RAFAEL CARDONERO ► renan pacheco

1. ses parents (mère américaine, père cubain) se sont rencontrés à Cuba, alors que la jeune femme participait à un voyage organisé. Son billet de retour jamais utilisé, elle est restée aux côtés de l'homme qui rêvait de toucher les étoiles. Ensemble, ils ont eu deux enfants. Un garçon tout d'abord (27 ans, maintenant) et une fille (25 ans, maintenant) par la suite. Le couple était heureux, mais la vie à Cuba se compliquait à vue d’œil et l'entreprise du père de famille avait du mal à décoller par manque de moyens et de ressources. Après plusieurs mois de réflexion, une seule solution s'offrait à eux : s'envoler vers les Etats-Unis. C'est donc avec les mains vides, mais une ambition débordante qu'ils quittèrent le pays natal pour vivre le rêve américain. Installés à Miami, ils se construisirent une vie qui leur ressemble et deux ans après leur emménagement, un nouvel enfant vit le jour au sein de la famille : Rafael. 2. Le garçon a donc grandi à Miami, sur le sol américain, mais toujours plongé dans la culture hispanique de la ville – le parfait compromis pour ses parents. Il ne fallu que quelques années pour que l'entreprise de son géniteur se développe et devienne une référence en terme de recherche scientifique. Bientôt, le siège déménagea à New-York d'où venait les plus grandes subventions. Le père de famille se mit donc à voyager régulièrement et la mère se vit obligé d'entretenir le foyer par elle-même. Mentalement exténuante, la tâche lui était tout de même facilité par l'afflux d'argent que l'entreprise encaissait, rendant son travail de secrétaire administrative quelque peu désuet. Pour la première fois, la vie était simple. Le frigo était plein, leurs vêtements se retrouvaient dans les magasines et les loisirs s'accumulaient. Rafael commença par du soccer, parce que c'était classe et la fille pour laquelle il en pinçait trouvait ça cool. Il arrêta après avoir passé une saison complète sur le banc, à regarder sa belle s'enticher de Boris, le gardien de but aux gants d'or. Le basketball fit une brève apparition. L'idée aurait pu être bonne, s'il n'avait pas tant tardé à grandir comme le reste de ses camarades. Se prendre des coudes dans le visage fini par l'agacer. Finalement, il se rendit compte que c'était derrière un écran qu'il était le plus à l'aise et habile. 3. Le conte de fée se détériora lentement – très lentement. A une allure si douce, que personne ne vit la fin arriver. Surtout pas Rafael. Naïf, le jeune garçon ne comprit pas que les disputes entre ses parents s'accumulaient et que bientôt, l'une d'elles serait celle de trop. Il faut dire, le père de famille s'était épanoui dans son train de vie éclectique. Les visites se firent rares, les appels bien plus encore. Assoiffé de pouvoir et d'argent, il se laissa entraîner dans le tourbillon des affaires, n'hésitant pas à user d'outils frauduleux pour arriver à ses fins. L'innocence d'un temps s'était métamorphosée en spectacle crapuleux. Lui qui rêvait d'atteindre les étoiles l'a fait ; au dernier étage de son entreprise, il avait atteint le sommet. Finalement, sa mère apprit qu'il n'était pas seulement un homme d'affaire peu respectable, il était aussi infidèle. Rafael était âgé de 13 ans lorsque ses parents divorcèrent. 4. La famille se déchira rapidement. Le père n'avait pas vu la chose venir et pour cause, il n'a jamais su comment ses tromperies étaient arrivées aux oreilles de sa femme. Blessé dans sa fierté, il s'est juré de détruire la femme pour qui, seulement quelques années plus tôt, il avait tout quitté. Un combat juridique se mit en place, chacun se battant pour ce qu'il pensait mériter. Elle voulait les enfants et de quoi vivre. Après tout, sans ses investissements, l'entreprise florissante n'aurait jamais attiré l’œil des contributeurs. Lui, voulait ce qu'elle voulait par pure haine. La balle changea de camps au fil des procès et ne prit fin qu'après que le père de famille ait fait jouer ses connexions. Il s'avéra que la garde des enfants ne l'intéressait pas. Un lien particulièrement étroit avec le juge lui permit de détruire sa femme. La maison, les économies et même son travail – il lui fit tout perdre. Sans regrets, il salit sa réputation jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus rien. C'est donc pas même un an plus tard que la mère et ses trois enfants quittèrent Miami pour Somerville, dans le Massachusetts. Là, elle se vit dans l'obligation d'accepter deux jobs à la fois, travaillant nuit et jour dans l'espoir d'arriver à vivre un mois de plus. Cloitré dans un appartement de trois pièces où il partageait sa chambre avec son frère et sa sœur et en plein milieu de son adolescence, Rafael vit rouge. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi elle n'était pas resté avec son mari infidèle, pourquoi elle n'avait pas accepté la situation sans broncher. Le manque d'argent le frappa de plein fouet et embrouilla son esprit. Dès lors, vivre avec sa mère devint difficile. Lui, ne supportait le besoin de vengeance que sa mère entretenait et la façon dont cela retombait sur son éducation qui devint plus stricte. Elle, avait du mal à le regarder en face, son visage ressemblant trait pour trait à son exécrable ex-mari. Rafael commença a fréquenter des personnes que d'autres fuyaient comme la peste. Voir sa mère au plus bas, une bouteille à la main l'inspira. Bientôt, sa consommation se fit régulière et c'est complètement saoul, l'esprit retourné, qu'il perdit sa virginité sur un canapé miteux avec une fille qu'il ne connaissait pas. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il avait à peine 15 ans et qu'elle était plus âgée et que ses potes l'acceptèrent enfin comme l'un des leurs parce qu'il venait de se taper une fille majeure au milieu du salon insalubre, aux yeux de tous. Pour la première fois, il se sentit l'âme d'un homme, d'un leader. Il faisait pas partie d'un groupe, non. Il était le groupe – celui à suivre. 5. La dépression de la mère de famille dura un an. Quand elle retrouva ses esprits après avoir enfin accepté l'aide dont elle avait besoin, il était trop tard. Rafael était déjà bien trop perdu dans sa nouvelle vie. Elle tenta d'être plus stricte, mais c'était peine perdu. Ses notes étaient bonnes, son comportement était irréprochable mis à part les moments où l'alcool le dominait. Au lieu d'entretenir une conversation honnête, les deux membres du clan se liguèrent l'un contre l'autre, lâchant une atmosphère pesante sur le domicile. Ne trouvant pas l'attention dont il manquait terriblement, c'est auprès de femmes plus âgées qu'il la trouva. Enfermé dans son cercle d'amis pas net et ses activités peu recommandées, il était intouchable. Du moins, c'est ce qu'il croyait. Son frère le trouva un jour au détour d'une ruelle, embrassant une femme d'une trentaine d'année alors que lui-même n'avait que 16 ans. Rafael ne lui avoua pas qu'il recevait de l'argent en échange de service corporel. Leur relation devint tendue. Son frère, qui avait toujours pris la défense de leur mère, l'accusa d'être le sosie de leur père. Les mots le coupèrent à vif, mais ne suffirent pas à stopper le tourbillon dans lequel il était piégé. 6. Le retour à la réalité fut rapide et plus douloureux qu'une gifle en pleine figure. Lorsqu'il reçut un appel le prévenant que sa sœur était hospitalisée, sa vie défila. Victime d'une thrombose veineuse qui s'était déclenchée à la suite d'un vol en avion après une opération, sa situation était critique. Rafael se rappelle juste avoir entendu parler d'altitude et de caillots. Tout ce qu'il sait, c'est que son entrée dans le service lui fut refusé parce qu'il était trop alcoolisé. C'est à ce moment, qu'il comprit qu'il avait un problème. Par chance, sa sœur s'en sorti. Rien d'étonnant là-dedans, elle avait toujours été la plus combattante de la famille. Rafael reprit doucement sa vie en main. Il coupa les ponts avec les personnes les plus toxiques de son entourage, diminua les soirées et sa consommation d'alcool.   La chose fut difficile, mais il parvint à reprendre le contrôle. Les femmes restèrent sa faiblesse, mais il tourna une nouvelle page en refusant un quelconque paiement. Il avait pendant si longtemps rejetait la faute sur sa mère, qu'il n'avait pas pensé que peut-être bien que c'était lui le problème, désormais. Les tensions au domicile familiale se dissipèrent légèrement, assez pour que l'endroit soit habitable. Sa mère travaillait désormais au sein de la mairie et la vie reprit son cours. L'argent revint, et Rafael retrouva sa confiance en lui. Il commença à se fixer des objectifs ; reprendre la boxe, trouver un job, devenir avocat. Peut-être que sa cause n'était pas totalement perdue. 7. Son ambition se transforma en rage de réussite et il se peut bien que pour la première fois de sa vie, il comprenait ce que sa mère attendait de lui. Ses quelques écarts furent mis en arrière plan par son entrée à Harvard. Il avait eu peur – toute la famille à vrai dire, avait retint son souffle. Son dossier était excellent, ses antécédents personnels beaucoup moins. Rien n'était dissimulable face à une telle université et Rafael savait que sa mère avait douté de son admission jusqu'à la dernière seconde. Lui aussi, en toute honnêteté. Il est presque certain que l'entretien avec le Doyen fut sa porte d'entrée. Son charme était une arme fatale et son contact facile était une qualité indéniable. Sa première année fut studieuse. Les suivantes, moins. Vivre entouré d'étudiants fit revivre ses démons, des démons qu'il avait dissimulé sous un tapis poussiéreux sans prendre la peine de s'en débarrasser totalement. 8. Il ne retourna jamais à l'état de débauche de son adolescence. Bien trop effrayé de décevoir sa sœur, il ne dépassa jamais les limites. Les frôlait, les caressait du doigt, mais restait toujours du bon côté. Cela restait tout de même la seule façon dont il savait gérer ses émotions. Lorsque sa mère leur annonça à lui et son frère et sœur qu'elle allait se présenter aux élections législatives de 2019 pour devenir Maire de Somerville, il n'en croyait pas ses oreilles. Rafael savait qu'elle avait usé de chantage et manipulation pour monter en importance au sein de la communauté locale. Et il savait qu'elle serait prête à tout pour gagner ces élections, parce que Rafael lui-même avait hérité ce trait de ses deux parents. Il savait que sa mère n'était pas quelqu'un de bien, plus maintenant. Plus depuis que son père l'avait détruite de l'intérieur. Mais il comprit réellement l'ampleur de cette fausse apparence lors d'un dîner, fin 2017. Lorsqu'il se retrouva seul avec elle et que celle-ci lui fit signer un contrat (à lui seul, l'idée ne lui avait même pas effleuré l'esprit pour ses autres enfants) stipulant qu'il devait limiter sa consommation d'alcool, surveiller son comportement en public et la fréquence de ses relations privés le temps de la campagne de sa mère sinon quoi il se retrouverait face à la justice, il comprit que jamais elle ne serait celle qu'il voulait qu'elle soit. Rafael a l'impression d'être le seul de la famille à avoir vu son vrai visage. Peut-être qu'il se reconnaît trop bien, ce qui rend la chose plus visible à ses yeux. Dans tous les cas, l'année s'annonce longue.