JAGGER ROBBIES ► Ryan Cooper

ENFANCE - Je suis né à Miami dans une famille assez nombreuse. Deux parents aimants et trois sœurs. C'était une famille somme toute basique, ne roulant pas sur l'or sans être pour autant dans le besoin... Enfant, j'aidais mes parents à prendre soin de mes sœurs dès que j'en fus capable et j'ai développé dès lors ce tempérament protecteur envers les femmes. Alors que je n'étais âgé que de 10 ans et que ma mère était enceinte d'un cinquième enfant, mon père décéda des suites d'un foudroyant cancer. C'est la période dont le souvenir est le plus clair dans ma mémoire ; je revois encore ma mère s'enfermer dans la salle de bain, l'entendre pleurer la mort de son mari au téléphone avec son frère. "Qu'est-ce que je vais faire ? J'en suis pas capable, je peux pas tous les élever toute seule... et Jilly est prévue pour dans deux mois..." Elle ressortait, comme souvent, les yeux rouges et gonflés en se caressant le ventre. Elle s'agenouillait devant moi et posait sa main sur ma joue en m'adressant un faible sourire. En réalité, elle me faisait peur. Je ne comprenais pas réellement ce qu'était la mort à mon âge, mais sa réaction, sa panique alors qu'elle était toujours si calme et réfléchie, ça m'effrayait. Je sentais qu'on était mal. "Maman ?" C'était Joyce, sept ans, qui se frottait les yeux. Elle avait l'air à moitié endormie. Rapidement, je m'étais approché d'elle pour lui faire un câlin avant de prendre sa main, et je me rappelle lui avoir dit, l'air malicieux : "Maman est fatiguée. Viens, on va embêter Jaëlle et Jackie." Après un dernier regard pour notre mère, on était partis. Elle voulait être un peu seule, j'allais m'occuper de mes sœurs en attendant qu'elle se repose.
Et puis un matin, alors qu'on était tous dans la cuisine, ma mère nous a dit : "Nous allons déménager, les enfants." Je préparais le biberon pour Jaëlle, elle préparait celui de Jackie. Les jumelles étaient encore si jeunes. "Déménager ?" a répété Joyce. Elle ne comprenait pas. Et moi, je ne disais rien, mais je fulminais. "Oui, déménager. Tonton vient à New York avec sa famille, et nous allons les rejoindre." Je soupirai. Je ne voulais pas quitter Miami, c'était ma maison... la maison de mon père. Mais ainsi va la vie, et je comprends aujourd'hui cette décision. Elle ne pouvait nous élever seule, financièrement trop ric-rac, dans une maison qui lui paraissait si vide depuis la mort de son mari. Alors on a fait nos valises, elle a vendu la maison, et nous avons trouvé un appartement à New York à proximité de notre oncle Richard (jesuispasresponsabledeceprénomdemerde). J'ai pu reprendre le football américain, me refaire des amis. Mais cette fois nous étions aidés par l'oncle Harrison et sa femme, qui ont été de véritables héros pour ma mère. Elle a eu du mal à accepter leur aide financière, mais il fallait l'admettre : sans notre père, son salaire n'était plus suffisant. J'ai pu grandir avec une figure paternelle, et n'ai finalement manqué de rien. Sans eux, sans doute que ce serait différent. On leur doit tout.

ADOLESCENCE - Longtemps, j'ai été quelqu'un d'un peu effacé. Pas par choix, mais parce que j'ai du grandir plus vite que les autres. A la sortie des cours, ils se retrouvaient pour aller faire un foot. Moi je devais aller chercher mes sœurs, et j'ai rapidement trouvé un boulot pour avoir un peu d'argent de poche et essayer de mettre de côté. J'ai continué à pratiquer le football américain, qui est mon sport préféré. Je passe le plus clair de mon temps sur un terrain lorsque j'ai du temps libre. Studieux, sportif, responsable, j'ai pu eu d'espace dans ma jeunesse pour faire les conneries que tout un chacun se doit de faire. J'ai bien essayé une fois de fumer, et c'est après avoir recraché mes poumons que j'ai laissé tomber l'affaire. C'était une petite rébellion, un rien pas grand-chose, mais qui finalement m'avait donné des envies d'émancipation. Ce désir d'indépendance n'a fait que croître avec le temps, me déchirant en deux. C'est ça : on peut dire que ma jeunesse, c'est la déchirure entre deux parties de moi, mon envie d'être un peu égoïste et cette culpabilité de laisser ma famille derrière. Philipp a été mon pilier. Plus qu'un cousin, c'est devenu un indispensable à mon quotidien. Il a toujours été là pour moi et me permettait d'être moi-même, il écoutait mes déboires et m'a toujours soutenu quoiqu'il arrive. Même quand franchement, j'avais merdé. Et ça, ça vaut de l'or. Je nous revois encore, assis par terre dans le jardin, dos contre le mur et saouls comme des coings à deux heures du matin, tenant les bouteilles qu'on avait volées en scred dans le bar de l'oncle Richard. Des rires aux éclats et une complicité comme on n'en retrouve pas : voilà ce qui nous liait. Il m'a fait découvrir qui j'étais, m'a fait comprendre que j'avais aussi le droit de profiter. Et c'est pour ça qu'à 18 ans quand j'ai reçu ma lettre d'admission à Orlando, j'ai finalement décidé d'y aller. De retourner dans ma Floride natale, bien que sachant que cette fois, j'y retournerais... seul.
Je me suis alors lancé dans des études de médecine, pour devenir chirurgien esthétique. Soyons francs, le salaire de ce métier fut mon intérêt premier. Finalement, je me suis pris au jeu et ce sont des études qui me fascinent. La fac d'Orlando était bien, mais on n'avait pas de rêves de grandeur là-bas. J'y ai cependant goûté à l'indépendance, j'ai eu mes premières copines là-bas, rencontré Rylan, devenu rapidement mon meilleur pote et ça suffisait pour avoir un attachement particulier à cet endroit. Il était mon point d'ancrage, ma référence, celui avec qui je partageais tout et avec qui j'ai pris les fous rires les plus incontrôlables. Mais surtout, une fille. Le genre dont je ne pouvais pas détourner les yeux, qui m'a rendu fou.

HANNIE - "Allez, pourquoi tu veux pas me parler d'elle ?" Joyce avait toujours été une satanée curieuse, mais surtout, une sacrée fouineuse concernant ma vie sentimentale. Je ne sais pas, peut-être se sentait-elle investie d'une mission : me trouver une fille super, pour m'remercier du temps passé à m'occuper d'elle et nos autres sœurs, ou je ne sais quelle connerie. Ça me faisait rire. "N'en fais pas tout un plat, on est que des potes Hannie et moi." Silence. "Mais une pote qui te plaît." Nouveau silence, alors que je repensais à ses longs cheveux blonds tombant en cascade sur ses épaules. "Jag ?" "Pardon, j'étais perdu dans mes pensées." A l'autre bout du fil, je l'entendais s'esclaffer. Elle se foutait carrément de ma gueule et ne s'en cachait même pas, c'est beau les relations fraternelles n'est-ce pas ? "Quand t'auras fini de te payer ma tronche, tu pourras me répondre ?" J'avais bien eu des aventures, mais j'n'avais jamais vraiment envisagé de relation sérieuse, trop attaché à mon indépendance si fraîchement acquise. Cette Hannie me faisait vraiment perdre la tête. "Écoute, si tu veux l'inviter au bal de promo, t'as pas besoin d'en faire des tonnes. Essaie juste de pas te mettre à baver comme un tétraplégique muet quand tu iras la voir, tu peux faire ça ?" "Salope," avais-je simplement rétorqué avant d'éclater de rire. J'avais jamais été timide alors il n'y avait franchement aucune raison pour que ça m'arrive maintenant. "Allez je file, mais tiens moi au courant hein !" Puis elle avait raccroché.
Voilà comment ça avait commencé. Et, donc, vous vous dites : évidemment que Hannie a dit oui. Eh bien non, et je m'étais jamais senti aussi con de ma vie. Elle m'avait regardé de travers, s'était mise à rire en croyant à une blague. Faut dire que j'avais toujours répété que ce bal de promo c'était un événement de gueux pas intéressant, même lourding à souhait, et que je préférais bien largement un beer pong entre potes. L'instant d'après, elle avait tourné les talons, m'annonçant qu'elle devait bosser un peu avant de sortir le soir, et qu'on se reverrait plus tard. Échec.
J'avoue, je m'étais finalement dégonflé et je n'étais pas allé à ce bal de promo. Trop cliché, de toute manière. Le temps passait, mais Hannie ne sortait pas de ma tête, si bien qu'un soir, je l'ai embrassée : enfin. Depuis, nous sommes ensemble. On a eu des hauts, des bas, cela fait 5 ans. Ma seule vraie relation, dans laquelle je m'investissais vraiment. Mais depuis qu'elle est partie pour Harvard, je sens qu'on s'éloigne plus que jamais. La routine s'était déjà installée et l'éloignement creusait encore plus ce fossé. J'avais pourtant espéré, au contraire, que ça nous permettrait de nous retrouver, qu'un manque s'installerait... mais ce qui en découlait, c'était qu'on n'avait plus de temps à s'accorder. La complicité s'effacer en l'absence d'entretien de notre part, mais je n'étais pas prêt à laisser notre couple se briser après une si belle histoire.

Alors, j'ai pris mon sac. Mes papiers d'admission. Mes couilles. Et j'l'ai rejoint à Harvard.