Turn off the voices in my head ft Elliope

C'est pas facile de trouver de la morphine à l'état liquide. Ce qui se fait le plus, c'est le comprimé. Sauf que sous cette forme, pour te l'injecter, tu dois le broyer, le réduire en poudre, pour ensuite le chauffer sans le brûler, juste assez pour que la poudre fonde et devienne liquide. Et clairement, moi ça me fait chier. À quel moment il faut avoir un PhD en chimie pour se droguer et donc se pourrir la vie? Hm? Expliquez-moi quoi. Donc moi, flemmard comme je suis, j'ai opté pour la morphine en fiole, déjà liquide. Oui parce que attention. J'suis un drogué, certes, mais un drogué renseigné, qui a fait ses recherches, qui connait les dosages, qui a la liste des symptômes de manques, des effets secondaires et des risques mortels en tête. Droguons-nous, mais avec respect svp. Sauf que ce soir, le problème, c'est que j'ai terminé ma première fiole. J'ai besoin d'un nouveau stock, et j'connais qu'un seul dealeur qui vende ce produit. Or, il fait ses meet-ups dans un coin un peu reculé de Boston, un peu craignos, près du port. Même moi j'suis pas trop serein de m'y balader, c'est pour dire. Mais j'y vais sans broncher, parce que... on est comme ça, les addicts. Prêts à tout pour avoir notre crack. J'arrive sur les lieux, minuscule ruelle sombre et déserte. J'attends. Le gars ne se pointe jamais avant toi, on sait jamais si tu veux lui faire un coup foireux. Il guette, espionne voir s'il ne voit personne qui nous aurait suivi ou qui serait aux aguets. Et une fois que c'est clean, il se pointe. Me file la marchandise, je lui file le cash, c'est réglé, on en parle plus, à la prochaine. Sauf que y'a un bruit de pas qui résonne et je me retourne, dans la surprise. Chose à ne jamais faire parce que si c'est un flic, t'es grillé direct. Faut toujours t'enfuir dans la direction opposée sans te retourner vers le bruit. Moi, j'le sais, mais j'ai pas encore assez d'expérience pour mettre mon savoir en pratique visiblement. Et là, c'est une meuf - et qui appelle mon nom en plus. Putain, c'est qui celle là? J'vois rien, il fait noir et elle est trop loin, dans l'ombre du mur. Puis quand elle s'avance, je la reconnais. Hope. Pour avoir vaguement discuté sur Tinder et Whatsapp, pour l'avoir vue maintes et maintes fois dans les articles de CS. Une rousse, ça ne s'oublie pas vraiment. Je plonge les mains dans les poches de ma veste pour cacher ce que je tiens. "Tu devrais pas te balader ici toute seule la nuit. Ça craint." que j'me contente de dire, pour amorcer une conversation normale, comme si de rien n'était, comme si elle n'avait absolument rien vu. Bien que j'ai de sérieux doutes sur ce dernier point.

T'es une nana, toute seule, plutôt mignonne. Qu'est-ce que tu venais chercher ici? Tu sais sûrement que c'est un quartier mal famé. Et tu t'y engouffres la nuit? Hope, t'as perdu la tête? Tu veux te faire agresser? Tu veux te faire violer? Explique-moi là, j'comprends pas. Bon, en vrai, c'est pas mon problème, certes. Mais quand même, je t'avais vue, et j'pouvais pas prétendre le contraire. Ou plutôt, tu m'avais vu. Et j'espérais que t'en aies pas vu trop non plus. J'ai pas besoin qu'une Eliot soit au courant de mon addiction. Agathe, puis Cléolya, c'était déjà suffisant. Donc je range mes mains dans mes poches de veste, l'air de rien. Mais c'est trop tard, tu m'interpelles sur ce que je cache et je roule des yeux. "J'vois pas de quoi tu parles." Nier. Pas forcément la meilleure solution, mais c'est le premier réflexe qui me vient. J'suis encore dans le déni face à ma prise de morphine, j'y peux rien. Mais toi, tu ne te démontes pas. Fais chier. Tu veux pas me foutre la paix? Oublier ce que t'as vu, faire comme si de rien était, me demander comment je vais, les vacances, etc et basta? "C'est rien." J'avoue qu'on me fournit un truc, mais je refuse de dire ce que c'est. Enfin, j'refuse, pendant un certain temps quoi. Y'a tes yeux bleus perçants qui me tranchent la peau comme des cutters. Tu m'fais un peu peur, faut dire. "C'est de la morphine." Et inconsciemment, je resserre ma paume autour du flacon dans ma poche, comme si j'avais peur que tu me le voles. C'est à moi, c'est ma thune, c'est ma drogue, ma dose. Pas touche. De toute façon, t'as pas l'air d'être le genre de meuf à kiffer planter des aiguilles dans tes veines. "Je t'interdis de le dire à qui que ce soit." J'suis pas un manipulateur, j'suis pas un Eliot à monter des plans machiavéliques pour me venger ou faire tomber quelqu'un. Mais j'ai du respect, et j'estime que mon interlocuteur devrait en avoir aussi en retour. "Jure le moi. J'ferai n'importe quoi pour que tu gardes le secret." J'suis sérieux ok? J'veux pas que ça se sache. J'ferai n'importe quoi. Bon, peut-être pas n'importe quoi genre tuer quelqu'un ou faire un repas avec les DBS et le Ferrari. La torture a ses limites quand même hein.

Je mens quand tu me questionnes. C'est le réflexe d'un criminel. Est-ce que je suis devenu un criminel? Je ne pense pas. Je suis un drogué, ouais. Et la drogue, c'est illégal. Mais... j'sais pas, dans ma tête, un criminel, c'est différent. Je paye pour ma marchandise, je ne mets personne en danger - à part moi-même. J'pense pas être un criminel, juste un gars paumé qui ne sait pas comment gérer ses problèmes. Qui préfère les oublier plutôt que de les affronter et les régler. Mais tu ne te démontes pas, alors je finis par cracher la triste vérité. C'est de la morphine que j'achète, que je consomme. Ouais, j'le vois sur ta tête, ça te surprend. Tu t'attendais à quoi? À ce que j'achète du shit? J'irai pas m'enfoncer dans les noirceurs de Boston pour ça, si j'tape chez mon voisin j'suis sûr qu'il en a tellement l'herbe s'est banalisée ces dernières années. Même les flics ne disent rien quand un gars fume un joint dans la rue devant eux, ils ont des problèmes plus conséquents à traiter. Tu me scrutes de la tête aux pieds et ça me met mal à l'aise. "Parle-moi mieux déjà." Vous, les Eliots, à toujours rabaisser les autres. Belle mentalité. Alors tu t'excuses et ça ne me fait pas pour autant flancher. J'te demande juste de ne rien dire à personne de cette rencontre hasardeuse ce soir. Allez, j'me prostitue même, j'te dis que j'ferai n'importe quoi pour que tu gardes le secret. Et là, tu t'approches à pas de louve vers moi, jusqu'à ce que ton souffle se répercute contre mes lèvres? Quoi? Tu veux qu'on couche ensemble? T'as qu'à demander, moi ça me va. J'ressens l'électricité traverser ton corps, c'est que t'en as envie. Mais non, à la place, tu me demandes de... te faire essayer. "C'est pas de l'herbe ou de la MDMA." T'essayes pas ce truc là pour voir ce que ça fait, par curiosité. "Non." que je conclus, retirant mes mains de mes poches pour les zipper, le flacon de morphine bien au chaud à l'intérieur. "T'habites où? J'vais te ramener chez toi." J'essaye d'être rationnel, raisonnable. Pas comme toi quoi.

Tu veux essayer ? Mais tu crois que t'es où là? T'es pas chez Zara à faire la queue devant la cabine d'essayage. Tu n'essayes pas de la drogue comme ça. J't'aurais bien filé un joint, ouais, j'considère pas vraiment ça comme de la drogue anyway tellement c'est banalisé. Mais de la morphine? Hell no. En plus, comment moi je la prenais, fallait te faire un garrot, te planter une aiguille dans la veine, non non non. Trop chiant, trop contraignant, trop dangereux aussi. J'te connais pas après tout. Tu sais que le dosage, ça se calcule? Imagine tu fais une overdose dès la première prise? Ça peut arriver. J'veux pas être responsable d'un carnage moi, t'es folle. Alors à la place, j'propose de te ramener chez toi. Allez, j'passerai même la nuit avec toi si tu te sens seule. Mais tu toucheras pas à ma dose. Tu t'approches de moi, t'as l'air menaçante, tu me ferais presque flipper. Mais c'est pas tes poings qui me cognent mais tes lèvres. Tu les plaques contre les miennes, je sens tes mains s'agripper à mes manches de veste en cuir, ta poitrine collée contre mon buste. C'est un baiser sauvage, passionné, qui a la rage. La rage de quoi? Je ne sais pas. Tu poses quelques secondes ta tête contre mon épaule, moi j'suis un peu à bout de souffle, j'm'y attendais pas quoi. Puis y'a le manque de la drogue qui commence à se faire ressentir aussi, et ça a un impact direct sur ma respiration. Tu relèves finalement la tête et j'attends des mots doux susurrés à l'oreille, mais c'est plutôt l'inverse. Tes mots, ils me glacent le sang, ils me raidissent sur place. Tu me menaces? Tu me fais chanter? En parler aux flics? "T'es sérieuse là?" Je recule d'un pas pour pouvoir te scruter. "Tu peux pas aller à la police." J'ai déjà un casier moi. J'veux pas retourner en taule, trois jours en enfer ça m'a suffit. À me faire tripoter par des boloss meurtriers en chaleur, no thanks. "C'est trop dangereux. Je connais pas le dosage qu'il te faut. Imagine je pique à côté, je loupe ta veine? Tu peux perdre ton bras. Et puis, t'as bu? Tu peux pas consommer si t'as bu normalement, tu seras plus sujette à l'overdose. Tu vois? Y'a pleins de risques, ça vaut pas le coup." Ça te suffit comme explication? Tu vas pas appeler les flics. Tu ferais pas ça.

J’peux pas te piquer. J’connais pas ta taille, ton poids, je sais pas calculer une bonne dose pour toi, et puis je sais même pas si je saurai atteindre ta veine avec l’aiguille. J’ai l’habitude de le faire sur moi mais sur les autres? Non, j’crois pas. Puis, je veux pas être responsable de ça. Fin, c’est pas un simple joint, c’est de la drogue dure, rien qu’une seule prise peut te rendre accro. Sauf qu’après un baiser inattendu... Tu me menaces. Si je te donne pas ce que tu veux, tu iras cafter à la police. Putain, j’pensais que t’étais une meuf cool moi, tu fais chier. Du coup, j’deviens livide et j’essaye de ne pas paniquer. Ça va faire qu’accroître la sensation de manque qui fait déjà trembler mes veines assoiffées. Je blablate, ça fait ça quand j’suis paumé. J’ouvre ma gueule à ne plus m’arrêter, je balance tout ce qui me passe par la tête. Et toi, t’as cet air insolent, ce sourire qui donne envie de foutre des gifles. Tu t’approches à nouveau de moi et t’es très rationnelle, ça en est flippant à vrai dire. Tu t’agrippes encore à mes manches pour me faire un compliment. C’est des avances? Je suis pas sûr de comprendre ton jeu. Mais t’avais pas l’air de blaguer quand tu parlais d’aller chez les flics alors... Je grogne de mécontentement et je sors la fiole de ma poche, resserrant ma poigne sur celle-ci. « J’ai pas de matos ici de toute façon. Tout est chez moi. » On a pas d’aiguilles, pas d’élastique pour faire un garrot, pas de quoi chauffer le liquide. Et j’suis pas Harry Potter hein, j’peux pas faire apparaître des objets comme ça.