(laurandy) ✽ I will still be here, stargazing

Le soleil se levait, et moi avec. Comme chaque matin, les rayons perçaient à travers le pare-brise malgré ma tentative de le couvrir d'une couverture et j'ouvrais un œil avant de m'étirer de tout mon long sur mon siège allongé. Ma bonne vieille voiture était et serait mon fidèle compagnon jusqu'à la fin, y avait pas à chier. Démarrait alors ma routine du quotidien, je farfouillais dans mon coffre parmi mon bordel pour trouver des fringues, je me lavais les dents et soufflai en voyant que mon bidon d'eau était presque vide. Direction la piscine municipale, je m'y lavai puis enfilai un maillot pour aller nager une heure. C'était l'un des rares moments où je n'avais pas la sensation d'être un laissé pour compte par la société, l'un des rares moments où les gens ne voyaient pas la différence entre eux qui dormaient sous un toit, et moi qui dormais dans ma voiture. En début d'après-midi, je me rendis auprès de l'administration de la ville pour voir où en était ma demande de logement social. Sans surprise, ça ne bougeait pas d'un poil. La même rengaine depuis des mois. J'attrapai ma guitare, fermai ma voiture et pris la direction d'Harvard. C'était là-bas que je m'en sortais le mieux, les gens laissaient des pièces, de quoi m'acheter à boire, à manger, de quoi me laver. Le strict nécessaire, mais qu'on n'atteignait pas toujours, finalement. Assis non loin de l'entrée d'Harvard sur le côté, je m'installai, la guitare sur les cuisses et l'étui de protection ouvert. J'y disposai quelques pièces, petite technique largement répandue pour inciter davantage les gens à renflouer la mise, et commençai à jouer. Certaines personnes venaient, écoutaient. Certaines donnaient des pièces, d'autres se contentaient de me regarder chanter avec ma guitare. Du coin de l’œil, j'aperçus cette belle fille blonde que j'avais repéré plus d'une fois. Je ne pus m'empêcher, une fois de plus, de l'observer. Je scrutais son visage, essayant d'analyser son expression, imaginant qui elle pouvait être, qu'est-ce qu'elle avait pu vivre. Elle était superbe, mais j'ignorais qui elle était. Aller lui parler n'était pas dans mon intention, je n'étais personne pour ces étudiants d'Harvard, qu'est-ce que j'aurais à lui dire de toute façon ?

Je dors debout. Enfin, assise, dans la bibliothèque Widener. J'ai passé toute la nuit à étudier pour mon examen d'interne et avant ça, j'ai passé 8h sur mes pieds dans la salle d'opération. On peut dire que je rêve de trouver un lit en ce moment, mais celui que j'occupe à la Lowell House temporairement pendant mon bizutage, n'est pas le plus confortable. En un mouvement, je me lève et reprend tous mes cahiers pour marcher calmement jusqu'à la sortie. Il est quel heure avec tout ça ? 8 heures ? Quelque chose comme ça. Les étudiants sont déjà debout, certains se rendent à leurs cours et d'autres, prennent leur petit-déjeuner sur le yard. Bien décidé de retourner chez moi pour faire une sieste, je marche jusqu'à la sortie de la cours et comme bien souvent, je m'arrête en entendant un artiste de rue jouer de la guitare. Plusieurs passants se sont arrêtés aussi, il y avait un petit cercle autour du jeune homme. Je me suis installée entre deux inconnus, les bras croisés. Mon regard ne lâchait pas l'inconnu et le plus étrange, c'est qu'il ne quittait pas le mien aussi. Je rêve, ou il y a une connexion là ? Peut-être qu'il louche et en fait, il regarde le mec à côté de moi... ou peut-être que c'est la dame avec son burritos qui pu à ma gauche qui capte toute son attention. Quoi qu'il en soit, Lauri cesse de jouer après quelques accords et après quelques applaudissements, la foule s'est dispersé. Son regard est resté encré dans le mien pour un instant et comme ce n'est pas la première fois que je l'écoute jouer, que je ne lui ai jamais rien donné, je plonge ma main dans mon sac pour essayer de trouver mon portefeuille. Fuck, j'ai plus de change. Je m'approche néanmoins de lui et déglutis avant de lui demander : J'te laisserais bien des sous, mais j'ai rien qu'une carte. J'peux aller te chercher à boire chez Starbucks, juste en face ? Je penche la tête sur le côté et affiche un léger sourire aux coins des lèvres.

C'était pas la première fois que je voyais cette fille. Parfois elle semblait pressée et passait devant moi à grandes enjambées sans s'arrêter, mais toujours un regard. De temps en temps elle s'arrêtait, voire même s'approchait un peu pour écouter. Une fois elle s'était assise sur un banc à proximité, parlait avec quelqu'un et je jouais son fond sonore, il lui arrivait de tourner la tête pour regarder. J'ignorais si elle aimait ce que je jouais ; je n'étais pas un fin musicien, je connaissais globalement les fondamentales et je savais chanter sans être faux. Pas un grand musicien, mais assez pour porter mes couilles dans la rue pour survivre grâce à ça. J'étais bien plus doué en dessin, mais ça, je le gardais pour moi. De temps en temps, je reportais mon regard sur ma guitare mais à intervalles réguliers, je les relevais vers cette inconnue à la longue chevelure blonde qui m'écoutait avec attention. A la fin de ma chanson, les quelques personnes qui écoutaient applaudirent, certaines donnèrent un peu d'argent puis le monde se dispersa. Quand je levai la tête, je m'attendais à ce qu'il n'y ait plus personne : pourtant, cette fille était encore là, fouillant son sac. J'esquissai un sourire et la regardai approcher, curieux. Je prends la carte aussi, pas de problème. J'eus un léger rire, tapotant le corps de ma guitare du bout des doigts. Remballe tes blagues vaseuses Lauri, s'il te plaît, merci. Ça m'ferait plaisir oui, si t'en prends un aussi. C'est l'histoire d'un SDF qui invite une fille à lui payer un café et à le boire sur de la pelouse. En échange, tu m'dis ce que tu veux écouter et j'te la fais si je la connais. Je devais bien avouer que j'étais pas 100% à l'aise. J'avais toujours admiré cette fille de loin, rêvé de son sourire et imaginé qui elle pouvait être. Je l'avais imaginée étudiante en droit, ou en médecine. Une future avocate brillante ou un médecin qui révolutionnerait la science par ses recherches. J'imagine que c'est ce que font les étudiants d'Harvard, changer le monde : elle ne ferait probablement pas exception.

Je me suis toujours arrêtée pour t'écouter jouer. À chaque fois, tes mélodies ont captés mon attention. La différence entre les autres fois et maintenant, c'est que je me suis enfin décidée à te donner ce que tu mérites. Cependant avec ma routine, je ne porte pas de monnaie sur moi, que des cartes. Le starbucks étant rien qu'en face, je t'ai proposé de te ramener un café et après une blague un peu pourri -oui, j'avoue, c't'ai pas drôle- tu as accepté mon offre à condition que je le boive avec toi. Un petit sourire se dessine aux commissures de mes lèvres. Attend, tu m'invites à ce que je me paie un verre ? Plutôt confus tout ça... mais ça me semble plutôt juste, comme demande. Tu me suggères de jouer ce que je veux en échange et je te dévisage un peu avant de rire. D'accord. Je vais y aller, en cas où ton offre serait sur une durée limitée. Je recule d'un pas puis fait volte-face pour continuer mon chemin vers le petit café. Je ne reviens que quelques minutes plus tard avec deux cafés, des sachets de sucre et du lait au cas où tu en prendrais. Je ne t'ai pas demandé comment tu aimais ton breuvage, c'est la moindre des choses que je puisse faire. Je m'installe à côté de toi, pas trop près et aussi, de sorte à ce que je puisse te regarder jouer. Je dépose le plateau devant moi et te fait un petit sourire gêné. Tu connais "Titanium" ? De Sia.

Est-ce que je venais de l'inviter à s'auto-payer un café ? J'eus un très bref instant de réflexion avant de me mettre à sourire. Faut se faire plaisir dans la vie non ? Puis ça m'aurait surtout beaucoup gêné qu'elle me regarde boire mon café tout seul, donc j'y gagnais aussi. Je ne répondis pas alors qu'elle tournait les talons pour s'engouffrer dans le Starbucks. Je profitai de ce moment seul pour repenser à cet échange. Sérieux ? Je prends aussi la carte ? Je pouvais sortir des trucs vaseux mais là c'était top niveau, je ne m'étais pas rendu compte que j'étais si nerveux à l'idée de lui parler. Le problème c'est que c'est exactement dans ces moments-là qu'on dit les choses les plus débiles qui nous font passer pour le dernier des cassos. Et j'en étais déjà un de par ma situation, inutile d'aggraver la situation avec des dialogues gênants sérieux. Je m'allongeai dans l'herbe et fermai les yeux, jusqu'à entendre quelqu'un s'asseoir à proximité. Je me redressai, de sorte à ne plus avoir le soleil dans la tronche. Oui pas de problème, très bon choix. Je récupérai le café qu'elle me tendait et ajoutai un sucre dedans. Un peu de sucre ne me ferait certainement aucun mal, pour le coup. J'avais un peu faim et j'espérais que mon ventre n'allait pas se mettre à gargouiller. Classieux quand ton estomac s'invite dans la conversation hein ? Merci pour le café. T'as tout prévu, tu serais pas du genre organisée comme fille ? demandai-je avec un petit rire amusé avant de boire une gorgée. En même temps fallait probablement l'être un minimum pour étudier dans une école telle qu'Harvard. T'es étudiante à Harvard alors ?

Je me suis installée à tes côtés et j'ai mis le plateau devant nous. À part te demander si tu connais la chanson "Titanium" de Sia et David Guetta, j'ai gardée le silence. Je ne sais pas quoi te dire, bien honnêtement. Avec le travail et les études que je fais, disons que ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour pratiquer mes talents en communication avec le sexe opposé. Certes, avec un peu d'alcool dans les veines, ça aide... mais ce n'est pas spécialement le cas en ce moment. T'adhères à mon choix et mon visage s'illumine. J'suis contente que tu connaisses et encore plus que tu aimes. Je n'étais pas sure que ce genre de musique pourrait te plaire, alors ça me rassure. Tu ne te gênes pas à prendre ton gobelet et je décide alors de prendre le mien. Moi, perso, je le bois noir. À ta question, je ris doucement. Touché ! Mais vu c'que je fais, je n'ai pas trop le choix de toute façon. Je prend une gorgée de mon café et t'écoute me demander si j'étudie à Harvard. J'hoche la tête. Oui, mais il ne me reste plus beaucoup de temps. L'an prochain, j'vais être chirurgienne résidente. Et travailler autant ne me permettra encore moins d'avoir une vie sociale. Mais bon... la médecine m'a toujours fascinée. Particulièrement la neuroscience, depuis mon accident et depuis que j'ai passé sous le couteau. Et toi ? J'étais tellement loin de me douter de la vérité.

Pas trop le choix ? J'arquai un sourcil en la regardant, curieux. Depuis le temps que je la regardais quand on se croisait, j'allais enfin savoir si j'avais eu juste dans l'une de mes idées. Chirurgienne résidente ? Elle piquait ma curiosité à vif. Autant je n'avais jamais rêvé d'Harvard, autant je connaissais des gens qui avaient tout donné pour intégrer cette école. Fatalement, parler avec des étudiants d'Harvard me rappelait Lois. J'espérais pour elle qu'elle avait réussi. T'es spécialisée dans quoi ? Je repris une gorgée de mon café et laissai un silence à son retour de question. Personne ne veut embaucher de sans-abri, alors je faisais pas grand-chose, mais je voulais pas la faire partir en courant. Quand bien même elle avait l'air d'être très gentille et tolérante, c'est toujours un peu gênant pour tout le monde quand la nouvelle tombe. On va dire que j'suis un électron libre, j'fais des tafs par-ci par-là et j'arrondis les fins de mois ici, dis-je en faisant un geste du menton vers mon étui à guitare. J'aime vivre dans le danger tu vois, ajoutai-je avec un sourire amusé. C'est sûr qu'un étudiant d'Harvard ne devait probablement pas prôner la YOLO attitude, encore moins question taf. J'suis pas un futur prix Nobel moi, mais j'applaudirai chaleureusement pour le tiens, dis-je avec un sourire amusé par nos différences si radicales. J'ai fait un an de droit des affaires y a quelques années, mais j'ai laissé tomber. Pas par choix finalement, mais bon.

Ouais, chirurgienne résidente... Enfin en gros, je n'ai plus de cours quoi, je vais travailler à l'hôpital toute la semaine. Et faire des heures de ouf, mais bon, c'est le métier et de toute façon ça ne me dérange pas ! Si je pouvais vivre à l'hôpital, j'le ferais probablement. Lorsque tu me demandes en quoi je me spécialise, je te répond joyeusement : J'aimerais être neurochirurgienne ! Mais bon, pour les prochaines années, je ne pourrai pas me spécialiser dans quoi que ce soit, pour voir mes options. Mais je compte bien faire une bourse en neuro. Tout naturellement, je te retourne la question. J'suis quand même vraiment loin de connaître la vérité, même si c'que tu m'avoues n'est pas vraiment un mensonge non-plus. Disons que tu ne dis pas tout et tu caches même plutôt bien le reste. Je vois. On peut dire qu'on a ça en commun. Ton danger à toi, c'est de trouver du fric pour survivre et à moi, c'est d'ouvrir des crânes, me tenir debout pendant 10 heures alors que j'extrais une tumeur. C'n'est pas tout à fait la même chose. Merci, merci ! Je me met à rire. Tu m'annonces alors qu'il y a quelques années, tu as fais un an de droit avant de laisser tomber. Oh, à Harvard ? Comment ça ? t'aimais pas ? Je ne jugerai pas, promis. En fait c'est pas du tout mon genre ! Je ne pose généralement jamais de questions d'ailleurs, mais on peut dire que tu m'as intrigué, avec ton histoire. À faire des numéros dans les rues comme ça, tu donnes presque l'impression de vivre ici et là, comme un sans-abri. Mais bon, tu pues pas. Je termine mon café quelques gorgées plus tard et dépose mon gobelet parterre devant moi. Tu me prêtes ta guitare, pendant que tu finis ton café ?

Elle était en fins d'études, et rien qu'au ton de sa voix j'entendais qu'elle n'en pouvait plus d'attendre, ça m'amusait beaucoup de la voir si impatiente d'en avoir terminé. Une future neurochirurgienne... je restai silencieux, repensant au cancer de ma mère. Andy aurait aussi bien pu être le docteur qui nous annonçait que la chirurgie n'était pas envisageable parce que la tumeur était trop répandue. Qui l'aurait cru, hein, qu'Andy voudrait faire un de ces métiers qui me rappelait de tels souvenirs ? Je sais pas pourquoi, je t'imaginais soit médecin soit avocate. Dans les deux cas ça te va très bien, dis-je avec un léger rire. Elle n'avait pas ce regard fuyant, vitreux ou perdu des personnes qui se cherchent encore, qui tâtonnent dans la vie, qui survivent. Non. Elle, son regard était assuré, soutenu. Quand elle me regardait, elle ne cillait presque pas. Elle était fière de son chemin jusqu'ici, je le ressentais dès que mon regard croisait le sien. Beaucoup d'hommes devaient trouver ça terriblement intimidant. Pour ma part, ça me plaisait beaucoup, voire trop, pour être honnête. J'avais de toute manière toujours admiré les femmes, considéré qu'elles étaient le véritable sexe fort. Non j'étais pas à Harvard, répondis-je avec un léger rire. J'suis un bien trop grand branleur pour être accepté dans cette école, mon dossier serait probablement dernier en partant de la fin. Je secouai doucement la tête, amusé. C'était pas quelque chose qui me préoccupait pour le coup, je savais me montrer travailleur, ambitieux et passionné, mais c'était très ciblé, disons. J'étais dans une université de Washington et ça m'a pas plu, entre ce qu'on imagine et la réalité... y a souvent tout un monde, dis-je en haussant les épaules. Pour le coup, c'était un mensonge. J'avais adoré mes études et je les aurais volontiers continuées, si mon université n'avait pas été la première à me claquer la porte en apprenant ma situation financière. Parce qu'en plus t'es aussi musicienne ? Dis-moi qu'tu la prends seulement pour jouer au clair de la lune. J'éclatai de rire et retirant la sangle de mon cou, je lui passai la guitare puis récupérai mon café pour en reboire une gorgée. Tu vas me jouer quoi, docteur ?

Tu m'imaginais sois médecin, sois avocate. En soi, ça ne m'étonne pas trop, parce que c'est deux métiers-là sont plutôt prestigieux. Je donne peut-être l'air d'être snob, parce que je ne souris pas sans raisons, mais c'n'est pas vrai. J'suis pas une fille qui a beaucoup d'argent et l'argent, c'n'est pas ce qui fait mon bonheur. Sauver des vies en l'occurrence, c'est ce qui me passionne réellement. T'as vu juste. Je souris, puis te demande si tu as étudié ici, à Harvard. Tu me réponds, m'annonce que tu étais trop un branleur pour être accepté ici. Je me met à rire, t'écoute parler de ton ancienne université et du pourquoi tu as arrêté. Finalement, c'est vraiment parce que tu n'aimais pas autant que tu le croyais. C'est dommage, ça coûte cher l'université... Mais bon, c'est toujours mieux de faire ce qu'on aime. Comme on dit : Choisis un travail que tu aimes et tu n'auras jamais à travailler un seul jour de ta vie ! Euh mais depuis quand je balance des phrases toute faite, moi ? Enfin bref hein. Après avoir terminé mon café, je te demande s'il est possible que j'emprunte ta guitare pendant que tu bois le tien. Pire. Je ne sais jouer que "vive le vent" ! Je ris avant d'attraper le manche de ta guitare et de la ramener vers moi. La même chanson que je t'ai demandé plus tôt... on compare les versions ? Après t'avoir fait un sourire, je déplace le capo sur le manche et accorde vite-fait la guitare à l'oreille. Une fois bien préparée, je joue les premières notes et chante même les paroles. Ça fait un petit moment, que je n'ai pas mis de guitare dans mes mains... mais chanter, je n'ai jamais arrêté.