MATTIA W. FAIRCHILD ► felix bujo

2001
« Maman, on invite Nova et Tata à la maison ? » Le petit garçon de sept ans regardait sa mère avec de grands yeux, annihilant toute tentative de refus de la part de cette dernière. Mattia connaissait tous les trucs pour que ses requêtes soient acceptées rapidement. Du moins, quand il ne dépassait pas les bornes, en général, ça fonctionnait. La jeune femme se concentra un instant sur sa tâche avant de reporter son attention sur son fils qui attendait plus ou moins patiemment sa réponse. Elle esquissa un petit sourire avant d’acquiescer de la tête. « On va les chercher ? » Un grand sourire illumina le visage de Mattia et sa mère eut à peine le temps de poser ce qu’elle avait en main qu’il se dirigeait déjà vers la porte. Elle envoya un message à sa sœur pour les prévenir de leur arrivée, histoire de ne pas débarquer totalement à l’improviste. Caitlyn était proche de sa sœur et après la mort du mari de cette dernière, elles s’étaient encore plus rapprochées. Certes, Caitlyn restait proche de ses autres frères et sœurs mais, entre Amélie et elle, c’était différent. C’était plus fort et plus profond qu’avec les autres. Et c’était pareil pour Mattia et Nova. Plus le temps passait, plus le lien entre les deux cousins se solidifiaient. Pourtant, Mat était loin d’être le genre de môme à faire du favoritisme entre ses cousins et cousines mais, la différence se voyait quand même. C’était eux contre le monde, au final. Parfois, elle se demandait ce que donnerait leur relation à l’avenir. Comment toute cette affection évoluerait, si ils continueraient à s’entendre aussi bien. Elle savait que certaines personnes d’une même famille pouvaient être très exclusives et Cait’ ne tenait pas plus que ça à être témoin d’un tel lien presque malsain où la possessivité mal placé d’une personne gâchait littéralement la vie de l’autre. « Dis, Maman, on pourra aller dans la cabane après ? » La cabane, c’était le lieu secret de son fils. Une sorte d’abri qu’il avait bricolé avec son frère, quand il était encore présent dans la maison, et dans lequel il passait la moitié de son temps quand ses devoirs étaient terminés. Dernièrement, Caitlyn avait aperçu des sacs de couchage ainsi que des matelas gonflables et elle s’attendait presque à ce qu’il dorme là-bas, un beau jour. Peut-être même ce soir, si Nova se montrait intéressée par une nuit presque à la belle-étoile. Après tout, il faisait beau et chaud. Au bout d’un moment, ils furent arrivés devant la maison où les attendait le duo mère-fille. Elle eut, à peine, le temps de saluer sa sœur que déjà le duo aussi adorable qu’infernale démontrait à quel point ils étaient contents de se voir.

2007
Mattia fixait avec colère la photo de son géniteur accroché au mur avec d’autres photos familiales. Il revenait de son cours de violon où tout s’était très bien passé et avait décidé de continuer à s’entraîner un peu dans le salon sauf que ses yeux étaient tombés sur cette photo. Ce cliché où ses parents semblaient heureux, tout souriants. Ça le dégoûtait. La porte d’entrée s’ouvrit et il sut que sa mère était rentrée. Il n’attendit pas qu’elle dépose ses affaires dans un coin, son impatience était bien trop grande, pour la questionner sur la présence de ce truc. « Pourquoi t’as gardé cette photo ? Tu voulais conserver un souvenir du type qui s’est barré en te laissant t’occuper toute seule d’un gamin de deux ans et d’un autre de cinq ans qui n’en faisait déjà qu’à sa tête ? Ou alors, tu penses qu’il va revenir ? Il ne reviendra pas, Maman. Il ne va pas nous chercher aux Etats-Unis. Il en a rien à foutre de nous, il en a jamais rien eu à foutre. Il est juste bon à mettre les femmes en cloque et partir quand il peut plus entendre les pleurs de ses propres gosses ! » Caitlyn regarda la rancœur de son fils envers cet homme, exploser à chaque phrase. Elle ne disait rien, bien trop choqué par ce qu’elle entendait ou constatait. Elle savait que son ex-mari était un sujet très sensible chez Mattia, qui ne ressentait qu’une énorme amertume pour lui mais, elle n’imaginait pas que c’était à ce point. « Va savoir… Peut-être qu’il est tombé sur une pauvre fille bien crédule qu’il a réussi à embobiner sous ses airs de charmeur et qu’il a mis enceinte dans la seconde de leur rencontre… Encore un bébé pour le père le plus… » Il ne finit pas sa phrase, coupé par la force de la claque que sa mère venait de lui infliger. Mattia ouvrit grand ses yeux. Dans son esprit, il ne comprenait plus rien. Jamais la femme, à qui il devait la vie, ne l’avait frappé. C’était celle qui clamait que la violence ne résolvait rien et pourtant, elle venait d’enfreindre un de ses principes. Mat releva la tête au ralenti et les mots qu’il voulait dire ne sortirent jamais en voyant les larmes dans les yeux de son vis-à-vis. Toi aussi, t’as oublié une de tes saintes règles, apparemment. Ne jamais faire pleurer ta mère. Ça te parle ? Sans un mot, il prit sa mère dans ses bras. « J’suis désolé, Maman… j’voulais pas te rendre triste… vraiment désolé… » Parfois, il oubliait que sa mère avait sincèrement aimé cet homme et sûrement que lui, aussi, l’avait aimé à sa façon. C’était juste plus facile de le haïr que de l’imaginer en homme aimant et raisonnable. La haine était toujours un choix plus facile qu’accorder un pardon à quelqu’un.

2012
« Cette nuit, j’ai fait un rêve. On était tout les deux des musiciens très célèbres. C’était tellement réaliste. J’aurais aimé ne jamais me réveiller tellement c’était parfait. » Mattia sourit en écoutant sa petite amie, sa princesse, s’extasiait devant son songe. Deux ans qu’ils étaient ensemble. Alisha était une musicienne, elle aussi. Une pianiste hors-pair. C’était un ami commun qui les avait présentés et depuis, ils ne se lâchaient plus. Une belle histoire qui avait de nombreux admirateurs et admiratrices. Un véritable fanclub qui parlait déjà mariage et gosses alors que toute cette petite troupe n’était encore qu’au lycée, certains étaient déjà à l’université mais, quand même, l’idée de fonder une famille était très loin dans l’esprit des deux jeunes gens qui rêvaient conservatoire et concert. « Ton rêve se réalisera, bébé. On y arrivera. T’es douée, vraiment. T’es parfaite. Bientôt les examens, j’espère que t’es prête. » Il prit Alisha dans ses bras avant de l’embrasser. Il aimait tellement cette fille. Il ne voyait pas sa vie sans elle et pensait que c’était réciproque, qu’ils allaient réussir à atteindre leur objectif en même temps. Dommage que l’amour de la musique d’Alisha soit bien plus fort que celui qu’elle pouvait ressentir pour Mattia. Tellement plus fort qu’elle n’avait pas hésité une seule seconde à accepter d’entrer au conservatoire alors qu’elle était consciente qu’il ne restait qu’une seule et unique place. La dernière. Elle n’avait pas renoncé à son rêve pour lui alors que lui était prêt à le faire, était prêt à attendre l’année d’après pour se donner une nouvelle chance et rentrer au conservatoire en sa compagnie. Ce jour-là, son amour pour le violon avait pris un sacré coup et son cœur s’était violemment brisé pour la première fois. La colère qu’il ressentait envers son géniteur, à une époque, n’était rien face aux ressentiments qu’il éprouvait pour cette fille qui lui avait souhaité bonne chance avec un sourire. Aucun regret. Pas de remords. Rien. Juste un triomphe qu’elle ne masquait pas. En voyant une telle expression sur son visage, son amour pour elle venait de s’envoler comme neige au soleil, remplacé par une haine viscérale. Si Mattia connaissait le moyen de faire des poupées vaudou, il en aurait fait une à l’effigie dans l’instant. Caitlyn eut la surprise de retrouver un violon en morceau et une batterie flambant neuve ainsi qu’un début de garage insonorisé. Elle ne posa aucune question mais, se douta que le conservatoire n’était plus d’actualité. Qu’il ne le serait jamais plus.

2015
Casque sur les oreilles, ordinateur allumé… Mattia était en pleine réécoute du dernier morceau qu’il avait composé à une heure tardive suite à une insomnie. Visiblement, être victime d’une nuit à moitié blanche agissait plutôt bien sur sa créativité. Cependant, il nota dans un coin de sa tête que refaire l’expérience un peu trop de fois risquait de lui poser problème à la longue. C’était un simple coup de bol, une inspiration soudaine qui l’avait mené à ce résultat. Le britannique de naissance était plutôt fier de lui et se retint d’envoyer un mail à sa mère avec le morceau rattaché en pièce jointe. Il attendrait de la voir en face à face pour voir sa réaction. « Mec, je pensais bien que tu étais là ! » Mattia fit un bond en entendant la voix de son pote, n’ayant pas remarqué que quelqu’un était entré dans la pièce. Bordel, il avait bien réservé la salle pourtant. Pourquoi les gens finissaient toujours par le trouver qu’importe où il se cachait ? C’était quoi ce karma de merde ? « J’suis toujours impressionné par ton matériel… le casque, l’ordinateur, le logiciel dernier cri… t’as même un clavier. Il te sert à quelque chose, au moins, le clavier puisque tu as techniquement tout les instruments possibles et inimaginables avec ton super logiciel ? » Damn, où était le bouton stop, déjà ? Mattia se détourna de sa mélodie pour se tourner vers son interlocuteur un peu trop bavard. « Tu t’es découvert une passion soudaine pour la composition ou t’as juste décidé de te pointer ici pour éviter une énième fille trop collante pour toi ? » L’expression choqué de Jal parlait pour lui. C’était bien une de ses trop nombreuses exs qu’il évitait. Au final, même si il ne le dirait pas à haute voix, le musicien aimait bien avoir un peu de compagnie. La solitude sur la longueur, ce n’était pas franchement son truc mais, le formuler à haute voix à un mec comme son ami était loin d’être l’idée de l’année. Au bout d’un moment, il se décida à lui faire écouter une ébauche d’un son qui dormait sur son ordinateur depuis quelques jours. Puis un autre. Et encore un autre. « T’es vraiment doué, Mat… Quand tu auras ton propre empire musical, oublie pas de produire ma soeur hein… avec tes chansons, elle ferait un carton. » Le regard navré que lança Mattia à son invité surprise eut le don de le faire arrêter de parler. « Tu veux dire… qu’elle ferait des massacres, non ? Je sais que t’adores ta sœur mais, toi comme moi savons très bien qu’elle a aucun don dans la chanson. Elle rendrait sourd son auditoire… »

2017
« Tu l’aimes ? » Mattia manqua de recracher son frappucino face à la question de sa meilleure amie. Elle avait reçu un coup sur la tête ? Une insolation, peut-être ? Il ne quittait pas le visage de la brunette des yeux, la regardant avec un air ahuri. « De Nova ? ça va pas la tête ? C’est ma cousine, tu sais. On fait partie de la même famille. » Cette phrase sonnait tellement faux dans l’esprit du garçon. Même famille… Depuis qu’un certain couple royal avait débarqué dans un certain salon, tout avait été remis en question. Depuis ce jour, plus rien n’était pareil et Mattia était complètement perdu par rapport à la jeune femme. Il ne savait plus ce qu’il ressentait, il ne savait pas si c’était normal d’aimer autant quelqu’un qu’on pensait être de sa famille depuis des années. C’était le brouillard complet dans sa tête. Tout ce qu’il désirait, c’était retrouver sa cousine adorée mais, c’était trop demander. C’était impossible. Même quand le duo arrivait à se retrouver ensemble, quelque chose dans l’atmosphère n’allait plus. Peut-être était-ce dû à cette impression d’être mis de côté ou à cette amertume qui grandissait un peu plus, chaque jour, en voyant Nova prendre plaisir à sa nouvelle vie alors que lui restait bloqué dans les souvenirs, dans le passé. « Tu ne crois pas à ce que tu dis. Je le sais et tu le sais. Ce n’est plus ta cousine et à vrai dire, ça ne l’a jamais été. Je sais que c’est dur à entendre mais, c’est la vérité. Je te vois t’accrocher à quelque chose qui n’existe plus et ça me fait peur. Je ne veux pas te retrouver en morceau. Tu te fais du mal pour rien, Mat. Nova a choisi entre son passé et son avenir. Il serait peut-être temps que tu fasses du même, tu ne penses pas ? »  Il voulait l’envoyer paître, lui dire de s’occuper de ses affaires mais, Mattia garda le silence, garda ses répliques acides car au fond, tout au fond, elle avait probablement raison. « Tu t’inquiètes pour rien. Tu vois des signes là où y’en a pas. Si je ressens un truc pour elle, c’est simplement un amour illimité mais, certainement pas comme tu le penses. J’ai grandi avec cette fille. Forcément, ça laisse des traces. Je dois juste m’habituer à la nouvelle Nova. A la princesse et pas à la gosse que j’ai côtoyé quand on était beaucoup plus jeune. Je l’aime mais, c’est différent. Différent de tout ce que j’ai pu vivre auparavant. J’ai l’impression qu’elle est une part de moi en quelque sorte et bordel, c’est dur de la laisser partir… tellement dur… » Son amie resta le regarder un moment. Elle songea à la dépendance pendant un court instant avant de changer de sujet, essayant vainement d’enterrer le mauvais pressentiment qui s’emparait de tout son être. Ça allait mal finir…