CHAPTER ONE
Le regard perdu dans le paysage depuis les hauteurs de Los Angeles, je fermais les yeux un instant afin d'inspirer un grand coup. Puis, je me retournais vers Oscar, mon ami d'enfance. Il avait un visage tendre, des cheveux légèrement ondulés qui dansait avec la brise. Je posais délicatement ma tête sur son épaule. Je le connaissais depuis si longtemps, du bac à sable à la première cigarette. Qu'importe l'adolescence, le début de la liberté, il était toujours à mes côtés. Ses parents possédaient la maison voisine à la mienne, son père était militaire et il s'entendait plutôt bien avec le mien.
« Oscar, tu crois qu'on se connait vraiment ? Je veux dire, on est tout le temps ensemble mais des fois j'ai l'impression de ne pas te connaître du tout. Et si demain, tu changeais complètement ? » J'étais du genre à me poser beaucoup de questions, à enquiquiner la terre entière pour comprendre la moindre petite chose. Je n'étais pas gênée ni timide, plutôt du genre à foncer sans réfléchir, plutôt du genre à crier sans anticiper les répercutions de mes paroles. Oscar me connaissait et ma question le faisait sourire. On dit toujours que les filles sont plus rapidement matures que les garçons, mais avec Oscar c'était le contraire. Je me la jouais toujours petite fille lorsque j'étais à ses côtés et il acceptait le rôle que je lui donnais avec plaisir. J'étais proche de mon grand frère, il était mon protecteur à la maison, celui sur qui je pouvais compter pour faire toutes les bêtises du monde mais en dehors, je me sentais plus en sécurité avec Oscar.
« Peut-être que tu me demandes ça parce que tu as quelque chose à cacher Thomspers ». Je n'étais pas la seule à me poser des questions, Oscar depuis quelque temps n'arrêtait pas d'enquêter sur mes parents, il trouvait leur comportement étrange. De toute évidence il fabulait et je ne savais plus quoi faire pour lui prouver. Je me relevais avant de lui donner un coup d'épaule sans être tendre. Il était peut-être mon meilleur ami mais je ne l'épargnais pas, j'étais une tête brulée et je préférais me casser une côte plutôt que de céder face à la peur.
« Tu vas arrêter ! Si c'était possible, j'aimerais bien que tu rentres dans ma tête, pour voir que tu sais tout. Et toi, tu serais capable de le faire ? ». J'aimais Oscar d'un amour étrange, ce n'était pas de l'amour traditionnel mais un amour bien plus fort, celui qui vous unit pour la vie sans vous mettre la bague au doigt. Je n'imaginais rien de romantique entre nous, seulement de l'amitié, la vraie. Avant qu'il puisse répondre, je sentais une vibration dans la poche de mon fidèle jean. Mes parents.
« Merde, je dois filer, une urgence familiale, on s'appelle demain ? » dis-je en déposant un baiser furtif sur sa joue. Je consultais ma montre, le prochain bus partait dans deux minutes et je devais courir si je ne voulais pas être en retard. J'étais assez libre, mes parents n'étaient pas à cheval sur l'éducation et l'autorité mais il y avait bien une chose sur laquelle ils ne négociaient pas : la famille.
CHAPTER TWO
Il attrapait mes menottes et je dansais dans son regard, telle une ballerine en perdition, celle qui ne sait que faire de ses pieds pendant que la foule l'observe et enregistre chacun de ses mouvements. Je me trouvais donc devant le fait accompli, celui de la fin de ma vie. Ou était-ce le début ? Je souriais bêtement à l'inspecteur malgré une larme le long de ma joue balayée du revers de la main. Tout s'effondrait d'un seul coup, et lorsque cela arrive, personne ne vient vous mettre en garde, rien ne vous prépare au jour où la police vient frapper à votre porte. Rien. Malgré tout, il faut affronter, garder la tête haute. J'avais encore en mémoire le regard d'Oscar qui m'avait complètement transpercé. Il avait ouvert la porte de sa maison avant de capter mon regard, observant la scène tel un spectateur qui trouvait enfin ses réponses. C'était le dénouement pour lui qui pensait depuis si longtemps que mes parents jouaient un rôle : son attitude ne trompait pas, il était déçu mais quelque part, satisfait. Le pire était qu'il pensait que je savais. Il pensait que j'étais une menteuse. Mais je n'avais plus la force de vouloir me battre pour lui, pour notre amitié. Cette arrestation signait nos adieux, notre dernier échange, silencieux.
Dans les locaux du FBI régnait une ambiance de guerre froide, celle qui malgré l'abdication soviétique laissait un goût amer dans les mentalités américaines, celle qui aujourd'hui se répercutait toujours sur les relations avec la Russie. Une ambiance qui s'était transformée en fiasco, une guerre froide qui avait transformé ma vie. Ou alors, une guerre froide qui m'avait donné la vie. J'étais le fruit de deux espions russes, le fruit de deux personnes qui ne s'aimaient point et qui avaient dû copuler afin de maintenir leur couverture aux yeux des bonnes familles américaines. J'étais le fruit d'une guerre impossible et de la section des « illégaux », des agents formés par le KGB pour s'installer aux Etats-Unis. Mais un fameux soir de 2010, les médias s'emparaient de l'affaire qui allait déchaîner les prochaines heures dans le monde entier : l'arrestation de deux espions russes à Los Angeles. Mes parents. Bien qu'innocente et ignorante du haut de mes seize ans, je n'étais pas épargnée : interrogatoires et intimidation étaient mon quotidien pendant plusieurs semaines lorsque je n'étais pas dans les locaux des services sociaux. J'étais si jeune. Que pouvais-je leur raconter ? J'étais perdue, démunie face aux inspecteurs et agents du gouvernement. Séparée de mon frère et de ma soeur ainsi que de mes parents, j'espérais secrètement que tout se termine vite, qu'importe l'issue. Durant ces semaines je perdais à grande vitesse mon innocence, laissant de côté mon ancienne vie, affrontant la dure réalité de qui j'étais réellement. Je construisais une nouvelle Nolita qui ne serait plus jamais la même.
« Nolita ? », une jeune femme entrait lentement dans le dortoir. Assise dans un coin, j'enlaçais mes jambes d'angoisse. La peur ne me quittait plus, j'étais pétrifiée la plupart du temps, tel un être sans sentiments ni expressions. Elle s'approchait, se mettait à ma hauteur avant de s'emparer d'une mèche de cheveux pour la déplacer derrière mon oreille. Son regard était différent des autres : pas de haine ni de frustration, seulement de la bienveillance. J'avais peut-être seize ans mais lorsque le FBI était venu frapper à ma porte, j'étais redevenue l'espace d'un instant une petite fille, celle qui avait peur dans le noir.
« Je sais que ce n'est pas facile pour toi, mais tu vas pouvoir partir d'ici. La Russie et les Etats-Unis ont décidé d'un commun accord de vous ramener dans le pays d'origine de tes parents ». Je restais silencieuse, essayant de mettre en place les éléments dans ma tête. J’étais persuadée que mes parents allaient être condamnés à mort, la peine n’étant pas interdite aux Etats-Unis ou alors jetés en prison pour le reste de leur vie. Je n’arrivais pas à réaliser, cela était trop beau pour être vrai : comment partir, sans aucune condamnation ? Un bref instant, mes racines américaines prenaient le dessus sur l’amour pour ma famille, je les voyais comme des traîtres, ce qu’ils étaient. Je ne percevais pas encore que j’étais russe et que j’allais perdre la seule nationalité que je connaissais. Néanmoins, je décidais de me lever, cela pouvait sembler insignifiant mais cette nouvelle me donnait une force inespérée, celle qui allait changer ma vie.
« D’accord » dis-je simplement avant de rassembler mes affaires, prête à affronter mon nouveau foyer.
CHAPTER THREE
L'avion de l'armée russe venait d'arriver à destination, mon sac sur le dos je prenais ma petite soeur dans les bras avant de descendre sur le tarmac. Le froid s'emparait de l'ensemble de mes membres, je me trouvais alors devant un paysage recouvert d'un voile blanc qu'était la neige. Le soleil était caché par la brume et un ciel gris, j'en venais à me demander si le soleil existait dans ce pays. La Russie me semblait si grise et peu accueillante, je fermais les yeux afin de me rappeler le soleil californien tant apprécié par ma peau. Los Angeles me manquait tellement, j'étais nostalgique et je n'avais plus envie d'essayer de le cacher. Mes sentiments étaient partagés entre le bonheur de retrouver mes parents et la colère de quitter mon pays qu'étaient les Etats-Unis. Mes parents étaient silencieux, ils ne s'étaient pas excusés. Rien du tout. Ma mère nous avait simplement expliqué, en une phrase que le patriotisme était sa plus grande qualité. J'avais discrètement levé les yeux au ciel face à tant d'hypocrisie. J'aimais mes parents mais je me demandais comment ils pouvaient rester si insensibles face à nous. Je me demandais alors s'ils nous aimaient vraiment, peut-être qu'à leurs yeux nous étions seulement des armes de guerre pour leur assurer une bonne couverture ? De plus, mon patriotisme revenait aux Etats-Unis, j'étais américaine, comment pouvait-elle me demander de l'être vis-à-vis de la Russie ? Terre hostile, j'avais baigné depuis mon enfance dans un scepticisme à l'égard de sa terre de naissance. Après plusieurs rencontres, beaucoup de paperasse, je sombrais dans le sommeil sur la banquette d'une voiture qui nous menait dans notre nouvelle maison. Je ne comprenais absolument rien au Russe et lorsque j'osais parler anglais, je me sentais dévisagée. La guerre froide n'était pas terminée, elle était toujours présente, quelque part, bien cachée mais je pouvais le ressentir, cela n'avait jamais été aussi fort. Il y avait toujours une certaine hostilité entre les deux pays et nous, enfants d'espions russes patriotes, élevés selon le mode américain, nous étions au coeur de cette hostilité.
« Nolita, Nolita, réveille-toi, on est arrivé ». Ma petite soeur me tirait de mon sommeil, je passais la tête par la fenêtre, une grande bâtisse dans un style inconnu. Un homme se tenait devant la porte avec une fille aux cheveux châtains, assez grande. J'enroulais une écharpe autour de mon cou avant de sortir, suivie de mes parents.
« Bienvenue, moi c'est Daniel et voici Zoya, ma fille ». Je restais silencieuse, croisant le regard de Zoya qui me souriait sans timidité. Son anglais était parfait et les premières interrogations naissaient. Du coin de l'oeil, j'observais le long couloir avant d'apercevoir un diplôme où figurait le nom complet de Daniel. Il s'appelait également Thomspers et je fronçais les sourcils, j'avais toujours pensé que mon nom était une énième invention du KGB pour la couverture de mes parents. Or, ce n'était pas un nom d'emprunt, la famille Thomspers était installée aux quatre coins du monde et ils avaient pensé plus judicieux de garder leur nom « passe-partout » pour être plus crédible. Je ressentais un certain soulagement, celui de pouvoir garder une certaine identité, j'étais si perdue et désarçonnée. Néanmoins, mon silence ne trahissait plus de la peur et de la tristesse mais une force qui grandissait lentement. La force de me retrouver, de vouloir me forger une nouvelle identité, la force de rebondir. Mes parents n'étaient pas moi, leurs choix ne devaient plus me définir, plus jamais. J'aimais ma famille mais je ne l'aimais pas au moins de me laisser détruire par leurs choix, par leurs côtés sombres. Même Daniel n'était pas un ange, il était de la mafia russe. L'honnêteté n'était pas de mise dans notre famille et je ne pouvais plus accepter tant de mensonges, il y avait des enfants partout, des histoires plus loufoques les unes que les autres. J'apprenais tout cela rapidement et mon envie de partir ne faisait que de se renforcer.
Je finissais mes études dans une école américaine car je ne pouvais m'en sortir avec le russe, incapable de l'apprendre correctement, je me rattachais à l'anglais aveuglement. Une fois la majorité atteinte je décidais de m'installer au centre de Moscou afin de quitter un foyer qui ne me correspondait plus.
CHAPTER FOUR
Vivre seule était un réel soulagement, je découvrais les joies de la jeunesse et de la liberté. Moscou n'était pas une ville si terrible, mon russe s'améliorait au fur et à mesure que je sortais et que je rencontrais des jeunes hommes pour une nuit. Je n'avais pas coupé les ponts avec ma famille mais je tenais à rester à l'écart pour ne pas baigner dans toutes ces affaires qui animaient leur quotidien. Néanmoins, mon bonheur éphémère s'était transformé, une personne avait suffi à tout bouleverser, à me faire tout remettre en question. C'était au printemps, je me rendais dans la demeure de Daniel pour l'anniversaire de ma petite soeur, Zoya m'accueillait avec un jeune homme à ses côtés. Immédiatement j'étais sous le charme, ce n'était pas mon genre de m'éprendre d'un physique ni même de quelqu'un d'ailleurs. J'étais glaciale, je n'aimais pas m'attacher et encore moins faire dans le romantique. Je sortais de la voiture, un sourire aux lèvres avant de le saluer cordialement, il s'appelait Milo et faisait un échange depuis la Nouvelle-Calédonie avec Zoya, le tout financé par mon oncle.
« Tu fumes ? ». J'avais décidé de rejoindre Milo dans le parc du manoir, je lui tendais une cigarette. Sans pouvoir l'expliquer j'avais besoin de lui parler, d'en apprendre plus. Cela ne me ressemblait tellement pas.
« Pas habituellement, mais pour toi je peux faire une exception ». Je souriais à sa remarque, tout avait commencé par cette simple phrase, toute bête. De fil en aiguille, on avait commencé à se voir. En passant plus de temps dans mon appartement que chez Daniel, son échange linguistique se comprenait au sens littéral et je me réjouissais de cette nouvelle aventure. Milo n'était pas le genre de garçon que j'avais l'habitude de fréquenter, il était différent, il avait ce petit quelque chose qui me faisait le bader pendant des heures lorsqu'il roupillait à côté de moi. Je m'amusais à jouer avec ses cheveux à longueur de temps, à l'embrasser en oubliant tout ce qu'il pouvait se passer dans ma vie et dans la sienne. Milo était à son tour, un bonheur éphémère, il allait partir pour rejoindre Harvard aux Etats-Unis. Lorsqu'il me disait dans des discours endiablés à quel point il nous voyait tous les deux là-bas, je n'osais pas le contredire, que pouvais-je faire ? Lui expliquer qu'un jour dans ma vie, j'avais été américaine et qu'aujourd'hui je ne pouvais plus y retourner ? Alors, je le laissais aller à ses divagations, m'autorisant même à rêver d'un futur à ses côtés. La routine ne me faisait pas peur, l'espace de trois mois j'avais perdu ma férocité, mon coeur de pierre et ma froideur pour laisser place à quelque chose qui pouvait s'apparenter à de l'amour. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et Milo devait s'envoler pour la réputée université.
« Tu me promets que tu vas me rejoindre, bientôt ? ». Il déposait un baiser sur mes lèvres, je lui rendais avec intensité retenant mon émotion. L'hôtesse faisait le dernier appel pour son vol et je n'osais le laisser partir sans lui dire la vérité. Mais, mon cerveau en le voyant avec son sac-à-dos et son grand sourire s'était fermé d'un seul coup. Pas d'avenir, rien du tout.
« Oui promis » dis-je dans un mensonge avant de le laisser s'envoler pour l'autre bout du monde. Mes dernières paroles à son égard étaient des balivernes, j'avais décidé de ne plus jamais rentrer en contact avec lui, pour ne pas souffrir et pour qu'il puisse aller de l'avant. La bonne chose à faire aurait été de tout lui dire, la vérité. Mais j'en étais incapable, le silence était parfois la meilleure des armes pour se protéger. Le temps avait continué de filer, mes veilles habitudes étaient redevenues d'actualité jusqu'à ce que tombe sur une photo de ma cousine Calypso, elle se trouvait à côté de Milo. Il semblait si heureux, elle aussi d'ailleurs. Cela me faisait un pincement au coeur, mais cela me servait aussi d'électrochoc. Les gens étaient et pouvaient être heureux, et moi je ne pouvais pas l'être ? Je devais me taire, rester passive ? Mon idée n'était pas de reconquérir Milo mais de faire quelque chose d'égoïste et de bien pour moi. Je voulais pouvoir sourire, connaître une certaine insouciance. Mes ambitions de me détacher de ma famille renaissaient et je décidais d'entreprendre des démarches pour revenir aux Etats-Unis. Après plusieurs mois, une somme folle en avocats, les Etats-Unis m'accordaient un visa d'un an et la possibilité de repasser les examens pour entrer dans une université. J'avais eu le temps de travailler pendant toutes ces années et grâce à cette exception, j'étais à mon tour acceptée à Harvard. Entre étonnement et malaise, j'hésitais à me rendre là-bas, il y avait certes deux de mes cousines mais quelque chose me disait que ça n'allait pas être une partie de plaisir.