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Art of nonsense
ruben & lily
Toute la nuit elle y avait pensé, à ce projet qui ne l’avait pas quittée. L’idée avait germé dans son esprit quelques jours plus tôt, alors qu’elle pérégrinait en ville en sortant du musée des Beaux-Arts. Elle avait croisé un homme qui déambulait lui aussi, rendu léthargique par une vieillesse qui l’accablait. Les manches de son pull retroussées sur ses avant-bras, une dégaine presque vacillante, il était tatoué jusqu’aux coudes, et les dessins encrés sur sa peau avaient subi l’usure du temps autant que leur propriétaire. Allez savoir pourquoi, mais l’image de l’homme s’était gravé contre sa rétine comme une évidence, comme un sujet qu’il lui faudrait peindre tôt ou tard. Pas la vieillesse, ni la décrépitude du corps. Non, cela elle le peindrait autrement. Mais ces gravures éternelles qui sillonnaient sa peau, traçaient une histoire dont lui seul possédait réellement les clefs. L’art du tatouage était quelque chose dont Lily s’était toujours tenue éloignée bien qu’elle admira la maîtrise de ceux qui s’y adonnent. Dessiner le corps sur une toile est une chose, encrer directement sur ce dernier en est une autre. L’idée était survenue alors : celle de peindre une histoire enchâssée, sous les traits d’un homme ou d’une femme qui aurait gravé la sienne sur son épiderme. Tout le monde aujourd’hui se tatouait, mais cela n’avait plus aucun sens. Et Lily voulait un modèle censé, un modèle dont chaque esquisse aurait été réfléchie avant d’être inscrite sur sa chair. Un soir, à une heure indue, alors qu’elle ne trouvait pas le sommeil lors d’une nuit qu’elle passait toute seule sans la compagnie de Lawrence, elle posta l’annonce sur internet. Simple. Concise. « Cherche modèle pour peinture. Homme ou femme. De multiples tatouages, censés, ou surréalistes, à la guise de celui qui les a pensés. » Évidemment elle n’avait pas obtenu de réponse tout de suite, commençant à se dire que son idée était peut-être trop incongrue pour être portée par d’autres. Mais contre toute attente il lui avait répondu, sombre inconnu dont le pseudonyme virtuel ne lui avait rien indiqué de particulier. Certains diraient qu’elle frôlait l’inconscience, mais elle lui avait donné l’adresse de son appartement comme point de rendez-vous, un jour où ils étaient tous deux disponibles. C’était là qu’elle peignait, après tout, n’ayant pas encore la possibilité d’avoir un atelier à part entière.
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