Turn off the voices in my head ft Elliope

T'avais l'air perdue, seule, alcoolisée. Clairement pas le bon ménage pour te droguer, et encore moins à la morphine. Quoique... C'est pas les mêmes raisons pour lesquelles je le fais, moi? Minus l'alcool, parce que j'suis pas suicidaire et que j'ai lu que ça augmentait drastiquement les risques d'arrêts cardiaques. Mais... j'étais perdu, j'me sentais seul, j'avais mal. Un mal d'amour, une perte de confiance, encore. Une piqure et c'était oublié. Alors vraiment, est-ce que j'pouvais te blâmer de vouloir la même chose? Ce sentiment de légèreté, d'être assis sur un nuage? La chaleur qui te parcoure les veines, cette sensation de confort. Comme si tous les poids sur tes épaules s'en allaient, tous en même temps, et que tu te sentais enfin libre. J'ai le bras qui tremble, tu dois le sentir d'ailleurs, accrochée à ma manche de veste. C'est le manque, l'envie qui s'installe. Rien qu'y penser me rend faible, j'suis rendu à la merci de cette substance, j'suis plus maitre de rien. "L'argent n'est pas un problème..." Vraiment pas. Pas pour l'instant, en tout cas. Je sens que je vais céder d'une seconde à l'autre à ta requête et ça me fait chier. De partager, d'être faible, de te rendre potentiellement accro. J'souhaite ça à personne. J'suis bien moi, dans ma petite logique d'auto-destruction, mais détruire les autres? J'aime pas, j'suis pas à l'aise avec cette idée. Mais tu menaces le pire et j'peux pas te laisser parler aux flics. J'serais foutu. Tu décides d'aller chez moi quand je te dis que j'ai pas de matos sur moi et je roule des yeux. T'as l'air décidée et moi, j'ai plus la force de protester, j'ai la gorge sèche, la peau qui gratte. D'autres symptômes qui apparaissent au fil des minutes où l'on marche jusqu'à ma planque. Je te fais entrer, marche jusque ma chambre, sors un petit sac d'où je vide son contenu sur le lit. Je m'assois en tailleur sur celui-ci. J'ai la langue qui humidifie mes lèvres à ce que qui se prépare. "Tu me regardes faire, tu calcules ta dose, c'est pas mon problème si tu te plantes dans tes chiffres. Puis tu te débrouilles." Je touche pas à toi moi, c'est pas moi qui vais t'enfoncer l'aiguille dans le bras, rêve pas. Je retire ma veste que je laisse tomber par terre, puis fais de même avec ma chemise. Torse nu, je noue le garrot autour de mon biceps. J'attrape la fiole, glisse une seringue stérile que je viens de déballer dedans et la remplis de mon propre dosage. Et je palpe ma veine qui ressort, pique dedans, vérifie d'un peu de sang entre dans la seringue pour confirmer que j'ai pas piqué à côté. Et j'injecte le produit, lentement, fermant les yeux pour profiter du moment. Ouais, un vrai toxico. Puis je retire l'aiguille et le garrot que je balance vers toi, me laissant m'allonger dans mon lit alors que le poison commence déjà à faire son effet.

Que veux-tu que je te dise? Finalement, j’suis qu’un toxico qui a les nerfs quand il est en manque et qui ferait tout pour avoir sa dose. Et là, le fait d’en parler, d’y penser, ça me fait saliver, comme quand on te parle d’un bon burger bien juteux, supplément fromage, supplément bacon, quand tu crèves déjà la dalle. À l’aide quoi, c’est impossible de tenir. Du coup, je cède. On va chez moi même, là où je garde le matos, l’attirail de guerre. Me piquer est devenu une habitude, c’est à la fois tout un art et un simple geste quotidien. Toi, tu te débrouilleras toute seule. J’veux pas être responsable si tu crèves. C’est batard, je sais. Pas plus que toi qui menace de me fourre en taule pour un caprice de gamine. Je plante l’aiguille dans mon bras, j’injecte le produit et je balance la seringue usagée sur la table de chevet comme une malpropre. Je me laisse tomber sur le matelas pour fermer les yeux et apprécier la sensation, le liquide qui se propage et se disperse dans mes veines. J’calcule pas ce que tu fais, j’te regarde même pas. Non, j’suis dans mes pensées, dans mon trip. C’est le silence total jusqu’à ce que je te sente te tourner vers moi et que tu reprennes la parole. J’ouvre doucement les yeux, je tourne la tête vers toi. T’es en soutif, au calme dans mon pieu. Tu t’es cru chez ta mère ? Mais au lieu de balancer une phrase de ce genre, je reste muet et mes yeux lorgnent sur ta poitrine. Pas mal. « De quoi? » Pardon, j’ai été distrait, j’ai oublié ce que t’as dit. Ah oui, le plaisir. J’hausse les épaules. J’dirais pas que c’est le plaisir, disons que c’est l’effacement du déplaisir. Je palpe mon pouls au niveau de mon cou, compte les pulsations pour m’assurer que tout va bien. Ça va. Alors je repose ma main sur mon ventre, au niveau de mes abdos et laisse échapper un soupir. J’ai pas grand chose à dire. Pour moi c’est la routine. Toi, c’est ta première fois, normal que tu t’extasies...

L’injection faite, je laisse mon dos lourdement retomber sur mon matelas, yeux fermés. J’sais pas si tu te piques, j’sais pas si tu le fais correctement mais j’regarde pas, ça ne me concerne pas. Tu l’as dit toi-même, j’fais que te fournir le matos, le reste, c’est pas ma responsabilité. T’es pas ma responsabilité. Mais je comprends que tu l’as fait quand tu t’allonges à côté de moi et me demande si c’est ça le plaisir. Moi, je lorgne sur tes seins. Attends, t’es à moitié à poil, tu t’attends pas à ce que je te regarde dans les yeux quand même? Bref, j’réponds pas, je prends mon pouls. Je contrôle. J’essaye d’éviter le pire, malgré mon inconscience glaçante. Tu te redresses sur ton coude et je roule des yeux. J’sais pas pourquoi mais j’te sens moralisatrice là. Tu me demandes pourquoi je fais ça. J’hausse à nouveau les épaules, comme si je savais pas, comme si j’avais pas la réponse à cette question. C’est faux. Je l’ai, la réponse. Tes doigts effleurent les traces des aiguilles qui apparaissent au niveau de l’intérieur du coude et du biceps. Là où j’me dis qu’on verrait pas, parce que même les manches de t-shirt cachent cette partie de mon bras. Je ferme les yeux, j’me sens mal. C’est pas quelque chose dont je suis fier, j’me balade pas à Harvard en criant dans les couloirs que j’me pique à la morphine. Je soupire un peu, gardant les yeux fermés. Je cherche pas à arrêter l’exploration de tes doigts sur ma peau, de toute évidence, t’es le genre de nana qui n’écoute pas et fait ce dont elle a envie. « La morphine, c’est connu pour faire taire la douleur. Tu devrais le savoir si t’es en médecine... J’sais pas encore si ça répare les cœurs brisés par contre, mais j’en doute. Y’a plusieurs raisons et aucune d’elles ne te regarde. » J’suis peut-être froid mais j’aime pas parler de ça. Tu me confrontes à mes problèmes alors que j’essaye justement de les oublier.

La morphine, c’est cool. Ça me fait me sentir léger, j’suis apaisé, comme si on avait retiré tous les poids qui pesaient sur mes épaules, ou qui écrasaient mon coeur. Parce que ouais, c’est pour ça que j’avais commencé à la base. Pour effacer les maux d’amour. Pour effacer Meghan. Et puis au fur et à mesure, j’y avais pris goût. J’avais pris goût à la sensation, ou plutôt, au fait de ne plus rien ressentir. L’anesthésie totale des sens. Que demander de mieux? Pas d’émotions, pas de déceptions. C’était aussi simple que ça. Je sens tes doigts effleurer les traces d’aiguille répétées, je ne dis rien, je te laisse faire. À quoi bon? Puis j’suis bien là, seul dans ma tête. C’était encore mieux quand on parlait pas. « Je sais... On me le dit souvent... » que je souffle tout bas. J’suis dans un état second. Tes doigts curieux remontent le long de mon bras pour se loger sur mon épaule. Puis tu les fais continuer leur course sur mon cou puis mon buste. Ça m’arrache un frisson non-dissimulé quand tu passes sur mes abdos. Plus bas, que je pense. Mais je ne dis rien. Pourtant, y’a les yeux qui s’ouvrent à nouveau, ma tête qui se penche sur le côté pour te regarder dans les yeux, pupilles atrocement dilatées. J’t’ai pas dit non alors si ça t’amuse, tu peux continuer autant que tu le souhaites... T’façon de ce que j’ai pu comprendre, t’as l’air d’être une meuf qui prend ce qu’elle veut, qui sait l’obtenir d’une manière ou d’une autre. Si tu le veux, tu m’auras.

C'est le calme plat dans ma tête et dans mon coeur. Ça fait du bien. J'ai l'impression que ça ne tambourine plus. Que ça ne peine plus à tambouriner. Je déteste être un toxico, mais j'adore la morphine. C'est tout le paradoxe de la chose, hein? Je sais déjà que je ne peux plus m'en passer. Parce que dès que j'le fais, j'ai les mains qui tremblent, le coeur qui s'affole, la gorge sèche, la concentration qui s'envole. C'est moche. Mais c'est tellement bon. Et toi t'es là, à me regarder avec tes yeux de biche sauvage, à moitié apeurée, à moitié affamée. Tes doigts courent sur ma peau. Mon bras, mon cou, mon torse. Tu descends plus bas, sur mes abdos, ce qui me fais pencher la tête vers toi pour planter mes yeux bleus dans les tiens. On dirait que le silence est solennel. La dernière chose que t'as dit, c'est que je suis un trou du cul. Soit, mais en attendant, tu te redresses pour te hisser et t'asseoir sur le trou du cul en question, à califourchon. Tes mains parcourent plus franchement mon corps avant que tu ne te penches sur moi, ton visage se nichant dans mon cou, tes lèvres effleurant ma peau. Je te laisse faire pendant de longues secondes, retenant presque mon souffle. Moi aussi, j'suis comme toi. À la fois apeuré et affamé. Un besoin désespéré de chaleur humain, d'attention, d'affection - même si elle est fausse. Alors y'a finalement ma main qui vient se poser derrière ta nuque pour guider ton visage au mien et venir prendre possession de tes lèvres. Ouais, faut croire que j'aime bien donner mon âme au diable. À une rouquine Eliot qui me fait du chantage. Tant pis, le sens des responsabilités, c'est pas pour ce soir.