Minna au micro

En sortant du bar, j’étais prête à rentrer chez moi quand j’avais retrouvé mon frère pas loin du parking en train de faire connaissance avec ce gros arbre qui n’avait rien demandé à personne. Ce qui était sûr, c’est que ça semblait lui faire du bien de marteler l’écorce qui venait s’immiscer doucement dans sa peau.

J’avais décidé de lui redonner sa guitare ce soir, de lui faire comprendre que je voulais accepter son choix de devenir un musicos à la dérive. Alors quand je posais la guitare au pied de l’arbre, je pensais qu’il réagirait, au moins un peu. Milow continuait d’être furieux, surement contre moi, même s’il ne voyait pas les efforts que je fournissais pour m’ouvrir à lui.

- Milow ! Ce que j’étais venu te dire ce soir … C’est que t’a le droit d’être … toi

En rongeant mon frein, j’évitais de décrire ce toi qui désignait mon frère. Si j’avais du mal à tout accepter, je ne pouvais de toute façon pas écrire sa vie pour lui. Je ramassais la guitare qu’il n’avait pas l’air de vouloir récupérer plus que ça, et caressais une des cordes du bout des doigts, sans vraiment savoir comment tout ça marchait.

- Je sais que tu t’en fou, que tu n’as pas besoin de mon approbation, que t’en as toujours fait qu’à ta tête …

Ce que je pense l’importait si peu que j’étais toujours la dernière au courant de chacun de ses choix. Même Bambi, cette parfaite inconnue savait des trucs sur mon frère que j’aurai préféré savoir avant. Je suivais Milow avec la guitare dans mes bras jusqu’à l’endroit où il avait décidé de se réfugier après avoir quitté ce gros arbre.

- Je veux pas essayer de diriger ta vie, j’ai juste envie d’en faire partie. J’ai envie que tu me parles à défaut de m’écouter … je veux plus être celle qui est toujours au courant en dernier.

Sa cure, son homosexualité, chacun de ses choix, où de ceux de notre père pour lui, j’étais toujours évincée, comme si la vie de mon frère ne me concernait plus. Les yeux rivé sur la guitare, le regard triste, je l’analysait, en sachant au plus profond de moi que cet objet était plus précieux pour lui que je ne le serai jamais.

Je reste silencieux à ses propos, je sais pas quoi penser, parfois elle me semble sincère, puis elle sort une connerie plus grosse que son ombre… Comme dire que j’en ai toujours fait qu’à ma tête, alors qu’avant Harvard, j’ai toujours suivie à la lettre les projets de mon père… Ou encore que je me fiche de son avis, alors que c’est justement là le problème, il compte tellement que je prends beaucoup trop à cœur toutes ses réflexions jusqu’à m’en tuer à petit feu… Enfin je ne relève rien, je l’ai déjà fait mainte et une fois sans succès… Par contre, je lui prends la guitare des mains gentiment pour l’accorder, ne supportant pas les fausses notes qui en sortent en irisant mes poils et irritant mes oreilles. Puis je lui redonne, lui expliquant que je ne peux pas la récupérer se soir. Adosé à l’arbre, je souffle longuement avant de lui expliquer pourquoi il est hors de question que je la fasse revenir dans ma vie comme elle le souhaite ou prétend du moins. « Le truc Minna, c’est que je peux pas te parler ! J’ai aucune confiance en toi ! J’ai creusé mon propre trou, tu m’as largement aidé à le faire, que t’en ai conscience ou non. J’ai enfin une corde pour me tirer de là, et il est hors de question que je creuse plus pour plus pouvoir l’attraper !»Je sais que je suis dur dans mes propos, mais elle ne me laisse pas le choix. Peut-être qu’elle veut me protéger, mais sa méthode me détruit plus qu’autre chose et je dois me protéger, j’ai pas le choix…Je me mord la lèvre de lui parler ainsi, j’aimerais tant lui expliquer, qu’elle comprenne, mais c’est Minna et si je lui dis elle tombera encore à côté de la plaque, c’est comme ça… « Je serais toujours là pour toi Minna, mais je ne veux pas de la réciproque !» Oui, elle peut m’appeler à n’importe quel moment de la journée ou de la soirée pour n’importe quoi, je serais là pour l’aider, j’irais même jusqu’à me battre si il le faut. Mais elle doit comprendre que jamais je ne prendrais mon téléphone pour l’appeler au secours, ni même lui raconter une bonne nouvelle parce que sans le vouloir elle tournerait tout ça au cauchemar…

La discussion avec mon frère était nécessaire, mais j’avais l’impression qu’on ne faisait que ça depuis des années, essayé de communiquer, comme deux sourds qui n’arrivaient pas à s’entendre, à se comprendre. L’expression du dialogue de sourd prenait tout son sens, c’était comme si mon frère parlait un langage que je n’étais plus apte à comprendre.

J’ai surement échouée quelque part dans mon rôle de sœur, mais à quel moment ? Je voulais lui rendre sa guitare, lui tendre une nouvelle fois la main, pour lui demander d’effacer le reste, mais on avait dépassé notre quota de redémarrage à zéro. Quand Milow m’avouait qu’il n’avait plus confiance d’un ton non plus insolent comme avant, mais tellement naturelle que s’en était encore plus blessant.

- Pas confiance ? En ta propre sœur ?

Alors qu’il accordait sa confiance à Bambi, une inconnue qui ne méritait pas qu’on lui témoigne la moindre considération. A ce moment-là, j’avais envie de lui casser sa guitare sur la tête, mais quand il me la rendait, je ne pouvais que rester à regarder mon frère, impuissante. Je réprimais une larme qui ne demandait qu’à sortir, et tournait la tête pour pester face à l’horizon.

Le pire c’est qu’il voulait endosser le bon rôle, en me faisant croire qu’il m’aiderait. Pourquoi j’irais lui demander son aide, si lui ne veut même pas me parler de ses problèmes. Commençant à faire un trou dans le sol avec la pointe de mon talon, je regardais mon pied remuer la surface de la terre avec des yeux tristes.

Je déglutissais, soupirais, puis finir par glapir en me retournant à nouveau dans la direction de mon frère. La seule solution que j’aurais encore d’intervenir dans sa vie, c’était de lui faire croire que c’est lui qui interviendrait dans MA vie. S’il était sincère, il ne pourrait pas refuser d’aider sa sœur adorée.

- Tu es sérieux ? C’est la première fois que tu me dis ça … que tu serais là pour moi.

Avec Milow, lui comme moi n’étions pas pour les grandes déclarations dégoulinantes d’amour, c’était certainement un trait des Schäfer. J’essayais de lui témoigner un semblant de sourire, en récupérant cette guitare qu’il venait de bidouiller pour la faire jouer un peu plus juste. Poppy n’avait pas voulu m’aider, mais je sais qui le ferait.

- Si je te demande un service alors, un service d’une sœur à son frère, tu ne pourras pas dire non ?

Si j’avais été plus douée je lui aurais faire des yeux rond comme le chat potté de Shrek, mais de toute façon il me connaissait trop bien pour en avoir quoi que ce soit à faire. Sans en faire trop, je me contentais d’un air sincère, en attendant sa réponse avant d’évoquer le sujet de ma copine Light qu’il pourrait emmener au bal.

Tenir le coup, rester ferme, déterminer. Ne rien laisser transparaitre de mon cœur qui se déchire à l’expression, aux propos, rester de marbre, neutre. J’étais le meilleurs pour cela, mais faut croire qu’Harvard m’a sacrement ramollie, que cette exercice n’est pas comme le vélo, qu’il s’oublie. Parce que si Minna regardais de plus près, elle verrait mes mains dissimuler dans mon dos pour cacher leur tremblement, mes lèvres pincé pour empêcher mes lèvres de trembler, mon regard beaucoup trop fixe pour bloquer la route aux larmes et ne pas fuir le sien. Parce que le dire était une chose, mais l’entendre de sa bouche en est une autre. De sa bouche, la trahison se fait entendre et prend toute sa réalité.

Je me racle la gorge discrètement, ma voix ne doit pas me trahir elle non plus. Je ne dois pas reculer, m’affirmer, prendre la décision qui me parait la bonne pour moi, même si je dois la blesser au passage. « On a le même sang Minna, mais pas la même éducation, et c’est toute la différence ! Ta vision de la vie est aux antipodes de la mienne, jamais nous ne ferions les mêmes choix, ou vivrons une situation de la même façon ! Je ne veux plus souffrir de te décevoir, et pour ça, je ne peux pas avoir confiance en toi, je ne dois plus te parler et me prendre ton avis en pleine gueule !» C’était dit, enfin résumé, et je le regretterais probablement encore plus dans quelques minutes, mais il faut qu’on mette fin à ce cercle vicieux.

Voulant que tout s’arrête maintenant, je me mis en route vers ma bécane, dans l’idée de rouler un peu pour décompresser et faire passer la pilule, pourtant, la voix de ma sœur raisonnant à nouveaux dans mon dos mis fin à mon dépars digne d’un roman dramatique. « Parce que tu m’en a jamais laissé l’occasion ! Après tout qu’est-ce que ton crétin et pitoyable petit frère pourrait bien faire pour toi ?» Sans que je me retourne, les mots étaient sortis tout seul, comme un murmure désespérer à la recherche d’une contradiction de la part de l’interlocuteur. Cependant, je n’étais pas assez con pour l’espérer.

Mes yeux roulèrent dans leurs orbites et je ne pris pas la peine de retenir mon soupir quand elle exigea un service de moi. Je sentais déjà le coup fourré arrivée, ce servir de mes sentiments pour obtenir ce qu’elle voulait. Rebroussant chemin, je plant mon regard émotionnellement vide dans le sien. « Non Minna, je peux toujours dire non, si ce soit disans service me sera néfaste !» Je préférer la recadrer de suite, histoire de pas me taper des faux appel à l’aide tous les jours dans l’unique but de me garder sous son coude, ou qu’elle utilise mes propos pour faire de moi ce qu’elle désire. « Dis toujours et je verrais.»

Il était parfois difficile d’imaginer que nous avions les mêmes parents. Quand mon frère parlait d’éducation, je restais alerte, et surprise qu’il évoque une divergence à ce niveau-là. Nous avons pourtant été élevés dans la même famille, même si l’éducation d’un garçon diffère de celle d’une fille.

Les écoles où l’on m’avait inscrite m’avaient formatée pour devenir une femme indépendante, mais je refusais de croire que mon petit frère c’était fait miné lors de ces passages dans des établissements tout aussi renommé que ceux que j’ai pu fréquenter. Si c’était le cas, il faudrait que je demande à papa de leurs envoyer nos avocats.

Milow se trouvait droit, stoïque en face de moi, je l’écoutais, il semblait à la fois nerveux et sûr de lui. Je ne pouvais pas rebondir sur ce qu’il venait de m’annoncer, même si je refusais de laisser notre relation dans l’état. Je me contentais d’ouvrir des gros yeux, vraiment étonnée par cette vérité que j’avais du mal à appréhender.

- Tu te rends compte que plus tu m’excluras de ta vie, et plus je serai obligée de m’y frayer une place de force, pas forcément la place que tu aimerais m’y donner.

Si mon frère c’était ouvert plus souvent, plus facilement à moi, je pense qu’on en serait pas là aujourd’hui. Si à une époque j’aurais pu essayer de trouver des solutions palliatives avec mon jeune frère, j’en était désormais réduite à essuyer les plâtres en cherchant comment continuer d’avancer sans éclabousser tout le monde au passage.

- Je serai toujours ta sœur, tu peux changer qui tu es, mais pas d’où tu viens. Souviens t’en la prochaine fois que j’essayerai de m’immiscer dans tes choix.

Milow aurait pu rendre les choses plus faciles, mais c’était certainement son héritage qui faisait de lui une personne si compliquée. Lorsqu’il tournait le dos pour faire mine de repartir, je ne pouvais m’empêcher de relever sa dernière phrase, une élocution à laquelle je ne m’étais pas attendue. C’était vraiment la première fois que mon frère m’assurait son soutien.

Lorsque je demandais confirmation à mon cadet, je le voyais revenir dans ma direction, d’un air toujours aussi déconcertant. S’il voulait faire quelque chose pour moi, je savais déjà ce que je lui demanderais, même si je n’avais pas imaginé ma requête formulée de cette façon là, je sautais sur l’occasion.

- Néfaste ? Tu veux rire … Comment tu peux croire que je te demanderais quelque chose de tel.

Ça serait même la meilleure chose qui pourrait arriver à mon petit frère, seulement il ne le savait pas encore. Je m’approchais alors du garçon, plus près, pour lui parler d’une voix plus basse. Je voulais qu’il comprenne que j’étais sérieuse, et que ce que je lui demandais méritait une attention particulière de sa part.

- J’ai besoin de trouver un cavalier pour ma copine lors du bal.

En montrant des yeux sévère et sérieux, je tuais dans l’œuf son regard à lui que j’imaginais d’ores et déjà incrédule. Je ne voulais pas qu’on se batte une nouvelle fois, et je ne le forcerais pas de toute façon ça ne serait bon ni pour lui, ni pour elle si les deux venaient sous la contrainte. Avec un doigt en l’air, je pointais dans sa direction pour appuyer sur la sincérité de ma requête.

- Je suis sérieuse, elle est fragile en ce moment, timide, et je veux trouver quelqu’un qui la fera sourire, le temps d’une soirée.

(Invité)