Lisbeth & Jeffrey - Alone under the moonlight

Lisbeth plaisantait à moitié en faisant comprendre à demi-mot qu’ils avaient la paix grâce aux étudiants partis au Summer camp. Le décès de Loïs la rendait un peu plus sceptique quant à ce camp d’été mais si un de ses proches devait s’y rendre, elle n’en ferait pas tout un fromage. Elle serait plutôt inquiète, se rappelant l’accident de son amie. Un nouveau sourire vint adoucir son visage alors que Jeffrey exprimait le fait d’être rassuré en retrouvant sa binôme d’antan. Elle lui envoya une légère bourrade à l’épaule, doucement, tout en riant. Ça y’est, elle se faisait passer pour une droguée de l’informatique ! Ce qui était entièrement vrai. C’était sans compter ses activités illégales comme le hacking et ses quelques travaux effectués pour des clients plus que fortunés en quête d’informations sur des personnalités haut placées. Elle se savait protégée par ces gens car si elle tombait, ils la suivraient dans son sillage. Pas étonnant qu’elle ait pu se payer ses appartements de Stockholm et celui de Boston. Mais c’était sans compter les dommages et intérêts reçus lorsqu’elle avait gagné son procès. Accusée injustement d’un triple homicide il y a de cela presque deux ans, elle avait finalement été innocentée après avoir récolté toutes les preuves nécessaires grâce à des gens qu’elle considérait comme ses amis à présent. Mais c’était le passé.

Son annonce avait fait mouche et elle retint un gloussement. Mais finalement, elle n’y tint plus en entendant ses remarques.

« Oui, n’hésite pas à me contacter en cas de besoin ! Je n’ai pas encore de projet précis mais l’intelligence artificielle me tente bien… On peut faire tellement de choses dans plein de domaines grâce à elle. »

En fait, elle était intéressée par tellement de choses que le choix allait être difficile. Entre l’intelligence artificielle, la nanotechnologie, le génie informatique, la programmation… Le choix était vaste ! Lisbeth finit par s’allonger sur le sable, la tête sur sa jaquette. Son regard se fixa sur les milliards d’étoiles illuminant le ciel.

« Parle-moi un peu des étoiles… »

Était-elle en train de lui demander une sorte de cours privé ? En tout cas, ça en avait tout l’air.

Lisbeth avait fini par faire une petite place à Jeffrey en se décalant légèrement sur le côté. Elle savait qu’il était beaucoup plus intéressant d’observer les étoiles dans cette position plutôt qu’à se flanquer un torticolis en gardant la tête levée. Etrangement, elle se sentait apaisée en fixant cette étendue noire parsemée de points brillants. Un peu comme Jeffrey l’avait prédit un peu plus tôt. Elle écouta son récit concernant Cassiopée, qui semblait être sa constellation préférée. Elle trouva bien vite lesdits quatre sommets puis l’aigle. Le ciel lui parlait, dévoilait ses secrets, et elle s’en émerveilla. Petit à petit, les battements de son cœur se calmèrent pour devenir lents et réguliers. Andromède… Oui, elle la repéra aussi grâce à sa forme en A. Puis ce fut le tour de Persée et de Pégase d’entrer en scène. Lisbeth avait l’impression de suivre une histoire grandeur nature. Elle long frisson parcourut son échine alors que la brise venait encore jouer avec les pans de sa robe, dévoilant à nouveau ses cuisses. Son visage fut caressé par le doux souffle de l’Atlantique alors que le récit du jeune homme allongé à ses côtés se terminait. Elle avait perçu l’émerveillement de son ami et elle comprenait pourquoi l’astronomie le passionnait tant. Ce n’était pas qu’une question de calculs savants et de théories et elle s’en rendait compte à présent.

« Ouah… » Laissa-t-elle échapper dans un murmure après de longues secondes de silence.

Elle eut du mal à détacher ses prunelles des cieux pour regarder Jeffrey. Elle aurait pu l’écouter parler longtemps, surtout si c’était pour entendre des histoires aussi apaisantes. La jeune femme voyait son ami sous un nouvel angle : après tout, ils s’étaient toujours rencontrés dans l’univers des salles de travaux pratiques. Mais ce soir, tout était différent. Une rencontre impromptue. Une sacrée coïncidence.

« Tu la racontes souvent, cette histoire ? Je suis certaine qu’elle fait fureur auprès de la gente féminine ! »

Se décalant légèrement vers lui, elle sentit leurs bras s’effleurer doucement. A cet instant, elle se dit qu’elle avait eu raison de sortir de chez elle pour une balade au clair de lune.

« Il y a un magnifique endroit pour observer les cieux : chez moi, en Suède. Particulièrement l’hiver. On a l’impression que le ciel est pur, clair, beaucoup moins pollué qu’ici. »

Lisbeth dégagea une mèche de cheveux qui était venue se perdre sur son visage éclairé par la lune.

Lisbeth ne pensait absolument pas à mal quand elle avait fait cette réflexion à Jeffrey. Elle observa l’expression de son visage et se rendit compte trop tard que sa remarque allait se retourner contre elle. Sa rétorque fut à la hauteur de ce qu’elle aurait répondu si elle avait été à sa place. Concernant une hypothétique visite en Suède, elle ne put s’empêcher de rire. Sur ce coup, elle s’était bien fait avoir. C’est qu’il avait du répondant, son cher ami ! La jeune femme secoua la tête et reporta son attention sur le spectacle qui s’offrait à eux.

« Oui, je dois avouer que ça aurait marché sur moi. Et ce n’était pas le but ! Enfin… Si tu veux venir un jour en Suède, tu sais qui appeler. Et qu’est-ce qu’il aurait fallu que je fasse pour que tu viennes ? »

Elle s’enfonçait dans son jeu sans hésiter, amusée par la tournure qu’avait pris une simple phrase. Ses ennuis et sa tristesse étaient bien loin, rangés dans un coin de son esprit. Mais une fois qu’elle quitterait cette crique paradisiaque, tout lui retomberait dessus. Elle allait rentrer chez elle, voir les quelques cartons empilés dans l’entrée et éviter la chambre qu’avait occupée Loïs durant deux semaines. Puis elle irait se coucher et chercherait le sommeil. Mais le trouverait-elle ? Mais pour le moment, ce futur n’était pas encore arrivé. Pour le moment, seul comptait le moment présent.

Et oui, elle en avait, du répondant ! Elle ne se laissait pas intimider aussi facilement ! La preuve quand Clay l’avait arrêtée quand il avait démasqué son identité sur le Darknet. Même si elle s’était sue foutu, elle n’en avait pas moins conservé son sang-froid alors qu’elle se trouvait dans les locaux de la police. Toutefois, elle était impatiente de voir comment Jeffrey allait se dépêtrer de cette situation. Le silence s’éternisait et, petit à petit, Lisbeth voyait le malaise monter en lui et la fierté l’envahit. Ahah, aurait-elle réussi à le troubler ? Et bien non, pas cette fois ! Une expression de frustration lui échappa quand il lui répondit et elle donna un coup sur le pauvre sable. Elle en prit ensuite une poignée et le laissa glisser entre ses doigts fins.

« Je ne suis pas une fille facile, également. Y’a du travail à effectuer des deux côtés. »

La jeune femme lui adressa un sourire malicieux avant de se redresser. Elle serait bien restée allongée sur le sable toute la nuit mais Jeffrey avait raison : il était temps de rentrer. De plus, elle était encore toute décalée à cause du décalage horaire. Peut-être que le sommeil lui échapperait et pas seulement à cause de ses réminiscences. Elle épousseta le sable qui s’était accroché à sa robe noire avant de se relever. Elle tendit sa main à son ami pour l’aider à en faire de même. Et elle avait bien plus de force qu’elle n’en laissait paraître.

« Tu es sûr de vouloir me raccompagner ? Je n’ai pas envie de te faire faire un détour, non plus. »

Elle ramassa sa jaquette et la secoua pour la débarrasser du sable accumulé dessus. Lisbeth aurait voulu rester encore un moment mais toutes les bonnes choses ont une fin, non ?

Jeffrey avait pris la main que lui offrait Lisbeth pour se lever. Après avoir ramassé sa jaquette et s’être battue un moment avec les grains de sable accrochés à ses vêtements, la voilà prête à retourner à la civilisation. Son ami lui avait proposé de la raccompagner et, comme à son habitude, Lisbeth émit une réserve, craignant qu’il ne fasse un détour pour rien. Et puis il commençait à se faire tard et elle ne voulait en aucun cas l’embêter. C’était connu, elle était une véritable tête de mule, indépendante, qui montrait toujours son côté de battante. Mais ce soir, le jeune homme avait aperçu une toute autre facette de son ex-binôme. Une partie d’elle-même qu’elle ne montrait que trop rarement, voire jamais. La voir à ce point triste sembla faire prendre conscience à Jeffrey qu’il se refusait à la savoir seule. Lisbeth resta plantée là alors qu’il lui avouait vouloir prendre soin d’elle pour la nuit à venir et qu’il était prêt à l’emmener de force chez lui. Toutefois, il souligna un fait important : elle seule pouvait décider et les cartes étaient entre ses mains. Son teint avait viré au rouge qui, heureusement, était à peine perceptible sous cette nuit claire et étoilée. Jamais personne n’avait jamais exprimé une telle envie de prendre soin d’elle, de la protéger. C’était comme si tous les filtres à la parole s’en étaient allés et qu’il avait exprimé ce qu’il avait sur le cœur. Il y a des mois de cela, la jeune femme lui aurait gentiment fait comprendre qu’elle était capable de se débrouiller seule et qu’elle n’avait pas besoin de lui. Oui, elle était alors froide comme la glace. Elle l’était toujours mais avec plus de modération.

« Cette barrière est toujours là mais plus avec toi. »

Et rares étaient les personnes ayant le privilège de pouvoir lui parler de la sorte sans s’attirer ses foudres. Jeffrey avait depuis longtemps brisé sa carapace et, petit à petit, elle le laissait entrer. Une unique question se posait : était-elle disposée à le laisser passer la nuit chez elle ? Elle se rappela alors les cartons et la chambre pratiquement vidée des affaires de Loïs et un frisson désagréable la secoua. Elle enfila sa jaquette et ramassa distraitement ses sandales abandonnées sur le sable. Elle devait se l’avouer : l’idée d’être chez elle, seule avec ses souvenirs, à cogiter, lui flanquer presque la nausée tant elle redoutait cet instant. Habituée à affronter seule ses soucis, elle eut de la peine à articuler les paroles suivantes :

« Ce soir, tu l’emportes largement face à moi, Jeff. »

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Lisbeth lui faisait ainsi comprendre qu’elle avait besoin de lui et que, pour une fois, elle acceptait qu’on s’occupe un peu d’elle. Peut-être allait-elle se libérer d’une partie de ce poids écrasant résident sur ses frêles épaules. En tout cas, elle était contente que son ami ait surgi de nulle part et qu’ils soient là, tous les deux.