Les forces du mâle!

Et bam ! encore les pieds dans le plat ! Décidément, elle sortait de grosses conneries, ce soir. Le pire, c’est qu’elle ne s’en rendait même pas compte, sur le coup. Visiblement, quelque chose avait du mal à passer avec ce principe d’honnêteté, de parler de son ressenti à une personne de confiance. Lisbeth était loin de connaître la vie privée d’Alysse mais des dizaines de questions se bousculaient dans son esprit curieux et en ébullition. Cependant, en voyant son expression perdre de sa bonne humeur, elle se ravisa de la questionner. Il valait mieux laisser ce sujet de conversation de côté. Reprenant une gorgée de vin, la jeune femme s’enfonça dans une histoire dont elle n’était pas prête de ressortir. Ça y’est, elle retrouvait le sourire de son amie ! Et le bombardement avait commencé, avec toutes ces questions. Quoi de plus normal ? Elle venait d’attiser sa curiosité et elle aurait cherché à creuser plus profondément, elle aussi. Bon, comment se tirer de ce bourbier ? Elle n’allait pas lui balancer du but-en-blanc qu’elle s’envoyait en l’air avec son patron.

« Un PCRA ? Je suis si arriérée que ça pour ne pas savoir ce que c’est ? »

Et voulait-elle vraiment le savoir ? Un rire lui échappa alors qu’Alysse sautiller sur sa chaise, tout excitée à l’idée de quémander des réponses. Tant qu’elle ne tombait pas, ça convenait à Lisbeth. Surtout qu’elle détenait le pouvoir de faire durer le suspense. Non, elle n’allait pas dévoiler l’identité de celui qui la faisait grimper aux rideaux mais elle allait la faire deviner à la demoiselle aux boucles qui rebondissaient de chaque côté de sa tête.

« Ça fait… Euh… Presque deux mois. Il est célibataire, c’est ce qu’il m’a dit, mais j’ai tendance à le croire. Ce n’est pas quelqu’un d’Internet. »

Quant à savoir où ils se sont rencontrés… Dans une ruelle malfamée de Boston alors qu’il la coffrait, la soupçonnant d’être Wasp, le hackeur qu’il traquait depuis des mois. Et il avait réussi à la faire avouer, au poste de police. Il lui avait alors proposé de faire disparaître son dossier judiciaire en échange d’informations qu’il lui demanderait en temps voulu. Puis ils s’étaient revus au bal, quelques mois plus tard. Ne l’ayant pas reconnue, Clay l’avait d’abord complimenté sur l’immense tatouage ornant son dos avant de comprendre qu’il était assis à côté de Lisbeth aka Wasp. Comme elle s’était amusée de sa réaction ! Surtout qu’il lui avait bien fait chié au poste de police ! A son tour de jouer ! Puis elle ne sait comment, la situation avait échappé à son contrôle et… Elle l’avait embrassé. Quelques jours plus tard, il passait chez elle pour lui apporter un dossier et lui rendre son bracelet « oublié » au bar du bal. Son stratagème, pas très original, avait marché à merveille. A partir de ce soir-là, leurs rencontres nocturnes avaient débutées. Et Lisbeth avait la désagréable (ou agréable) sensation qu’une toile d’araignée se tissait lentement autour d’elle.

« Tu le connais. Je te laisse deviner de qui il s’agit. » Fit-elle d’un ton amusé.

Son cœur se mit à battre la chamade et elle se demanda si ce jeu de questions-réponses était une bonne idée. Comment réagirait Alysse face à la vérité ? Des papillons voltigèrent dans son ventre et Lisbeth se retint de rire.

Lisbeth haussa un sourcil, perplexe, avant d’éclater de rire face à la réflexion d’Alysse. Sacré Google, qui les traitait indirectement de grosses ! Bon, elle n’avait pas à s’en faire avec ses cinquante kilos tout mouillé, elle avait de la marge. Et Alysse aussi.

« PCRA… Je dirais que ça veut dire plan cul… Je sèche pour le R et le A. »

Quant à savoir si Clay avait la force de la tracter, aucun doute là-dessus. Elle toussota légèrement, amusée par ses réflexions intérieures. Bon sang, elles formaient un duo d’enfer ! Maintenant, elle attendait qu’Alysse devine qui elle voyait en secret. Enfin, pas tellement en secret, en fait. Elle se fichait un peu qu’ils soient vus ensemble car personne ne savait que le flic fréquentait une hackeuse recherchée dans plusieurs pays du globe. Ça aurait été un peu plus compliqué, sinon. Pour le moment, vu que leur relation était en partie sexuelle, elle ne voyait pas pourquoi ni comment ils s’afficheraient, à moins de s’envoyer en l’air dans la rue, ce qui était fortement déconseillé.

« Attends, tu penses à qui, là ? »

Non, parce qu’effectivement, elles avaient une seule connaissance connue en commun mais qu’est-ce qui leur disait qu’elles ne connaissaient pas d’autres personnes sans le savoir ? Bon sang, c’était compliqué ! En y réfléchissant, Lisbeth se demandait si quelqu’un pouvait se douter qu’ils se fréquentaient en les voyant ensemble. Aucune idée.

Lisbeth leva les yeux au plafond d’un air faussement exaspéré quand Alysse lui parla de ce fameux Mario. Un peu plus et elle laissait échapper un « Oh my god… » mais elle se retint et finit par rire. Sacrée Alysse, toujours le mot pour rire ! Mais non, ce n’était pas lui l’heureux élu (fort heureusement, d’ailleurs). C’est alors qu’elle vit du soda dégouliner des coins de la bouche de son amie si bien que Lisbeth éclata de rire alors qu’elle se reprenait à peine. Elle se leva pour aller chercher de l’essuie-tout qu’elle ramena sur l’ilot central où elles étaient installées tout en riant comme une folle. Pas de doute possible, elle comprenait qu’Alysse avait deviné l’identité de l’homme qu’elle voyait de temps en temps… Souvent… Bref ! A son tour de lui sortir un « avale ! » tout en riant.

« Si tu n’as plus de mes nouvelles un de ces jours, appelle les urgences pour leur dire que c’est soit un empoisonnement soit un assassinat. »

Effectivement, Annalynne n’était absolument pas ravie de cette relation alors même qu’elle était séparée de Clay. D’un certain côté, Lisbeth pouvait la comprendre : ils avaient un enfant ensemble et donc une relation particulière les lierait toujours. Toutefois, elle se ficherait pas mal si, par exemple, Maverick se mettait en couple avec quelqu’un. Donc elle ignorait tout bonnement la réaction de la femme d’affaires et cherchait le moins possible à la revoir alors qu’un début d’amitié avait commencé à voir le jour juste avant toute cette histoire.

« Tu te rappelles le soir du 4 juillet ? Et bien elle l’a appris à ce moment-là. Tout comme c’est là que Clay a su qu’on s’était rencontré dans un accident de voiture et qu’elle ne lui avait rien dit alors que Tobias était avec elle… Mes côtes se souviennent encore de la collision, d’ailleurs… Bref, depuis ce soir-là, c’est la guerre froide. »

Lisbeth observait chacun des mouvements de son amie : quand elle s’essuya la bouche, puis la table, avant de jouer avec la serviette en papier. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle quittait son perchoir pour se diriger vers son réfrigérateur. Elle l’ouvrit et plissa les narines d’un air dubitatif. Elle referma la porte et opta pour un des placards duquel elle sortit un paquet de chips. Oui, d’accord, c’est de la malbouffe, et alors ? Elle revint s’asseoir en face d’Alysse tout en ouvrant le sachet qu’elle mit entre elles. Elle fourra une chips dans sa bouche tout en réfléchissant à la question de son amie.

« J’pense qu’on peut retirer le mot « guerre ». On va dire que l’ambiance est froide. Pour tout t’avouer, je ne sais pas trop comment réagir : est-ce que je dois la saluer au risque de me faire rembarrer ? J’ai l’impression qu’au moindre geste, à la moindre parole, la foudre va s’abattre sur moi. Alors je préfère lui adresser une sorte de hochement de tête quand je la vois et ne rien dire. Je n’ai pas peur d’elle mais je ne veux pas empirer la situation. C’est complètement con, je sais… »

Un léger soupir lui échappa : qu’est-ce que Clay pensait de cette histoire ? Elle l’ignorait mais il devait sûrement s’en amuser un peu, non ?

« J’en sais rien… On évite le sujet ou plutôt, personnellement, je ne vois pas l’intérêt d’en parler. J’essaie de faire en sorte que quand on est les deux, il n’y a que nous. »

Incruster Annalynne ou une autre personne entre eux, non, jamais. De plus, ils n’allaient pas perdre leur temps à discuter des autres (ça n’avait jamais été dans les habitudes de Lisbeth et ça ne le sera jamais).

« Tu es la seule à le savoir… Avec Anna, bien sûr. » Acheva-t-elle en souriant.

Pour la première fois, Lisbeth dévoilait une partie de sa vie privée et ça lui faisait bizarre de se mettre ainsi à nue. Elle qui était plutôt discrète, mystérieuse, tout le monde la croyant sans vraiment d’attache ni même de vie amoureuse se révélait être quelqu’un avec un cœur (oui, oui, Lisbeth Larsson en possédait bien un) et capable de ressentir des sentiments. Non qu’elle en ressentît pour Clay mais, malgré tout, elle s’attachait à lui et aimait cette ambivalence entre le fait qu’elle se disait qu’elle devrait le détestait alors qu’elle l’appréciait. Ça mettait un goût douçâtre à leur relation. La première fois qu’ils s’étaient retrouvés dans le même lit, elle avait pensé que la chose ne se reproduirait jamais. Faux ! Elle s’était foutu le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Et, depuis qu’elle l’avait impliqué dans toute cette histoire de tentative de meurtre contre sa personne, elle ignorait ce qu’elle devait penser du fait qu’il s’était proposé de l’aider. Mieux encore : il lui avait demandé d’être prudente et d’être accompagnée. S’inquiétait-il pour elle ? Peut-être à sa façon… Elle revint à Alysse qui essayait de s’exprimer et regarda son poing s’abattre contre sa paume. Très… Éloquent.

« Ne t’en fais pas, je sors de ma bulle très rapidement. C’est à peine si je crois à la réalité de ce qui se passe alors c’est plus facile d’en sortir. Je ne me suis pas encore fracassée contre le mur de la réalité, je te rassure. »

Et bam ! A son tour d’abattre son poing contre la surface en tek. Décidément, si elles continuaient ainsi, elles finiraient par abimer quelque chose. Sa main se ramena vers son verre pour le soulever et boire une grande rasade de vin. Elle se resservit ensuite un verre.

« Allez, parle-moi de Clay : comment il est au travail ? Il me semble qu’il t’a prise en grippe, je me trompe ? »

Rien ne lui avait échappé : sa manière de s’adresser à elle, comme si tout était toujours de sa faute. Il aurait même pu l’accuser du tsunami survenu en Thaïlande en 2004 s’il l’avait pu. Du moins, c’était l’impression que Lisbeth avait. La dernière pic en date était à la kermesse, quand il l’avait appelée en criant quand un gamin lui avait foncé dedans, renversant le contenu de son verre sur son haut blanc. Lisbeth était venu à la rescousse de son amie, un peu amusée parce qu’Alysse se trouvait loin de lui, près du château gonflable.