Je me sens con assis sur le rebord de cette fenêtre à observer ce qui se passe dans ce quartier de Cambridge. Je me noie dans mes souvenirs essayant de m’en éloigner. Rien n’y fait j’y parviens pas. Ils finissent par me rattraper. Je dois donc écouter cette femme, qui me jure qu’en me livrant tout finira par aller mieux? J’y crois pas, je ne veux pas tomber dans ce panneau, la vie serait trop simple si effectivement en plaçant des mots sur nos souffrances, nos erreurs et sur le manque qui nous hante à la perte de quelqu’un, on pouvait se relever comme ci de rien n’était. Ce n’est pas le cas, je le sais. J’esquisse un sourire quand je l’entends continuer de parler pourquoi continue-t-elle à se débattre avec moi? Je n’ai pas envie d’en parler, d’apaiser mes plaies. Je ne veux pas sortir indemne de cette histoire. Je bouge ma main couchant sur le papier des mots qui me vont revivre chacun à leurs façons un moment, un passage de ma vie. Je l’écoute, que fais-je ? Je continue.
Siamois. Jumeaux. Famille. Attentat. Amour. Amitié. Douleur. Criminel. Souffrance. Fierté. Meurtre. Haine. Sang froid. Manque. New York.
Je continue en me disant que je n’avais pas le choix si je voulais sortir de ce cabinet de ce psychologue. Je suis un fou, le fou qui ne digère pas la mort d'une personne. Je voudrais revenir en arrière pour le serrer dans mes bras une dernière fois. Lui. Ce frère qui ne finira jamais par disparaître de mon esprit, je manque de lui. Je dépose mon regard sur cette femme lâchant un soupir de désarroi et si elle avait une chance d’avoir raison? Si mes peurs et mes souffrances s’effondraient de manière magique en y marquant tout ce que je ressens? Je peux lui laisser une chance après tout. Cinquième psychologue que je vois et qui tente de me faire retrouver un sommeil digne de ce nom, sans cauchemar.
Je quitte les lieux pour rejoindre le chez moi que je partage avec mon cousin. Je marche dans les rues passant dans des ruelles qui me laisse un sourire de gamin sur les lèvres. Les souvenirs s’emparent de mon être sans même que je puisse m’y opposer. Manatthan et Cambridge sont différents pourtant mon nouvel environnement n’en finit pas de me rappeler les moments difficiles du lieu qui m'avait vu grandir et fait subir des choses horribles. Je me pose contre l’un de ces murs me laissant glisser le long des briques de celui-ci. Je suis à terre mon regard vide laissant mes paupières le recouvrir tandis que je cherche ce cahier et ce stylo qui sont censés m’aider à m’y retrouver un peu plus. Je reprends les premiers mots qui me viennent en tête laissant ce que je ressens serrer mon cœur pendant que j’enduis le papier blanc de mon cahier de brouillon avec l'encre de mon stylo.
Siamois. Jumeaux. Famille. New York.
Il me manque, elle me manque. Mon frère, mon jumeau et ma famille me manquent. Sans lui je ne suis rien, jamais je n’aurais pu penser que cela me toucherait autant et que cette mort me bouleverse pendant tant d’années. Je ne peux m’empêcher de penser à notre naissance atypique des siamois, nous étions plus que des jumeaux. Nous étions liés par la peau. Nous avons était séparé à l’âge de six mois. Je renie le fait de ne plus jamais le voir, je le voie quand je dépose mes yeux sur les vitrines des magasins, dans mon propre reflet, je ne peux pas faire un pas sans penser à lui. Son reflet a toujours été le même que le mien. Copie conforme y comprise dans le mental. Rien ne pouvait nous différencier mise à part cette cicatrice que nous avions sur le côté de nos thorax. Lui côté gauche et moi côté droit. Moyen pour nous et notre famille de ne jamais oublier cette naissance douloureuse et cette opération pour nous séparer qui a été médiatisé. Lui, ma sœur me manque, mes parents je n’y parviens pas, à regretter leurs absences. Ce sont eux qui sont à l’origine du dernier souffle de mon frère. Enfance pourtant si agréable. Désemparé. Je fais qu'y pensait. Le plus douloureux pour moi c’est de croiser des jumeaux entrains de se balader ensemble en rigolant, je ne fais que me remémorer les moments heureux de ma vie partagée avec lui. Quand j’ai commencé à marcher il était là, quand je me suis lavé seul pour la première fois, même quand j’arrivais à me perdre dans un magasin en rêvassant devant le rayon bonbon. Je continue de vivre à travers mes souvenirs, je ne peux pas oublier mon frère. Fuir New York n’aura donc servi à rien, car je continue de vivre ces moments inoubliables avec lui. Candice ma sœur est l’une des choses que je regretterai d’avoir abandonné entre les mains de mes parents. Mais, j’étais si mal. Je les aime, mais en pensant à cet amour je repense à la douleur qui empoigne à chaque instant mon cœur quand je me vois et que je revois mon frère et son sourire.Je me redresse après avoir fermé cette page. Je sens les gouttes de pluie atterrir sur le dessus de mon crâne. J’avance dans l’optique de rentrer chez moi. Je me bats pour ne pas laisser mes souvenirs m’envahir de nouveau telle une vague s’échouant violemment sur les falaises. Je regarde mes pieds restant concentré. J’y suis. Je peux enfin retrouver le toit de mon immeuble. Je m’installe sur le muret qui est censé nous empêcher de tomber de dix étages. Je balance mes pieds dans le vide fixant le ciel. Je commence à scruter l’horizon repensant encore et toujours aux mêmes choses. Ça me poursuit, ma vie défile devant mes yeux comme ci ma dernière heure n’allait pas tarder à sonner depuis ces dernières années. Je romps petit à petit avec l’avenir et le présent me laissant rattraper par le passé qui me laisse toujours aussi blesser au final. Je sors ce qu’il me faut pour lâcher tout ce que j’ai à dire une dernière fois sur mon histoire, je ne ressens pas d’amélioration malgré ce que j’ai déjà pu marquer sur ma vie, une vie catastrophique et brisée à souhait.
Amour. Jumeaux. Amitié. Souffrance.
Soëlie. Sensible, douce et magnifique c’est la façon simple que j’ai de décrire cette fille. Elle fut l’objet de mon désir ainsi que celui de mon frère. Nous sommes tous deux tombés amoureux d’elle. Nous n’avions que treize ans. Notre complicité a bien fallu exploser sur ce coup-ci. Elle est vite devenue notre cible celle qu’on voulait. Je m’en veux de mettre temps battu pour elle, car au final elle n’était qu’une fille parmi tant d'autres. Une seule promesse : aucun de nous n’allait faire quoi que ce soit pour l’avoir, devenir son petit ami, loin était l’idée des coups d’un soir à cette époque. Je n’avais que treize ans et j’aurai du vivre mon premier amour, mon premier baiser et pourquoi pas ma première fois, mais certainement pas la première mort.
Attentat. Mort. Coma. Date.
Cette date rythme ma vie, chaque mois de septembre je me retrouve à New York. Les larmes aux yeux en pensant à cet attentat qui a ruiné ma vie. Onze Septembre que je maudirai toujours qu’importe ce qui m’en coûtera. Mon frère s’y trouvait avec Soëlie exactement au vingtième étage de la tour une. Il est sorti de cette dernière au moment où la seconde tour s’écroula après avoir tenu quelques minutes debout. Il était à terre étant secouru rapidement par les secouristes qui étaient sur place. Je me rappelle, je m’en voudrais de me dire que c’était incroyable ce qui se passait sur mon écran de télévision, je n’avais qu’une hâte, voir de mes propres yeux ce qui se passait dans ma ville. Je me demandais ce que faisait mon frère j’étais loin d’imaginer qu’il pouvait être avec elle au plein milieu d’une guerre qui nous était encore inconnu. L’annonce fut douloureuse, je sentis le sol s'effondrer sous mes pieds tandis que je découvrais avec mes parents le visage de mon frère sans un seul sentiment. Inerte, il était dans le coma branché à un tas de fil l’aidant à rester en vie, il était un battant je ne doutais pas qu’il aille s’en sortir, mais j’étais loin de m’imaginer la suite des événements.
Disparu. Morte. Débranché. Haine.
Pendant un an j’ai rendu visite à ce corps inerte qu’était mon frère. Le cœur lourd est rempli de regret. Deux mois que j’avais fêté mon anniversaire seul cette fois-ci. On avait voulu me faire un anniversaire grandiose comme toujours, mais j’ai décidé de tout envoyer valser, après tout rien n’était pareil à ce moment-là. J’y repense toujours à cet anniversaire que j'ai dû fêter seul, je m’étais installé dans ma chambre à regarder toutes les vidéos qui pouvaient concerner cette date qui m’avait enlevé des personnes chères. Il n’y avait pas que lui. Elle aussi n’était plus là. Soëlie n’a toujours pas été retrouvé à ce jour. Peut-être est elle toujours vivante, mais qu’elle a tout oublié? Je n’en sais rien ce que je peux confirmer c’est que mes parents ont mis fin à la vie de mon frère en le débranchant. Je n’y crois toujours pas comment avaient-ils pu faire cela en continuant à me regarder et à me choyer? Je ne pouvais plus rester avec eux, c’est bien pour ça que je me retrouve loin de mon Manhattan natal pour Cambridge. Je quitte le petit muret de brique, pour rejoindre mon appartement que je partage avec mon cousin. Je m’allonge aussi vite sur mon lit regardant le plafond où se trouve un poster des tours jumelles, nous étions des jumeaux qui ont fini par être détruit en même temps que les tours du World Trade Center. Comme plus d’un millier de personnes ma vie a changé et malheureusement elle n’est pas meilleure, je fais juste espérer à tous que je m’en suis sorti, que j’ai pu oublier. Cependant, je ne peux oublier celui qui aurait dû avoir le même reflet que moi à ce jour, celui qui était ma moitié et qui ne faisait qu’un pendant les six premiers mois de notre vie.