Are You Talking to Me ? ₪ River & Tyler

Cela faisait près d’un mois à présent que je m’étais tenu à l’écart de River et ne l’avait de ce fait pas emmerdé de quelque façon que ce soit. Et si je comptais tenir ma promesse encore longtemps, me forçant à oublier définitivement le jeune homme, j’avais énormément de mal à me contrôler. Ce dernier était plus présent dans mes pensées que lorsque j’avais pris l’habitude de le provoquer presque tous les jours de la semaine. Mais cela semblait être une réaction plus que normale. Après tout, lorsque l’on privait un homme de sexe, il y pensait généralement plus que d’habitude – c’est-à-dire à chaque seconde. C’était ce que l’on appelait la cause à effet, ou quelque chose dans ce genre-là. En tout cas, si je résistais à l’envie de le voir pour lui parler ne serait-ce qu’un tout petit peu, je me permettais tout de même de le regarder. Et pour ça, je ne me gênais pas, prenant toujours – voire même plus – de plaisir à le mater sans vergogne.

Aujourd’hui encore, nous avions un cours en commun, moi et River. Et aujourd’hui encore, j’allais m’asseoir au fond de la salle sans même une parole ni un regard pour lui et, dès que le cours commencerait, j’allais en profiter pour l’observer de loin, tout en soupirant de désespoir sur la situation actuelle qui ne me plaisait pas du tout – mais si elle convenait à River, alors… je n’avais rien à dire… Et une fois arrivé dans ma salle de cours, je commençai ma petite routine habituelle, allant m’installant sur un siège et une table au fond de la pièce.

Voilà près d'un mois à présent que River n'avait plus de nouvelles de Tyler. Mais voilà, il résidait un large souci dans cette séparation, longue séparation. A chaque fois que son regard se posait sur lui, en cours, par pure hasard, il ne pouvais s'empêcher de repenser activement aux deux baisers qu'ils avaient échangé. Et ce n'était pas en mal, au contraire. En vérité, il s'était rendu compte qu'il avait fait une erreur : bien que ce soit le pire des emmerdeurs dans son genre, il n'avait pas envie de le faire quitter sa vie. Au contraire. La petite étincelle des yeux de Tyler lui manquait... Et il en avait tremblé lorsqu'il l'avait compris. Cela remettait en question tous les sentiments qu'il était, jusqu'ici, certain de posséder envers June. Cette dernière était si gentille, si douce... et elle l'aimait tellement. Il n'avait pas à douter de l'amour qu'elle avait pour lui, car il était pur et fort. Malheureusement, ne serait-ce que par la pensée, il la trompait, il trompait sa pureté. Une soirée, il s'était même dit qu'il goûterait bien encore aux lèvres de Tyler, comme s'il pouvait avoir un quelconque désir envers lui.
Alors qu'il se déplaçait vers sa salle de cours, la pensée lui vint à l'esprit qu'il allait le revoir. Mais il ne fallait pas le regarder, c'était tout, il ne fallait rien lui dire et continuer à l'ignorer. Il savait pertinemment que Ty' ne se gênait pas pour se rincer l'oeil en le matant tout du long du récit du professeur, mais il n'osait presque jamais lui lancer de regard. Il savait qu'il avait été sévère la dernière fois et il regrettait son geste. Jamais il n'aurait pensé que le Winthrop lui manquerait un jour, et pourtant, c'était bel et bien le cas. Lorsqu'il arriva enfin à destination, il fit le tour de la salle du regard afin de repérer le jeune homme. Il devait en avoir le cœur net. Il devait aller le voir, s'excuser. Peut-être que ce qu'il pensait être de l'attirance n'était en fait que de la culpabilité ? Oui, c'était cela. Sans aucun doute. Il devait s'approcher et comprendre. Une fois qu'il aurait compris, il serait rassuré.
Il se traîna donc vers les derniers rangs et pris place à côté du jeune homme.
« Salut ! » fit-il doucement, sous l'air ahuri de son interlocuteur. Certainement ne comprenait-il rien de son comportement, mais ce n'était pas grave. Alors que leurs regards se croisèrent, River sentit comme un frisson le parcourir. Non, c'était June qu'il aimait. C'était tout. Poussant un soupir afin de se calmer, il reprit enfin la parole :
« Tu vas bien depuis le temps? » Il était gentil. Lui, River Lewis était sympathique avec Tyler alors que le dernier propos lancé était on ne peut plus mesquin lors de leur dernière rencontre.

Après m’être tranquillement et confortablement installé à la place à laquelle j’avais maintenant pris l’habitude de m’installer, j’attendais patiemment que les étudiants de ce cours arrivent enfin, tout comme le professeur qui enseignait cette matière, tout en sortant cahier et stylo dans le but évident de prendre des notes – je n’allais généralement pas en cours pour ronfler comme certains Harvardiens le faisaient, bien que je ne les critiquaient absolument pas (c’était leur vie, après tout).

J’étais arrivé depuis quelques minutes seulement lorsque je vis le jeune homme qui hantait mes pensées debout dans l’encadrement de la porte, en train de scanner la salle de classe des yeux – je me demandais d’ailleurs bien ce qu’il faisait exactement car, d’habitude, il allait directement s’asseoir à sa place qui se trouvait à l’opposé de la mienne, c’est-à-dire dans les premiers rangs. Lorsqu’il regarda dans ma direction, je détournai rapidement le regard, trouvant soudain un intérêt tout particulier à mon stylo, qui n’avait en réalité rien d’exceptionnel, mais je m’étais tout à coup senti incapable d’affronter son regard qui était habituellement si intense qu’il me faisait toujours un peu fondre de l’intérieur.

- Salut ! me salua-t-il doucement, alors que je tournai un regard ahuri vers lui.

J’étais totalement abasourdi. Non seulement, parce qu’il venait de s’installer juste à côté de moi, alors qu’il ne l’avait jamais fait depuis qu’il était arrivé dans cette université – les quelques fois où nous étions assis l’un à côté de l’autre, c’était généralement moi qui m’imposait (comme d’habitude, devrais-je d’ailleurs dire…) –, mais en plus, il venait de me dire bonjour, alors que la dernière fois que l’on s’était vus, il m’avait expressément demandé de le laisser tranquille, et ce, de manière totalement définitive – ce que j’avais accepté à contre cœur. Alors, pourquoi venait-il aujourd’hui se mettre intentionnellement à côté de moi – il n’était nullement forcé de le faire étant donné que la salle n’était encore qu’à moitié vide – et me parler comme si rien de tout ce qui s’était passé lors de notre dernière rencontre n’avait eu lieu. Je n’avais pourtant pas rêvé, et les quelques semaines de silence radio de sa part me le prouvaient…

- Tu vas bien depuis le temps ? me demanda-t-il toujours aussi gentiment, et la pensée qu’il avait très certainement dû être tombé sur la tête fut la seule explication possible que j’avais trouvé pour expliquer ce soudain changement de comportement.

- Je croyais que tu ne voulais plus rien avoir affaire avec moi ? remarquai-je sur un petit ton ironique, ce dont je n’avais pas l’habitude, mais la remarque qu’il m’avait lancé juste avant que je ne m’en aille pour de bon la dernière fois me restait encore en travers de la gorge. Je sais pas à quoi tu joues, mais je t’arrêtes tout de suite, River, annonçai-je avec un air sérieux qui ne m’allait définitivement pas au teint. J’ai tenu ma promesse en vous laissant tranquille, toi et June, alors tu devrais en faire de même – tu semblais si bien parti, d’ailleurs… A moins que tu ais pitié de moi car je vais finir ma vie seul ?

Méchant ? Oui, je l’étais sans le moindre doute, mais c’était une simple forme de protection. Il m’avait déjà atteint une fois avec ses remarques cinglantes de vérité, je ne souhaitai donc pas qu’il recommence et préférai attaquer le premier avant qu’il ne m’achève une bonne fois pour toute. Et il avait beau être un jeune homme très attirant, je ne le laisserais jamais piétiner le peu d’amour propre qu’il me restait encore…

River savait pertinemment que Tyler ne l'accueillerait pas avec la plus grande joie et comme si de rien était. Après tout, le jeune étudiant en russe avait fait preuve d'une méchanceté incroyable à son égard lors de leur dernière rencontre. Mais il n'avait pas pu s'y prendre différemment, car il redoutait de n'en dévoiler bien trop sur le véritable fond de sa pensée. Un fond dont il avait grande crainte... Qu'il ne voulait pas explorer. Ce baiser qui lui avait fait plus d'effets qu'il n'aurait dû... Cependant, en cette matinée de cours, il avait eu l'audace de faire un pas en avant, ou plutôt en arrière, vers notre cher homosexuel dragueur invétéré. Mais il savait qu'il ne pouvait pas laisser les choses au point mort comme elles l'étaient depuis que Tyler avait fait vœu de ne plus chercher à le voir et lui parler. River devait avouer que la chiantise et les remarques salaces de son « ami » (ou plutôt ex-ami-encore-camarade-de-cours) lui manquaient profondément. Comme quoi, June devait avoir raison lorsqu'elle disait qu'il était un peu masochiste sur les bords.
S'asseyant à côté du Winthrop comme si de rien était, comme si le silence n'avait pas existé ce dernier mois, River lui lança même une question d'un air détaché. A vrai dire, il avait beau être gêné par les injures qu'il lui avait lancé des semaines plus tôt, il ne savait pas vraiment comment s'excuser, ni même s'il avait vraiment l'envie de s'excuser. Tout ce dont il était certain, c'était qu'il se sentait véritablement mal lorsqu'il y repensait. Pourtant, sur le coup, il avait presque était fier de lui, de son coup, mais avec le recul, il se trouvait dégueulasse. Non seulement il n'avait pas hésité plus de quelques secondes à rabaisser Tyler, mais, de plus, il avait osé se rabaisser lui-même. Le jeune homme avait été prêt à se prostituer pour avoir la paix... Et à présent qu'il l'avait, il n'en voulait plus. Bon sang, mais que signifiait donc cette étrange attirance qui le poussait à côtoyer le Winthrop malgré tous ses défauts ? Au fond de lui, il en était certain, le charme et la gentillesse de Tyler avait dépeint sur son âme... Tyler avait beau être un petit con, il était quelqu'un de plutôt sympathique -lorsqu'on apprenait un peu à le connaître, on pouvait entrevoir un bon côté- et surtout terriblement enjoué. En bref, on ne s'ennuyait pas à ses côtés.

River baissa les yeux face aux remarques incisives dont lui fit part son interlocuteur. En silence, se mordant la lèvre inférieure du bout des dents, il sortit sa pochette et un stylo bleu, levant les yeux vers l'estrade, où la professeur n'avait pas encore pris place. Puis, après avoir poussé un large soupir d'encouragement, il se tourna de nouveau vers Tyler, ancrant son regard dans le sien, comme pour le forcer à l'écouter.
« Ecoute, Tyler... Je suis désolé. Je suis navré, je n'ai pas été... correcte avec toi et je te demande pardon. » finit-il par lancer d'une traite. Il avait peur de chercher ses mots, de se tromper dans ses phrases. « J'ai été blessant, je le sais, et... je regrette. Enfin, je veux dire... Je... »
J'aimerais qu'on reste amis ? Non, cela, il ne pouvait pas le dire puisqu'ils n'avaient jamais vraiment été amis. River avait toujours été cette proie pour Tyler, cette proie que l'on guette pour finir par la manger.

J’avais été plus que glacial face au comportement doux et amical de River qui revenait me parler après des semaines de silence. J’avais d’ailleurs été tellement claquant dans mes propos que je ne me reconnaissais pas moi-même. Ce n’était pas le Tyler Liam Davis que rien ne pouvait habituellement atteindre et qui n’hésitait pas à se ridiculiser uniquement pour faire rire. Mais River n’avait jamais été le genre de gars à rire de mes pitreries et il me l’avait définitivement fait comprendre lors de notre dernière rencontre en allant même jusqu’à m’offrir son corps en guise de marché. Cependant, il s’était lourdement trompé sur mon compte. J’agissais peut-être parfois comme un enfoiré de première, mais je n’en étais pas un au point de violer quelqu’un dans le seul et unique but de le laisser tranquille juste après m’être satisfait sexuellement. Et je pense d’ailleurs que c’était la chose qui m’avait le plus blessé parmi toutes les méchancetés qu’il avait pu me sortir la dernière fois – ça et le fait que je finirai ma vie seule, bien qu’il ne faisait qu’énoncer la vérité à haute voix…

- Ecoute, Tyler... Je suis désolé, commença-t-il à s’excuser, et je tournai brusquement la tête vers lui afin de lui lancer un regard tout aussi surpris qu’intrigué de connaître les raisons qu’il l’avait poussé à venir me demander pardon – j’étais au moins sûr que ce n’était pas June qui l’avait forcé parce qu’aussi gentille pouvait-elle être avec les autres, elle me haïssait du plus profond de ses entrailles et n’attendait au contraire qu’une chose me concernant : que je déguerpisse de leur vie à jamais. Je suis navré, je n'ai pas été... correct avec toi et je te demande pardon. J'ai été blessant, je le sais, et... je regrette. Enfin, je veux dire... Je...

- Tu quoi ? le pressai-je à finir sa phrase qu’il avait laissé en suspens, me faisant ainsi me poser tout un tas de questions sur ce qu’il souhaitait vraiment ajouter. Tu as mauvaise conscience, c’est ça ? me mis alors à deviner ce qu’il aurait pu vouloir dire. Oh, mais t’inquiètes pas ! Tu n’as pas à l’être ! Après tout, tout ce que tu m’as dit la dernière fois, tu le pensais, non ?

Le professeur se tourna brusquement vers moi, m’intimant de me taire par un « Chut ! » et un regard noir. Et je lui aurais bien dit d’aller se faire foutre par un autre que moi, si je ne m’étais pas retenu au dernier moment. Je n’avais aucunement besoin de me faire virer de l’université, même pour quelques jours, uniquement parce que, pour la première fois depuis longtemps, je laissais aller ma colère sur des choses aussi futiles qu’un type ne voulant plus que je l’emmerde – ce qui avait, en fait, une énorme importance pour moi car ce n’était pas n’importe quel type. Une pensée très étrange, d’ailleurs…

- Alors, pas besoin de t’excuser, continuai-je, chuchotant presque afin de ne pas me faire entendre du professeur qui avait commencé son cours depuis quelques minutes déjà. Tu n’as aucun compte à me rendre. Après tout, je ne suis pas ton ami, n’est-ce pas ?

Je tournai la tête vers lui, plantant mes yeux dans les siens, tout en attendant une réponse. Nous n’avions jamais eu ce genre de relation, mais quelle était la nature de notre relation, justement ? Je lui courais après. Il me rejetait. Je prenais une baffe ou un coup de poing, avant de revenir de plus belle à la charge. Et puis, je ne pensais pas à lui comme un ami…

River ne s'attendait absolument pas à ce que Tyler ne lui réponde comme si de rien était. D'ailleurs, la colère du Winthrop était totalement compréhensible et le jeune homme n'avait aucunement idée d'y échapper. Mais il l'avait espéré, d'un côté. A vrai dire, il voulait que Tyler accepte ses excuses. Mais il ne comprenait pas trop pourquoi il tenait autant à cet état de fait. Il possédait simplement une sorte de force étrange qui l'y poussait et contre laquelle il n'avait pas eu la force de lutter. Il baissa simplement le regard sous le ton fort de son interlocuteur, tel un enfant qui n'avait pas le courage de tenir tête à la personne en train de le gronder. Le professeur remarqua leur conversation émettant un peu trop de décibels, leur indiquant de se taire. River ne put s'empêcher d'afficher un sourire désolé, non seulement envers ses camarades, mais surtout envers Tyler. Mauvaise conscience... Était-ce vraiment cela ? Il en doutait. Il en doutait même fortement. Pourtant, c'était une réponse qui arrangeait tout le monde, surtout lui. Pas d'attachement, pas de manque, juste sa conscience qui lui jouerait des tours.
Ils n'avaient jamais été amis, il n'y avait jamais eu aucune relation affective entre eux... Alors pourquoi continuer à discuter ? Autant cesser ici ses pitreries et suivre le cours magistral qui venait de commencer depuis quelques minutes. Mais un lueur de dépit apparût dans le regard de River, cette sorte de flamme s'éteignant peu à peu qu'on ne lui avait pas vu depuis longtemps. Cette sorte de lueur de tristesse qu'il possédait lorsqu'il était exclu des moindres groupes de son école, enfant.

« Je... Je ne sais pas si je le pensais. Tu m'as énervé, je suis allé trop loin. Je ne voulais pas te faire du mal... » fit-il en chuchotant. A présent, le professeur les avait à l'oeil, pas la peine d'en rajouter en hurlant. D'autant plus que notre jeune homme avait pris un temps très doux, se voulant presque gentil -pour une fois.
« Tu... Non, on a jamais été amis... Tu as toujours été un sacré casse-pieds... » souffla-t-il ensuite en écrivant quelques notes. Mine de rien, il suivait les quelques phrases prononcées par le prof. Évidemment, il n'en avait cure et c'était un peu pour fuir les sentiments et les pensées lui venant à l'esprit, qu'il faisait mine d'écouter et de désirer suivre le cours.
« Mais je dois t'avouer un truc... je ne sais vraiment pas pourquoi, ni même ce que tu peux bien représenter à mes yeux, mais... Tu m'as manqué le mois dernier. J'ai été sévère et je m'en suis nettement voulu de t'avoir fait du mal. Et si je suis venu m'excuser, ce n'est certainement pas parce que je voulais laver ma conscience, mais parce que... Je crois que je t'aime bien. » finit-il par proclamer, toujours très bas. Il n'aurait jamais cru faire de tels aveux un jour à Tyler, et son cœur en battait vraiment très fort. River ne comprenait même pas ses propres réactions... Alors, il fourra les quelques affaires qu'il avait à peine sorties dans son sac et se leva, sous le regard intrigué du professeur qui fit rapidement mine de l'ignorer. Après tout, s'il devait sortir et quitter le cours, c'était son droit. Et c'était ce qu'il voulait faire, car il se sentait vraiment trop mal... Il ne se comprenait plus, il avait l'impression d'avoir eu tord de s'asseoir à côté de ce casse-nouilles de Tyler. Il aurait dû lui permettre de tenir sa promesse... Du moins plus longtemps.
Sans ajouter un mot, il traversa les quelques mètres qui le séparaient de la porte d'entrée de l'amphithéâtre et lançant un regard étrange au jeune Winthrop, il sortit, totalement amère.

- Je... Je ne sais pas si je le pensais, fit-il en faisant attention à ce que le professeur ne nous entende pas – sinon, nous risquions d’avoir des ennuis. Tu m'as énervé, je suis allé trop loin. Je ne voulais pas te faire du mal...

J’eus un petit rire ironique, pensant que son but avait été au contraire de me faire du mal. Après tout, on ne disait jamais ce genre de choses par hasard, même sous le coup de l’énervement ou de la colère. Et ce type d’émotions aidait d’ailleurs très souvent à exprimer le fond de nos pensées, ce qui n’était forcément jamais sans conséquence pour la sensibilité de la personne juste en face. River n’avait donc peut-être pas contrôlé les propos qui sortaient de sa bouche et qu’il pensait obligatoirement, mais il ne pouvait pas affirmer ne pas avoir voulu me faire de mal puisque c’était au contraire sa volonté première.

- Tu... Non, on a jamais été amis... Tu as toujours été un sacré casse-pieds... continua-t-il en chuchotant, tout en grattant quelques notes sur sa feuille de cours que je n’arrivais pas à suivre.

Au moins, nous étions d’accord sur un point : nous n’avions jamais été amis. En même temps, il était assez difficile de l’être au vu des circonstances. River me plaisait vraiment beaucoup et je ne cachais à personne – même pas à lui – l’attirance que j’éprouvais pour lui, mais il était maqué avec une fille plus que jalouse, ce qui compliquait bien évidemment les choses entre nous et nous empêchait donc de lier toutes sortes de relation amicales quelles qu’elles soient. Par contre, je me devais de protester contre l’argument qu’il venait de dire pour justifier cette absence d’amitié, car j’étais tout autant casse-pieds avec les autres, ce qui ne m’avait jamais empêché de m’en faire des amis – bon, certes, je devais tout de même avouer que j’étais beaucoup plus chiant avec lui…

- Mais je dois t'avouer un truc... commença-t-il, et je tendis l’oreille, curieux de savoir ce qu’il avait à me confier. Je ne sais vraiment pas pourquoi, ni même ce que tu peux bien représenter à mes yeux, mais... Tu m'as manqué le mois dernier, lança-t-il telle une bombe, et je me tournai soudainement vers lui afin de le regarder dans les yeux comme pour vérifier par moi-même qu’il ne me mentait pas. J'ai été sévère et je m'en suis nettement voulu de t'avoir fait du mal. Et si je suis venu m'excuser, ce n'est certainement pas parce que je voulais laver ma conscience, mais parce que... Je crois que je t'aime bien.

Je sentis mon cœur exploser dans ma poitrine, mais cela n’était nullement douloureux, bien au contraire. Cela ressemblait même plus à une explosion de joie, mes entrailles s’amusant à danser la lambada dans mon ventre – ce qui était d’ailleurs une sensation très étrange que je n’avais jamais eu le plaisir de ressentir auparavant. River, quant à lui, commença étrangement à ranger ses affaires dans le but apparent de quitter le cours, mais je n’en comprenais pas la raison. Avait-il honte de m’avoir avoué qu’il pouvait m’apprécier ? Etait-ce réellement quelque chose dont on devait être embarrassé ? Je ne pris même pas le temps de penser que j’imitai le jeune homme déjà sorti en rangeant rapidement mes affaires afin de le suivre.

- River, attends ! le hélai-je dans le couloir, tout en trottinant pour le rattraper. Pourquoi tu t’en vas ? lui demandai-je, une fois arrivé à sa hauteur. T’as honte de m’apprécier, ou quoi ? C’est embarassant à ce point de bien m’aimer ? Si c’est à cause de June, je vois pas où est le problème ! Elle n’a tout de même pas son mot à dire sur les amis que tu te fais, si ? Je comprends pas là, finis-je avec un air vraiment perdu.

River voulait partir, fuir, s'en aller loin. C'était la meilleure façon de calmer son cœur, de calmer ses ardeurs, de calmer les pensées plus ou moins loufoques qui lui venaient à l'esprit. Son organe vital se déchaînait alors qu'il venait de franchir les portes de l'amphithéâtre. Il ne comprenait plus rien, il ne savait même plus ce qu'il venait de dire, il en avait les mains moites. Serait-il possible que Tyler ait su le charmer ? Serait-il possible que, malgré tous ses sentiments envers June, il soit tombé amoureux d'une autre personne... Et que cette personne soit un homme ? Et pas n'importe lequel, l'homme le plus saoulant de la Terre ?
Poussant un soupir, il se cala contre un mur, mais son repos fut de courte durée. Soudain, il entendit un cri, on l'interpellait. Tyler ne prit que quelques secondes avant d'arriver à sa hauteur. River ne put alors s'empêcher se pousser un nouveau soupire. Ce n'était pas permis ce genre d'emmerdes dans la vie. Ce n'était pas juste, tout bonnement. Et cet homme se tenant présent de nouveau face à lui ne pourrait pas comprendre... Il ne pourrait jamais se rendre compte du soucis que notre jeune étudiant en relation internationale avait en plein. Il avait juste envie de pousser un hurlement pour se débarrasser d'un revers de main de toutes les questions qui lui prenaient l'esprit en ce moment. Mais, à la place, il restait muet comme une carpe, les yeux écarquillés face aux questions que lui posait son interlocuteur.

« Je... le cours ne m'intéressait pas. » mentit River sans même le regarder dans les yeux. Évidemment, cela était clair et net, se voyait comme le nez au milieu de la figure, que c'était un simple mensonge. La voix tremblante de notre jeune homme était loin de prouver le contraire, son regard fuyant anéantissait la perspective qu'on finisse par le croire. Déglutissant bruyamment, River finit par lancer un petit sourire timide face à son interlocuteur. Ce genre de sourire gêné, dépité et heureux à la fois. « Ecoute, je.. Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens. » finit-il par conclure, posant son regard azuré dans celui de son interlocuteur, l'air doux. « Je ne comprends plus ce que tu représentes pour moi... Je ne sais pas, je ne sais plus... June n'a pas son mot à dire sur mes amis, évidemment, mais....J'ai l'impression qu'il ne s'agit pas d'amitié.... » affirma-t-il en baissant les yeux. C'était une déclaration qui allait certainement tout chambouler. Il venait de souffler tout haut ce qu'il redoutait le plus, mais ce qui était présent depuis des semaines au fin fond de ses tripes. Des sentiments cachés, des sentiments qu'il n'avait pas le droit de laisser paraître, au risque de faire beaucoup de mal, dans le cas contraire.

- Je... Le cours ne m'intéressait pas, me mentit-il de manière effrontée, alors qu’il n’osait même pas me regarder dans les yeux – preuve de sa non-franchise à mon égard.

Et si je n’avais généralement pitié pour personne, je devais bien avouer que River me faisait beaucoup de peine en cet instant. Son air gêné et son regard fuyant faisaient partie des choses qui me prouvaient que le jeune homme me cachait un je-ne-savais-quoi de plutôt embarrassant – ce qui me faisait penser que cette chose en question avait très certainement un rapport avec moi, mais je n’en étais tout de même pas certain.

- Ecoute, je… Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens, commença-t-il à se justifier maladroitement pour le comportement étrange qu’il avait depuis son aveu à propos du sentiment amical qu’il semblait ressentir vis-à-vis de moi. Je ne comprends plus ce que tu représentes pour moi... Je ne sais pas, je ne sais plus... fit-il, ayant l’air totalement confus, ce qui ne m’aidait pas vraiment à comprendre son attitude envers moi. June n'a pas son mot à dire sur mes amis, évidemment, mais... J'ai l'impression qu'il ne s'agit pas d'amitié...

… Quoi ?... What ?... Was ?...Qué ?... Nani ?... Bon, je crois m’être exprimé dans toutes les langues que je pouvais connaître un minimum… En tout cas, cela résumait à la perfection ce que je ressentais face à ce deuxième aveu encore plus perturbant que le premier. Car si le fait que River m’aime bien était plus que probable – puisque, sans vouloir jouer les prétentieux, j’étais tout de même quelqu’un de sympathique sous mes dehors de chieur –, le fait qu’il ressente plus que de l’amitié pour moi était carrément invraisemblable ! Du moins, je n’aurais jamais cru cela possible un jour. Voilà donc pourquoi j’étais totalement choqué par cette soudaine révélation qui m’aurait fait littéralement tomber à la renverse si je ne possédais pas un minimum de tenue – et puis, je n’avais pas très envie de me faire mal… Je me sentais également dans l’impossibilité d’émettre le moindre son, et je ne faisais qu’ouvrir et fermer la bouche comme le parfait idiot que j’étais – River devait d’ailleurs déjà regretter ses propos étranges, se demandant très certainement s’il lui était possible de revenir sur sa parole…

- Et… fus-je enfin en mesure de commencer, avant de me racler la gorge dans le but de détendre mes cordes vocales dont j’avais grandement besoin en ce moment. De quoi s’agit-il, alors ?...

La situation était en train d’échapper complètement à mon contrôle et j’en étais pétrifié. Cela m’était bien sûr déjà arrivé qu’une de mes conquêtes m’avoue soudain son attirance, voire carrément son amour, pour moi après (ou pendant) que l’on ait couché ensemble – ceux qui ont fait le très mauvais choix de me le dire pendant l’acte n’ayant jamais eu la joie que l’on termine les festivités. Mais jamais de la part d’un type qui m’avait fait tourner en bourrique pendant presque un an, alors que pour je-ne-savais-quelle raison je continuais à tenter ma chance auprès de lui, bien que je savais que cela ne se ferait jamais. Ma raison me dictait de partir, de prendre mes jambes à mon cou – cet aveu soudain n’annonçant rien de bon –, mais quelque chose qui semblait se situer au niveau de mon cœur me forçait à rester. Et malgré le fait que le mot « raison » ne s’appelait pas comme cela par hasard, je décidai finalement d’écouter… mon cœur ? (mes pieds refusant de toute façon de bouger…). Et puis, après tout, le dicton disait bien que « le cœur a des raisons que la raison ignore ». Après, de là à dire qu’il possédait la meilleure solution, je ne le savais pas…

River ne parvenait pas à regarder Tyler dans les yeux. Il avait une crainte profonde qui lui rongeait les entrailles. Il voulait fuir et pourtant la présence de son interlocuteur l'en empêchait, il pouvait simplement rester là, simplement, sans même bouger d'un petit pas sur le côté, et encore moins en arrière. Il observait Tyler, attendant une quelconque réaction de sa part. S'il voulait que la situation entre eux se clarifie, alors il devait en avoir le cœur net et ne pas fuir, ne pas baisser de nouveau les bras et les yeux. Son regard cherchait un point sur lequel il pourrait se fixer dans les couloirs, mais rien n'y faisait, il ne parvenait pas à se calmer. C'était comme s'il était en train de subitement mourir. Et le pire, c'était qu'il se laissait mourir. Il sentit la transpiration arriver dans le bas de son dos. Ce n'était pas une situation agréable, et pourtant il avait la nette sensation que cela serait pire s'il venait à se décider à quitter les lieux. Il se sentirait mal, encore plus mal qu'à présent et c'était nettement inimaginable comme sorte de douleur.
« De quoi s'agit-il, alors ? » La voix de son interlocuteur le sortit de sa torpeur. Il était en train de chercher une manière de revenir sur ses paroles, de démêler la situation, mais c'était à présent trop tard. Il ne pouvait plus faire volte-face et tourner les talons. Il ne pouvait même plus avoir le droit de se décider à souffrir et à jouer les pleutres. Bref, il était piégé, fait comme un rat.

« Je... je n'en sais rien... » souffla-t-il timidement. Son regard était absolument fuyant alors qu'il tentait de trouver des mots, des mots qui le sauveraient de la faillite totale. A vrai dire, il ne savait pas quoi répondre car il ne comprenait même pas lui-même ce que son organisme, son coeur ou sa raison était en train de lui faire endurer. Serait-il vraiment sous le charme de Tyler ? Il avait une petite amie absolument génial, il était heureux dans son couple, il avait tout ce qu'il lui fallait et pouvait espérer un jour fonder une famille avec la personne chère à son cœur... Alors pourquoi ? Pourquoi s'enticherait-il d'un homme ? Pourquoi donc faudrait-il que cela tombe sur lui ? Pourquoi ? Alors que les questions se bousculaient dans son esprit, alors qu'il essayait de ne pas céder, de ne pas formuler des hypothèses folles et trop profondes, il se mit à reculer. Il recula de quelques pas, avant de ne finalement s'élancer en avant. Et ce fut simplement, presque naturellement qu'il s'empara des lèvres de son interlocuteur. Il ne se fit pas prier pour devenir presque bestiale dans ses gestes, partageant ce baiser avec avidité, mais surtout violence. Lorsqu'il s'écarta, ce ne fut que pour reprendre sa respiration, car il s'empara ensuite de nouveau des lèvres de Tyler. Puis, un léger regard avant de s'écarter subtilement.
« Je ne comprends pas de quoi il peut s'agir. Mais ça me fait du bien. » finit-il par déclarer, avant de baisser de nouveau le regard, reprenant sa respiration. Serait-il faible, serait-il décevant à ce point ? Beaucoup de mal serait fait dans cette histoire, il le savait, mais River ne préférait pas y penser.