PALMYR STRICKLAND ► ana de armas

Les visages défilent devant toi. Tous, peint par la tristesse, touchant tes épaules par moment, transmettant quelque part, leur peine au lieu de l'alléger. Mais, tu ne ressens pas. Ou plus. Tu ne les connais pas. Et tu ne le voulais pas. A quoi bon ? Du haut de tes quatre ans, tu ne bouges pas. Immobile. Tu tiens la main de ta soeur, comme des inséparables, oiseaux d'ordinaire colorés qui aujourd'hui n'était que le reflet d'un tas de cendre. Tout comme eux, vous ne pouvez pas vous séparez. Il n'y a pas de vie après elle. Si l'un meurt, l'autre aussi. Pas de retour possible. Une dame vient se pencher vers toi, posant sa main sur ta tête, en la tapotant. Tendrement, d'une douceur extrême. Tu relèves ta tête, et croise son regard, empreint d'une douleur sans nom. Tu ne la connaissais pas, pourtant, tu ressentais que cette dame était sincère. Tu pouvais voir à travers ses yeux sa peine. Son désarroi. Sa fragilité. Elle te transperce, t'atteins, et les larmes percent tes yeux, te les crèvent d'une violence que tu ne contrôles pas. Les âmes hypocrites, se recueillant, souillant l'amour d'une famille injustement séparé. Tu ne savais pas vraiment, tu n'avais pas les mots, pas encore pour décrire ce changement brutal en toi. L'innocence, blancheur immaculée tâché par l'accident, par la mort, faucheuse intervenue trop vite, trop tôt. Tâchant cette si jolie pureté, l'envoyant valser, en plusieurs éclats épars. Tu n'étais plus une fillette, non à présent, quelque chose en plus venait de naître en toi, mais insaisissable. Les perles roulent sur tes joues de poupée, enfant choyé à présent orpheline. A bout. En apnée dans une bulle partagé par ta soeur. La respiration manque, l'explosion arrive, l'eau s'infiltrer dans tes poumons. Tu les recraches. Des cris. Les sanglots ne s'arrêtent plus, tu n'y arrives plus. La douleur est trop forte. Et tu entends en boucle cette voix. Cette foutue voix. Ton papa et ta maman sont partis au paradis. Tu comprends ? Leurs airs désappointés, yeux emplis de pitié. Et c'est douloureux, tu souffres. Trop. Marque indélébile, venant attester que plus rien ne serait comme avant.


T'es sûr que c'est une bonne idée ? demandas-tu, en regardant ta jumelle dans les yeux tandis qu'elle brandissait une arme à feu trouvé je ne sais où. Irréfléchie, toujours dans l'excès, elle ne t'écoutait jamais, préférant garder ce côté secret que tu n'aimais pas forcément. Jamais séparée, baladée de famille en famille, les mains toujours liées. Pourtant, depuis peu, un faussé s'était crée entre vous. Elle noircissait la gamine. T'entraînant dans les ténèbres, mais surtout te soutenant dans cette misère, dans cette vie. Ou plutôt. Dans cette survie. « Mais oui. Surtout n'oublies pas.. Tu attends que je te donnes le feu vert. Okay ? » Tu la suis du regard, tu lui fais confiance, tout se passera bien. Elle a souvent raison à ce propos. Alors tu ne bronches pas. Tu passes ta main dans ses cheveux, d'un blond soyeux en captant ses yeux, ses pupilles. Pas un mot. Le courant passe. Vous vous comprenez. Un sourire s'installe sur vos visages, de malice. C'est parti. répliquais-tu en l’enlaçant une dernière fois avant de se séparer. Tu ne savais pas encore que se serait votre dernière accolade. A seize ans, tu pensais que la vie était encore longue devant toi. Que rien n'était infranchissable, pas après vos épreuves. Vos souffrances. On ne sépare pas l'inséparable. Tu en étais persuadée, bercée d'une illusion fraternelle, te pensant immortelle. Intouchable. Libre. Tu entres dans le bâtiment, pas vraiment sécurisé, une petite banque dans une rue mal éclairée. Vous l'aviez repéré, toi, ton autre moitié mais aussi vos deux autres compères. Le plan était simple, bien ficelé, et surtout avec nécessitant de la rapidité. La dame du guichet te souhaite la bienvenue, tu souris, comme un ange, tu avais toujours su faire. Les gens t'appréciais facilement, on lui donnerait le bon dieu sans confession. Sauf que le passé t'avais ravagé, elle t'avait changé. Tu entends par la suite des cris, des mots, des indications. Le cliquetis des armes. Puis, une détonation. Avant de tomber. Que le noir obstrue ton champs de vision.
La perte s'installe.
Le sang coule.
La douleur t'empoissonne.
L'image se rétrécit encore.
Ta gorge se serre.
Ta poitrine étrangement aussi.
Et.
Plus rien.


Tes yeux se posent sur cette famille. Une mère, te souriant, tellement qu'on pourrait y voir ses molaires. Le père lui, plus timide, se contente de montrer un léger rictus, tandis que leurs fils ne t’adressais même pas un regard. Il voulait partir, peut être te fuir mais une main masculine lui en empêchait. Et bien, voila. Thibaut, je te présente ta nouvelle soeur. Tu le scrute toi, de tes petits yeux peureux. Arrivée seulement quelques semaines auparavant, tout te semblait encore qu'un rêve et à la fois un cauchemars. Tu échappais définitivement à la famille d'accueil, et si bien souvent les adoptés sont plus mignons, plus jeunes et surtout sans cicatrice, tu l'étais maintenant, adopté, par cette famille. Des inconnus pour toi, rien de plus. Tout ce que tu voulais, c'était ta soeur. Ta moitié. Ton inséparable. J'espère que vous vous entendez bien. Elle est mignonne, non ? Une vraie poupée. J'ai toujours rêvé d'avoir une fille. Ton coeur se serre d'avantage. Tu n'aimais pas cette manie, cette impression d'être son objet, de n'être qu'un chiffre, qu'un visage. Tu n'étais pas faite de porcelaine, peut être au départ, mais ta peau avait depuis bien longtemps craquelé sous le poids des responsabilités. Sous celle de la douleur. Tu étais bien plus qu'une gamine mignonne. Tu étais toi. Palmyr. Dont on avait arraché injustement les parents. Traînant dans les rues pour se nourrir, pour survivre. Toi, la survivante de ce duo infernal, qui t'avais brisé. Toi, dont une balle t'avais troué la peau. Toi, forte, féministe et indépendante. Tu ne voyais ici qu'un tremplin. Un moyen encore de sortir la tête de l'eau. Alors, tu ne bronchais pas. Tu obéis pour une fois. Et tu souris à ce pauvre con en face de toi, pourri gâté par la vie, qui ne savait pas qui tu étais vraiment. Et encore moins jusqu’où tu étais prête à aller maintenant. Sans elle.