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3 septembre 2018
Ça doit faire quoi ? Un an, que je te connais. La première fois que je t'ai croisé, j'étais sûre de mon coup. C'était toi, ça devait être toi. Ton teint tout pâlichon, ta bouille d'ange. J'étais sûre d'avoir tout oublié de toi, le seul truc qu'il me restait de la soirée arrosée qu'on avait passé ensemble c'était le souvenir d'un accent britannique. Et pourtant, en te croisant dans les couloirs d'Harvard, quelques mois après ma rentrée, j'ai su que c'était toi, et tout semblait me revenir. Quel coup du hasard quand même ! C'est fou ce que tu lui ressembles... Très cher inconnu, après cette année, où je t'ai observé de loin, où j'ai appris à te connaître à distance (après tout, il fallait pas que je me trompe), je sais qu'il est temps que tu rencontres ta fille.
C'est la rentrée, je suis rentrée de mes vacances sous le soleil et je suis rentrée plus blanche que je n'étais partie. Jane, pareil. Telle mère, telle fille. Tel père... Je l'observe à quelques mètres sans oser me lancer. Lui aussi, il a le teint couleur cachet d'aspirine. Décidément, la petite aura à supporter le poids de l'hérédité. Je le vois, assis sur un banc, la tête en l'air, à rêvasser. Il semble être le seul ici qui ne soit pas absolument paniqué par la rentrée. Il fait bien, bientôt, il pourra être paniqué par toute autre chose.
Allez, je me lance ! Jane dort dans sa poussette, il sembles tranquille, la seule totalement en panique c'est donc moi. J'avance vers lui en poussant ma poussette et puis je m'arrête à ses pieds. Jane est à peu près à sa hauteur. C'est le moment. "Elle est mignonne quand elle dort, non ?" Je lui lance un grand sourire, tentant de cerner sa réaction. A quoi est-ce que je joue ? Je m'étais pourtant jurée, jurée d'y aller franco, de me pointer devant lui et de le regarder droit dans les yeux en lui annonçant l'air grave : "Je te présente ta fille." Mais bien sûr, je ne m'en tiens jamais aux plans, jamais. Et puis je me dis que je fais peut-être bien, il faut que je prenne la température, m'assurer que je ne lance pas encore dans une galère avec un énième connard, Jane mérite d'être entourée de gens biens. "Elle semble bien t'aimer. Sinon elle aurait senti que quelque chose n'allait pas et se serait réveillée en hurlant." J'affute ma stratégie : il faut qu'il se sente proche d'elle mais qu'il comprenne aussi les responsabilités qu'implique un enfant, les pleurs, les hurlements... Ouais, ou sinon il ne comprend rien à tous mes stratagèmes et tout ce qu'il a en face de lui c'est une maman reloue qui insiste pour montrer à la terre entière à quel point son bébé est mignon avec ses joues potelées. D'ailleurs, j'ai tout d'une maman : je me suis maquillée et j'ai relevé mes cheveux en chignon pour paraître plus vieille, je porte un long pull qui recouvre mes tatouages. C'est décidément le moment ou jamais. "En fait, je crois qu'elle t'aime bien parce qu'elle sent que tu es de la famille." Aïe !
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