porte d’un établissement. C’était comme ça qu’avaient été dites les choses lors de votre première excursion nocturne. Je m’demande bien sur quoi on tombera, la prochaine fois ! Seul l’avenir vous le dira. Alors que tu imites Numa en buvant à gorge déployée quelques gorgée de ta bière, elle revient sur la petite conversation que vous aviez eu dehors. Le gars de ta vie je crois que j'ai cerné... Tu hausses un sourcil. Ah oui vraiment ? ...maintenant here is my question : l'amour de ta vie est-il un gars ? Tu t’mets à rire, reposant ton verre sur le comptoir. J’imagine très mal une femme avec une barbe, un tas de muscles comme je l’imagine et un engin capable de me faire grimper aux rideaux ! Tu ne t’étais jamais imaginé l’homme de ta vie autrement.. qu’un homme ! Ou alors… oh ! Vous savez, parfois on voit certaines personnes et on sait. On sait qu’elles sont lesbiennes ou gays. C’est comme ça, ils le portent sur eux. Et rarement on s’trompe sur ces cas là. Oh, m’dit pas que tu crois que j’suis lesbienne ? En même temps, y'avait de quoi se poser la question: elle ne t'avais jamais vu en couple avec qui que ce soit et tu parlais pas souvent des gars de ton entourage. Numa, non, s'te plait, quand même !

"Je pense que.. non ! C’est comme tout les sports. Ca s’apprends et j’pense que c’est fait pour. Mais j’te répète, le mieux c’est d’essayer pour voir." Je sais pas pourquoi, mais j'ai bien l'impression que Cali est sérieuse. Mes gorgées de bière se font plus timides, à descendre ma pinte le plus lentement possible, je retarde les conneries de Cali. Puis j'en reviens à parler amour avec un grand A. Celui qui fait tourner le monde parait-il. Bon Cali a pas l'air de prendre super au sérieux ma petite question, je me sens con, je regarde le fond de mon verre. "J’imagine très mal une femme avec une barbe, un tas de muscles comme je l’imagine et un engin capable de me faire grimper aux rideaux !" Bien sûr, elle me crie ça à gorge déployée, parler à voix basse c'est pas son style. Je vois les gus adossés au comptoir, pas loin de nous, qui nous regardent avec des drôles d'yeux. "Ouais, ça fait sens." Cali elle a ce portrait robot de l'âme soeur en tête. Moi j'en sais rien de ce que je veux, de qui je veux. Des petits copains j'en ai eu pourtant, cinq à vingt-et-un ans c'est pas rien. Mais rien. Je suis incapable de dire ce que j'aimais chez l'un, pas chez l'autre. Je les aimais pas, aucun d'eux, pas vraiment. "Oh, m’dis pas que tu crois que j’suis lesbienne ?" Je vois ses sourcils qui s'arquent, sa bouche ouverte, c'est qu'elle est vraiment inquiète de ma réponse. Je pouffe de rire en secouant la tête. "Non, non. J'ai bien compris que tu carburais à la testostérone." Pourquoi je parle de ça, moi déjà ? "Parfois je me dis juste, qu'est-ce que j'en sais, si ça se trouve l'amour de ma vie ressemblera en rien au Brad Pitt que j'imagine..." Je fais tourner mon verre entre mes doigts, mon regard se fait un peu plus sérieux. Je pétille toujours, je carbure aux conneries, et pourtant y a des moments où mon cerveau beugue, me plongeant dans des questions existentielles au milieu d'un bar de pole dance. Enfin. Je prends quelques dernières gorgées de ma bière et je pose mon verre sur le comptoir. "Alors, cette démo de pole-dance ?" Oula, qu'est-ce que je dis moi ? Cali elle a des plans farfelus sans que je m'en mêle alors si en plus je l'encourage, je suis pas sortie de l'auberge.

Non, non. J'ai bien compris que tu carburais à la testostérone. Un soupir de soulagement difficilement dissimulé avant de replonger dans ton verre de bière. En fait, tu ne t’étais jamais posé la question parce que pour toi, ça coulait de sens. T’avais besoin d’un homme, de virilité dans ta petite vie bien tranquille. Chargée mais tranquille. Parfois je me dis juste, qu'est-ce que j'en sais, si ça se trouve l'amour de ma vie ressemblera en rien au Brad Pitt que j'imagine... Tu regardes Numa, puis son verre qu’elle fait tournoyer entre ses doigts. La conversation prends une tournure on ne peut plus sérieuse. Elle semblait s’interroger sur son orientation sexuelle. Et bon sang, c’était normal à votre âge non ? Peut-être que ce sera Angelina Jolie qui fera chavirer ton cœur. lui réponds-tu en posant ta main sur sa jambe. Comme j’dit toujours : le meilleur moyen de savoir, c’est d’essayer ! Plonger tête la première, expérimenter et faire ses propres erreurs. Y’a que ça de vrai dans la vie. L’avis des autres ne sera jamais le bon pour soi-même. Tu lui souris amicalement avant de finir ta bière cul sec. Petite bulle d’air qui s’échappe de ta bouche. Oops. C’est les bulles ça. Alors, cette démo de pole-dance ? Ah oui, l’irritation des jambes. On en était là. Eh bien j’sais pas, il doit bien y avoir un club dans le coin où on pourrait faire un essai un jour ? dis-tu en haussant les épaules. Tu penses qu’il faut combien d’années de travail pour en arriver à ce niveau là ? Non mais regarde ça ! T’étais impressionnée par la performance des nanas sur scène. Viens, on s’approche ! T’attrapes la main de Numa et la tire avec toi au cœur de la foule de testostérone que formaient les hommes.

Cali pose une main sur ma jambe, un air grave et léger à la fois. Je sais pas comment elle fait ça, mon Dieu cette nana si elle arrive pas à vivre de ses peintures, je la vois ouvrir un cabinet de psy. Elle serait bien meilleure que tous les incapables que j'avais pu connaître. "Peut-être que ce sera Angelina Jolie qui fera chavirer ton cœur. Comme j’dit toujours : le meilleur moyen de savoir, c’est d’essayer !" Je souris puis secoue la tête. Non, non. Les gars moi j'aimais, sûr. L'atmosphère se détend alors que les bulles de la bière remontent. Hum, charmant Cali, vraiment. Ça a le mérite d'amuser les balourds prêts de nous. Ouais, je suis comme ça, toujours l'oeil rivé sur les gens qui m'entourent. A guetter leur réaction. Enfin, pas le temps de rougir, on revient sur le pole-dance. C'est clair que je suis scotchée, certaines nanas montent et redescendent la barre avec la seule force de leur bras, tout ça en gardant une attitude lascive, je suis en admiration. "Déjà que tu dois m'apprendre à tenir sur des patins !" Ouais, j'ai fait à peu près toutes les activités extra-scolaires imaginables, le patin jamais. En même temps des patinoires à Nairobi, y en avait pas à tous les coins de rue. A Toronto déjà davantage mais trop tard, j'avais déjà chaussé les crampons. "Viens, on s’approche !" Elle agrippe ma main et on fend la foule. Je sens des regards désapprobateurs dans mon dos, Cali s'en fout mais à titre personnel, je suis pas à fond dans mon élément. Je vois ses yeux rivés sur les nanas, on dirait qu'elle est devant un documentaire, sérieux. "Hum, ça te dit on reprend notre observation depuis là-bas ?" Je glisse à voix basse. Non parce que là, les types en chien, ils vont soit nous pousser sur scène, soit nous dégager de là à coup de tatanes.

Déjà que tu dois m'apprendre à tenir sur des patins ! Tu lui avais promis ça ? Ohlalala, fallait que t’arrêtes de promettre un tas de choses à tout ton entourage, t’aurais jamais le temps de toutes les honorer. Peu importe, c’était facile le patin de toute façon. Quelques instants plus tard vous vous retrouvez au milieu des hommes. Numa n’ai pas à son aise, toi tu te délectes du spectacle mais certainement pas avec le même œil que ces messieurs qui vous entourent. Hum, ça te dit on reprend notre observation depuis là-bas ? Tu soupires mais accepte. J’viens d’tomber amoureuse de cette discipline j’crois bien. Comme toutes les fois où tu découvrais quelque chose de nouveau, quelque chose d’amusant ou quelque chose d’appétissant. Une chose de plus que voulais apprendre à faire, une chose de plus qui s’ajoute à ta longue liste. On reprends la route ? Le visage de Numa retrouve un sourire rassuré, comme ci cet endroit ne lui inspirait vraiment pas confiance. Vous retrouvez l’air frais de l’extérieur, traversant un nuage de fumée de cigarette. Emmène moi voir ces marins, oiseau de nuit !

Cali accepte de s'arracher à ce spectacle. Je sens les regrets de son côté, moi j'en souffre assez peu. "J’viens d’tomber amoureuse de cette discipline j’crois bien." Bah tiens, tu m'étonnes ! Dans les yeux de Cali, tout est digne d'intérêt, tout est prétexte à découvrir et explorer. Moi je préfère rester sur les bons classiques. "Tu sais que j'adorerais devenir ton pole-dance accolyte mais avec le foot, le cheerleading, les cours..." Pfou je suis pas crédible. "On reprends la route ?" J'opine, emballée à cette idée. Maintenant que la pinte était descendue et mes petites jambes réchauffées, l'endroit ne me paraissait vraiment glauque. "Emmène moi voir ces marins, oiseau de nuit !" En quelques enjambées de gazelle, je suis hors du bar, Cali sur mes talons. Clac, clac, les talons de ses petites bottines dorées résonnent de nouveau sur le macadam. "Espérons qu'ils soient pas tous en mer, nos marins !" Je suis sûre qu'elle serait capable de se mettre à l'eau pour aller en pêcher quelqu'uns. Nous marchons dans la nuit, à raconter des bêtises, à rire, à réveiller les vieux qui dorment déjà sur notre passage. Une heure, deux. La nuit progresse. Puis on croise des femmes légèrement vêtues dans la rue, des poissoneries, des tatoueurs : on arrivait dans le quartier du port.

Tu sais que j'adorerais devenir ton pole-dance accolyte mais avec le foot, le cheerleading, les cours... Tu secoues la tête et hausses les épaules. Ouais, tu l’avais toujours dit que les journées étaient trop courtes, les semaines aussi, les mois aussi, tout ! T’avais le temps de faire un quart des choses que tu voulais faire, c’était ridicule ! L’heure est venue de quitter votre petite escale et de reprendre la route vers le port, là où vous attendent vos marins pieds à terre. Espérons qu'ils soient pas tous en mer, nos marins ! A cette heure de la nuit, t’espérais quand même qu’ils soient à quais à la recherche d’une sirène échouée ! Le port est loin. Cinq kilomètres, peut-être plus, que vous avalez dans la nuit à rire et discuter de tout et de rien, à refaire le monde à vous deux. Et puis l’odeur si reconnaissable du lieu commence à titiller tes narines, le bruit des cordes des bateaux qui claquent à la surface de l’eau, le son des mats qui vibrent par le vent. Et si… on passait la nuit sur un bateau ?! En voilà une drôle d’idée digne de Cali. Se trouver un petit bateau accessible, y monter en toute illégalité et passer la nuit sur le pont, à la belle étoile, bercées par les mouvements de l’eau.

"Et si… on passait la nuit sur un bateau ?!" Ses parents étaient nuls : c'est pas Cali qu'on aurait dû l'appeler cette nana, mais Crazy. Mes deux yeux écarquillés, je la regarde avec une mine horrifiée. Elle veut nous emmener en taule ou bien ? Je cherche à l'en dissuader, mais ce coup-ci, c'est-elle qui a raison de tous mes arguments. Je l'avais traînée jusqu'ici, à elle de m'embarquer dans de drôles d'aventures. On longe le port, plein de bateaux sont amarrés, vides. Je regarde partout autour de moi, je me sens comme un criminelle. Puis on tombe sur un petit bateau, enfin, bateau le mot est fort pour désigner cette barque à la vieille coque en bois pourri. Je sais même pas ce qu'un rafiot comme ça fait dans le port de Boston. Mais quitte à nous trouver un bateau, autant prendre celui-là. Même si on venait à se faire prendre, on risquait pas très gros. Tant mieux. Parce que je comptais pas me retrouver dans des emmerdes pour une connerie made in Cali. N'empêche, mon coeur s'accélère, je suis prise d'un pic d'adrénaline alors que je lance un regard à mon amie : "Ici ?" Hop, j'enjambe ce qui sépare le quai de la coque de la barque. Et je souris et je glousse comme une pintade, comme une enfant. Je dois reconnaître que ça me fait du bien, de faire n'importe quoi, de pas toujours être la gosse parfaite qui file droit. L'eau est calme, je lance des regards partout autour de nous mais je n'aperçois personne, personne qui aurait pu nous remarquer. "Je sais même pas pourquoi je fais ça."

Tu vois les yeux de Numa s’arrondir comme deux grosses perles. Elle va refuser, t’en mettrais ta main à couper. Et c’est en toute logique ce qu’elle devrait faire et te ramener à la raison de ta folie matinale. Au lieu de quoi elle longe le port et s’arrête devant un petit bateau qui ne semblait pas payer de mine. Ici ? Tu souris et hausses les épaules. Te t’en moquais, n’importe quel bateau ferait l’affaire. Ce sera parfait ! Ce n’était pas le plus beau, ni le plus grand. Mais il était de taille convenable pour deux sirènes comme vous. Tu la rejoins sur le pont du bateau et souris en posant tes mains sur les hanches. Je sais même pas pourquoi je fais ça. Toi non plus. Mais t’en avais envie et tu faisais toujours ce que t’avais envie de faire. Parce que t’as une âme de pirate, Numa ! glousses-tu en parcourant le pont laissant tes mains errer sur chaque morceau de bois, chaque parcelle de corde. Combien d’hommes partent en mer sur ce bateau, tu penses ? lui demandes-tu en t’asseyant en tailleurs contre le mat. Deux ? Trois ? Plus ? T’avais aucune idée du nombre de personne qui composaient l’équipage d’un bateau à vrai dire. Et puis c’était un bateau de pêche, pas de pirates. On était loin de Jack Sparrow et son black pearl. Si tu pouvais choisir de rejoindre l’univers d’un film ou d’une série, t’irais où ? lui demandes-tu soudain en plongeant ton regard sur la lune qui se reflétait à la surface de l’eau.